Le ciel s'assombrit et la visibilité dans cette forêt est de plus en plus basse, mais je suis habitué à ce genre d'environnement, j'y ai vécu pendant des années et j'ai appris à faire avec, à ne pas me fier qu'à ma vue, mais à chacun de mes sens. Je sais tirer avantage de mon environnement, mais les hommes que je dois affronter me connaissent, ils savent se dont je suis capable. Cela fait des années qu'ils me poursuivent et ils ont eu l'occasion de me voir à l’œuvre un nombre incalculable de fois, mais je me suis toujours enfui, j'ai toujours essayer de partir le plus loin possible. Cette fois, pas question de fuir, je vais les surprendre. Doublement même car je doute que ces tueurs soient au courant de mes nouvelles aptitudes.
Caché derrière un buisson, j'attends, j'écoute, sans bouger, en respirant le plus lentement et le moins fort possible. Je me dois d'être invisible, indétectable. Je dois frapper et courir, jusqu'à que mes ennemis succombent. Et justement les voilà, faisant un bruit du tonnerre.
"Montre toi! On sait que tu es là!"
Sont-il bête à ce point? Depuis le temps qu'ils sont à mes trousses ils devraient savoir que je ne me montrerai pas. De là où je suis, je peux les voir un peu mieux. Les deux hommes sont tous les deux armés d'une simple dague, mais sur leur torse trône des sangles où sont accrochés des dizaines de couteau de lancer. Et c'est ainsi que débute la partie de cache-cache. Un jeu où le but n'est rien de moins que survivre. Chaque déplacement, chaque attaque aura son importance et son incidence, je ne dois faire aucune erreur, aucun faux mouvement. L'utilisation de la magie sera dangereuse, car la moindre erreur pourra m'être fatale, mais je ne vais pas avoir le choix. Ils sont trop près, bien trop près, je ne peux pas attaquer, ni bouger sans me faire repérer. Je DOIS apprendre à jouer avec la lumière, à utiliser les fluides qui parcourent maintenant mon corps pour interagir avec ce qui m'entoure. Si seulement, je pouvais créer une sorte d'illusion, une fausse image de moi-même.
Ca ne coute rien d'essayer. Je ferme les yeux pour me concentrer sur mes fluides. Cette étrange substance qui parcoure mes veines, qui est capable de faire de chose surprenante. J'imagine alors ces fluides sortir de mon corps lentement, essayant même d'imaginer la sensation que ça produit sur mon corps. Je les imagine se déplacer entre les arbres jusqu'à l'opposé de ma position. Dans mon esprit, je les vois prendre forme, ma forme, mon apparence. Mais en ouvrant les yeux, ce n'est pas une image de moi même que je vois, mais une masse lumière pâlichonne ressemblant vaguement à un humanoïde. Peu importe, le sort fait son effet et mes deux poursuivants tombent dans le panneau, me permettant de m'éloigner.
J'entends les deux brutes vociférer et intérieurement, je me réjouis. Premièrement de les avoir ridiculiser, mais surtout que ma première tentative avec la magie n'ait pas été trop catastrophique. La nuit est complètement tombé maintenant et je vois mal mes opposants. Leur tenue noire les rend difficile à discerner, mais je n'ai pas le choix, je dois y arriver. Arc en main je mets à découvert juste le temps de viser. Quelques secondes seulement avant de lâcher la corde de mon arc et changer d'endroit. Je ne peux pas rester au même endroit je dois être mobile. Seul souci, je ne sais pas si j'atteins ma cible ou non. Je ne peux me fier qu'aux sons et au vu des jurons proférés par l'un des hommes, je me doute que mon trait ne l'a raté que de peu, mais qu'ils fassent attention, car je n'en ai pas fini avec eux.
Alors que j'essaye de changer de position, je marche sur une branche et le bruit provoqué brise avec violence le silence de la forêt. Quelques secondes plus tard pas manqué, j'entends « Là! » et les couteaux de lancer fusent, me tailladant la joue, les bras, les jambes. Les plaies ne sont pas profondes, mais la douleur est brûlante et légèrement handicapante, mais pour l'instant, je dois surtout courir, encore, et trouver un moyen de les distancer rapidement. Et pourquoi ne pas...Ca ne coute rien. Tout en courant, je saisis une flèche dans mon carquois et tente, à plusieurs reprises, d'y insuffler mes fluides. Quand le résultat est satisfaisant, je me retourne en encochant la flèche désormais enchantée et je prends une ou deux seconde pour viser correctement avant de tirer. Aussitôt la flèche partie, je reprend ma course et j'aperçois un vif éclat de lumière derrière moi. Mon plan a marché et je change de direction, courant le plus vite possible. Avant de grimper rapidement dans un arbre. J'entends mes adversaire râler encore une fois, me traitant de fouine, de lézard et autres animaux habile pour fuir et se faufiler. Je les entends, mais ne les vois pas et c'est problématique. Je décide alors de réutiliser le sort d'illusion que je n'ai pas réussi à maitriser tout à l'heure, mais cette fois ci, pour les guider vers moi, les rapprocher. Pour faire en sorte qu'ils soient dans ma ligne de mire. Comme tout à l'heure je me concentre, j'imagine les fluide sortir de mon corps selon le même processus que précédemment et cette fois, en ouvrant les yeux, je peux me voir, accroupis par terre, de la même manière que je suis accroupis sur la branche et une seconde plus tard, des couteaux filent en direction de l'illusion, avant que les propriétaire de ces lames foncent eux même sur mon double. Je dois retenir un éclat de rire quand je vois la tête qu'ils font après que leurs dague aient traversé l'illusion sans lui occasionner aucun dégât. Mais l'heure n'est pas à la rigolade non, j'ai mieux à faire. Bien caché et avec une vue imprenable sur mes adversaires du haut de mon perchoir, je prends mon temps pour viser. Ma flèche vient se planter en plein dans la cheville de l'un des hommes qui hurle de douleur.
Je profite de cet instant de confusion pour changer de place et grimper dans un autre arbre. Mon coeur bat à tout rompre, la tension est à son comble, et même si pour l'instant, la situation semble tourner à mon avantage, je ne dois pas me relâcher, je ne dois pas baisser ma garde. Je n'aurais le droit de souffler que quand mes deux adversaires auront rejoint le royaume de Phaïtos, pas avant. Mais ma magie est essentielle dans cette entreprise et elle tout comme les flèches de mon carquois, mes réserves ne sont pas inépuisable et je décide de faire quelque chose que je vais sans doute regretter. Je fouille dans mon carquois et j'en sors une nouvelle bouteille de fluide que j'avale d'un coup, sans me poser de question. La douleur est bien plus grande que les fois précédente, plus mordante et je peine à garder mon équilibre sur la branche. Mon corps se crispe tout entier et est parcouru par de multiple spasmes. Est-ce là la conséquence d'une consommation trop importante de fluide en un temps trop court ? La puissance de la magie m'a aveuglé et je prends maintenant d'énormes risques. Je me retiens autant que possible de crier, mais je laisse quand même échapper quelques gémissements de douleur, heureusement, camouflés par les hurlement de l'autre. Au bout d'une poignée d'une minute qui m'a paru aussi longue qu'un quart d'heure, la douleur se calme, mais mon corps est encore traumatisé et je ne suis pas complètement opérationnel.
Les deux hommes n'ont pas bougé, essayant tant bien que mal de retirer ma flèche de la cheville de celui qui est hurle et j'en profite. Oui, je profite de ce moment d'égarement de leur part pour viser tranquillement, pour en finir une bonne fois pour toute avec l'un des deux. Flèche encochée, je bande mon arc et respire calmement, mais au moment où je lâche la corde, mon corps et pris d'un nouveau spasme, assez violent et je glisse sur le côté. Ayant eu le réflexe de serrer les jambes, je suis maintenant pendu à la branche la tête en bas, mais malgré ma position inconfortable, la chance est avec moi. Ma flèche qui avait initialement pour cible le front de l'homme et venu ouvrir son cou, tranchant littéralement sa carotide. Le flot de sang qui en résulte arrose abondamment les deux hommes avant que celui que je viens d'attaquer ne tombe sur son compagnon blessé, raide mort.
Pour la première fois, j'ai tué un de mes poursuivant. Pour la première fois depuis qu'ils me pourchassent, c'est moi qui inspire la crainte, c'est moi qui met leur vie en danger. Et bien qu'il soit question de la vie d'un homme, je ne peux m'empêcher d'éprouver une certaine joie à l'idée de voir l'un de ces salopard gésir à terre. Je me rends même compte, qu'inconsciemment, je me suis mis à sourire. Pas vraiment parce que je viens de tuer un homme, cela ne me fait à vrai dire ni chaud ni froid au vu de la situation, mais bel et bien parce que j'entrevois l'espoir. Je me dis que peut-être les choses vont changer, que les chasseurs vont devenir les chassés et que ce n'est plus moi qui vais devoir craindre la mort jour après jour, en vivant dans l'angoisse de voir débarquer l'un de ces hommes. Non, tout ça est fini, les choses changent. Mais il me reste une chose à faire pour que ce chapitre de ma vie se termine vraiment. Je dois faire peur, et prévenir ceux qui me veulent du mal qu'ils doivent me craindre dorénavant.
C'est donc tout naturellement que je descends de l'arbre, le corps encore douloureux de ma dernière absorption et que je m'avance vers l'homme blessé. Tout ça n'était pas prévu, je comptais me battre jusqu'au bout. Mais quand j'ai vu le premier mourir, il m'est venu une idée. Je dois transmettre un message à celui qui cherche ma mort depuis tant d'année. La prochaine fois, peut-être qu'il viendra me voir en personne, surtout s'il sait que ses larbins ne sont plus suffisants. Déjà qu'ils n'ont jamais réussi à m'attraper, alors si en plus maintenant, ils se mettent à mourir sous mes coups...Je laisse échapper un léger éclat de rire en imaginant la tête que peut faire leur chef en apprenant ça et je pose un pied sur la blessure de l'homme, faisant bouger la flèche dans la plaie. Mon regard est froid et je peine à cacher la colère sur mon visage. La souffrance que cet homme endure est bien moins que celle qu'ils m'ont imposé depuis des années maintenant. Il a toujours sa dague en main, mais dès qu'il fait mine de la bouger, j'appuie d'un coup sec sur sa cheville, le faisant hurler un peu plus à chaque fois. Ma « victime » ne semble pas avoir peur, mais une profonde colère se lit sur son visage.
Pour lui faire comprendre que je ne rigole pas, je m'accroupis sans relâcher la pression sur sa cheville, je prends une flèche et je la plante d'un coup sec dans sa cuisse, avant de la tourner dans tous les sens. Il hurle plus belle et il n'arrange pas les choses pour sa cuisse. C'est alors de sa dague que je m'empare et je viens la déposer sur sa gorge. Son expression change alors du tout au tout. Fini les sourcils froncés et le regard noir, finie la mâchoire crispée, non, ce que j'ai maintenant en face de moi, c'est l'expression d'un homme qui a peur de mourir. Celle qui a si souvent recouvert mon visage pendant toutes ces années.
« Les rôles s'inversent on dirait. »
Bien que ce ne soit pas vraiment dans mes habitudes, je prends un malin plaisir à lui faire peur, à le laisser douter du sort que je lui réserve. Une bien maigre vengeance, mais au combien agréable.
« Je présume que tu ne veux pas mourir ici? »
Il hoche lentement la tête de droite à gauche et déglutit bruyamment. Je me délecte de cette peur dans ses yeux, je me délecte de son regard implorant, je me délecte de voir la sueur perler sur son front. Je dois avouer, je me fais un peu peur, mais j'ai attendu un moment comme ça pendant tellement longtemps, que je dois en profiter, même si c'est malsain. Je m'approche alors du visage de l'homme et je lui chuchote à l'oreille.
« Vois-tu, je ne suis plus le même. Alors maintenant, je te laisse la vie sauve à la condition que tu me rendes un petit service de rien du tout. Tu vas aller voir ton chef et tu vas lui dire que s'il veut toujours ma peau, il va falloir qu'il envoie un peu mieux que des larbins dans ton genre maintenant. »
Je me relève et regarde de nouveau l'homme, sans pour autant retirer la dague de sa gorge. Certes, j'aurai pu lui demander le nom de son chef, ou les raisons pour lesquelles ils ont rasé mon village il y a des années, mais cela n'aurait rien changer. Le nom de son chef ne me dira sûrement rien et ses raisons ne me seront d'aucune utilité si ce n'est celle d'attiser ma colère. J'appuie un peu plus sur sa gorge avec la dague, a tel point qu'une goute de sang perle.
« Tu m'as compris ? Et dis lui aussi tant qu'on y est, que mon père, le grand Isaac Enhgrim est toujours en vie et que le moment venu, je viendrais avec mon père et me sœur pour botter le cul de ton chef en personne! »
Le message transmis je lève la dague et l'abats violemment en direction de la tête de l'homme qui ferme les yeux aussi fort qu'il peut. Je dévie au dernier moment pour planter la dague juste à côté son oreille.
« Ah et démerdes toi comme tu veux pour y arriver avec tes blessures,j'en ai rien à faire! Assure toi juste que le message soit transmis! »
Je quitte alors la forêt, laissant ma victime derrière moi. Rien ne me prouve qu'il ira vraiment transmettre le message, rien ne me dit qu'il arrivera à destination, mais d'avoir dis tout ça m'a libéré d'un poids, m'a fait prendre conscience de ce dont je suis capable. Pour la première fois, je n'ai plus peur de mes poursuivants, pour la première fois depuis longtemps je me sens enfin un peu plus libre. Ezak avait raison, il faut combattre ses peurs. J'aurais dû le faire bien plus tôt, j'aurais dû prendre conscience de tout ça et devenir plus fort bien avant. Ainsi ma sœur serait peut-être encore à mes côtés. Mais les choses sont ce qu'elles sont et je dois faire avec et continuer d'avancer.
Une fois sorti de la forêt, je m'arrête un instant et prends le temps de contempler le ciel et les étoiles. Pas un nuage ne vient cacher l'éclat de l'astre lunaire et de ses sœurs, non pas un. A l'instar de mon avenir désormais, le ciel est clair. J'ai un peu de mal à croire que ce qui vient de se passer dans la forêt est réel, tout est allé si vite...et pourtant, pourtant j'ai réussi. J'avance tranquillement dans les champs de fleur qui bordent la forêt et la grande cité de Kendra Kâr et je repense à Ezak. C'est lui qui m'a motivé, qui m'a fait voir le chemin que je devais emprunter. Je lui dois beaucoup et je me demande ce qu'il a fait depuis qu'on s'est séparé et si je vais le revoir un jour.
Je finis par approcher de la cité blanche au petit matin. Le soleil se lève et darde timidement les remparts de Kendra Kâr de ses rayons, m'offrant ainsi un spectacle des plus incroyables. Je reste un instant à contempler jusqu'à que la fatigue et la douleur me rattrapent. Mes blessures ne sont pas importante et ne saignent plus, mais je suis épuisé, plus moralement que physiquement. Arrivé au porte de la ville, un des garde m'interpelle.
« Dites-moi, vous êtes l'homme qui était poursuivi hier non ? »
« Oui c'est bien moi. »
« Qu'est-il advenu de vos poursuivants ? Nous n'avons pas pu les arrêter et ils ont blessé deux de nos hommes. »
« L'un d'entre eux ne pourra plus jamais blesser personne et je doute que l'autre s'y essaye de nouveau. Mais j'espère qu'ils n'ont pas fait trop de dégâts ? »
« Non, les jours de mes collègues ne sont pas en danger, heureusement. En tout cas, merci de nous avoir débarrasser de ces filous. »
« Merci à vous d'avoir mis en danger vos vie pour les retenir, ca m'a été d'une grande aide. »
Le garde me fait alors un grand sourire et un signe de la tête et je passe les grandes portes.
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Car celui qui aujourd'hui répand son sang avec le mien,sera mon frère. - William Shakespeare
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