Au petit matin, Nandòr ouvrit les yeux.
Toujours recroquevillé sur lui-même, emmitouflé dans sa cape, le réveil était difficile ce matin là. Dormir à même le sol était encore plus épuisant que de marcher une journée entière … Alors, dormir à même le sol après une longue journée de marche : c’était carrément éreintant !
Il se redressa encore plus douloureusement que la veille. Il avait l’impression que l’ensemble de son corps était raidi et il peina à délier les noeux qu’il ressentait dans tous ses muscles.
Il se tourna vers ses compagnons qui se réveillaient, eux aussi. En guise de bonjour, il leur adressa un simple signe de la tête. Il n’était décidément pas au mieux de sa forme et de son humeur.
Il prit son sac, en extirpa le morceau de pain qu’il lui restait et commença à le grignoter mais sans grand appétit. Il se sentait même un peu nauséeux. Il mastiqua sa bouchée comme si c’eut été la pire des tambouilles qu’il n’ait jamais eu à manger. Il avala difficilement. Il prit son sac pour y ranger ce qui lui restait de pain, éloigner la vue de cette nourriture qui, ce matin, le répugnait.
Puis il s’étira en douceur et finit par se lever.
(Aller … Tulorim ne doit plus être bien loin ! Encore un effort, encore quelques heures de marche et on y s’ra ! … ON ?)Nandòr s’étonna de cette pensée au pluriel. Il n’en avait pas l’habitude.
Il était certain qu’il n’avait jamais passé autant de temps avec les mêmes personnes des heures, des jours durant ! Pas depuis très, très longtemps … Il lui sembla presque que ça faisait même une vie entière. Un certain lien, sinueux et incompréhensible, devait forcément se créer – voire s’imposer - dans ses conditions.
Cela n’était pas sans déplaire à Nandòr. L’attachement, il l’avait pratiqué et on lui avait tourné le dos. ILS lui avaient tourné le dos, eux ! Les membres de sa propre famille l’avaient rejeté.
Alors, même si Nandòr se doutait bien que ce qui avait provoqué sa fuite forcée l’avait également justifié, il gardait une rancœur très profondément enfouie en lui, envers sa famille.
Il soupira alors.
(Une fois à Kendra Kâr, chacun reprendra sa vie et je ne les reverrai plus jamais. C’est ainsi que ça doit s’passer et pas autrement…)Une fois tout le monde réveillé et disposé à reprendre la route, ils se mirent en marche à travers la plaine pour leurs dernières heures de voyage ensemble.
Nandòr resta silencieux, pendant pratiquement tout le voyage, ne prenant que très rarement part aux discutions d’Harmonie et de Dinab.
Les heures passèrent ainsi … Jusqu’à ce qu’au moment où le soleil commença à décliner. À l’horizon, les ombres de la ville de Tulorim commencèrent à s’esquisser, pour se dessiner de plus en plus nettement au fur et à mesure des kilomètres parcourus.
Le soleil avait disparu à l’horizon quand les trois compagnons arrivèrent assez près de la cité pour en apercevoir clairement les habitations et les fumées de cheminées qui s’en élevaient.
Nandòr s’arrêta un instant. Il prononça alors les mots que tous pensaient sûrement :
« Ca y est … On est arrivé. »La vue de la ville si proche redonna un dernier regain d’énergie à Nandòr qui reprit la marche avec d’autant plus de rapidité que son envie d’en finir avec ce voyage devenait pressante.
Le reste du chemin parut long alors - trop long ! – jusqu’à la ville.
Arrivée au seuil de Tulorim, Nandòr eut un frisson qui lui parcourut l’échine.
L’ambiance ici était lugubre … Et ce n’était encore qu’un doux euphémisme ! Pas âme-qui-vive et un silence de mort, si ce n’était celui du sifflement sinistre du vent d’une fraîcheur piquante s’engouffrant dans les ruelles sombres et étriquées de la ville.
(Agréable et rassurant tout ça …)Nandòr s’enveloppa dans sa cape et en releva la capuche sur sa tête. Il observa ses compagnons qui n’avaient pas plus l’air emballé que lui à l’idée de devoir s’enfoncer dans ces ruelles pour y trouver un endroit où se reposer.
«J’crois que j’préférais les marais … » pensa-t-il à haute voix.
Nandòr soupira bruyamment. Ils n’avaient pas le choix. Ils n’allaient tout de même pas passer une nuit de plus dehors, encore moins avec ce froid et certainement pas dans ce genre de décor. Au mieux, ils se feraient tous truander ; au pire, trucider.
Dans ce silence total, un bruit se fit tout de même entendre. Un bruit de verre qui cassait, suivi de celui d'une plainte.
Nandòr avança de quelques pas et remarqua, sur sa gauche, un homme à la silhouette assez corpulente sortir un autre homme de force d'une bâtisse.
Encore quelques pas dans la même direction et Nandòr comprit que l'homme qui avait été éjecté dehors n'était qu'un ivrogne qui se faisait sortir d'un lieu public, qui (en se rapprochant encore un peu plus) portait l'enseigne "Auberge du Pied Levé".
Nandòr regarda ses compagnons avec un léger sourire.
"Je crois qu'on a trouvé un endroit pour la nuit !"Il ne fallut pas plus que quelques secondes aux trois compagnons pour se retrouver sous l’enseigne.
À l’intérieur, l’ambiance semblait bien plus festive. On pouvait entendre filtrer à travers la porte une musique entraînante, des rires tapageurs … En somme, une auberge qui, de l’extérieur, avait l’air plus ou moins normale.
(Bah ! De toutes façons, ça peut pas êt’pire que dehors !)Nandòr jeta un coup d’œil vers ses compagnons et poussa la porte de l’auberge avant de s’y engouffrer …
(L’Auberge du Pied Levé)