Dans le chapitre précédent…Arc du Souffle du Voile
Chapitre XXVIII : Mise en Garde
Au petit matin, Akihito passa les portes de la bibliothèque lorsqu’il constata avec plaisir qu’elle était déjà ouverte malgré l’heure. Il avait eu du mal à se séparer de Hïo, celui-ci refusant catégoriquement de le quitter en avançant le conseil du milicien de rester groupé. Il fut convaincu bien à contre-cœur par Akihito qui lui dit que la masse des mineurs Thorkins qui l’entourerait lui fournirait toute la protection qui lui faudrait, surtout depuis que ces derniers sont bien plus amicaux depuis l’épisode du Gahkaï. Quant à lui, il veillerait à rester dans des artères fréquentées et saurait se défendre bien plus efficacement avec sa magie grâce à son augmentation de fluide et sa nouvelle capacité.
Rangeant les gants renforcés dans une de ses poches, il approcha du bibliothécaire à la réception et vit que celui-ci avait pâle figure : traits tirés et grosses cernes sous ses yeux.
« Bonjour ! Dites donc, vous avez une sacrée mine !- A qui le dites-vous ! La nuit a été longue… répondit le bibliothécaire en se frottant les yeux comme pour appuyer ses propos.
- Je cherche des informations sur le Marteau Runique et sur le roi de l’époque, Doure Barbe Ecarlate.- Le Marteau de Valyus ? Je crains que nous n’ayons rien y traitant, je m’occupe de tout ce qui attrait à nos trésors. Quoi qu’il n’ai pas vraiment eu le temps de devenir un trésor… Cependant, nous avons quelques ouvrages traitant de nos bons rois, la plupart des biographies. Demandez une nouvelle fois à ma collègue, elle saura vous indiquer les bons livres !- Merci ! Profitez du calme pour faire une petite sieste !- Je vais suivre votre conseil, mais seulement lorsque l’Exarque sera parti… »(L’Exarque ? Elle est encore là ?) pensa l’enchanteur en se dirigeant vers les escaliers. Il grimpa les marches en cherchant du regard la jeune femme et les deux gardes patibulaires, mais ne les trouva pas. Il traversait l’étage à la recherche de la bibliothécaire lorsqu’une jeune femme à la chevelure blonde en bataille sortit de la rangée deux rangs devant lui, vint dans sa direction la tête penchée et percuta avec le torse de Akihito. Si celui-ci reconnut instantanément l’Exarque, ce ne fut pas le cas pour elle. Surement surprise de percuter quelqu’un plus grand qu’elle dans une cité de nains, elle leva la tête et posa des yeux embrumés de fatigue sur le jeune homme qui resta interdit devant une situation aussi inhabituelle. Pendant deux secondes qui semblèrent en duré 200 pour le jeune homme, les deux individus se regardèrent dans les yeux sans rien dire. L’un était trop gêné, l’autre pas assez réveillée. Réveil qui arriva assez rapidement lorsque la jeune femme le reconnut, rougit violemment et hurla en posant sa main gauche sur le ventre de Akihito :
« DEGAGE ! »Un mur. C’est comme si Akihito venait de se prendre un mur en pleine face. Une violente poussée le projeta en arrière et lui coupa le souffle, l’allongeant sur le sol cinq mètres plus loin. Un instant, sa vue se troubla et lorsqu’il put de nouveau voir clairement, c’est pour voir la lame courbée d’une hallebarde braquée sur sa poitrine. Au bout de la hallebarde, un des gardes nains de l’Exarque. Et derrière le garde, l’Exarque elle-même.
« Monsieur Yoichi, que faites vous ici ? demanda la jeune femme.
- Je…- Attention mon bonhomme, tente rien de suspect ! Je t’ai à l’œil ! menaça le garde en pressant un peu plus son arme contre la poitrine et la gorge de Akihito qui, du coup, avait bien du mal à parler.
- Calme-toi et laisse le parler.
- Mais, votre Sainteté…- J’ai dit : Laisse-le parler. » insista Rifa Cime Haute en prenant un ton bien plus autoritaire.
Le soldat déglutit bruyamment et recula en relevant son arme de la poitrine du fulguromancien qui put de nouveau respirer sans se couper.
« Comme je le disais, votre Sainteté, je suis de retour à la bibliothèque pour faire de nouvelles recherches et je cherchais la bibliothécaire de cet étage.- Oh, je vois. Et sur quoi porte vos recherches aujourd’hui ? répondit l’Exarque d’un ton neutre.
- Le Roi Doure. Puis-je vous posez une question moi aussi ?- Quelle est-elle ?- Ca vous arrive souvent d’envoyer voler de manière aussi gratuite les personnes que VOUS percutez ?! » demanda Akihito un peu trop abruptement.
Le garde n’apprécia absolument pas le ton de la question et s’avança rapidement vers le jeune homme toujours à terre, la bave aux lèvres.
(Il va m’étriper.) pensa Akihito en voyant le garde littéralement écumer de rage avant que l’Exarque ne le retienne d’un bras.
« Calme toi Sid, il a tout à fait raison. Je l’ai attaqué sans la moindre raison valable et je m’excuse pour cela. » L’Exarque se pencha sur le jeune homme et le regarda droit dans les yeux, un sourire au coin d’un lèvre et une étincelle amusée dans le regard.
« Cela fait bien longtemps qu’on ne m’a pas parlé aussi franchement, les gens savent que je suis l’Exarque et prennent peur. Ils me prennent également avec des pincettes, si bien que je ne sais plus trop si on m’apprécie ou si on me craint lorsqu’on s’adresse à moi. J’apprécie donc votre franchise. Néanmoins… » dit Rifa Cime Haute alors que son expression se durcissait et que l’air autour d’elle devenait saturée d’électricité statique.
« Néanmoins, je SUIS l’Exarque. Je vous pardonne pour cette fois-ci, mais si vous vous avisez encore une fois de vous adresser à moi sur ce ton, vos pitoyables fluides de foudre ne vous protégerons pas du déluge d’éclairs que je ferai s’abattre sur vous. Vous m’avez bien compris, monsieur Yoichi ?- Limpide, votre Sainteté.- Parfait. Eh bien, bonne journée, monsieur Yoichi. »Après un regard dédaigneux et un sourire amusé, la jeune femme passa à côté du jeune homme et descendit les escaliers, suivit de près par ses deux gardes dont l’un lança un regard mauvais et dont les intentions hostiles étaient tout sauf discrètes. Akihito se releva en grimaçant : le choc avait été violent et ses côtes en vibraient encore. Bien heureusement, il ne semblait pas souffrir d’une quelque fracture. Sortant de derrière une étagère, la jeune bibliothécaire Thorkin vint à sa rencontre en courant.
(Elle aussi n’a pas l’air d’avoir dormie.) pensa Akihito à la vue des poches sous ses yeux.
« Par Valyus, Monsieur, vous n’avez rien ?- Merci Mademoiselle, mais ça va allez, juste quelques douleurs.- Qu’avez-vous bien pu faire pour la mettre à ce point en colère ? demanda-t-elle un peu effrayée.
- Rien du tout ! j’étais juste sur son chemin et elle m’a percutée sans que je puisse l’éviter ! se plaignit l’enchanteur en se massant les côtes, grimaçant quelques peu.
- Le plus important est que vous n’ayez rien en fin de compte. Vous me cherchiez donc ?
- Oui, je souhaiterai consulter tous les documents qui concerne le Roi Doure Barbe Ecarlate.- Le Roi Doure ? Ne cherchez pas plus longtemps, vous trouverez tout ce qu’il vous faut sur le rayonnage à votre gauche ! Il contient tout ce qui attrait aux différents rois et autres dirigeants que Mertar a connu. Plus vous vous enfoncez dans l’allée, plus les rois seront vieux. Doure a régné il n’y a pas si longtemps, vous trouverez donc sans peine ce que vous voudrez au début de la rangée. Bien, si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis dans le hall ! Rester éveillée toute la nuit pour être disponible pour l’Exarque m’a épuisée…- Je comprends, reposez-vous bien ! » répondit amicalement Akihito avant de se tourner vers la rangée qui le concernait.
(A nous deux, Doure !)Les documents qui parsemaient les étagères étaient de matériaux divers : il y avait des parchemins, des livres de cuir richement reliés et des livres dont les pages étaient toutes en papier. Akihito constata que même si on progressait vers les ouvrages anciens, leurs états ne se dégradaient pas de manière marquée pour autant.
(Les bibliothécaires font vraiment un travail remarquable de restauration !) admira Akihito avant de se reconcentrer sur ce qui l’amenait ici.
(Doure… Doure… Doure… Ah ! « Chroniques de Barbe Ecarlate » ! Ca doit être un bon début.) pensa-t-il en se saisissant d’un épais livre à la couverture rouge sombre et dont la couverture était gravée d’une tête de Nain à la barbe impressionnante. Le jeune mage s’installa confortablement à la table près de la rembarde donnant sur la salle du bas, en face du rayonnage. Il remarqua du coin de l’œil que l’Exarque était elle aussi assise à une table, une des longues tables en bois rouge de la grande salle encore vide à cette heure relativement tôt -ou extrêmement tardive selon les points de vue des bibliothécaires-. Elle semblait elle aussi plongée dans son livre, malgré les regards surprotecteurs de ses deux gardes du corps postés deux mètres derrière sa chaise.
Le livre commençait d’une manière pour le moins étonnante :
« Je suis Doure Barbe Ecarlate. Aujourd’hui je viens d’être couronné, à l’âge de seulement quatre-vingt-quinze ans. Je pense qu’il est temps pour moi d’écrire mes mémoires, pour que les générations futures puissent tirer des leçons de mon règne, qu’elles soient bonnes, ou mauvaises. Je suis né le… ». La première partie comprenait donc l’enfance et l’adolescence de son auteur jusqu’à son accession au trône suite à la mort prématurée de son père, terrassé par une maladie cardiaque foudroyante. Akihito ne tire pas grand-chose de cette première partie : l’enfant est décrit comme sociable, gentil, un peu espiègle et plutôt intelligent malgré la modestie de l’auteur. Point important en revanche, c’est dès son plus jeune âge qu’il apprend à maîtriser sa magie. Cependant, la magie ne faisant pas partie de ses cours royaux, il ne resta qu’à un niveau très basique.
La seconde partie traitant de son règne s’avéra nettement plus intéressante. Le roi y décrit les différentes situations et tensions auxquelles il est confronté, allant des incursions Garzoks aux débordements des Enragés de Valyus, en passant par les litiges entre différents titres de propriétés de mine pour des Thorkins. Les passages sur les problèmes liés avec les Enragés de Valyus apportent des informations plus qu’intéressantes : si les relations au début sont plutôt cordiales, les nombreux incidents en rapport avec le culte de Valyus émaillent sérieusement le capital sympathie qu’avait accordé le roi à celui-ci. D’autant plus qu’une fois devenu roi, ses capacités magiques purent enfin être approfondies. Possédant des fluides de feu, son statut de roi lui permit de se gaver de doses de fluides jusqu’à ne plus pouvoir en absorber. IL s’avéra pourtant être un prêtre mage, ce qui ne l’empêcha pas de préférer Meno à Valyus. A la fin de son règne, une cinquantaine d’année plus tard, roi semble clairement détester le culte de Valyus et tout ce qui s’y rattache, même s’il ne le dit jamais textuellement. Akihito en vint à cette conclusion en voyant à quel point les condamnations concernant les enragés de Valyus avaient empirées, passant du simple séjour en prison préventif pour vol à une coupe de la main du voleur lors d’un procès expéditif.
(Il n’a pas dû voir d’un bon œil la fabrication du Marteau de Valyus…) pensa alors Akihito. La page suivante donna alors raison à Akihito : le roi découvrait alors le projet et déclara simplement qu’il
« Monopolisait inutilement de compétents forgerons Thorkins pour une arme qui ne sera jamais qu’ostentatoire. ». Le jeune homme remarqua que le papier était troué à certains endroits du texte et supposa que cette nouvelle devait vraiment le mettre hors de lui. Le texte s’arrête peu après. Une note fut ajoutée pour signaler que le roi avait disparu et que c’est pour cela que ses mémoires s’arrêtaient là.
Prenant une pause dans sa lecture qui durait depuis déjà trois bonnes heures, Akihito s’étira les bras en les passant derrière sa nuque et en émettant un soupir de satisfaction. Il en profita pour jeter un coup d’œil en bas : la salle s’était légèrement remplie et l’Exarque était quant à elle toujours là. Le jeune homme en profita pour l’admirer une fois encore, mais cette fois-ci de tout son saoul. Elle portait la même tenue qu’hier et ses longs cheveux blonds aux reflets roux tombaient de part et d’autre de son visage, encadrant une expression absorbée, concentrée sur son livre. Son visage laiteux était soutenu par sa main droite renfermée en un poing sur lequel se reposait son menton. Encore une fois, Akihito s’ébahit de sa beauté.
(Je me demande ce que père et mère dirait si je ramenais une telle beauté à la m… Non non ! Pense pas à des trucs pareils, ça n’a aucun sens.) se reprit mentalement le jeune oranais avant de se replonger dans la lecture. Il lui sembla un instant que l’Exarque l’avait regardé juste avant qu’il repenche la tête, mais chassa vite cette question sans importance.
Une autre chose intéressa le jeune homme. Si le sous texte montrait une animosité envers le culte de Valyus, il montrait également que le monarque semblait porté une attention toute particulière à une boulangère Thorkine. Doure se définissait lui-même comme un bon vivant, clamant même à plusieurs reprises qu’il
« vivait pour manger et ne mangeait pas pour vivre ». Et parmi ses fournisseurs personnels du château, celui de la boulangère de la Grand’Place revenait bien plus souvent que les autres. Cela attira l’attention du mage qui se demanda bien pourquoi cette fameuse personne revenait plus souvent que d’autres personnes pourtant plus importantes, comme le capitaine de la milice de l’époque. Rien ne laissait cependant soupçonner une quelconque relation entre les deux, le monarque parlant toujours d’elle dans un cadre certes élogieux, mais strictement personnel.
L’ouvrage ne lui apporta aucune information de plus. Il chercha dans les autres livres traitant du roi, mais les autres le faisaient avec moins de précision puisqu’ils n’étaient pas écrit par le principal concerné. Ils incorporaient en plus des ragots et autres rumeurs qui circulaient sur le roi, comme l’amour interdit de son chambellan avec une servante ou un complot fomenté par un des nobles de la cour, complot qui ne verrait jamais le jour avec la disparition du dirigeant. Tous ces ragots semblaient émaner, quel que soit le document, d’une certaine noble de la cour nommée la comtesse Cédure.
Refermant le dernier ouvrage, Akihito le remit à sa place et décida qu’il était grand temps d’en savoir un peu plus sur Arig. Il estima que midi approchait aux grognements de son estomac, aussi prit-il la direction de la sortie. Il remarqua que l’Exarque avait déjà quitté la bibliothèque et que les deux bibliothécaires dormaient tous les deux à poings fermés, la tête de l’un reposant sur l’épaule de l’autre. Dans un sourire compatissant pour eux, Akihito quitta le bâtiment.
A suivre…