Troisième jour de voyage.
Au petit matin, Nienna ne leur proposa pour tout repas qu'une galette achetée à l'auberge avant de partir, maudissant un temps leur accompagnatrice surprise avant de se rappeler que la somme qu'elle leur offrait couvrirait amplement ce qu'ils pourraient perdre en la nourrissant ... D'autant plus qu'elle ne se plaignait pas du peu de cas qui lui était fait et des maigres pitances qu'on pouvait lui servir. Après que quelques gorgées d'eau aient fait passer les galettes devenues un peu sèches, le groupe reprit sa route.
Que dire de cette journée ? La pauvre narratrice que je suis ne sait vraiment ce qui serait intéressant de raconter aux pauvres lecteurs - potentiels - que vous êtes. Une journée sans accros, encore. Nienna désespérait d'ailleurs de tester ses capacités sur d'autres dangers que les renards et les vulgaires fermiers qu'elle avait rencontré en fuyant son foyer. Mais malheureusement pour elle, rien ne se présenta au groupe d'aventuriers, qui n'avait encore rien d'un groupe d'aventuriers pour tout dire. Pour la peine, ni Amolaric, ni Nienna ne voulurent accepter la halte que leur compagnon de rôdeur leur proposait avec insistance en milieu de journée, son estomac le faisant souffrir, selon lui.
Cette journée fut l'occasion, pour notre héroïne, de réfléchir à son avenir ... à partir de son passé, cela va sans dire. La marche du groupe était silencieuse, nul ne pipait mot. Nienna repensa donc à ce qui l'avait amené ici, au milieu de ces personnes dont elle ne connaissait quasiment rien.
Souvenir: Mariage et Fuite.
Le village est en fête. La pleine lune est prévue pour ce soir. Le mariage arrive à grands pas. Quel mariage ? ... quel mariage. Celui d'un jeune homme, aimé de tous, mais surtout, le mien. Certains disent que je suis l'une des plus étranges enfants que cette bourgade ai vu grandir et que c'est un plaisir de savoir que j'allais finalement me ranger, revenir à la norme. Je regarde les fleurs, les guirlandes, les bougies, les mets fumant passer sous mes yeux. J'ai l'impression d'être ailleurs, que toute cette agitation ne m'est pas destinée. Je ne comprends pas encore ce qui est sur le point de se passer. Je viens à peine de dire à Harag ce que je ressens pour lui ... Ce que je ressens ? Ou ce que je croyais ressentir peut-être. Je lui ai avoué mes sentiments il n'y a que deux semaines de cela et, dès le lendemain, le mariage était prévu et organisé, sans que je ne m'y attende. Personne ne me force, dit-on. Tout le monde est sûr de mon amour, parait-il. Mais pour ma part, je ne le suis plus tellement.
Je ne sais combien d'heures se sont écoulées. Harag est devant moi, il sourit. Il est laid. On commence à nous célébrer, je ne comprends pas bien. Un pas en arrière. Un regard vers mon père. Soupire. Dans l'assistance, un jeune garçon tient une épée courte. Elle me semble bien plus attirante que l'homme qui se trouve en face de moi. Soupire. Je fixe ce gamin. Il a du la recevoir il y a peu vu son âge. C'est un garçon, il a le droit. Il a le droit. Il ... pas moi. Je hais ce sentiment. Il a le droit, pas moi. Pourquoi ? Mon père me fait signe de parler. On a du me demander mon consentement. Je dois parler. Mes lèvres se refusent à tout mouvement. Pourquoi ? Je devrais être heureuse ? N'est-ce pas là l'achèvement, l'aboutissement de l'éducation d'une jeune fille. Son passage réel à l'âge adulte. Pourquoi aurai-je besoin de cet homme pour me réaliser. Je n'ai pas besoin de lui. Rien de ce que j'ai lu ne me l'a appris. Je peux être moi-même par moi-même. Trois pas en arrière. Lentement. Mon père me regarde. Harag aussi. Combien de pas ai-je fait, les yeux de l'assistance rivés sur ma petite personne, pour me retrouver à côté du garçon à l'épée, je ne saurai le dire. Harag s'approche. Il ne faut pas qu'il s'approche. Je ne veux pas qu'il comprenne. Il avance son bras ... du sang. Mes yeux dévient vers ma main. Un liquide chaud, agréable, y coule paisiblement, finissant son chemin sur une petite lame. L'épée. Je regarde le gamin. Le pauvre semble horrifié mais ne fait pas attention à moi. Je suis son regard pour découvrir une main, inerte, sur le sol.
Je cours. Mon père me crie quelque chose, je ne veux pas l'entendre. Un homme me barre la route. Il se trouve à l'entrée du village. Il ne me plait pas. Il a un air hautain. Je suppose qu'il est décidé à ne pas me laisser passer car il dégaine son arme, une lourde épée à deux mains. Je ne suis pas aussi agile que je le voudrai, les toits ne sont donc pas une solution pour moi. Soit. Réfléchissons. Un regard en arrière m'apprend que l'on se demande quoi faire dans la foule. Bien. Je sais quoi faire. Je comprends maintenant. Ce mariage était une farce, ce village est une grotesque comédie. Si je ne veux pas continuer à le supporter, il me suffit de partir. Il me suffit de ... passer cet homme.
Respires. Inspires. Penses. Il doit mesurer à peu près un mètre quatre-vingt, ce qui reste une taille raisonnable. Par contre, il doit bien peser dans les cent kilo, ce qui peut poser problème. Si je tente d'aller sur l'un de ses côtés, son épée s'abattra sur moi sans mal. Il me faut donc l'affronter. Sans plus de considération, je fonce sur lui, ma maigre arme droite au bout de mon bras. Elle vise l'abdomen et elle compte bien atteindre sa cible. Mes jambes s'activent donc de plus en plus rapidement, ma seule chance est de le prendre par la vitesse. Son épée se lève et s’abat quasiment sur mon pommeau, manquant de peu mes doigts fermement serrés autour de la garde. Je raffermis ma prise. La violence du choc m'a propulsé à quelques mètres. Je n'aurai jamais tenu sur mes jambes si une charrette n'avait pas bloqué ma chute.
Je regarde autour de moi. Rares étaient les hommes armées un soir de mariage. Ils auraient dû. Une chance pour moi, une terrible chance. Un de mes voisins s'approche de moi, une fois à mes côtés, il m'assène un violent coup de poing dans les côtes. Un goût de fer empli ma bouche. Ce même liquide chaud, rouillé. Je le regarde et rigole. Je suis folle, entends-je dans la foule. Non. Je découvre. Une découverte, c'est toujours euphorique, non ? Je chancèle quelques instants, sans pour autant lâcher ma petite arme. Je fixe mon voisin. Je ne l'aime pas. Je ne l'ai jamais aimé. Mon épée se lève, je le frappe avec son plat. L'homme vacille un peu, je lui assène un coup de pied dans les côtes. Je sais que ça fait mal maintenant. Une fois au sol, je lui donne de nouveau trois coups de pieds. Un jeune homme tente de m'approcher, peu farouche. J'agite sans grande conviction l'épée non loin de lui. Il recule. Suffisamment pour que je puisse retenter une attaque de l'homme. Il s'attend à ce que je l'attaque encore vers le haut du corps. Mais je suis une femme, et il y a des techniques qu'une femme apprend vite pour se débarrasser d'un homme, et j'ai bien vite appris qu'elle était l'une des zones les plus sensibles et fragiles de l'anatomie masculine. Allez. Respires. Regardes en face de toi. Pointes ton arme vers ce fumier qui te bloque la liberté. Surtout, ne fais pas attention aux petits éclats de bois dans ton épaule droite, ce bras ne te sert pas. Je m'élance à nouveau. Cette fois-ci encore, l'homme lève son arme afin de parer mon coup. Mais il porte sa garde trop haut et la pointe de ma lame s'enfonce avec difficulté dans ses parties génitales. Un cri. Je sens comme du dégoût me monter à la gorge. Je n'y tiens pas compte. Je retire lentement ma lame, observant le sang couler le long de la gouttière. Je ne prends pas le temps de la contemplation. Déjà trois hommes sortent de leurs maisons, ils ont récupéré leurs armes. Il me faut partir. Maintenant.
***
Le soleil déclinait. Nienna et son compagnon décidèrent qu'aujourd'hui, ils n'auraient pas à marcher de nuit. Ils étaient maintenant à l'orée de la forêt et ils valaient sans doute mieux s'y engager de jour. Aussi le campement fut-il installé sous un arbre isolé.
(((Apprentissage de CCAA - Charge armée - en question)))