Recueil de pensées de la traversée jusqu’à Kendra Kâr, à bord du Masamune.
Premier jour :_10h14_
L’alcool de la veille, qui circule encore dans mes veines, me permet d’aider à la manœuvre. Sans lui, la douleur provenant de mes blessures m’empêcherait de me déplacer correctement. Manœuvrer à quatre un tel navire, non mais comme idée saugrenue ça se pose là. Si Gallion n’était pas parmi nous, je pense qu’on se serait échoué sur des récifs dès la sortie du port. Je dois avouer que j’ai, de temps en temps, des hauts le cœur à cause du roulis. J’espère que je ne vais pas rendre mon maigre déjeuner sur le pont. C’est déjà assez gonflant de devoir apprendre le boulot de marin, hors de question qu’en plus je doive nettoyer le pont.
_13h32_
J’ai pu soigner mes blessures avec des linges et des herbes que j’avais envoyé chercher par Gallion tandis que nous étions encore à terre. Heureusement, il a put trouver chez un herboriste la plante que je lui avais décrite : du plantain. Dans ma famille on ne se sert pas des longues fleurs mais uniquement de ses larges feuilles nervurées. Certains en font des décoctions ou des salades, d’autres les font macérer pour guérir je ne sais plus quel mal. Mais moi on ne m’a apprit qu’une seule de ses utilisations : posée entre le bandage et la plaie, elle désinfecte celle-ci en en autant le pus. Mon père à toujours soigné ses blessures ainsi, plantain et temps cicatrisent n’importe quoi d’après lui. Il ne m’a pas appris grand-chose mais au moins cela m’a toujours servit depuis. Néanmoins je ne regrette pas mon départ. J’étais condamné à travailler sans que le fruit de mon labeur de me profite. Ils comptaient sur le fait que je me laisse asservir sans rien dire, alors que mon maigre salaire d’apprenti forgeron allait directement dans leurs poches.
_17h03_
Heartless m’a un peu surpris hier quand il a annoncé la destination de ce rafiot : Kendra Kâr ! Je le rencarde juste pour avoir un coup de main et me faire un peu d’argent facile, et lui, bonne pomme, m’offre un billet gratuit. Quelle ironie, cet argent devait justement me servir à payer le trajet. Bah, à la place il servira à combler le gouffre de mon ignorance dans le domaine de la magie. Je devrais peut-être repenser à son offre : avoir le logis et le couvert, découvrir le monde et ne plus m’ennuyer. Cela mérite vraiment que j’y repense.
_22h56_
Je m’interroge toujours sur la raison de mon état d’hier. J’ai utilisé mon sort de ténèbres comme si cela était aussi naturel pour moi que respirer. Mais là n’est certainement pas le plus bizarre. La douleur. C’était comme si elle me galvanisait au lieu de me paralyser. J’ai assisté à tout, depuis le sort de Vragdush jusqu’à la baffe de Gallion. Et je m’en souviens étrangement bien : chacun de mes gestes, chacun de mes mots, chaque pensée sadique, chaque lent battement de mon cœur,… Tout, je me souviens de tout. Mais le pire est que c’était bien moi aux commandes. Ma haine et ma cruauté étaient à leurs paroxysmes, la pitié et la bonté avaient totalement disparues de mon être. Chaque goutte de mon sang qui s’échappait faisait croître davantage encore cette folie. Mais était-ce seulement de la folie ? Ces sentiments m’ont toujours habité après tout. Mais au milieu de tous les autres, ils n’avaient jamais autant fait entendre leurs voix. J’espère que le prêtre que Niran m’envoie rencontrer aura une réponse à cela.
Second jour :_11h15_
Tandis que je faisais un état des lieux de nos maigres provisions, j’ai mis la main sur une paire de brassards en fouillant les frusques des anciens matelots. Leur cuir est plutôt usé et leur réalisation guère élaborée. Mais je ne peux pas faire le difficile, mes vêtements ont étés mis en lambeaux. Maintenant je porte des affaires trouvées ça et là sur cette coque de noix. J’ai due les laver plusieurs fois à l’eau de mer pour en faire partir l’odeur mais bon, au moins comme ça je suis présentable. J’ai également dégoté une pierre à aiguiser, au moins ainsi ma dague ne sera plus qu’un morceau de métal décoré. Ma dernière découverte me laisse quelque peu perplexe, il s’agit d’une fiole contenant une sorte de liquide noirâtre. Enfin on dirait du liquide mais la surface me fait davantage penser à de la brume. Je pense savoir de quoi il s’agit, Niran m’en a parler sans m’en montrer. Il disait que se ne serait pas sage que j’en prenne sans connaître l’effet que ça pourrait avoir sur moi. Bah, on verra plus tard, Kendra Kâr est encore loin.
_14h06_
De drôles de choses se passent sur ce bateau. D’abord on a eu droit aux flammes des torches qui se sont inclinées bizarrement, comme attirées vers quelque chose. Ensuite les torches qui se mirent à tomber des murs, et cela toutes seules, au point que désormais la lune est notre seule lumière durant la nuit. Et maintenant ça ! Le borgne s’est évanouie tout à l’heure, il semblait aller bien et l’instant suivant il s’écroulait de tout son long. On l’a allongé à l’infirmerie, et depuis Gallion tente de savoir ce qui l’atteint. On en saura plus qu’en il se sera réveiller, mais jusque là, impossible de le soigner correctement sans savoir de quoi il souffre.
Troisième jour :_10h27_
Le capitaine s’est éveillé durant la nuit, il semble souffrir de brulures et de déshydratation mais sans raison physique viable. Il ne cesse de boire l’eau que Gallion lui amène sans arrêt, il semble en consommer autant qu’il en perd, tant son corps transpire. On se relaye pour l’approvisionner en eau fraîche, tout autant qu’à la manœuvre d’ailleurs. Nous ne sommes plus que trois de valides à bord et seul l’un d’entre nous est un véritable marin. Nous risquons de dévier légèrement de notre cap, ainsi nous prendrons sans doute une ou deux journée de retard. Quand on y pense, vaut mieux du retard que de sombrer. A quoi cela nous servirait de nous plaindre ? Et pour se plaindre à qui ? Je suis habitué aux longues journées et aux courtes nuits depuis l’enfance, alors qu’importe. Le tout est que nous arrivions tous en vie à notre destination.
Quatrième jour :_12h12_
Nous rationnons désormais notre eau, seuls les blessés en sont dispensés. Ces idiots de pirates n’avaient pas dues juger opportun d’en faire de plus importants stocks. Gallion pense que cela suffira pour le reste du voyage. Toutefois si Heartless venait à augmenter davantage sa consommation, nous autres serions probablement contraints de nous contenter d’alcool pour qu’il puisse étancher sa soif. Même Renart semble préoccupé par son voisin de chambrée. Après tout, le combat resserre bien plus les liens entre les hommes que n’importe quelle parole.
Cinquième jour :_4h39_
C’est terminé, j’ai repris mes esprits. J’ai filé dans la calle sur un coup de tête, et là, seul au milieu de tonneaux vides, je l’ai vidé. Lorsque j’en ai ôté le bouchon, une odeur étrange a aussitôt emplit alors mes narines. On aurait dit un savant mélange entre celle d’une vieille caverne, sombre et humide avec une légère nuance de champignons, et celle d’un corps en décomposition, laissé dans la fraicheur nocturne aux bons soins d’un fossé. Lorsque le contenu se posa sur ma langue, c’était … indescriptible. Cela semblait s’infiltrer dans chaque parcelle de mon corps avec la plus grande rapidité. Coulant et traversant mes chairs comme si j’étais fait de calcaire. Mes artères s’en gonflaient comme d’un divin nectar de poison. Cela se déversa en moi jusqu’à même atteindre la pointe de mes cheveux, j’étais comme une éponge se gorgeant de ténèbres. Mon esprit aussi en fut inondé, mes sentiments humains s’envolèrent pour laisser place à de biens sombres émotions. C’était bizarre, comme si j’étais libéré d’un poids. Le terrible poids des bonnes intentions, de l’altruisme et autres niaiseries du même genre. Mais cet état de conscience ne dura pas. Ma cruauté et mon égoïsme diminuèrent au retour de mes bons cotés. Cela m’avait semblé durer une bonne heure, mais seules quelques minutes s’étaient véritablement écoulées. Ainsi est-ce cela absorber le fluide d’ombre.
_16h12_
Mes blessures semblent aller mieux, je boite toujours un peu mais cela pourra être aisément camouflé d’ici le port. Le malaise que je ressentais au début de ce voyage c’est dissipé comme le brouillard dans la plaine. Je passe mon peu de temps libre entre l’aiguisage de ma lame et la confection de vêtements corrects à partir des loques laissées par les pirates de Vragdush. Mieux vaut ne pas ressembler à l’un de ces ivrognes malfaisants si on ne souhaite pas attirer trop l’attention de la garde. Ni ma cape ni mes bottes n’ont eus à subir le tranchant du sabre de l’autre trouillard. Heureusement, car là j’aurais eu bien du mal à leur trouver des remplaçants dans de pareilles haillons.
Sixième jour :_9h19_
Dernier jour de traversée à priori. L’idée de pouvoir naviguer librement où bon me semble me séduit de plus en plus. Je me doute que je vais devoir voyager pour obtenir cette relique d’un temps révolu. De plus, qui sait ce qui pourrait se dresser entre ce pouvoir et moi ? La sagesse me dicte de m’entourer d’alliés puissants et loyaux pour m’accompagner sur ce périple. Cela ne fait que deux petites semaines que je parcours librement les routes, aussi ne suis-je guère un aventurier professionnel. Mais cette idée possède un charme certain et cette poignée d’hommes semblent déjà m’avoir intégrée à leur groupe. De toute façon, je verrais bien assez tôt ce que l’avenir me réserve.
_18h29_
Nous accosterons tard ce soir à Kendra Kâr, enfin. Heartless ne semble pas aller beaucoup mieux et Gallion souhaite l’emmener au plus tôt voir un guérisseur. Je pense qu’il s’en sortira, il n’a certainement pas l’intention de mourir alors qu’il vient juste de devenir capitaine. Pour ma part, je partirais en ville demain matin. Personne ne souhaite être dérangé à une heure si tardive dans la nuit. Et je ne souhaite pas me mettre directement en mauvais termes avec celui qui devrait, normalement, m’en dire davantage sur mon objectif. De plus il s’agit d’un prêtre de Gaïa et cela m’étonnerait que la nature de mon pouvoir ne lui fasse bonne impression. Qu’importe, j’atteindrais ce que je souhaite quoi qu’il m’en coute.