SalamandresHypérion
Il reprit péniblement conscience, ouvrant un œil qui se fit aussitôt éblouir par les reflets de la lumière solaire sur les couleurs d'albâtre qui envahissaient l'endroit. Il lâcha un petit râle en refermant ses paupières. Il était encore ensommeillé, appesanti par sa perte de connaissance. Son corps lui semblait lourd, les mouvements difficiles et il peinait à retrouver ses repères. Mais, au fur et à mesure, son esprit recommençait à analyser ce qui parvenait à ses sens. Des bruits de pas, de voix... Mais ces sonorités n'avaient pas encore de sens.
Il basculait la tête vers sa droite, d'où cela semblait venir et tenta une nouvelle fois d'ouvrir les yeux. Il vit alors, à quelques mètres, un kendran endormi. Il se trouvait sur un couchage étrange qui n'était pas sans évoquer un autel. C'était une grande pièce de marbre rectangulaire et polie s'élevant jusqu'à la moitié d'une hauteur d'homme, au-dessus de laquelle était comme encastré une très légère épaisseur de tissu grisâtre sur lequel était allongé l'individu, les bras le long du corps. Il se rendit alors compte qu'il était dans la même situation, cherchant du regard le sol au plus près de lui.
Le plus surprenant dans cette entreprise qui n'avait pas de véritable intérêt, une silhouette blanche et rayonnante, telle un fantôme de lumière, traversa le coin de sa vision sans qu'il n'eût le temps de la dissocier. Après une courte disparition, l'apparition s'arrêta face à lui. Il ne vit de prime abord que la pâleur des mains qui dépassait des manches d'une soutane blanche. En levant les yeux, il scruta le visage de ce visiteur et comprit qu'il ne s'agissait d'un humain à ses oreilles pointues qui dépassaient de sa longue chevelure blonde platine.
Alors qu'il tentait de se tourner sur le côté, l'elfe l'arrêta et lui dit calmement :
"Doucement, ne forcez pas. N'essayez pas de parler, écoutez-moi. Reposez-vous donc encore un peu, le temps de reprendre vos esprits. Nous nous sommes occupés de vos blessures mais il faudra encore quelques temps à votre corps pour s'en remettre. L'acide vous rongeait grièvement au niveau de l'oreille gauche et du cou lorsque nous vous avons récupéré, mais nous avons réussi à éviter le pire, in extremis. Vous pouvez louer Gaïa pour ce miracle, plusieurs soldats n'ont pas eu votre chance... Avoir votre esprit engourdi est un effet secondaire de la reconstruction magique que nous avons dû opérer sur vous. Nous avons dû reconstruire votre carotide dans l'urgence, alors le flux du sang -et donc d'oxygène- vers votre cerveau sera plus long, durant les prochains jours. Vous risquez donc de vous sentir fatigué pendant une bonne semaine, le temps que le vaisseau retrouve sa forme originelle. Je vous conseille de ne pas faire trop d'efforts, durant ce temps. Votre amie nous a informé que vous étiez un voyageur venu d'Imiftil... Nous ne pouvons hélas pas vous garder dans le temple, mais je ne saurais que trop vous recommander de vous préserver et d'éviter de faire des efforts. Restez en ville, prenez quelques nuits dans une auberge et si par hasard vous ressentez quelques effets étranges, comme des palpitations ou une douleur vive au niveau du cou, revenez nous voir. Je vais informer votre amie de votre réveil."Il repartit aussitôt, alors qu'Agadesh commençait à peine à comprendre de quoi il était question. Alors que l'hinïon parlait, il ne se souvenait pas. Qu'est-ce que signifiait toute cette histoire ? Il avait été blessé ? Par de l'acide ? Louer Gaïa ? Qui est-ce, Gaïa ? Des soldats ? Quels soldats ? Quels rapport avec lui ? Qu'est-ce que c'était qu'une "reconstruction magique" ? Qui était cette amie ? Il était confus. Il tâchait de se rappeler, mais tout semblait voilé. Il savait avoir les réponses, mais elles lui étaient inaccessibles. C'était une sensation frustrante. A vrai dire, il avait perdu tout ses repères. Aucun autre lieu, aucune personne, aucun souvenir ne lui venait en tête. Il se sentait juste fatigué, mais il était plutôt bien. Cet endroit lui parut aussi agréable qu'un foyer. Cet elfe avait l'air gentil. Il était curieux de voir qui était cette "amie".
Il reposa sa tête et tourna un regard vide vers le plafond. Il était paré de peintures splendides montrant une femme et des créatures mythologiques en plein combat, mais il se contenta de le fixer sans même penser que ces images pouvaient avoir un sens.
Puis, au bout d'une paire de minutes, Chanpawa arriva. Il n'eût qu'à porter le regard vers l'humoranne pour que tous ses souvenirs défilent d'un coup. Le Héqet ! La sensation d'écrasement de son poids sur lui, la douleur atroce de ses tentacules d'acides faisant fondre son oreille et longeant son cou ! Cette remémoration brutale lui faisait revivre la scène, et il ne put s'empêcher de relever son dos et de se palper ses zones touchées avec les mains. Mais il n'y avait rien, comme si tout ceci n'avait été qu'un effroyable cauchemar. Mais ça n'en était pas un, il le savait. Après cela, tout ses souvenirs précédents lui revinrent. Manisha... Comment avait-il pu l'oublier ? Sarrukin, aussi. Où était encore passé cette fichue faëra ? Sa quête, Xenaïr... Il redécouvrait soudainement tout ces traumatismes. Le déchirement de son départ du désert, à quel point il lui manquait. Ses combats contre les autres clans, Yammu, les kadus, les katrels, les créatures de la forêt blanche... La mort d'Enkidu ! Et surtout, la révélation des mystiques d'Oranan... Un malaise si profond, vécu une seconde fois...
Maudit fut-il, il se surprit à penser qu'il aurait mieux fait de rester amnésique plutôt que de devoir subir encore et encore le poids de ces fardeaux sur ses épaules.
"Contente de vous revoir ! Je vous envie presque votre sieste ! Quand vous étiez en train de vous faire tranquillement dorloter par les guérisseurs, des gros bonnets de la garde kendrane sont venus et vous savez quoi ? Ils voulaient nous envoyer en geôle ! Pour soi-disant "avoir interféré durant une procédure de protection des civils" ! Non mais mes fesses quoi ! Ils galèrent dans une bataille, on les aide et ils veulent nous faire croupir dans une cellule ! Je vous l'avais bien dit pourtant hein ! 'Faut pas les aider ces enflures de gardes. Ces héqets, c'était pas notre affaire. Mais non ! Môsieur est un guerrier et refuse de fuir le combat ! Tout ça pour se faire étaler par la première poiscaille venue. Ah, il est beau l'honneur des Ketamara ou je sais plus quoi dans le genre ! Et qui c'est qui doit tracer en ville, à pied, pour lui sauver les miches ? C'est bibiche ! Pourquoi il faut toujours que je me retrouve dans des embrouilles pas possibles moi ? Pff... Enfin, c'est quand même pas tous des salops non plus... Leurs chefs par contre... Mais y a un de leurs petits gars -qui a dû se tromper de vocation- qui a été bien gentil et vous a récupéré vos affaires jusqu'ici. Ce bleu était tout fier, vous l'auriez vu. Ça se fait massacrer à tour de bras jusqu'à l'arrivée des mages de guerre et ceux qui ont survécu se prennent soudainement pour des héros légendaires. Hé, vous savez quoi ? Du coup, vous avez fait votre petit effet vous aussi. Il parlait de vous offrir des chopes à la taverne à votre réveil. Pour le guerrier étranger, qu'il disait... Et moi, je suis quoi ? Un bidet ?"L'humoranne râlait comme si sa vie en dépendait, on voyait que les dernières heures n'avaient pas été des plus agréables pour elle.
Agadesh fit l'effort de lui dire, d'une voix enroué :
"Mer... Merci.""De ?""De m'avoir sauvé la vie.""Bah, j'ai pas fait grand-chose. Je vous ai juste emmené ici, c'est les guérisseurs qu'il faut remercier.""Ne refusez pas ma gratitude. Et oubliez la garde. Si c'est une chope qui vous intéresse, je peux vous en offrir assez pour remplir une oasis entière."Elle eût un sourire gêné, à la fois tenté par la proposition mais trop honnête pour aimer avoir quelqu'un qui lui doit quelque chose de cette manière.
"Ouais, toute cette histoire vaut bien quelques bières !"L'elfe, qui semblait avoir entendu la conversation, en profita pour intervenir :
"Il vaut mieux qu'il évite aussi de trop boire jusqu'à..."Chanpawa l'interrompit en plein milieu de sa phrase, haussant le ton à en résonner dans tout le temple et lui disant le plus familièrement du monde :
"Ah, ça va ! On m'a assez pris le cap pour aujourd'hui alors la prêtraille elle est gentille mais elle va pas m'en rajouter une couche ! Mon ami vient d'échapper à la mort, alors si on a envie de fêter ça autour de quelques petites mousses, on ne va pas se gêner ! Qu'est-ce que t'as, t'es pas content ?"Agadesh intervint directement :
"Pardonnez-la, elle n'a pas eu une journée facile. Mais par l'honneur des Kel Attamara, vous m'avez sauvé la vie, vous aussi, et si vous voulez une récompense pour votre travail ou simplement vous joindre à nous, que je sois damné si je vous le refuse !"Le prêtre eut un pas de recul et dit, avec toujours le même air calme :
"Votre reconnaissance me suffira. Nous n'avons pas pour coutume d'accepter les dons des personnes que l'on soigne, ici. Nous n'agissons pas par intérêt, seulement pour rendre grâce à la gloire de Gaïa... Maintenant, excusez-moi mais un autre patient a besoin de moi. Vous pouvez partir dès que vous vous sentirez près.""Merci, prêtre guérisseur. Votre dévotion est une bénédiction."Il pencha la tête vers l'avant avec respect et se retira pour aller examiner le kendran d'en face.
Chanpawa chuchota à Agadesh :
"Non mais sérieusement, vous vous imaginiez aller boire une bière avec ce type ?!""A vrai dire, je me doutais qu'il refuserait. Un homme de foi sacrifie sa vie en l'honneur des dieux... On ne peut s'approcher des dieux qu'en se détachant des hommes... Aidez-moi, je veux m'assoir."L'humoranne l'assista sans se questionner. Elle voyait bien qu'il n'était pas en forme. Le nomade ne put se mettre en position assise qu'au prix d'un grand effort. La tête lui tournait, il avait des vertiges et commença à frissonner. Il avait soudainement froid, ce qui lui fit remarquer qu'il était pratiquement nu car seul un drap couvrait ses parties intimes.
"Où sont mes affaires ?""Elles sont là.", lui dit-elle en empoignant le sac au pied de ce lit hors du commun.
"Et mon sabre ? Où est mon sabre ?""Pas de panique, il est ici aussi. Toutes vos affaires sont là, calmez-vous... Bon, je vais vous attendre dehors, le temps que vous vous habillez.""Oui..."Le nomade se sentait horriblement exténué et mit un temps fou à se rhabiller. Il n'aimait pas se sentir aussi faible, et le prêtre avait dit qu'il serait dans cet état pendant encore une semaine... Son esprit était las aussi, mais il était finalement pressé de trouver le fin mot de toute cette histoire. Il lui fallait encore trouver ce temple et, pour ça, il devait se rendre à la grand bibliothèque de Kendra Kâr.
Il finit par se lever et chercher la sortie de cet impressionnant temple en l'honneur d'une divinité qu'il ne connaissait pas. Cet endroit était si magnifique. La divinité devait les combler de milles faveurs. Il passait sous des peintures et des statues si superbes qu'il en était difficile pour lui de croire que tout ceci n'était que l’œuvre de simples mortels. Mais il commençait à apprendre de ses voyages. Il y avait peu de merveilles dans le désert car ils devaient toujours penser à leur survie mais, en dehors, le monde fonctionnait autrement. Les hommes pouvaient s'attarder à chercher le beau et beaucoup n'avaient même jamais eu à combattre. Lui aussi, s'il avait vécu dans leur univers, aurait pu être un esthète ou consacrer sa vie aux dieux...
Il sortit enfin de l'endroit par une énorme porte de bois qui aurait pu laisser passer un titan. Le soleil et les bruits de la foule s'échappaient de l'ouverture en agressant ses sens. Chanpawa l'attendait là.
"Alors, on y va ?"Prometheus