Alors me laissant perplexe, Salymïa s’approcha de moi pour me donner la réponse. J’avais l’impression qu’elle voulait que je sois la seule à entendre ses propos. Elle m’annonça que ce collier provenait du corps d’un shaakt allié de mon frère. Il ne m’en fallut pas plus pour comprendre que j’avais la vraie elfe blanche en face de moi.

Les bras m’en tombèrent, mon épée se planta dans le sol, mon cœur fit un bond dans ma poitrine. J’avais vu son corps sans vie à notre campement de fortune, j’avais fait un pacte silencieux avec les dieux afin de terminer sa tache sur cette terre. J’avais frôlé la mort en tentant de venger la sienne, j’avais vu son corps se transformer en braise incandescente puis en cendres et voilà que maintenant, elle revenait vers nous.

(C’est trop pour moi…)
(Je te rassure, tu n’es pas la seule à en avoir gros sur le cœur.)
(Qu’est-ce que tu veux dire ?)
(Je t’expliquerais cela plus tard, pour le moment, gère la situation présente.)

Me lassant pantoise, Crystallia me demanda de démêler la conversation. Que pouvais-je faire, j’étais incapable de faire quoi que ce soit ! Des larmes se mirent à couler sur mes joues en abondance. Je ne pourrais dire si c’est l’émotion ou la tension du combat passé qui ressortait. Néanmoins, la fatigue de la route eut raison de moi et sans que je le veuille, mes jambes se dérobèrent sous moi, me faisant tomber à genoux devant Salymïa.

- « Comment as-tu pu… nous abandonner… à l’orée de la bataille… pour nous retrouver ici ? »

Ma question était entrecoupée de sanglots qui ne voulait cesser, s’en était trop pour moi.

Je peux voir le visage d’Aenaria se décomposer. Elle admet enfin la réalité aussi choquante soit elle. Elle lâche son épée qui se plante dans le sol. Je la vois perdue, essayant de comprendre, mais il n’y a rien à comprendre. Les miracles accordés par les Dieux ne relèvent pas de quelque chose de palpable et de rationnel.

L’inattendu se produit lorsque la belle elfe grise tombe à genoux devant moi. Je tente de la retenir par un bras, mais rien n’y fait, elle s’effondre. Les larmes coulent en abondance sur son visage délicat et mes yeux ne tardent pas à se remplir de se liquide salé qui trahit une vive émotion. Doucement je me mets également à genoux. Elle me pose une question qui me transperce le cœur. Pourquoi les ai-je abandonnés avant la bataille pour les retrouver ici.

"Aenaria, dis-je la voix remplit d’émotion, Je… Je n’ai jamais voulu cela et si je pouvais revenir en arrière je le ferais, mais les choses sont ainsi et tu dois l’accepter aussi dur que ce soit…"

Que puis-je lui dire d’autre ? Moi-même je suis incapable d’en dire plus. Je l’enlace pour qu’elle évacue toute sa peine, toutes les tensions accumulées. Par Gaïa, que s’est-il passé pendant mon absence ? Qu’ai-je raté d’important pour qu’Aenaria, la guerrière, la paladine même se retrouve à genoux devant moi. Je me relève.

"Aenaria, je veux me pencher sur l’avenir et si Gaïa m’a accordé sa grâce…, je lui tends la main comme elle a fait avant pour. Et il me faut mieux comprendre ce qui s'est passé pour elle avant de lui parlé de ce qui s'est passé pour moi. Raconte-moi ce qui s’est passé s’il-te-plaît… Mon amie ?"

Ma main reste tendue vers elle attendant avec anxiété qu’elle s’en saisisse.

Salymïa se mit à ma hauteur à genoux devant moi. Je pus voir son visage empli de larmes comme le mien. Elle m’expliqua qu’elle n’était pas responsable de ce qui s’était passé au campement. Comment n’avait-elle pas pu se réveiller avec le bruit des armes qui s’entrechoquaient à côté d’elle ?

(Elle devait être fatiguée ou tout simplement, elle a le sommeil profond.)

Je n’avais pas envisagé ce genre d’éventualité. Elle voulait que j’accepte la troublante réalité qui s’était faite jour devant mes yeux ébahis. Salymïa était vivante grâce à l’intervention divine de Gaia, notre déesse. Je sentis alors les bras de Salymïa m’entourer, je pus sentir son odeur, la chaleur de son corps contre le mien et plus important son cœur qui battait dans sa poitrine. C’était bien elle, je ne pouvais plus douter. Elle était vivante.

Cette constatation effectuée elle se sépara de moi, se releva et me tendit une main. Je ne connaissais que trop bien ce geste ayant fait le même quelques jours auparavant. Elle était de retour en ces heures si sombre ou une puissance magique supplémentaire ne serait pas de trop pour battre Grantier. Je pris sa main et me relevai difficilement. Récupérant mon arme, je me dirigeai vers mon cheval pour la remettre dans son fourreau toujours accroché à ma selle. Puis je réalisai quelque chose, j’avais certains de ces effets personnels sur moi. Ouvrant une sacoche je sortis ces boucles d’oreilles et pris le bâton accroché à ma selle. Revenant vers elle, je lui présentai ces affaires comme un cadeau de retour parmi nous, les vivants.

- « Il me semble que ceci t’appartient. Je voulais les donner à Pulinn lorsque nous serions rentrés à Kendra Kâr pour lui signifier ta mort… »

Ces morts sonnèrent étrangement creux à mes oreilles. Elle n’était pas morte mais bien en vie devant mes yeux. D’un revers de main, je séchai les dernières larmes qui avaient glissé le long de mes joues.

- « Il ne s’est pas passé grand chose durant ton absence. J’ai simplement eu un gros passage à vide il y a peu de temps. »

Mon regard glissa alors vers le tunnel dont nous étions sortis il y a de cela quelques minutes. Un frisson me parcourut le dos en pensant à cet endroit sombre, renfermé, jamais je ne pourrais oublier mon comportement inadmissible à l’intérieur de la montagne.

Bien qu’encore faible, elle saisit ma main et se relève. Je retrouve enfin mon amie même s’il va falloir encore du temps pour que tout le petit groupe me fasse de nouveau confiance. Mais le plus important est que j’ai récupéré celle d’Aenaria, la plus importante à mes yeux avec celle de Cromax. Les autres peuvent croire ce qu’ils veulent, je m’en fous. Je vais être comme ça à partir de maintenant, mener ma vie comme je l’entends sans me soucier de ce que pensent les autres, surtout Oryash et en cela, je vais lui ressembler.

Elle s’en retourne vers son cheval où elle dépose son épée dans son fourreau. Son arme maintenant rangée, il ne reste plus que les griffes de la peau blanche qui me menacent toujours. Aenaria s’en revient vers moi et un soulagement immense peut se lire sur mon visage. Elle a eu la délicatesse de récupérer sur mon cadavre les boucles d’oreilles qu’Amhalak m’avait offertes ainsi que mon bâton.

D’une main tremblante je pose ma main sur l’objet et d’un seul coup je me sens plus forte, moins seule. Je ferme les yeux et savoure la présence du bâton entre mes mains. Ma mère ne sera plus de ce monde d’ici peu maintenant que j’ai récupéré mon arme. Elle peut paraître bien mince au regard d’une épée, mais bien maniée, elle est redoutable.

"Je te remercie Aenaria… Pour toute l’amitié que tu as pour moi. Sans cela tu n’aurais pas récupéré ses effets… Je suis prête à affronter tous les dangers !"

Ma voix se fait ferme alors que je remets mes boucles d'oreilles où Laïdè peut désormais s'y réfugier comme avant. Elle ne brûlera pas mon cadavre de si tôt. Je ne le permettrai pas ! Je lui saisis le bras et l’entraîne un peu loin des autres, je veux être seule avec mon amie. Même si elle me dit qu’il ne s’est pas passé beaucoup de choses, je sens bien qu’elle ne se sent pas dans son assiette, qu’elle garde trop de choses en elle.

"Que t’arrive-t-il Aenaria ? Tu sembles distraite ?... Est-ce seulement mon retour à la vie qui te met dans cet état ?"

Sans doute est-ce le cas, mais quoi qu’il en soit je ressens le besoin de me livrer à quelqu’un sur ma résurrection. Je n’ai confiance qu’en Aenaria et Cromax. Mais je ne veux pas parler de ça à notre chef. J’ai besoin de mon amie.

"Dis-moi ce qui ne va pas et… Et je te raconterais à toi et uniquement à toi, comment s’est passé mon retour à la vie…"

J’attends donc une réponse de sa part, n’importe quoi, qui pourrait me montrer que la complicité est toujours là.

Je pus constater à quel point elle était attachée aux quelques affaires que j’avais épargnées des flammes. Elle comprit que j’avais un très fort sentiment d’amitié à son égard grâce à ces deux objets. Pour moi, cela semblait tout à fait normal de donner une preuve de son décès… Mais c’était aussi un moyen pour moi de garder son souvenir intact dans ma mémoire. Elle se dit prête à affronter tous les dangers, j’en doutais.

(Tu doutes de sa bonne volonté ?)
(N’a-t-elle pas déjà failli par le passé ?)
(Un point pour toi, je crois que tu as l’avantage.)

Je rigolai intérieurement, elle comptait les points entre nous, c’était comme un jeu pour ma faera et cela faisait du bien de savoir qu’elle était là pour moi.

- « Si je peux t’apprendre quelque chose Salymïa, n’hésite pas à me le demander. »

Elle prit mon bras afin de nous éloigner du groupe. Elle passa ensuite à une autre sorte de question, elle avait remarqué un certain trouble en moi qui n’était pas dû à son retour parmi nous. Savait-elle pour Crystallia et pour ce qu’il s’était passé dans le tunnel ?

(Pour le tunnel non, mais pour moi, oui.)
(Comment est-ce possible ?)
(Elle a également une faera.)
(Salymïa ? Comment tu peux le savoir ?)
(Je ressens sa présence.)

Donc l’elfe blanche savait que j’avais une faera depuis peu, alors pourquoi lui cacher plus longtemps ? Mais ce n’était pas la seule chose qui me tracassait, il y en avait un tas d’autres. Il fallait que je vide mon sac, car cela pesait sur mon cœur et sur mes épaules. Elle voulait le savoir alors autant tout lui raconter.

- « Il semble inutile que je te cache le fait que j’ai une faera depuis peu car tu en as une également. Sur ton cadavre… J’ai fait une espèce de pacte de sang entre toi et moi prenant les dieux à témoins que je reprendrais le flambeau de ta mission punitive envers ta famille. Maintenant que tu es de retour, je n’ai plus à le faire et cela me soulage car cette mission m’aurait détourné de ma quête de vengeance personnelle. »

Comment lui dire que j’étais claustrophobe, cela pouvait sembler bien étonnant. Du moins j’étais seulement claustrophobe dans les tunnels, je ne ressentais pas cela dans une maison ou tout autre pièce fermée. C’était vraiment cette triste expérience à Tahelta qui m’avait marqué.

- « Tu vas trouver cela stupide et même drôle mais pour moi c’est tout le contraire. Dans ce tunnel, j’ai explosé littéralement. Je me suis montrée sous un très mauvais jour à Cromax et Duncan. J’ai manqué de respect à notre chef en lui criant dessus et en agissant comme une gamine, jamais je me le pardonnerais. Tout ça à cause d’un stupide éboulement à Tahelta… »

Pour le moment, l’heure n’était pas à lui raconter mes déboires sur le Naora. Elle m’avait proposé d’entendre le récit de son retour sur Yuimen, je voulais en savoir plus.

- « Mais parle moi de ton expérience de retour parmi nous, j’aimerais savoir comme tu as pu recevoir la grâce de la déesse à l’origine de toute chose. »

Je m’assis sur le sol herbeux de la plaine d’Oranan, il ne nous manquait plus que le thé et les petits gâteaux. Une réunion entre deux vieilles amies, voilà à quoi le tableau de notre conversation pouvait ressembler.

Elle se propose de me renseigner sur tout ce que je voulais savoir et cela pourrait m’être fort utile. Elle me suit sans rien dire lorsque je l’entraîne à l’écart des autres amants puis, après des minutes qui m’ont parues une éternité, l’elfe grise m’ouvre enfin son cœur. Elle ne me cache pas qu’elle aussi possède une faera depuis peu. Elle ne fait que confirmer ce que Laïdè m’avait dit plus tôt et rajoute le fait que j’en possède une.

(Cela pourra être pratique.)
(Que veux-tu dire ?)
(Je peux communiquer avec sa faera, donne-moi une information que tu souhaites transmettre à Aenaria et nous pourrons servir de pont.)

Laïdè vient de soulever un point très intéressant et surtout très utile. Je me sens légèrement vexée lorsque je lis sur le visage d’Aenaria qu’elle doute de ma motivation à tout affronter. Soit je suis morte, mais cela n’est pas une raison et puis, grâce à nos faera nous serons plus à même d’alerter l’autre en cas de danger.

Elle me raconte alors que sur mon cadavre, elle a fait le pacte de mener ma vengeance à ma place, mais mon retour change la donne et cela lui permet, en plus d’être soulagée, de se rapprocher de sa propre vengeance personnelle. Je l’écoute, heureuse simplement de la complicité retrouvée entre elle et moi. Elle me parle alors de l’épreuve qu’a été pour elle la traversée du tunnel. Visiblement un traumatisme, remontant à ses années sur le Naora, est toujours présent.

"Ne t’inquiète pas pour Cromax, il a bien réussit à me pardonner d’avoir faillit m’entretuer avec Oryash. Il te pardonnera."

Je rigole en repensant à ce souvenir, à ce repas gâché et rougit en repensant à la belle robe pourpre, que j’ai perdue et à ce qui a suivi entre lui et moi. Puis arrive le moment de me livrer à mon tour. Je garde moi aussi un poids trop lourd sur les épaules et j’ai besoin de me confier à quelqu’un. On s’assoit dans l’herbe tendre et comme avant, c’est un véritable plaisir.

"C’est assez flou pour moi. Voilà pourquoi je ne peux pas répondre à la question « comment ». Je n’en sais rien moi-même. Je me souviens avoir eu la sensation de flotter et de m’enfoncer dans le néant. J’ai pensé à toi, aux autres, à mon amour à qui j’ai promis de revenir en vie."

Je fais une pause et regarde autour de moi pour vérifier que personne ne nous entend. Puis je reprends en baissant légèrement la voix.

"J’ai prié Gaïa avec toutes les forces qui me restaient et il n’y en avait pas beaucoup. Puis ce fut le noir total. Ensuite j’ai senti mon corps revenir petit à petit à lui, comme s’il était éparpillé en des millions de petites particules qui se retrouvaient entre elles. Et pour finir j’ai senti une douleur fulgurante à la gorge."

Je frisonne en repensant à cette douleur. Jamais de ma vie je n’ai eu aussi mal et je ne souhaite à personne de traverser ce que je viens de traverser.

"Cette épreuve fut extrêmement douloureuse et je ne veux pas la revivre Aenaria…"

Une larme coula le long de ma joue. Elle connaît les détails et sait que je compte sur elle pour la discrétion. Je décide de continuer cette conversation sur des sujets plus joyeux, mais avant.

"Ne doute pas de ma détermination Aenaria ! Et puis, en cas de danger, nos faera pourrons communiquer entre elle et donc par conséquent nous pourrons le faire aussi."

Une idée me vient alors.

"Tu as bien fait un pacte de sang ? Même si je suis de nouveau en vie, je veux l’honorer. Tous ici, vous m’aidez quelque part à assouvir ma vengeance. Quand tout cela sera fini, je tiens, si tu veux de moi bien sûr, t’aider à accomplir la tienne. Il te faudra juste supporter la présence de mon amour, je ne veux plus partir sans lui…"

C’est alors que le sujet sur lequel nous nous étions arrêtées me revient en mémoire.

"Et tu ne m’as toujours pas parlé de ton elfe, dis-moi au moins son prénom", lui fis-je en souriant.

Salymïa me rassura sur Cromax, il saurait me pardonner même si j’en doutais. Puis elle passa à l’explication tant attendue sur son retour parmi nous. Elle-même ne savait pas trop comment expliquer ce phénomène. Elle m’exprima avec ses mots qu’elle s’était sentie voler au-dessus de nous puis réintégrer son corps en millions de petites particules. Elle m’affirma qu’elle ne voulait pas revivre cette expérience car elle avait été traumatisante. Je vis une larme couler le long de sa joue alors qu’elle me parlait.

La conversation dévia ensuite sur le pacte de sang que j’avais fait sur son corps. Elle me proposa son aide pour la suite de mon aventure ainsi que celle de la personne qu’elle chérissait sur cette terre.

(Deux alliés de plus pour la bataille, voilà quelque chose d’intéressant pour la suite.)
(Oui, si je demandais à Ehemdim de m’accompagner, il sauterait sur l’occasion pour sortir un peu de sa routine kendrane, à quatre nous serions plus fort.)

Elle conclut en reprenant la conversation ou nous l’avions arrêté avant d’être séparé dans le sang comme si de rien était. J’avais encore un peu de mal à tout assimiler aussi vite, elle vivante et en possession d’une faera comme moi, des points communs plus nombreux que jamais.

- « Tout d’abord, sache que ton secret est bien gardé avec moi, ne t’en inquiètes pas. Pour ce qui est de nos faera, cela pourra se révéler un avantage décisif si nous devions nous séparer durant l’attaque du château de Grantier. Sais-tu si nous sommes les seules du groupe à en posséder une ? »

Effectivement, posséder des éléments fluidiques qui peuvent communiquer entre eux durant un combat en petit groupe serait vraiment un atout pour nous. Il fallait que j’en sache plus à ce sujet.

- « Je vais commencer par te reposer une question à laquelle tu n’avais pas eu l’occasion de répondre. Que veux-tu savoir exactement sur Ehemdim ? La raison de la présence de cet anneau à ma main gauche ? »

Ce disant, je levai ma main gauche pour lui montrer ma bague de fiançailles dans laquelle Crystallia se réfugiait.

Tout comme moi, elle comprend vite l’intérêt de posséder chacune une faera et cela me réjouit que ma remarque ait piqué sa curiosité. Très vite elle me demande si d’autres membres du groupe en possède et bien sûr, si je sais qui en a une. Je sais que Cromax en possède une, mais voudrait-il que je communique cette information ? En même temps, cela ne peut être que d’une extrême utilité comme je l’ai fait remarquer plus tôt.

"Si j’ai pu vous rejoindre c’est grâce à ma faera. Elle est entrée en contact avec celle de… Cromax. Pour le moment, il vaut mieux garder cette information pour nous et en parler plus tard avec lui."

Voilà que je me mets à jouer les stratèges. Je ris intérieurement de moi-même, je n’ai jamais été douée pour ce genre de choses et pourtant me voilà en train d’essayer de planifier au mieux notre combat à venir. Est-ce parce que je suis morte et que le traumatisme, encore trop frais, me fait réagir ainsi ? Sans doute. Puis elle me repose l’éternelle question. Je rigole à pleine gorge ce qui doit sûrement la surprendre.

"Excuse mon attitude, mais je pense que lorsque l’on traverse ce que je viens de vivre, on ne voit plus du tout les choses de la même façon."

Je me ressaisis avant de continuer.

"Ehemdim, hein ? C’est un très joli nom, lui dis-je alors qu’elle me montre une bague à son doigt. NON ?! Il t’a demandé en mariage ? Bien sûr ce n’est qu’une supposition, mais je ne vois pas d’autres raisons pour laquelle tu aurais cette belle bague."

Je laisse le vent fouetter mon visage et dégager mes cheveux.

"Je dois moi aussi me fiancer à Amhalak quand j’aurais vengé mon père… Il me manque, comme Ehemdim doit te manquer."

Pendant l’espace d’un instant, je pense à Amahalak et à ce qu’il peut être en train de faire en ce moment.

(J’espère que nos chemins ne vont pas se séparer après Grantier…)
(Je pense qu’Aenaria ne sera pas contre ton aide et celle d’Amhalak pour sa vengeance. Ah, Amhalak vient de recevoir sa récompense, il est devenu officiellement un théurgiste.)
(Quoi ? Mais c’est fantastique !)

Mon visage expose un sourire non feint et tout en regardant Aeanaria, je lui sors sans y penser.

"C’est vrai ? Tu ne serais pas contre mon aide pour ta vengeance ? Ni contre celle d’Amhalak ?"

Je la regarde un instant pantoise, car elle ne m’a jamais donné cette information.

"Excuse-moi… Ma faera m’a…"

Je me sens légèrement gênée et si elle avait changé d’avis ? Je m’en retourne donc vers un sujet plus léger.

"Tu m’as dit que ton frère et ses sbires avaient tué tes parents et ton promis. Ehemdim n’était pas ton promis ? Excuse-moi, mais je ne connais pas les coutumes des Sindel."

J’affiche toujours un sourire calme, car la vie coule en moi et cela mérite une ode à la joie.

J’avais vu juste, quelqu’un d’autre dans notre groupe avait une faera et pas n’importe qui, Cromax. Mais oui ! Voilà pourquoi il voulait parler de Salymïa, il avait appris par sa faera qu’elle était revenue à la vie et qu’elle voulait nous rejoindre. Je comprenais mieux maintenant son comportement dans le tunnel. Il m’avait questionné sur mon sentiment par rapport à sa mort et avait certainement voulu mettre le sujet de sa résurrection sur le tapis mais ma petite crise de nerf avait coupé court à la discussion.

(Ta petite crise de nerf ?)
(Bon, ca va, ma grosse crise de nerf !)
(Mieux, beaucoup mieux.)
(Encore désolée…)

Oh que oui j’étais désolée d’avoir été aussi odieuse avec Crystallia. J’entendis alors le rire de Salymïa, chose étrange que de l’entendre ainsi. Il semblerait qu’elle veuille profiter de chaque moment sur cette terre et de ne plus regarder en arrière. Puis elle se concentra sur ce que j’avais dit mais également sur ma main. Elle comprit aussitôt en voyant ma bague que Ehemdim m’avait demandée en mariage. Certes, il l’avait fait avant mais cette fois, cela avait un air beaucoup plus officiel.

Elle enchaîna en parlant d’Amhalak, son homme qui lui manquait tout comme Ehemdim me manquait. D’ailleurs comment allait-il en cet instant ? Après ce que j’avais vu sur les murs du tunnel, je pouvais m’attendre à tout.

(Attends, je vais voir.)
(Tu peux faire ça ?)
(N’oublie pas que je suis faite de fluides et que je peux voyager à la vitesse de la lumière. Donne-moi deux minutes)

Je vis ma faera sortir de ma bague et voler à toute vitesse en direction du sud-est vers Kendra Kâr. Je me retrouvais seule de nouveau avec mes pensées, cette sensation était bien étrange. Je revins sur ce que me disait Salymïa, elle était apparemment surprise que j’accepte sa proposition de m’aider. Toute aide est toujours utile dans ce genre d’aventure, si je pouvais bénéficier de l’aide d’une magicienne supplémentaire, d’autant plus d’une soigneuse, je n’étais pas contre.

Puis vint la question à laquelle je m’attendais, mes parents et Gameleb, mon promis et Ehemdim. Une histoire bien compliquée et pourtant si simple lorsqu’on l’observait de l’extérieur. Mais soyons méthodique dans les propos sinon j’allais me perdre dans le fil de la conversation.

- « Rassures-toi Salymïa, te savoir à mes côtés pour poutrer mon frère est une bonne chose. Après tout, je vais t’aider à venger ta famille en allant voir Grantier et cela sans le vouloir. Ce sera une manière pour toi de me renvoyer la pareille. »

Je souris à cette idée, après tout c’était réaliste et aussi un moyen de détourner la vérité mais c’était légitime dans le mode de pensée.

- « Pour ce qui est des coutumes sindeldi c’est assez simple à expliquer. Lorsque nous sommes encore des enfants, nos parents nous choisissent un promis dont nous connaîtrons l’identité seulement lors de notre passage à l’âge adulte. Il se trouve que mes parents m’avaient choisi Gameleb, un très bon ami, pour futur mari. Ehemdim lui était promis à une autre elfe, Tamia. Il se trouve malheureusement que mon frère jumeau a tué mes parents ainsi que Gameleb, du coup je n’ai plus aucun engagement marital à satisfaire. J’étais donc libre comme l’air, je précise qu’à cette époque je connaissais déjà Ehemdim depuis une cinquantaine d’années. Nous avions fait l’école militaire ensemble et nous avions vagabondé pendant 5 ans, sachant que le jour de nos 90 ans, nous devions nous séparer. Je m’étais préparée à cette idée et c’était donc le cœur léger que j’ai appris que j’allais devoir passer ma vie avec Gameleb. C’était un elfe bon, gentil et surtout une personne avec qui je pouvais voir un avenir heureux. La mort de toutes ces personnes chères à mon cœur à tout chamboulé et lorsque je me suis retrouvée à Kendra Kâr dans le même lit qu’Ehemdim, j’ai compris que je pouvais faire ce que je voulais de ma vie. Il avait lui-même envoyé sur les roses Tamia car il ne pouvait pas la voir en peinture et il se trouve que je ne l’aimais pas particulièrement. Voilà tu sais tout, du moins je pense n’avoir rien éludé. »

Je lui avais ouvert mon cœur comme avant, j’avais retrouvé ma Salymïa, mon amie. Je souris franchement en pensant à cela.

(Je suis heureuse pour toi.)
(Tu m’as fait peur Crystallia !)
(Désolée, je voulais te prévenir qu’Ehemdim est dans le même état léthargique semi-conscient semi-vivant.)

Je n’aimais pas du tout ce qu’elle venait de m’apprendre. Avant d’aller venger mes parents et de tuer mon frère, il fallait que je m’occupe de ce petit problème. Cette triste nouvelle assombrissait mes retrouvailles avec l’elfe blanche et mon sourire disparut quelque peu.

Aenaria me conte les coutumes de son peuple et du Naora. Elle me raconte qu’elle était promise à une autre elfe qu’Ehemdim, elfe qui a malheureusement subit la colère du frère d’Aenaria. Mais pourquoi son frère prenait-il autant de mal à torturer mon amie et à éliminer toutes les personnes qui étaient chères à son cœur ? Décidément, elle comme moi, n’étions pas gâtées par la vie pour le moment.

Alors qu’elle me raconte les malheurs de sa vie, je la sens de plus en plus légère et je la vois sourire. Rien ne peut me faire plus plaisir que de retrouver celle que j’avais rencontrée, il y a de cela quelques jours. Je suis surprise quel tel lien nous unisse, mais heureuse de savoir que j’avais une véritable amie parmi tous ces amants. Elle m’assure que ma présence, ainsi que celle de mon amour, sera la bienvenue pour l’aider dans sa vengeance.

"Je suis ravie de pouvoir t’aider."

Tout d’un coup, elle s’absente. Je sais ce que c’est, j’ai les mêmes lorsque je converse avec Laïdè. Cela me fait repenser au jour où elle est venue à moi. J’avais plus que jamais besoin de quelqu’un et elle est arrivée dans ma vie. Amhalak ne sait rien de son existence, mais cela doit rester pour moi. Je ne peux partager cette information qu’avec ceux qui en possèdent une également, comme Aenaria.

Quand je reporte mon attention sur Aenaria, tout sourire a déserté son visage. Ai-je dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Je m’approche d’elle et passe un bras autour de ses épaules comme pour la soutenir. Bien que nous soyons assises, je crains de la voir chuter. J’ai dit que je serais là pour elle et je vais le lui prouver dès maintenant.

"Aenaria ! Que se passe-t-il ? Je suis là, rassure-toi !"

Je la garde dans mes bras pendant un moment ne voulant pas la lâcher par crainte. Puis, je souhaite dériver le sujet sur moi. Elle ne sait que très peu de choses de ma vie au final. Je lui demande alors.

"Veux-tu connaître les coutumes de mon peuple ?"

Elle m’a fait part d’une part de sa vie et je souhaite en faire de même.

Salymïa m’avait écouté attentivement lorsque j’avais parlé des coutumes de mon peuple, j’eus alors un léger mal du pays. Balsinh me manquait. Elle me montra également à quel point elle était contente de pouvoir m’aider. Puis sans que je comprenne pourquoi elle passa un bras autour de mes épaules pour me prouver que je pouvais me reposer sur elle. Elle me demanda alors ce qui n’allait pas mais comment lui dire que mon fiancé m’avait trompé ?

Je n’eus pas besoin de trouver les mots car elle se chargea de changer de sujet, mais pour moi cela revenait à parler de sa mort. Elle me demanda si je voulais connaître les coutumes de son peuple, j’en connaissais déjà quelques bribes. Il me fallait d’abord trouver des mots pour la rassurer à mon sujet.

- « Je vais bien, j’ai simplement eu une vision pas très réjouissante lors de notre traversée de la montagne et par ma faera j’ai eu la confirmation que cette vision n’était pas un mirage de ma part mais la sinistre et triste réalité… »

Repensant à cet épisode dans la fontaine sur l’île volante, j’eus un haut-le-cœur. Mon comportement me donnait envie de vomir et j’avais encore fait preuve de stupidité en m’emportant ainsi dans ce tunnel. Mais je ne pouvais pas me blâmer ou le blâmer car selon Crystallia, il n’y était pour rien dans tout cela.

- « J’ai un problème à régler en rentrant à Kendra Kâr et tu peux être sure d’une chose, du sang coulera ce jour-là. »

J’avais certainement effrayé la pauvre elfe mais au moins elle savait à quoi s’attendre en rentrant dans la cité blanche à mes côtés, il fallait d’abord que nous soyons victorieux de Grantier et la tâche semblait pour le moment ardue.

- « De tes coutumes Salymïa, je ne connais que celle qui concerne l’enterrement. J’ai assisté aux funérailles d’un ami d’Ehemdim il y a de cela quelques années et j’en ai appris un peu plus. C’est comme cela que j’ai su qu’il était indigne de te brûler, je m’étais opposée à l’idée mais Oryash avait raison, nous ne pouvions laisser ton corps pourrir en terre au risque d’attirer les charognards. Désolée de dire cela, tu n’as pas forcément envie de l’entendre mais il fallait que ça sorte au moins une fois. »

J’espérais sincèrement qu’elle ne prendrait pas mal mon intervention concernant son enterrement, qui n’en était pas vraiment un d’ailleurs.

Elle m’assure qu’elle va bien. Cependant, elle nuance ses propos en me disant avoir eu une désagréable vision lors du trajet dans le tunnel et que sa faera vient de lui confirmer. Je reste perplexe, car cela plonge mon amie dans un état instable, tout comme moi lorsque l’on me parle de mes parents. Cela n’est pas bon, pour que l’on m’ait fait suffisamment la remarque et pour que cela m’ait coûté la vie, je sais qu’il vaut mieux tout évacuer avant les batailles.

"Aenaria, j’ai fait l’erreur de me taire, de garder pour moi mes sentiments et je l’ai payé de ma vie, même si je suis là aujourd’hui, Gaïa aurait pu être moins clémente à mon égard…"

Je me recule tout en gardant mes mains sur ses épaules et la force à me regarder.

"Dis-moi la nature de ses visions, vide ton sac à l’orée de la bataille finale, ne fais pas la même erreur que moi et je peux te le promettre, rien de ce que tu me diras ne sortira de ma bouche. Et je te promets de te soutenir une fois de retour à Kendra Kâr et si je dois t'aider à faire couler le sang, qu'il en soit ainsi !"

Finalement nous dérivons sur les us et coutumes de mon peuple. Elle me dit connaître nos coutumes par rapport à la mort et qu’elle regrette d’avoir eu à brûler mon corps, mais cela était nécessaire. Si elle craint que je lui en veuille, elle se trompe. J’étais morte, elles ont dû prendre une décision rapidement et je n’ai pas mon mot à dire là-dessus.

"Ne t’en fais pas, je ne t’en veux pas, vous deviez agir vite et vous avez fait ce qui était le mieux pour le groupe, je le respecte. Et puis, je n’ai pas vraiment suivi les coutumes de mon peuple. Mon père a été tué alors que je n’étais qu’une enfant. Très vite, la voie de guérisseuse s’est imposée à moi. Le croyant mort sur le champ de bataille, je pensais que si il y avait plus de guérisseurs sur le terrain, cela permettrait moins de morts et donc que cela éviterait à d’autres de subir la peine que j’ai subie. Chez nous, l’apprentissage dure cinquante ans. Cinquante années pendant lesquelles nous sommes formés. J’ai d’ailleurs eu la surprise de revoir mon maître dans la forêt d’Ynorie. Ensuite nous revenons chez nous et nous prenons notre poste. Avant d’avoir pu rejoindre Lùinwë, j’ai rencontré Amhalak et mes parents n’ont pas validé notre histoire cela va s’en dire. Et ensuite j’ai découvert la vérité, l’assassinat de mon père. Du coup, mon projet est remit à plus tard."

Aenaria en savait désormais plus sur moi et sur ma vie. Et une question me vient à l’esprit. Je souhaite tout connaître d’elle.

"Comment as-tu rejoint les amants de la Rose Sombre ?"

Cette question pouvait paraître bête, mais pour moi elle était importante.