53. Combat de Gobelins.Méfiant de nature, Sump recula à l'arrivée du nouveau venu, les oreilles plaquées en arrière et une moue menaçante sur le visage. Sump ne s'était que très rarement vu dans une glace mais il savait grossièrement à quoi il ressemblait même s'il s'en moquait complètement. Il savait donc que l'étranger qui s'approchait et lui faisait parti de la même espèce. Il s'agissait d'un autre Gobelin. Comme c'est la première fois qu'il en voyait un depuis la destruction de son clan, quatorze ans auparavant, il ne put s'empêcher de le dévisager avec curiosité.
L'étranger avançait vers eux d'une démarche lente et détendue, sans se presser. Il était un peu plus grand que Sump, portait un bandana noir usagé sur le crâne qui laissait sortir quelques mèches de cheveux de la même couleur que lui tandis que son visage était couvert de crevasses qu'avaient laissés une multitudes de boutons, de points noirs et autres blessures.
En outre il avait d'épais sourcils broussailleux, une barbe de quelques jours et un œil plus pâle que l'autre qui lui, était noir et perçant. Son nez, bossu, disgracieux et pointu complétait le tableau.
"C'est pour lui que vous m'avez demandé de me cacher ?" demanda-t-il à la Gardienne de la Forêt d'un ton un peu dédaigneux en lançant à Sump un rapide coup d’œil.
Ce dernier, que ce genre de provocation ne touchait pas le moins du monde, remarqua qu'il avait une voix plutôt lisse et normale comparé à son visage.
"C'était pour lui faire la surprise." Tout les enfants reculèrent un peu lorsque le nouveau-venu s'arrêta à trois mètres d'eux sauf le petit rouquin qui l'observa avec curiosité, les yeux levés vers lui. La plus âgée, celle qui pouvait être une biche, essayait visiblement de cacher son dégoût, sans succès.
Remarquant qu'il était dévisagé, le nouveau Gobelin tourna la tête vers eux, gratta le fond d'une de ses longues oreilles poilues et trouées avec un de ses petits doigts puis leur fit une grimace en faisant mine de leur sauter dessus, sortant sa longue langue baveuse :
"Beuah !"Les enfants reculèrent davantage, effrayés tandis que la plus jeune alla se cacher derrière la Gardienne. Le rouquin, lui, pouffa de rire.
"Saleté de foutus mioche à la con, je vous boufferais bien, tiens..." marmonna-t-il en secouant la tête.
"Ranko, sois gentil, s'il te plaît." le sermonna la Gardienne en caressant tendrement les cheveux de la petite.
"Alors, Sump ? Que pensez-vous de votre adversaire ?"Tous se tournèrent vers l’intéressé jusqu'à Ranko qui le regardait avec un sourire amusé et un regard curieux. Sump, mal à l'aise, baissa la tête en grognant et recula de quelques pas.
Ranko soupira :
"Eh ben, encore un qui n'arrange pas la réputation de notre foutue et dégueulasse race. Bon, finissons-en...""Tu as tort de dire ça. Tu as vu sa dague ?" intervint la Gardienne d'un ton malicieux.
Ranko jeta un coup d’œil à l'arme de Sump qui la mit doucement derrière lui, méfiant à l'extrême.
"Génial, une dague qui brille. Je la lui piquerais quand il sera mort." ricana Ranko, ironique en s'avançant vers son adversaire qui se mit nerveusement en garde, montrant les dents.
L'instinct de Sump lui fit comprendre un mot : danger. Il allait devoir se battre avec ce Gobelin, c'était bien ce qu'il avait cru comprendre
L'assurance de ce dernier le gênait un peu mais après tout, n'était-ce pas lui qui avait à sa disposition une relique ? N'était-ce pas lui qui était sorti vivant du territoire interdit aux mâle ? Ce minable Sekteg ne pouvait rien faire face aux Sekteg que lui était.
C'est avec ces pensées rassurantes en tête que Sump passa à l'attaque avec un revers destiné à égorger son ennemi. Ce dernier se baissa souplement et agilement vers l'arrière, les mains dans le dos et le sourire sur ses lèvre fines et abîmées avant de se glisser dans le dos de Sump avec une agilité et une vitesse deux ou trois fois supérieure à celle de Stiole et s'empara de son bras pour le lui tordre dans le dos.
Sump, qui n'avait rien vu venir, lâcha un gémissement de douleur.
Ranko renforça légèrement la torsion jusqu'à que son adversaire lâche son arme.
Après quoi, Ranko faucha les deux frêles jambes de Sump avec un seul bras. Ce dernier tomba sur le dos, faisant tomber son casque, et avant qu'il n'ait pu faire quoi que ce soit d'autre, son adversaire était déjà califourchon sur lui, brandissant comme par magie une
pique à brochette en bois qu'il posa contre sa gorge.
"Ce fut rapide, trop dommage..." soupira la Gardienne, déçue.
Déglutissant avec difficulté et de la sueur coulant sur son front, Sump leva les yeux vers l'autre Gobelin et alla se débattre avec l'énergie du désespoir, ne voulant pas se laisser mourir mais Ranko baissa soudain son arme, fixant quelque chose au-dessus de son ennemi avec des yeux surpris.
Contre toute attente, il se releva, une drôle d'expression un peu surprise et triste sur son visage abîmé.
"Ah, tu t'es enfin rendu compte que ce Sekteg n'était pas n'importe qui, n'est-ce pas Ranko ?" Ne comprenant rien mais s'en contre-fichant du moment qu'il était encore en vie, Sump recula en rampant sur le dos pour se relever et attrapa Grifoniss afin de se remettre en garde. Mais son adversaire avait déjà rangé son arme peu conventionnelle et avait fait demi-tour en lançant à la Gardienne :
"Vous saviez, hein ? Je peux pas tuer ce p'tit enfoiré..."Il fit quelques pas vers les fourrés par lesquels il était venu avant d'ajouter en lançant un dernier regard à Sump qui était toujours sur le qui-vive :
"J'lui ait déjà fait bien trop de mal.""Oh, un Gobelin qui a un brin de sens de l'honneur !" s'exclama la Gardienne.
"Décidément, cette journée n'est pas banale. Mais sais-tu que, dans ta situation, ne pas le tuer t'exposes tout droit vers la mort, mon brave Ranko ?"Ce dernier ne répondit rien et continua à avancer de son habituelle démarche tranquille. Il s'arrêta toutefois juste devant les arbres immenses et centenaires pour regarder en arrière :
"Et toi, sais-tu que je t'emmerde profond ?" lança-t-il, sourire aux lèvres.
Et il disparut.
La Gardienne, elle, au grand désarroi de la plupart des enfants sauf le rouquin, éclata de rire :
"Quel sagouin celui-là alors !"Puis elle se tourna vers le Gobelin qui restait :
"Bon, puisque tu as gagné mes épreuves, je vais t'aider."Sump rangea sa dague après avoir suivi Ranko des yeux puis grommela :
"J'ai pas besoin d'aide."Après quoi, il s'avança vers les arbres derrière lui, tout autour de la porte par laquelle il était entré dans cet endroit de fou afin de retourner à son arbre-maison ou en tout cas s'éloigner le plus possible de cette Gardienne et de tout les mauvais tours qu'elle lui avait joué aujourd'hui.
"Si tu continues sur ce chemin-là, tu vas mourir, Sump."Redoutant la mort comme rien d'autre, le Sekteg ne put s'empêcher de se figer.
"Est-ce que tu veux bien que je t'explique ? Une fois au courant, tu fera ce que bon ce que bon te semblera."Sump soupira. Et si elle disait la verité ? Et d'ailleurs pourquoi mentirait-elle. Il ne savait pas pourquoi, mai il lui faisait confiance, lui qui ne faisait d'habitude confiance à personne, il croyait maintenant en quelqu'un qui avait failli le tuer plus de trois fois en une matinée !
Il se retourna et grogna :
"J'écoutes."La Gardienne parut satisfaite.
"Les enfants, cela ne vous concerne pas, aller, ouste."Sans discuter, les quatre têtes blondes s'en allèrent, la plus petite faisant même un signe de la main au Sekteg qui détourna le regard, agacé.
"Regarde ta main gauche, Sump." commença la Gardienne une fois qu'ils furent seul avec un ton qui, pour la première fois était sérieux.
Sump s’exécuta docilement. Son membre était noir, moite et ridé alors qu'il ne sentait plus le bout de ses doigts et que ses ongles devenaient eux-aussi noir au lieu d'être tournés vers le jaunâtre ou le verdâtre comme ceux de l'autre main.
"Si tu ne fais rien pour cette main, cela va finir par te tuer."Sump redressa subitement la tête de sa paume, les oreilles dressées. Le tuer ? Carrément ?
"Qu...?"Mais la Gardienne leva les mains en secouant la tête :
"Tut tut tut ! Je ne peux t'en dire plus, ce ne serait pas drôle, autrement. La nature ne doit pas être trop influencée. Tout ce que je peux faire, c'est t'indiquer la piste d'un chemin à suivre ...mais je ne peux pas te promettre qu'il te conduira à une longue vie tranquille et il est libre à toi de choisir de l'emprunter ou non."Sur ces mots, les arbres s'écartèrent pour former un petit sentier à travers la forêt, une dizaine de mètre devant le Sekteg qui ne fut pas plus surpris que ça après toutes les choses farfelues qu'il avait vues aujourd'hui.
Les seules questions qu'il devait se poser maintenant, s'était : Devait-il croire la Gardienne ? Et s'il le faisait, devait-il suivre ce chemin qu'elle lui proposait ? De toutes façon, s'il ne le suivait pas, où irait-il ? Que ferait-il ?
Puisqu'elle-même avait dit qu'il avait réussit les épreuves, pourquoi se moquerait-elle encore de lui.
Enfin, chose non-négligeable qui pesait plus dans la balance que le Gobelin voulait le croire, c'était que ce chemin allait sans doute lui faire quitter cette routine qu'il détestait tant pour un petit moment au moins !
Sa décision était prise, il allait guérir cette main, coûte que coûte. Il chercha rapidement la Gardienne des yeux mais elle avait disparu. Le Sekteg, qui s'en fichait, ramassa son sac qu'il avait posé contre un arbre et se dirigea vers le sentier, son ventre se remettant à crier famine, les moments d'adrénalines passée.
C'était reparti !