Chapitre I: Le Moar
Aldaron s'agrippa à une haute branche noueuse d'un hêtre millénaire. Les conifères recouvraient entièrement l'humus. Ses mains aux longs doigts fins écartèrent les branchages et les longues feuilles de la canopée, se découvrant pour mieux apprécier les environs. La dernière incursion shaakt avait dévasté aussi ce côté de la forêt qui soi-disant appartenait aux humains de la cité marchande et côtière d'Eniod. (Les humains et leur propension à vouloir agrandir leur territoire année après année.)
L'autre côté de la forêt appartenait aux Shaakts lors de la grande guerre d'il y a une trentaine d'années. Une guerre aussi féroce entre leurs congénères sombres et les humains avaient fini par détruire et pire, corrompre les arbres qui noircissaient et les créatures qui y vivaient. La magie noire avait transformé les Oudios en des monstres buvant le sang, les herbivores étaient devenus carnivores, même certains Taurions étaient devenus fous par la suite. Le village caché dans la forêt n'était plus sûr depuis ces temps-là, un autre mal rôdait dans les environs également. Des éclaireurs avaient rapporté des nouvelles inquiétantes quant à la présence d'êtres mi-shaakt mi-araignée et à des Sektegs bien loin de leurs cités et de leurs territoires habituels. Il sentit le vent soudainement le caresser et il vit des ombres se refléter du fait de la lumière solaire.
- Frérot, as-tu réussi à retrouver leurs traces ?
Il se retourna, ses yeux ambrés se fixant dans ceux légèrement mordorés de vert de son second frère, Astaldo, sans doute le plus sage des trois frères et celui qui maniait aussi bien l'arc que lui. Plus grand que lui, il était plus filiforme qu'Aldaron et portait des cheveux courts bruns. Il rayonnait dans sa nouvelle armure toute d'acier, sans doute une de celle achetée à Eniod, préférant utiliser leur monnaie unique plutôt que le système de troc mis en place par les Taurions. Astaldo avait essayé de lui dire le génie des humains, leur bonté naturelle, il ne voyait rien d'autre que la noirceur de leur âme, leur ville sans âme et la perfidie dans leur double-langage. Au moins, son deuxième frère lui pardonnait ses errements dans la forêt, sa vie en dehors de la communauté Taurienne et ses propos virulents avec leur frère aîné, Aranrùth qui était devenu le chef du clan à la mort de leur père. Derrière Astaldo se trouvaient cinq autre Taurions, deux femmes et trois hommes, tous des chasseurs qu'il ne connaissait que peu voire pas du tout, préférant de loin chasser seul plutôt qu'en meute comme les loups.
- Il est difficile de relever les traces de pas dans une canopée aussi luxuriante que la forêt profonde, cependant certaines sont assez profondes et de nombreux pas ont foulé nos terres apparemment...
- "Nos terres". J'ai l'impression que tu parles comme...
- Non, coupa Aldaron sèchement, je ne suis pas comme cet opportuniste !
Astaldo hocha gravement la tête, comprenant largement les raisons d'une telle colère et s'excusa d'un léger hochement de la tête. Il ordonna ensuite aux cinq chasseurs d'organiser une battue et ils se dispersèrent telles des feuilles au vent. Descendant le long de l'hêtre millénaire, les deux frères tentèrent de traquer la piste des gobelins à même le sol. Aldaron vit que c'était une petite troupe de sektegs, cinq ou six membres de cette espèce, pas plus dont l'un traînait la patte. Les traces étaient encore fraîches, cela signifiait qu'ils n'étaient pas passés plus de deux heures auparavant, peut-être trois tout au plus.
A côté d'eux, Aldaron vit des gouttes de sang sur l'une des tiges d'une fougère près du parterre piétiné. Le sang était en train de coaguler, l'humidité permettait d'éviter une coagulation trop rapide en règle générale.
- L'un d'eux est blessé à la jambe, sans doute d'une morsure d'un animal sauvage.
- Un Moar tueur, regarde les traces de pattes à côté de celles des sektegs. Les griffes plutôt resserrés, les grandes foulées, tout cela est caractéristique de ce type d'oiseau.
- Il ne chasse pas en duo en règle générale ? Un mâle et une femelle attaquant ensemble ?
- Pas forcément, mais les sektegs verront bientôt les deux à mon avis, affirma Astaldo, le sourcil levé et arborant son air de spécialiste des animaux.
Soudainement, un cri retentit dans la forêt, un cri féminin. Les deux frères tendirent l'oreille et coururent en direction du bruit strident. Courant à travers les hautes plantes, ils se mouvaient avec grâce, habitués à parcourir la forêt dense depuis des décennies. Ils déboulèrent sur une petite clairière où lichens et mousses envahissaient les arbres dont les hauts branchages couvraient partiellement la lumière solaire. Un Moar tueur se tenait au centre de la clairière, menaçant une humaine qui rampait sur le sol, tenant son avant-bras ensanglanté. Elle était belle pour une humaine avec sa longue chevelure d'ébène et son visage gracieux, cependant elle restait humaine.
- Miranda, ne bouge pas, nous nous en occupons !
Aldaron jeta un regard noir à son frère. Il allait devoir lui soutirer des informations à propos de cette jeune femme, même s'il craignait de connaître déjà la réponse.
Le Moar tueur se retourna prestement dans leur direction et piailla contre les deux Taurions. Ses ailes firent vrombir l'air et il se jeta sur ses nouvelles victimes. Aldaron et son frère dégainèrent leur arc avec une synchronisation quasiment parfaite. Deux flèchstes partirent instantanément et s'enfoncèrent dans la chair de la créature qui siffla de douleur.
- Astaldo, non !
Il rangea son arc et dégaina une longue dague effilée, sans doute de conception humaine, puis s'élança en direction de l'humaine, esquivant un coup de bec en passant sous le Moar tueur, la lame tranchant la chair de son ventre. Son frère porta secours à l'humaine, oubliant la menace du volatile. Aldaron se précipita pour sauver son frère, bloquant le bec rempli de dents de l'animal avec son bracelet en écorce, mais celui-ci l'écarta d'un vif coup de patte. Contre le tronc d'un arbre, il esquiva difficilement les griffes qui s'enfoncèrent dans l'écorce avec fracas.
- Aldaron, attrape !
Vif et agile, il attrapa au vol le pommeau de l'épée et taillada l'oiseau de malheur avant que celui-ci ne l'atteigne à l'épaule d'un vilain coup de griffes. S'écartant du Moar, il banda son arc et réunit son énergie intérieur nimbant la corde de son arc d'une faible lueur. Sa vision s'accrut alors que le Moar réussit à se défaire du tronc alors que sa flèche perça violemment sa chair sur son flanc. Loin de le tuer, il était moins virulent, moins rapide et moins fort qu'auparavant. Le sang maculait son plumage multi-couleur. Loin de l'arrêter pourtant, cela accrut sa détermination de le tuer, fonçant droit vers sa proie. Il vit son frère sortir son arme préférée, ses bolas, qu'il lança pour emprisonner les pattes du volatile. Arrivant à son but, le Moar trébucha, les pattes emprisonnées par les bolas, juste à quelques mètres de lui. Profitant que sa proie soit au sol, Aldaron chevaucha le Moar qui se débattit avec rage arrivant à se défaire de ses liens avec peine. Cherchant à le désarçonner et à le mordre, la créature fonça en direction des arbres pour lui faire percuter les troncs et les branches basses.
Agrippant une liane auprès d'un arbre qu'il évita de peu en s'appuyant sur une de ses branches avant d'atterrir de nouveau sur le dos du moar, il lui passa la liane autour du cou comme une laisse pour un chien qu'il tenait d'une main alors que l'autre continuait à enfoncer la lame de l'épée dans sa chair encore et encore. Son frère tira deux autres flèches dont l'une faillit l'atteindre d'ailleurs et finalement, à bout de souffle, le Moar Tueur s'écroula et Aldaron lui trancha net la jugulaire de part en part.
Nettoyant le sang frais sur l'épée sur ses habits, il arracha une plume du moar en guise de trophée et s'approcha de son frère et de l'humaine collés l'un à l'autre. Il la vit embrasser le Taurion qui répondit à son baiser passionné.
- Astaldo, tu...
Il le coupa d'un mouvement de la main et prit l'humaine dans ses bras, elle était gravement blessée et elle ne tiendrait sans doute pas longtemps sans des soins adéquats. Tel n'était pas le souci d'Aldaron.
- Nous devons la ramener au village, nos guérisseurs pourront la soigner.
- Il en est hors de question ! Ce n'est pas parce que notre peuple commerce avec eux, en dépit de mon propre avis sur la question, qu'il faut ramener une humaine à notre village !
Son frère le poussa en passant, l'humaine toujours dans ses bras, en direction du village sans nul doute.
- Et tes chasseurs ?!
Aldaron n'eut d'autres choix que de veiller sur les chasseurs de son frère qu'il avait heureusement rattrapé assez rapidement dans la forêt dense. La piste s'étendait en dehors de la partie encore intacte de la forêt et certains des chasseurs étaient tombés sur des nids de serpents de la forêt. Si le venin n'était pas mortel, il préférait ne pas mettre en danger les taurions dont il était responsable dans la forêt appartenant aux shaakts. Il leur ordonna de rentrer au village et fit de même, cela le préoccupait de savoir son second frère accompagner une humaine, dont il était amoureux, jusqu'au village. Son premier frère détestait tout le monde même s'il commerçait avec les humains, plus par opportunité que par envie de rapprocher leurs peuples.
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Dernière édition par Aldaron le Dim 31 Juil 2016 14:03, édité 1 fois.
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