Les émeutiers redoublaient de colère. Les nouvelles quant aux taxes ne changeaient pas et chaque jour, les effectifs braillards dans les rues croissait. Ils se rassemblaient généralement au marché, le gros de la masse. Là où les gardes arrivaient à contenir tout un large morceau d'énervés pour leur administrer une bonne dérouillée s'ils venait à montrer les crocs. La cohue était bruyante à outrance, Silmeria, elle, détestait ça au plus haut point. Un vacarme qui mélangeait exclamations, aboiements de chien de garde, une femme qui hurle lorsque son mari reçoit un coup de gourdin, quoi d'autre encore...
Il pleuvait légèrement, la terre tournait à la boue et incessamment piétiné, le sol était jonché de flaque aussi infecte les unes que les autres où flottaient de façon nonchalante des déchets que les marchands abandonnaient à même le sol, faute de pouvoir s'éloigner de leurs échoppes en vue de la folle excitée qui ne cessait jamais de crapahuter autour.
Du haut de son petit muret, elle observait à l'abri de la pluie sous une toile le Sénéchal qui prenait la parole. Il affirmait que la loi ne souffrirait d'aucune dérogation et que les fauteurs de trouble seraient châtiés de façon exemplaire. Il n'avait même pas terminé ses mots que l'arrière de la foule poussait déjà en avant pour crier son mécontentement. Le centre du marché se trouva rapidement épris de panique, elle ne pouvait rien distinguer mais les aboiements trahissaient la présence de chiens. C'était la garde qui menaçait de frapper. Le Sénéchal criait au calme, mais face à cette troupe de traine misère en furie, il reçut des poignées de boue. Un homme situé à l'arrière du Sénéchal sortit alors son épée, la milice et la garde personnelle de l'homme firent de même. Le Sénéchal, tout de boue crotté rentra se mettre à l'abri dans sa voiture tandis que le cochet l'emmenait au loin de la foule que les gardes avaient peine à contenir. Elle entendait malgré le vacarme des ordres donnés à la va vite et ce fut la réaction qu'elle attendait : Le chaos.
Le capitaine de la garde ordonna qu'on matte cette rébellion qui harcelait les gardes à grand renfort de détritus et de terre humide. Les marchands habitués depuis ces derniers jours rangeaient les stocks en un temps record, les plus malins avaient même fabriqué un large panneau de bois qu'ils abaissaient sur leurs échoppes pour les protéger des coups d'éclats de plus en plus fréquents. Les chiens avaient été lâchés. Les jets de boue cessèrent à l'endroit d'où venaient les aboiements et ces derniers étaient maintenant mêlés à des cris de panique et de douleur. Elle adorait être spectatrice lorsque les choses tournaient mal. Et elle trouvait toujours un prétexte pour profiter de la situation et se remplir les poches quand il ne s'agissait pas de faire envenimer les choses par simple caractère pervers.
La garde chargea, épée au clair et masse en bois, ils fauchèrent les dos et les têtes à grandes enjambées, courant plus vite que les croquants malgré l'épaisse armure qui les protégeait. Les gens s'agitaient, criaient, pleuraient, cherchaient un ami, un proche, un enfant, peut être déjà assommé, ramassé, prêts à finir dans les cachots. Elle souriait à la foule, face à cette situation qui allait offrir aux Dieux de la discorde une heure de pointe au pas de la porte de la maison des souffrants. Elle décomposa son sourire lorsqu'elle reçut à ses pieds une poignées de boue. Elle tira un regard noir à la foule et descendit de son pied d'estale. L'heure était à la fortune, il allait y avoir des bourses à tirer. Elle marchait, le pas vif comme une ombre sans même avoir une cible précise, elle suivait la masse encapuchonnée se tenant hors de portée des gardes, sinon, un coup de lame bien placé dans la jambe d'un paysan suffirait à le retarder de façon à ce que les gardes le cueillent comme un fruit trop mûr pour lui faire subir le châtiment dont parlait le Sénéchal. Elle fouinait du regard, scrutait les poches, les ceintures, mais c'est dans la boue, qu'elle trouvait alors de quoi rendre hommage à la fortune, une bourse, pleine, énorme et béante qui n'attendait qu'un propriétaire. Sans doute perdu par un marchand, ce fabuleux trésor était sans cesse refoulé par les pieds malheureux. Elle se rua dessus, poussant enfants en vieillards. Et alors qu'elle posait sa main dessus, un lourd gant de cuir saisi la sienne : Un garde masse d'arme à la main, il fixait le regard surpris de la voleuse avec une férocité rare. Sans plus attendre, elle attrapa de sa main valide une poignée de boue pour la jeter aux yeux du colosse qui repoussa la femme, tombant à la renverse. Piétinée une fois par un vieux, un homme, une jeune femme qui butta sur elle et tomba à son tour à ses côtés. Ivre de rage, Silmeria attrapa la chevelure brune de la jeune femme et écrasa sa face dans la boue. Le sang aux lèvres, les yeux injectés de colère et de haine elle lui criait : " Sale chienne ! Seul le Diable et ton âme vont connaître ma colère ! Puisse le Diable lui même te la faire entendre ! " Avant de sortir de nouveau la lame Elfique de son fourreau de daim et de faire danser le doux fil de la mort sur la gorge de la jeune paysanne qui s'était simplement contentée de tomber à ses côtés. Elle se dressa, dégoutante, les mains en sang, les lèvres rouges, empourprée de colère elle avait mal à la jambe, les gens couraient autour d'elle, c'était pourtant comme si le temps n'avait plus cours. La garde courrait après les retardataires, aucune trace du titan qui avait manqué de lui briser le poignet. Juste un enfant, les cheveux courts, habillé de haillons, la morve qui lui coulait jusque dans la bouche, restait bouche bée en face du cadavre de la jeune femme à ses pieds. Le sang s'échappait par petits jets et s'écoulait mélodieusement dans l'eau boueuse en faisant de petites bulles. Ce spectacle aurait amusé la jeune Elfe, si elle n'était pas si fâchée. Elle venait d'apercevoir le gamin, il pleurait déjà sans quitter la femme du regard. Elle passa à côté de lui en décidant de l'ignorer, rangeant sa lame sous sa cape avant de s'engouffrer dans une ruelle sombre. ( C'était peut être sa mère et alors, est ce que sa mère avait l'air heureuse... Est-ce que le soleil lui est heureux...? "
L'eau de la pluie était piégée dans les sceaux posés aux bords des fenêtres, elle trempa un bout de sa longue cape violette dans le liquide salvateur pour nettoyer le sang qui lui coulait du coin des lèvres. Elle aurait aimé voir son visage, mais il devait être dans un tel état. Au moins elle pouvait souffler, personne ne l'avait remarqué. Du moins, c'est ce qu'elle croyait avant de voir une ombre s'approcher, elle avait les yeux brouillés par la rage, et ne verrait pas grand chose, elle conserva une main à portée de son arme, si c'était un garde, elle n'aurait cette fois pas d'échappatoire.
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