Bras tendu, la gourde en suspend, je m'attends à ce que le shaakt objecte avec sarcasme ou s'en empare, mais c'est un tout autre événement qui se produit. Mes yeux captent un mouvement et la présence d'un éclair blanc, s'accompagnant d'un son animal. Un battement d'aile couplé à la modification de la trajectoire de la créature m'évite un choc désagréable. Ce n'est malheureusement pas le cas de l'elfe sombre. Non seulement ce dernier ne parvient pas à l'éviter, mais en prime le choc le fait basculer contre le lourd meuble de bois.
La voix du félin annonçant sa victoire sur une araignée rend la scène encore moins sérieuse. Je jette un bref coup d'oeil autour de nous, remarquant la présence d'un autre individu inconnu, mais surtout l'état du mobilier pour géants. La salle est quasiment sens dessus-dessous, entre meubles renversés, cadavres d'arachnides et odeur de brûlé nauséabonde. Lorsque je vois le shaakt rester étendu, poussant un grognement de gorge, je me place en vol stationnaire au-dessus de lui. Tout ce bazar pour quelques araignées dorées...
En voyant la mine de Hekell presque blasée, et en relativisant un peu, une réaction totalement incontrôlée me submerge. Mes bras se croisent contre mon abdomen, et je me penche légèrement en avant. Tout ce qu'il se passe est tellement pathétique qu'un son saccadé, impossible à arrêter, et totalement incongru m'échappe.
"
Ha ! Haha hahaha ! Hahahaha !"
J'ai du mal à m'arrêter, me servant du revers de ma main tenant la lanière de la gourde pour écraser une gouttelette de mon oeil. Tout en me tenant l'estomac, pris d'un rire aussi soudain qu'incompréhensible, je lance une remarque à mon camarade elfique.
"
Combien de miroirs as-tu brisé avant d'arriver ici ?"
Sur ce, une autre poignée de secondes de rire m'étreint. Je sens mon visage faire travailler des muscles dont j'ignorais même l'existence. Apposant mon poignet contre mon oeil, je reprends peu à peu mon calme, sentant les tiraillements sur mon visage. Depuis combien de temps n'ai-je pas ri ainsi ? Est-ce que je l'ai déjà fait, d'ailleurs ? Voletant toujours au-dessus du shaakt, mon attention est soudain attirée par la voix de la femelle humaine, soeur du poivrot décédé. Ce simple son féminin balaie quasi instantanément l'effet de ce rire soudain de ma poitrine. Cette idiote veut reprendre la quête de son frère ? Seule ? Dans son monologue, elle lâche même une information sur l'elfe voleur de tableau.
Uroldir ? Cela ne m'évoque rien. Quand je la vois se diriger vers la porte au sud, j'ai l'envie plus que primaire de ne pas aller dans la même direction qu'elle. Sauf que pour le moment, l'état du shaakt restreint mes mouvements. Encore une liberté bridée. Si la situation était différente, il y a longtemps que je serais parti de mon côté. Mais voilà, si Hekell est un attire-poisse, mieux vaut que je reste à proximité de lui, histoire que ma guigne possible lui revienne.
Lentement, je me laisse planer, jusqu'à me poser non loin de son bras blessé. Son sang continue de tacher son vêtement. S'il ne se dépêche pas de soigner cette plaie, il va en être quitte pour une belle infection, et il sera totalement inutile par la suite. Levant la gourde au niveau de mon épaule, je l'interpelle, mêlant une pique à mes paroles.
"
Reprends-toi Hekell, ce petit incident n'est sans doute qu'un aperçu de ce qui nous attend. "
Marchant en direction de son visage, je détends mes ailes, proposant encore une fois ma gourde. Ne sachant pas s'il a fait attention à ce que je lui ai dit précédemment, j'ajoute une petite pique avec une amertume amusée.
"
J'ai du mal à croire que ce plancher miteux est aussi confortable... Allez, debout ! Ne me fais pas regretter d'avoir combattu à tes côtés. "
Sur ce, je reprends un peu mon vol, m'élevant à une dizaine de centimètres du sol, la gourde bien en vue. C'est mon dernier geste un tant soit peu civilisé envers lui. Si ce shaakt me contrarie, tant pis pour le flacon de soin, je pars de mon côté. S'il y a bien une chose que je déteste, c'est de voir ma liberté restreinte. Or, dans cette situation, je suis bien trop bridé à mon goût. Le fait que je me préoccupe un peu de son état en est une preuve plus que suffisante. Je ne tiens pas à lui, mais je prends en compte sa personne pour la suite.
Me préoccuper des autres...
J'ai horreur de cela.