Réveillé par un putain de mal de crâne, combien de fois cela m'était-il arrivé ? J'avais depuis longtemps cessé de compter. Par contre me réveiller dans un lit confortable, à l'abri, je pouvais compter tout ça sur les doigts d'une seule main...et j'aurais de toute façon eu du mal à faire mieux étant donné la perte de mon bras. Décidément, ça semblait devenir une habitude chez moi de perdre des morceaux de moi-même. Ma mémoire, le bras qui me servait à manier mon épée et sur derniers jours, de me réveiller à la Milice de Tulorim. Il me semblait pourtant aux dernières nouvelles, que j'étais sur un autre monde, transformé en loupiote, qu'un volcan était entré en éruption, que j'étais guidé par une fiotte en armure brillante. Avais-je rêvé tout ça ? Non, c'était bien trop réel. Le fluide, les ruines, les deux lunes, je m'en souvenais parfaitement. Un rapatriement alors ? Je devais bien avouer que je n'avais pas vraiment supporté le voyage et au final, je n'étais pas mécontent d'être revenu. Cette mission m'avait l'air merdique au plus haut point.
Mais maintenant, je devais bouger. Je n'aimais pas rester à glander dans un plumard, aussi confortable fut-il. Ramassant mes affaires, j'ouvris la porte de l'infirmerie quand quelqu'un m’interpella.
« Hey là, doucement ! »
En regardant sur ma gauche, je vis un jeune freluquet, sans doute récemment recruté, me faire signe en souriant. Un petit brun à la coupe courte et propre, des yeux bleus, un nez fin, de belles dents blanches. Bref, un autre bellâtre, l'armure rutilante en moins. Non, à la place, une bête armure de cuir frappé de l'emblème de la cité et une tunique noire. Il posa sur moi, ou plutôt sur les vestiges de ma rencontre avec le Boucher de Tulorim, un regard plein de compassion qui me donnait envie de vomir. Et j'avais furieusement envie de lui envoyer mon unique poing droit sur le museau pour lui faire ravaler son sourire niais de jeune plein d'espoir cherchant à faire du zèle. Mais je me retint, sachant pertinemment que ce gringalet ne ferait pas long feu. Il s'approcha de moi et tenta de poser sa main sur mon épaule, puis croisant mon regard, il se ravisa. De sa voix mielleuse, il poursuivit :
« Vous devriez vous reposer, vous aviez l'air mal en point quand on vous a transporté ici. Une mission qui s'est mal passé ? »
Plus il parlait, plus j'avais envie de l'encastrer dans le mur et de lui enfoncer une des torches accrochées sur ce dernier dans la gorge. J'avais toujours ce foutu mal de crâne et je n'avais certainement pas envie de perdre mon temps avec cet imbécile.
« Écoute, je ne suis pas un milicien, et encore moins ton ami. Si tu crois que je vous suis redevable ou reconnaissant, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu'au coude minus. Je ne compte ni vous remercier, ni discuter avec toi, ni m'éterniser ici. Alors lâche-moi la grappe et retourne t'occuper des vols de pommes ou des p'tites vieilles. »
Ne s'attendant visiblement pas à une telle réaction de ma part, il perdit rapidement sa constance et bredouilla un timide « Mais...Je... » alors que je lui tournais déjà le dos, direction la sortie. Un escalier, deux portes, et un autre milicien envoyé sur les roses plus tard, je me retrouvai dehors. Le soleil avait depuis quelques heures déjà, entamé sa descente et je me demandai pendant combien de temps j'avais pioncé. Partout, les badauds qui allaient et venaient me regardaient tous avec des yeux de merlans frits. J'ai alors pensé que j'allais devoir m'habituer à être dévisagé de la sorte. Mais je n'y prêtais pas plus attention que ça. Les gens me fixaient déjà bizarrement ou avec méfiance quand j'avais encore mes deux bras. Le seul changement c'était la pitié, cette foutue pitié qui avait le don de m'agacer. Qu'ils allassent tous se faire foutre, profondément. Là, j'avais d'autres soucis à régler...J'étais paumé. Pas géographiquement non, mais je ne savais pas quoi faire ni où aller. Retourner à Exech me paraissait compromis et rester à Tulorim, cette ville de lâches inutiles, était tout simplement hors de question. Ce fut alors que le nom d'une ville s'imposa à moi : Dahràm. J'étais persuadé qu'il y avait du pognon à se faire là-bas, surtout pour quelqu'un comme moi, qui n'avait pas peur de se salir les mains avec de basses besognes. Et puis changer de continent ne pouvais pas me faire de mal. Certes, j'allais devoir me refaire une réputation, mais c'était peut-être l'occasion de me voir affublé d'un autre surnom qu'Aigle Brutal. C'était décidé, j'allais prendre la mer direction Nirtim et sa ville pleine de pirates et de mercenaires, mon nouveau paradis.
Nouvel objectif fixé, je pris alors la direction du port d'un pas calme.
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