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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mer 19 Oct 2011 17:14 
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En provenance d'un Cambriolage en Kendra-Kâr

La campagne autour de Kendra-Kâr était agréable. Plutôt citadine, Calimène avait pour ainsi dire peu d’expérience du monde extérieur, si ce n’est l’année passée auprès du Chevalier Sirène. Durant ces douze mois, d’un hiver à l’autre, le Chevalier Sirène avait transmis à son écuyer les rudiments, si l’on peut dire, du métier : les bases de l’escrime, les rudiments de l’équitation et bien entendu, l’apprentissage de l’ancien code.
Remontant la suite ininterrompue de champs, elle prit un grand plaisir à gouter l’ambiance bucolique qui imprégnait ici chaque chose. Vêtue simplement, toujours pas soucis de ne pas attirer sur elle les regards et d’imprégner les souvenirs, elle marchait d’un bon pas vers sa destination. Devant elle se dressaient déjà un rassemblement de moulins. Le moulin principal dominait les autres de sa haute roue à aube. Installé langoureusement par ses concepteurs le long d’une rivière aux eaux vives, il était le point d’orgue de nombreuses allées et venues. En provenance de nombre de fermes de la région, des chariots tirés par des bovins menaient au moulin leur lot de denrées. Le blé devenait de la farine, les olives, de l’huile. Chaque producteur pouvait emporter pour sa propre consommation une partie du fruit de la transformation. L’on parlait entre connaisseurs et l’on y partageait les mêmes soucis. Par ce fait, l’ambiance était bonne même si les manières étaient parfois un peu rudes.

Autour du moulin principal, fonctionnant sur la base du mouvement de l’eau, étaient positionnés plusieurs autres moulins de moindre envergure. Ceux à bras ne n’étaient plus depuis longuement même si l’expression était restée. Plusieurs bovins au cou puissant passaient leurs journées en d’incessants allers et retours, actionnant la mécanique de différents pressoirs.

Installée à flanc de colline, Calimène trompait l’ennui de son enquête en dégustant l’air de rien une pomme. Profitant du soleil, elle tenait une comptabilité exacte des entrants et des sortants, constatant de loin que les végétaux apportés étaient rapidement échangés contre une portion du produit transformé. A la suite de cette transaction, l’agriculteur optait le plus souvent pour la vente à un grossiste qui attendait en marge du moulin ou repartait directement en ville pour vendre lui-même sa production.

Une incongruité attira l’attention de l’écuyer lorsqu’un chargement fut intégralement acheté dès son arrivée par l’un des grossistes, pour être transformé en son nom propre. Puis, lorsque la marchandise lui fut remise et ses sacs chargés, les trois chariots transportant la cargaison ne prirent pas la route à destination de Kendra-Kâr. Bien au contraire, ils s’enfoncèrent dans les terres, vers les bois.

Intriguée, Calimène souleva son paquetage, fit quelques pas en avant d’une manière hésitante puis marqua la pause. Elle tira sa lame hors de son fourreau pour en vérifier le tranchant, bien qu’elle ait travaillé la lame si souvent qu’il aurait fallu qu’un nain la boulotte toute la nuit pour en pervertir le fil. Néanmoins rassurée par ce geste mille fois répété, elle descendit la pente à une vitesse contrôlée. Le pas lourd, chaque mètre renforçant sa détermination et sa concentration, elle plaça ses pas dans ceux du petit convoi, en voyageant sur un chemin situé au-dessus de la route, plus haut dans les collines. Plusieurs fois, les chariots disparurent à ses yeux lorsqu’ils passèrent sous la frondaison d’arbres de plus en plus rapprochés. Et de fait, au bout de quelques minutes supplémentaires, elle du se résoudre à se rapprocher du chemin que ses poursuivants avaient empruntés.

Les bois, frais mais clairs, lui parurent moins impressionnants qu’elle ne l’avait imaginé. Elle se serait attendu une ambiance plus froide et une vue moins dégagée mais découvrait finalement un sous-bois agréable aux odeurs vivifiantes. Prenant un chemin parallèle à celui que remontaient les conducteurs de bête, elle les accompagna sur plusieurs kilomètres avant d’émerger hors des bois, retrouvant ainsi la chaleur du soleil resté haut dans le ciel. Toutefois, il s’avéra assez rapidement que la route venait de trouver son terme. Les chariots se garèrent aux côtés d’un ancien corps de ferme, visiblement assaini et transformé en entrepôt agricole.

La scène, d’une terrible banalité, la fit douter. Et ce ne fut que lorsque les employés agricoles ne portèrent masques ou foulards autour de leur nez qu’elle sentit le frisson de l’excitation la reprendre. Avec maintes précautions, ils déchargèrent les sacs de farine et les déplacèrent à l’intérieur.

Interdite, Calimène resta à l’arrière d’un arbre un long moment. Puis, d’un mouvement anodin, tira une gourde dont elle tira quelques traits rafraîchissants.
Cette nuit, la comptine serait vérifiée.

« Meunier, tu dors ? » susurra Calimène, la main sur la garde de son épée longue, le pouce caressant la sirène d’argent gravée sur son revers.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Ven 21 Oct 2011 16:08 
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Favorisée par les ombres, ayant attendu que la nuit tombe, Calimène s’approcha subrepticement de l’entrepôt et des deux demeures qui formaient le corps de ferme. A pas mesurés, attentive au moindre bruit, elle longea l’arrière de l’entrepôt pour jeter un œil à la place centrale, séparant les trois bâtiments.

La plupart des occupants, aux allures d’ouvriers agricoles, avaient délaissé l’entrepôt pour rejoindre les quartiers d’habitation. Toutefois, quelque chose dans leurs manières peinait Calimène. Là où un cultivateur ou un homme de force aurait rejoint sa pitance sans détours, ces hommes jetaient des regards inquisiteurs à chaque angle de la petite place ceinte par les trois constructions. Une attitude étrange pour d’honnêtes travailleurs entreposant de la farine, à l’écart de tout centre urbain d’importance.
Intriguée au plus haut point, Calimène s’accroupit à l’angle de la maisonnée. L’oreille en alerte, l’écuyère interrogea le silence et ce ne fut qu’une fois assurée d’être momentanément seule qu’elle traversa la cour en direction de la porte la plus proche. Tirant le loquet, elle l’ouvrit rapidement et entra sans autres précautions. Un instant immobile, elle laissa sa vue s’adapter à la luminosité ambiante. A chaque extrémité de la bâtisse, deux lanternes brulaient paresseusement, faisant danser des ombres inquiétantes sur chaque élément du décor. Au rez-de-chaussée, dont le sol était de seule terre battue, l’investigation tourna court. De nombreux instruments de fermes, de la serpette jusqu’à la herse inversée tractable par un bœuf, s’entassaient cahin-caha sans autre ordre apparent que l’imagination du propriétaire. Contrariée, elle se hissa au sommet d’une échelle de bois à la solidité éprouvée par le temps. Passant la tête et les épaules au niveau du premier étage, uniquement composé de bois, elle compta plusieurs centaines de sacs de farine, entreposés ici. En apparence, rien n’avait l’air anormal. Les agriculteurs avaient pour usage de hisser les denrées périssables au premier étage afin de les laisser, dans la mesure du possible, hors d’atteinte de la vermine. Certes la méthode n’était pas parfaite mais elle limitait les dégâts. De plus, les exploitants ayant des bêtes dans leur cheptel les enfermaient souvent au rez-de-chaussée, ce qui avait pour effet de maintenir une chaleur constante et favoriser le séchage du foin à l’étage ; ou du blé ou de la farine. Forçant sur ses bras, elle s’approcha des paquetages et les étudia de plus près, constatant l’emblème d’un fournisseur ayant pignon sur rue en ville.

« Dans ce cas, pourquoi les entreposer ici en lieu et place de leur local en ville… aucun voleur ne s’échinerait à voler une marchandise si lourde, au prix si dérisoire » murmura-t-elle. Délicatement, elle tira un foulard de son bagage et le noua autour de son visage. Bien qu’elle ait suspecté un poison devant être ingéré, il n’était pas l’heure de se tromper. Les conséquences d’une telle erreur pouvant être particulièrement néfaste à la bonne réalisation de ses projets.

Avec maintes précautions, elle regagna l’entrée de la bâtisse et entrebâilla la porte en la repoussant avec délicatesse. Malgré son angle de vue réduit, elle se concentra de nouveau sur les bruits qu’un arrivant produirait nécessairement en traversant la cour. Ce faisant, elle perçut un étrangement chuintement et ainsi dérangée, se fixa sur ce son. Peu à peu, il se fit plus clair et se mua imperceptiblement en divers couinements. Se déplaçant pas à pas, elle marqua une pause tous les deux ou trois mètres afin de s’orienter. Le son, si faible à l’origine, se précisa peu à peu.

Calimène, accroupie au sol, tira sur une poignée métallique, masquée jusqu’alors par le manque de lumière. Ce faisant, elle attira à elle une large plaque de bois qu’elle du hisser à deux mains et plaquer contre le mur pour la garder en équilibre.

Affichant un sourire éclatant, elle observa quelques secondes l’escalier qui descendait vers ce qui devait être une ancienne cave. Elle prit le temps de se saisir d’une lanterne et en aviva la lumière en l’alimentant en huile. Des fumeroles épaisses s’en échappèrent durant quelques instants. L’odeur en était désagréable mais le gain en luminosité compensa rapidement ce désagrément. Prudente, elle tira son manteau devant la lampe pour ne pas alerter un éventuel visiteur sur sa présence.

Rapidement, sachant les minutes comptées, elle s’engagea dans l’escalier. Les pierres qui composaient le mur de soubassement, maculées de moisissures, semblaient visiblement saines ; si les murs extérieurs avaient accusé le passage du temps, le sous-sol paraissait lui particulièrement sain. Il ne fallut que quelques pas à Calimène pour devoir porter sa main à son visage, agressée par une odeur bestiale. La puanteur évoquait celle d’un chien trempé s’étant roulé dans des ordures. En même temps, les couinements s’intensifièrent et de nombreux corps s’ébrouèrent dans le noir.
Portant la main à son épée longue, Calimène hissa de sa main gauche la lanterne. La flamme fit briller de nombreux éléments : les pupilles de nombreux rats, le coin des cages dans lesquelles ils étaient enfermés, l’éclat de verre de plusieurs fioles et un alambic de cuivre, démonté et remonté pour pouvoir entrer dans cette cave. Surmontant son dégout, elle fit le tour de la pièce.

« Des rats au pelage rouge » constata-t-elle, sans que cela n’évoque rien de particulier dans sa mémoire. « Celui qui les garde ici en fait visiblement un usage fort particulier » poursuivit-elle en observant les fioles de plus près. Elle constata la présence d’un liquide ambré dans les contenants de verre et n’eut guère de doutes sur son origine après en avoir humé l’odeur. Toussant fortement, elle se recula de plusieurs pas en tentant de contrôler un haut-le-cœur et ne put reprendre sa respiration qu’au bout de plusieurs et larges bouffées d’air.

« Ils empoisonnent la farine avec l’urine de ces rats rouges… et en gomment le gout par une réduction au travers de l’alambic. Il s’agit donc d’un empoisonnement par ingestion… mais dans quel but… » Dicta-t-elle à sa seule intention, comme si énoncer des faits à haute voix pouvait les rendre plus tangibles.

Désormais consciente que ses soupçons n’existaient pas que dans son imaginaire, elle fouilla méthodiquement la pièce. Elle tira plusieurs tiroirs et observa la présence de plusieurs livrets, tenant un compte précis des livraisons de cette farine, une comptabilité macabre permettant de suivre l’évolution d’un empoisonnement à grande échelle. A la lueur de sa flamme, elle ne trouva aucune indication exploitable lui permettant d’identifier le commanditaire de cette macabre comptabilité. Elle ficha pourtant les livrets dans sa besace. Si le commanditaire ne lui était pas accessible, elle savait au moins où trouver l’un des contacts de ces mécréants en ville, chez le grossiste qui tenait ses locaux en ville.

Elle n’avait que quelques heures devant elle pour agir. D’ici le matin, ou plus tard si elle avait un peu de chance, les hommes de main menant cette opération se rendraient compte du vol des carnets comptables. Il leur faudrait néanmoins du temps pour faire disparaitre toute les preuves : monter et démonter l’alambic et évacuer plusieurs centaines de sacs de farine.

Elle referma le tiroir et se détourna immédiatement vers la porte, sans remarquer qu’une paire d’yeux l’observait avec la patience du prédateur. Dressé pour la chasse, un imposant rat noir se tenait terré dans une anfractuosité du mur. Destiné à la garde, il avait été apprivoisé par l’usage de la douleur et s’était inféodé à son maitre qu’il avait fini par reconnaitre comme étant son chef de meute. Par ailleurs, il avait un effet direct sur les rats rouges qui restaient tranquille, apeurés par sa seule présence. L’odeur de sa visiteuse s’était incrusté dans ses papilles et il lui tardait de la retrouver. L’éclat de la lumière l’aveuglait et pour l’instant, son instinct lui glissait de ne rien faire. Mais bientôt…

Calimène galopait dans les bois en direction de Kendra-Kâr, mettant de la distance entre elle et le corps de ferme, son macabre commerce et ses occupants, humains ou bestiaux.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Jeu 27 Oct 2011 13:37 
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Le dos courbé sur sa monture, Calimène peinait à suivre le rythme effréné imposé par le Capitaine Victorin et ses hommes. Cent pas devant eux, un cavalier solitaire porteur des couleurs de la garde ouvrait le chemin, signalant aux voyageurs l’arrivée d’un groupe plus conséquent à sa suite. Cette organisation, destinée à éviter que le groupe de cavaliers ne fauche un voyageur, avait fait ses preuves en termes d’efficacité. Des accidents pouvaient encore se produire mais la garde veillait à ce que ses membres n’outrepassent pas leurs droits.

Malgré l’effort de concentration demandé par la cavalcade, Calimène prit le temps d’observer plus avant le Capitaine Victorin. Pas désagréable à regarder, il avait ce charme insistant d’un homme d’action. A l’exposé de Calimène, il avait simplement constaté les faits, appréhendé la situation et accepté les conséquences de ses prochaines décisions. Sans attendre, il avait réorganisé ses hommes en deux groupes, si le premier resterait en ville afin de veiller sur la porte, le second avait pris les armes. Cinq hommes, dont le Capitaine et Calimène, galopaient désormais au mépris du règlement.

Calimène avait apprécié l’attitude du Capitaine lors de son exposé. Il ne s’était pas emporté lorsqu’elle lui intima d’agir sans attendre, au risque de voir les suspects s’échapper. Elle avait eu la crainte passagère de voir le Capitaine se référer à sa hiérarchie, ce qui aurait induit d’attendre le plein lever du jour, la toilette d’un supérieur ou de deux, voire de la fin de leur petit-déjeuner.

Calimène, un instant distraite, baissa la tête plus avant lorsque les cavaliers passèrent les limites du bois. L’impression de vitesse s’amplifia encore du fait de l’immobilité des arbres. Là où l’écuyer avait eu l’impression de traverser une forêt complète à son premier passage, elle se rendit compte que seulement quelques poignées d’arbres composaient un modeste bosquet à peine large de quelques centaines de pas.
Seconde différence, les sous-bois se laissaient envahir par une fumée dont l’origine fut rapidement identifiée. Le corps de ferme était en feu. Déjà envahi par les flammes, les bâtiments dégageaient des fumerolles noirâtres, épaisses et agressives. Calimène s’engouffra sur la petite place séparant les deux maisons et l’entrepôt, tirant fermement sur la bride de sa monture pour la forcer à l’arrêt. Faisant tourner son cheval sur lui-même, elle tenta de repérer d’éventuels fuyards, sans succès tant les fumées bloquaient les lignes de vue. Sans précipitation aucune, Victorin répartit ses hommes par deux et leur fit prendre à chacun une direction cardinale, en négligeant celle d’où venait le groupe.

Calimène s’engagea à la suite de Victorin vers le nord. Délaissant momentanément le corps de ferme, ils s’éloignèrent à la hâte de l’embrasement, ne pouvant rien faire pour restreindre désormais la propagation des flammes. Par chance, Calimène constata que le vent, faible en ce jour, ne soulevait pas les braises vers les arbres. Tout risque d’incendie majeur était pour l’instant écarté.

Victorin se hissa sur ses étriers et ne fut pas long à localiser deux silhouettes, pressées de disparaitre à l’arrière d’une colline. La marche rapide, ces deux là tentaient de rejoindre la cime pour interdire à tout poursuivant de pouvoir les localiser à partir de la ferme.

« En voilà deux » glissa Victorin en tançant sa monture du pied, la lançant en avant. Taraudant son cheval à son tour, Calimène entama à son tour la poursuite, sans hésitation aucune. En s’éloignant de la dernière bâtisse, le Capitaine siffla entre ses doigts, signalant une information nouvelle aux autres groupes. Du coin de l’œil, Calimène observa un des deux autres groupes stopper leur exploration et tourner bride dans leur direction. Le dernier duo lui resta interdit malgré un coup d’œil dans la direction qu’ils avaient probablement suivi.

Contrairement à ce qu’elle avait pu initialement penser, les deux pourchassés n’augmentèrent pas leur allure. Bien au contraire, ils se délestèrent de leurs affaires et prirent leurs armes en main. Et au grand étonnement de Calimène, ils s’affrontèrent entre eux. Le plus massif des deux, tenant une longue lance à la main, harcelait son compagnon de coups puissants. Ce dernier, forcé en position défensive, tentait maladroitement de dévier les coups de pointe portés par son ancien compagnon. Ayant la pente contre lui, il finit par manquer un quart et ne put que récolter une profonde blessure au niveau de la clavicule. Perdant l’esprit un instant du fait de la douleur, Victorin et Calimène ne purent que l’observer perdre son arme et empoigner sa plaie de sa main libre. Il tenta bien quelques dernières imprécations mais son adversaire ficha sa lance dans son corps une première fois puis une seconde, pour achever le travail. Retirant son arme du désormais défunt, il ficha son arme dans le sol et entreprit visiblement de se préparer pour son prochain affrontement.

Calimène tira de nouveau sur la bride de son cheval et le fit avancer au pas. L’ennemi n’ayant visiblement plus envie de fuir, il ne servait à rien de se jeter sur lui en catimini, d’autant qu’une lance était un instrument tout à fait adapté pour affronter des combattants montés. Elle stoppa sa monture à deux dizaines de pas du lancier et tira son épée longue hors de son fourreau avec une lenteur consommée. Attentive, elle s’attendait à ce que son opposant entame immédiatement les hostilités. Mais il n’en fut rien. Bien au contraire, il laissa le temps au Capitaine de mettre pied à terre et aux deux autres cavaliers de s’approcher.

« Il ne fait pas bon être de votre compagnie » glissa Calimène sur un ton glacial.
« Un homme un peu trop attaché à son quotidien ; soumis à la question, il aurait fini par parler. » rétorqua le lancier, d’un air appréciateur, tout en observant le cadavre. Après s’être massé la paume de la main, il récupéra sa lance et la pointa en direction du Capitaine. Ce dernier, prudent, avait tiré lui aussi son arme mais restait en périphérie de son adversaire, le contournant peu à peu pour le forcer à rester entre lui et Calimène.

Si l’encerclement était un principe de base unanimement loué par les stratèges, c’est bien parce qu’ils n’avaient jamais eu à combattre un colosse armé d’une lance. Tirant l’arme hors du sol d’un mouvement sec, il en frappa le Capitaine d’un puissant mouvement partant du haut et portant vers le bas. Victorin leva son arme, bloquant la trajectoire adverse, mais se retrouvant aussitôt en posture défensive. Calimène fit l’erreur de se porter immédiatement en avant, pointant son épée sur le rein de leur adversaire commun. Mais la lance, par un mouvement violent, avait déjà trouvé une nouvelle trajectoire. Anticipant sur l’intervention de l’écuyer, le mécréant avait déjà retourné son arme contre elle, d’un lourd mouvement d’estoc que Calimène récolta à l’épaule. Sa propre épée trop engagée pour dévier la frappe, elle se contenta d’avancer d’un pas de plus et d’enfouir sa tête sous son bras. Cette dernière récolta une frappe massive, vidant le muscle de son sang et amoindrissant la poigne qu’elle pouvait avoir sur la garde de son arme. Battant soudainement en retraite, elle se plia en deux pour éviter un nouveau passage de la lance et se retrouva instantanément en difficulté. Victorin reprit l’adversaire en main avant que ce dernier ne soit capable de porter le nouvel assaut à son terme.

Reculant vivement, Calimène laissa glisser son épée au sol. Vigoureusement, elle entreprit de masser son bras le plus énergiquement possible. Pendant ce temps, le Capitaine menait un duel laborieux contre l’empoisonneur. Ayant conduit l’assaut pour libérer Calimène, il se retrouvait au fil des échanges de nouveau acculé à la défensive. Profitant d’une allonge supérieure et bénéficiant d’une force peu commune, leur adversaire se révélait compétent et expérimenté. Bloquant son souffle au moment de la frappe, il menait son assaut tout en se réservant pour la suite. Il alternait frappes portés de la pointe et coups d’estoc, utilisant son arme comme une lance et comme un gourdin. Les lignes de ses assauts étaient précises et ses efforts contrôlés.

Ayant retrouvé l’usage de son bras, Calimène reprit son épée en main et se porta de nouveau en avant. De la pointe, elle lança plusieurs attaques, bloquées une à une par la lance. Victorin la dépassa par la gauche et tenta de trouver une ouverture sous la garde ennemie, sans autre succès que de devoir se replier au retour du tranchoir. Repliée sur elle-même l’écuyère se fit plus petite, offrant moins d’angles d’attaques possibles et se lança de nouveau en avant, tentant de monopoliser l’attention du parti adverse. Peu à peu, l’usage aidant, elle harmonisa ses mouvements à ceux de son allié. Toutefois, la fatigue la gagnait. La pente jouait contre eux dans la plupart des cas et l’allonge de la lance permettait à leur opposant de rester bien en place.

Calimène passa sa langue sur ses lèvres et constata, à son grand mécontentement, qu’elle manquait déjà de salive ; signe d’une grande fatigue approchante. Il était temps d’adopter une stratégie nouvelle. D’un bond, elle fit un écart de côté et tenta de passer sous la lance, sans succès. Elle observa l’arme décrire une nouvelle courbe, prenant son élan pour venir à sa rencontre. Si ce n’est qu’au lieu de s’esquiver, Calimène se campa fermement et poussa le vice jusqu’à avancer d’un pas au moment de l’impact. Grimaçante, le souffle coupé, elle renonça à tenir son épée. Mais lorsque la lance réarma, ce ne fut que pour mieux s’en saisir à deux mains. Bloquant le retrait de l’arme, Calimène venait de forcer l’avantage ennemi. Bénéficiant d’une allonge supérieure, la lance devenait totalement inefficace lorsque la cible en deçà de la pointe. Victorin, la surprise passée, força en avant son avantage et sans réellement réfléchir aux conséquences, ficha le métal de sa lame dans le ventre de leur ennemi. Ce dernier hésita un instant, réfléchissant visiblement à la manœuvre inédite dont il venait d’être témoin, puis vacilla de côté.

« Mort » murmura Victorin d’un ton insatisfait.

« Et nous vivants.» rétorqua Calimène en se massant les côtes. Elle se pencha pour ramasser la lance à la pointe barbelée et s’en servit de béquille pour se maintenir droite pendant qu’elle tentait de retrouver son souffle.

« Pour l’heure, je m’en contenterai tout à fait » conclut-elle au moment où deux autres cavaliers mettaient pied à terre.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Lun 31 Oct 2011 14:33 
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Une bonne condition physique et un entrainement adapté permirent à Victorin de se remettre rapidement. Soufflant quelques instants, ses réflexes professionnels le conduisirent presque tout de suite au contact du cadavre. Il examina le corps sans nom plusieurs secondes puis introduisit ses mains sous les vêtements de ce dernier. Il le palpa longuement et de manière méthodique, le passant intégralement en revue des pieds à la tête. Ceci étant fait, il investigua plus avant au sein des poches et de manière plus détaillée parmi les cachettes usuelles des filous qu’il arrêtait à longueur d’année : poche de revers intérieures, doublures cousues et autres semelles de bottes amovibles.

« Rien. » introduisit-il quoique la conclusion soit déjà énoncée par ce seul fait.

« Pas d’identité, pas de papiers et aucun argent » ferma-t-il provisoirement, visiblement contrarié.

Calimène s’approcha du second cadavre et surmontant sa répugnance initiale, reproduisit avec soin la fouille méthodique que venait de lui enseigner, quoique bien malgré lui, le Capitaine de la Garde. Ce dernier n’apporta aucun commentaire et se contenta de superviser la fouille. Visiblement contenté, il n’inséra aucune remarque complémentaire sur la qualité de l’examen. D’un mouvement de la main, il invita les deux gardes récemment arrivés à approcher.

« Bien, la tâche est ingrate mais nécessaire, il nous faut embarquer ces deux hommes avec nous, nous avons peut-être raté quelque chose que des yeux mieux informés que les nôtres sauront remarquer » dit-il en constatant que les autres cavaliers approchaient de leur position. Le groupe reformé, chacun fit son rapport. En dehors de ces deux fuyards, aucun autre membre des mystérieux occupants de la ferme désormais livrée aux flammes. Les membres de la garde charrièrent les défunts sur leurs chevaux et entreprirent de les attacher fermement aux montures.

Il en revint auprès de l’écuyer.

« Et bien Calimène, auriez-vous déjà songé à une carrière dans la milice ou l’armée régulière ? » annonça-t-il d’un ton badin. L’air détaché, il adressait une proposition à peine voilée.

« Jusqu’à ce jour, jamais » répondit l’intéressée de manière diplomatique. Elle observa la maison en flammes et apporta quelques informations complémentaires. « Lors de mon récent passage, ils étaient en apparence au nombre de quatre. Au moins deux autres empoisonneurs nous manquent de fait… et ces ceux-là n’ont pas une allure d’alchimiste ou de rebouteux. L’alambic que j’ai pu observer semblait être d’un usage pour le moins complexe, du fait du nombre de piston et de manivelles… Hm. » Poursuivit-elle à haute voix, réfléchissant autant pour elle-même qu’à l’intention des soldats de la Cité.

« Descendons voir ce que nous pouvons tirer des cendres et comptons sur la chance pour nous aiguiller » commenta Victorin, sans réellement y croire.

Le groupe se reconstitua avec l’arrivée de deux autres cavaliers, revenus bredouilles de leur exploration et c’est tous ensemble qu’ils se présentèrent au cœur du corps de ferme. Une fumée acre emplissait encore l’atmosphère même si les dernières flammes peinaient désormais à trouver un combustible de plus en plus rare. Le toit de l’entrepôt s’était affaissé sur le premier étage, entrainant dans sa chute le stock de farines et les denrées stockées dans la grange. L’émanation de farine aurait pu étouffer le feu mais il n’en fut rien, les flammes s’étant déjà fortifiées de pailles et de bois. La cave, que Calimène décrivit de quelques mots, était désormais ensevelie.

« Il faudra de nombreuses journées de travail pour procéder à l’excavation du sous-sol » pesta Calimène.

« Ce qui laissera aux empoisonneurs le temps de disparaitre totalement et d’effacer la piste de leur larcins. Si vous avez vu juste, Calimène, leur conspiration est désormais désarmée… mais eux-mêmes resteront, je le crains, hors de notre portée » regretta le Capitaine de la garde, visiblement déçu de ne pouvoir faire justice.

Calimène ouvrit son sac resté fixé à sa monture.

« Il nous reste ceci » dit-elle en exhibant trois carnets reliés. Devant l’incompréhension de ses interlocuteurs, elle précisa rapidement ses intentions en manipulant toute les pages des trois carnets.

« Il s’agit là de carnets comptables, fort semblables à ceux que tenait mon père pour le compte de son commerce et la bonne tenue de ses affaires » introduisit-elle en feuilletant le premier carnet. « Dates, livraisons, quantités et prix de vente sont apparents ; de manière à contrôler de manière précise et fort professionnelle la bonne tenue de ce commerce macabre » dit-elle en adoptant un ton cadencé et méthodique.

« Nos empoisonneurs auraient-ils, en plus, souhaité rentabiliser leur négoce mortel ? Ou financer leur activité peut-être ? » Proposa Victorin.

« Hm… je ne le crois pas, l’alambic de cuivre, les fioles de verre et les expédients alchimiques utilisés réclament des moyens importants. Peut-être ont-ils souhaité s’enrichir en doublant leur employeur mais je ne le crois pas. Les gains auraient été minimes et la tenue d’une telle comptabilité bien superflue… » Poursuivit Calimène.

« Dans ce cas, rentrons en Kendra-Kâr. Nous avons certes bien agi mais mes supérieurs sont des hommes tatillons, il me faudra produire un rapport écrit sur mes agissements, même pour rien. » Commenta Victorin.

« Surtout si c’est pour rien » maugréa un de ses hommes.

Calimène tiqua à cette remarque. Observant sa gêne, le Capitaine adoucit les dires de son subordonné.

« L’administration de Kendra-Kâr est lourde mais précise. Chaque acte majeur doit être enregistré et consigné, ne serait-ce que pour pouvoir vous être reproché plus tard. Il nous faut donc archiver nos comptes-rendus d’affaires. Si la formalité est légère en cas de succès, mieux vaux la traiter avec assiduité lorsque nous n’avons rien à nous mettre sous la dent » compléta le jeune homme en riant légèrement.

Calimène sursauta presque et sourit à son tour. Elle hocha la tête plusieurs fois et se détendit immédiatement. Détaillant un carnet, elle analysa les informations sous un angle différent.

« Félicitions, Victorin… vous venez de résoudre l’énigme de ces carnets. » annonça Calimène.

Elle pointa plusieurs lignes du doigt.

« Pour des empoisonneurs, il n’est d’aucune utilité de localiser la position de leurs poisons… En dehors d’une possibilité… » Laissa-t-elle en suspens, le temps de feuilleter plus avant le carnet.

« Laquelle ? » la questionna le Capitaine.

« Ne pas s’empoisonner eux même » rétorqua Calimène.

Victorin ne sembla pas convaincu.

« La tenue d’une comptabilité ne leur était pas nécessaire ; ne pas manger de pain acheté en ville était suffisant » proposa Victorin.

« Oui… cette comptabilité leur était inutile… » Dit-elle en se redressant de toute sa taille.

« Et bien, continuez Calimène, votre visage affiche un air si triomphant qu’il est cruel de nous laisser hors de la confidence » la railla le Capitaine.

« Cette comptabilité est une assurance, celle du commanditaire. L’instigateur de cette conspiration est un homme de Kendra-Kâr. S’il tient cette comptabilité, c’est qu’il ne veut pas prendre le risque d’être empoisonné par ses propres machinations… de plus… Notre homme est un noble » conclut-elle d’un ton sans appel.

« Et ces seuls carnets vous permettent de le dire ? » s’étonna Victorin.

« Oui » retourna-t-elle d’un ton sans hésitation. « Le maitre-boulanger Dragan est absent de cette liste. Vous êtes vous-même issu de la noblesse Victorin, ce nom vous évoque-t-il quelque chose ? » Questionna-t-elle en adoptant l’air de celui posant une question mais possédant déjà la réponse.

« C’est le fournisseur de la table royale… » Répondit le Capitaine, d’un air grave. Un silence se fit, lourd de signification. L’instigateur de cette machination mangeait à la table du roi et de ce fait, était l’un de ses proches ou un membre important de la noblesse Kendrane. « … mais cela ne nous renseigne pas sur son identité » regretta Victorin.

« Non… mais nous ne tarderons pas à l’apprendre… je vous le jure. » asséna Calimène. « Vous avez dit être issu de la noblesse, Victorin… » Entama-t-elle.

« De la petite noblesse » la coupa ce dernier.

« … de la petite noblesse. Nous avons encore un moyen de trouver l’instigateur de cet empoisonnement, Victorin, convaincre notre empoisonneur qu’il vient d’ingérer son propre poison » dit-elle en s’approchant de lui.

« Et voilà comment nous allons nous y prendre. » conclut-elle, provisoirement.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Sam 19 Nov 2011 20:51 
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J'ouvre doucement les yeux. Ceux-ci mettent quelques instants à s'habituer à la clarté ambiante. Après avoir cligné des paupières plusieurs fois, je scrute la pièce dans laquelle je me trouve. Dans l'ensemble, elle se trouve plutôt propre et rangée. Mais au premier regard, on devine la chambre d'une petite fille de famille pauvre. Sur une commode en bois ternie par le temps trône une petite poupée dont les couettes de sa chevelure d'or ne ressemble plus qu'à un amas de poil gris. Sa robe est guère mieux. Plus aucune couleur ni fait son apparition et on pourrait difficilement croire qu'il s'agit d'un joué pour enfant. L'ensemble de la chambrette est remplie par des marionnettes et des poupées dans le même état, tandis que les meubles bien que propres et dépoussiérés semblent dater d'une autre époque. A peine réveillé, je me sens mal.

Mes yeux se referment alors, me laissant quelques secondes de répit avant d'avoir le courage de sortir du lit. Un bruit sourd et constant me parvint aux oreilles. Le son du métal s'entrechoquant, les armures en plein mouvement et les cris des combattants. Je cours. Vite, très vite. Ma cuirasse, plus moulante et serrée que la leur me permet des déplacements plus simples et vifs. Mes pieds foulent le sol sans se soucier du terrain, mon regard se fixe au loin, mon ouï n'essaie même plus de différencier les son et mon corps me fait affreusement souffrir. Mais pourquoi est-ce que je cours ?

- " On t'aura, TRAITRE !!! "

Ha oui... Voilà pourquoi je fuis. Ne me jugez pas mal, mais il s'avère que l'homme qui vient de vociférer à mon encontre n'est autre que mon paternel adoptif, l'homme à qui je dois tout, la vie, le logis, la santé et bien d'autres choses. Mais j'ai mes raisons d'être en fuite. Voilà plus d'une quinzaine d'année que je vis à ses côtés en tant que valet et accessoirement, en tant que mercenaire. Voilà tout autant de temps que je ne quitte pas la troupe, que je vois les mêmes vieillards crapuleux incapables de lâcher leur gourde de vin. C'est bref, mais ce sont mes raisons principales. Rester dans la même troupes de mercenaires toute ma vie ne m'intéresse pas. Et puis, j'ai un truc à faire. Une sorte de mission que je me suis moi-même donné. J'ai entendu une rumeur qui m'intéresse énormément lors de mon passage à Darham. Mais je ne m'avancerais pas là-dessus. Je ne suis encore sûr de rien. Néanmoins, il serait peut-être temps de...

- " Wouhaaaaou ! "

( Ha bha vlà que je me suis moi-même pris au piège. Quel con ! )

Devant moi se trouve un gigantesque gouffre au fond duquel un rivière s'écoule paisiblement. Le mot "gigantesque" est surement un peu exagéré, mais on a tendance à voir les choses différemment dans ce genre de situation. Je viens moi même de signer mon arrêt de mort. D'un côté, j'ai une troupe entière de mercenaires mécontent d'avoir perdu un de leurs membres, et soit dit en passant, une carte au trésor d'une valeur inestimable, et de l'autre, il y a ce ravin impressionnant qui me bloque la route. La mort m'est assurée dans les deux cas, même si le ravin me semble être une alternative plutôt encourageante en rapport avec la rapidité à laquelle je périrais. Plus le son de l'acier et les cris des mercenaires se rapprochent, plus je doute sur mon pourcentage de survie. Mes oreilles sifflent, ma tête me fait souffrir, mon corps est encore engourdie... Je n'arriverais même pas à mourir en combattant. Je serais déchiqueté avant même d'avoir dégainé mon épée. Bloqué, dépité, un peu déprimé et surtout affolé, je m'approche à nouveau du fossé qui me sépare de la mort. Je baisse la tête pour regarde une nouvelle fois le futur trajet de ma chute et envisager les possibilités de ma mort. A y regarder de plus près, ou plutôt, de moins loin, il se peut que je survive à une telle chute. Une ou deux jambes cassées, une paralysie partielle ou totale du corps, pis peut-être quelques morceaux en moins, est-ce une si mauvaise chose comparée à ce qui m'attend derrière moi ?
Je scrute l’horizon, à la recherche d'une aide, d'un espoir, d'une possibilité pas encore envisagée. Soudain, alors que mes yeux parcours le bois longeant le cours d'eau, mon regard se fixe sur quelque chose qui m'avait échappé à mon arrivé. Une fillette, enroulée dans ce qui pourrait ressembler à une nappe vieillie par le temps et salie par la crasse, le teint pâle et les cheveux blond, me contemple sans bouger ni même sourcilier. Intrigué, je ne cligne même pas des yeux et reste fixé sur elle. Que fait-elle là ? Comment est-elle arrivée ici, dans ce bois à l'écart de tout, à plusieurs kilomètres d'une quelconque habitation ? Pendant que toutes ces questions fusent dans ma tête, la horde de gros balourds sans cervelle se rapproche. Inéluctablement, ma fin est proche. A cet instant, je ne réfléchie plus. Je dois faire un choix. Une mort assurée, ou une mort assurée. C'est alors que la fillette réagit. Elle lève le bras, lentement et point du doigt l'étendu d'eau qui coulent en contre bas. Est-ce la bonne solution ? A-t-elle un plan pour me sortir de là ? Veut-elle que je meurs rapidement ? Trop de question, pas assez d'action. Intrépide et impulsif, je saute.

Ma chute, bien qu'il n'y ai pas tant de mètres que ça qui me sépare du sol, est étonnamment longue. J'ai l'impression de voir arriver la fin, de pouvoir admirer ce dernier instant, le vivre pleinement. Comme s'il me restait le temps. On dit souvent que dans ses derniers moments de vie, on voit toute notre vie s'écouler devant nous. C'est faux. On n'a le temps que pour un dernier souvenir. Celui qui nous a le plus marqué.

J'ai plus ou moins quinze ans. Je suis perdu, dans une foule de gravats, de corps inertes et de flots de sang. Mon épée bien en main, j'admire le spectacle sans avoir le courage d'agir. Mes amis, ma troupe, mon père se battent tous côte à côte pour la victoire. Beaucoup meurt. Beaucoup tue. Mais moi, je ne fais rien. C'est comme si j'étais extérieur à tout ça. Les sons ne me parviennent que très peu, je suis confus, je tremble et des frissons parcourent tout mon corps. C'est la guerre. Un champ de bataille rempli par l'idée de vivre. L'idée de vaincre. Un sentiment qui m'était jusqu'alors inconnu. Mais je n'ai pas le choix. Un orque de près de deux mètres se dresse devant moi, bien décidé à me tuer. Ou à tuer mes compagnons situés juste derrière moi. Je n'en sais rien. Après tout, je dois leur paraitre insignifiant. Le souffle court, un noeux à l'estomac, le sang bouillonnant en moi, je dresse mon épée comme une barrière entre moi et la mort. La première fois que je la vois de si près. Mes yeux fermés, je sens une pression énorme s'appuyer sur le morceaux de métal qui m’échappe des mains. Il me faut quelques instants avant d'oser les rouvrir. Devant moi gît une masse verte, agonisant, le sang lui sortant de la bouche. C'était moi. Je l'ai tué. J'ai supprimé la vie de quelqu'un. Vint alors en moi un sentiment de dégout, mêlé à de la fierté.

Je rouvre alors les yeux. Je suis de nouveau dans la chambre miteuse et poussiéreuse où je m'étais réveillé auparavant. Ne pouvant rester plus longtemps dans cet état comateux, je me redresse lentement.

- "Aïe !"

Les côtes, évidement... C'est l'endroit le plus touché lors de fracture. Les miennes me font atrocement mal. Un petit effort et me voilà adossé contre le mur. Mon bras a été mit en écharpe, l'une de mes jambes sous atèle.
(Sacrée chute !)
J'admire une fois de plus la pièce dans laquelle j'ai été logé. Dans un coin, posé sur une chaise miteuse, mon armure m'attend. Quelqu'un semble avoir bien prit soin de moi. Je reste là, le regard dans le vide, remettant tous les évènements dans l'ordre. Tandis que mes esprits reviennent peu à peu, j'entends un bruit venant du couloir. Des pas. Quelqu'un arrive.
La porte s'ouvre doucement, laissant apparaitre le visage d'une femme. Grande, élancée, les cheveux bruns, les yeux bleus et le visage fin. Belle. Elle n'a de disgracieux que sa robe rapiécée et ses multiples contusions au visage. Je me demande alors qu'est-ce qui a bien put lui arriver. Selon mon estimation, elle n'a pas beaucoup plus que mon propre âge. Une vingtaine d'années tout au plus. Dans ses mains, elle porte un plateau plutôt vide. Mon regard se porte alors sur l'unique miche de pain résidant dessus. Elle n'est pas plus grande que la paume de ma main. En accompagnement, quelques pommes de terre de taille réduite. Cette famille est pauvre, très pauvre. Elle ne me regarde pas, pose son plateau sur la commode et s'en va, sans dire mot.

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Dernière édition par Josh le Ven 1 Juin 2012 15:13, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mar 10 Jan 2012 20:10 
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- Cesse de fixer le soleil ainsi, tu vas finir par te brûler la rétine.

Eloï ne répondit pas à l'injonction de sa tante. Pas besoin. Admirer l'aurore était devenu une habitude à laquelle il ne faillait jamais, et Deliah le savait bien. Elle devait simplement être d'humeur un peu moins intransigeante envers les extravagances de son neveu, ce matin. Il semblait être le seul à trouver un côté apaisant à observer le lent réveil de son village sous la lumière de l'astre naissant.
Situé en contrefort de l'humble colline qui surplombait Asha, Eloï et sa tante, depuis leur maison, avaient vue sur le hameau entier et sur ses environs presque exclusivement composés de champs et de bosquets, un tableau bucolique d'une certaine beauté. Le village en lui-même n'avait rien de remarquable et était même par endroit bordé d'immondices, mais l'ensemble, ajouté de la douce lumière de l'aurore, restait assez charmant. Comme les animaux diurnes qu'ils étaient, les villageois se levaient en même temps que le soleil avec une remarquable régularité, et ils les voyaient sortir un à un de leurs maisonnées respectives, prêts à entamer le dur travail de la terre, certains s'y étant même déjà mis. Il resta ainsi au perron quelques minutes puis rejoignit Deliah avant qu'elle ne se mette réellement à lui en vouloir.
Sa tante s'affairait de tous côtés. Ses cheveux noirs, peignés à la hâte, n'aidaient pas à adoucir ses traits marqués par le soucis et le travail. Elle portait un simple pantalon de toile et une tunique de cuir qui avaient bien besoin d'un petit lavage. Elle semblait particulièrement nerveuse, ce matin.

- Une occasion spéciale ?

- Tu le fais exprès ? lui répartit-elle sans le regarder en continuant à vaquer à ses occupations. C'est la Célébration de la Terre, ce soir. Gyl m'a demandé de préparer les offrandes à Yuimen. Si elles ne lui plaisent pas, il pourrait être capable de flétrir toutes les cultures pendant une année entière, ce sale ingrat !

- Je suis sûr que tout se passera bien, répondit Eloï d'un ton qu'il voulait apaisant, tout en se doutant que ça ne ferait probablement que la mettre un peu plus sur les nerfs. Et puis, si le chef du village te le demande, c'est qu'il a confiance en tes capacités.

- Tu es très mauvais à ça, arrête tout de suite.

Il s'exécuta sans regrets. A vrai dire, les petits problèmes de sa tante ne le touchaient guère; elle se débrouillerait très bien toute seule. Il s'assit sur le petit banc face à la rudimentaire table de bois qui occupait le centre de leur masure et s'appliqua à mâchonner un bout de pain un peu rance tout en regardant l'interminable ballet de Deliah . Elle rassemblait manifestement tout ce qui pouvait servir à contenter un tant soit peu la divinité et qui avait pour la plupart été acheté au dernier marchand de passage : couronnes de fleur, petites statuettes taillées dans de la pierre bon marché et autres babioles.

- Gyl a été généreux sur le budget, cette année.

- La moisson passée était assez décevante, et il a eu peur que ce gros imbécile de dieu soit derrière tout ça.

( Il va finir par se vexer réellement, si tu continues à l'invectiver ainsi... ) pensa le jeune homme, mais il se retint de le dire devant sa tante. A vrai dire, il ne croyait qu'à moitié à la version de Deliah. Bien qu'elle eut fait preuve d'une remarquable discrétion même envers son neveu alors qu'ils partageaient le même toit, les bruits couraient que la vieille fille qu'elle était avait enfin trouvé chaussure à son pied en la personne du chef du village lui-même, Gyl, et il avait probablement voulu contenter son amante. Il avait été marié et eu 3 enfants de son épouse, mais celle-ci était morte lors d'un hiver particulièrement rude. La période de deuil était manifestement révolue...
Ça ne manquait évidemment pas de faire jaser, surtout parmi les anciens, mais sa stature hiérarchique lui permettait en général d'étouffer les protestations dans l'oeuf.

Sa tante paraissait enfin satisfaite de l'assortiment et s'attabla en face de lui. Ils passèrent ainsi quelques minutes à déjeuner sans commentaire : La matinée était pour l'un comme pour l'autre un moment de calme relatif (un peu moins cette fois-ci) et un accord tacite leur tenait de manger en silence.
Après un moment, Deliah pris pourtant la parole en scrutant son neveu d'une façon qui le mit instantanément en alerte.

- Tu ne m'accompagneras pas aux champs, aujourd'hui. Oleg a réclamé un maximum de main d'oeuvre pour le grand bûcher de ce soir et il envoie tous les jeunes gens au bois du coin pour cela.

- Je vois, répondit-il simplement. Cela ne l'enchantait absolument pas. Il passait en général ses journées à trimer dans les champs avec les femmes et les hommes d'un âge un peu plus avancés, ce qui ne manquait pas de provoquer railleries et quolibets de la part des jeunes gens de son âge, mais il préférait mille fois cela aux travaux qui le confrontait directement à ceux-ci : Certains s'appliquaient alors méticuleusement à faire de sa journée un enfer.

Sa tante parut un tantinet déçue par la réponse et Eloï se retint de ne pas sourire. Elle aurait probablement préféré quelque chose de plus exubérant. A vrai dire, si il lui avait hurlé son mécontentement, ça l'aurait probablement grandement contentée. Depuis qu'elle l'avait recueilli, elle avait cherché en vain une trace d'émotion violente ou passionnée de la part de son neveu, mais rien à faire. Certains le disaient doté d'un coeur de pierre ou de glace, il savait qu'il n'en était rien. Simplement, de son point de vue, quelque chose semblait lui "manquer" à l'intérieur, qui faisait qu'il ne réagissait pas aussi fort que quelqu'un d'autre. Même si il pouvait tout aussi bien ressentir du contentement, de la déception ou de l'inquiétude.
( La cause de tous mes problèmes, en définitive. Ça et le fait que je sois un peu plus chétif que la moyenne des autres villageois. Mon père était pourtant robuste...) Des quelques occasions où il revit son père, celui-ci lui raconta une fois que sa mère se plaisait à répéter que s'ils lui avaient enlevé quelque chose, les dieux avaient dû offrir en compensation un don d'égale valeur.
Ce don, il le cherchait toujours, malheureusement.

- Tu devrais te mettre en route tout de suite, les autres ne vont pas t'attendre, finit par grommeler Deliah, manifestement mécontente que son neveu, en plus d'une réponse évasive, se permettait de rêvasser. Et elle retourna sans plus attendre à ses préparatifs.

Le soleil s'était déjà élevé de quelques degrés lorsqu'il sortit rejoindre le groupe qui attendait plus bas, sur la place du village. Il entreprit de descendre le petit sentier qui zigzaguait jusqu'à celle-ci.

"J'arrive."

Eloï se retourna brusquement. La voix était très proche et de personne qu'il ne pouvait reconnaître. Il n'y avait que lui sur le chemin. Après quelques instants, il se remit en marche, le coeur étrangement serré.

Une voix étrangère... et pourtant familière.


Dernière édition par Eloï le Mer 18 Jan 2012 13:34, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Lun 16 Jan 2012 20:31 
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Le groupe de jeunes gens, menés par Oleg, le bûcheron du village, se mit en route dès qu'Eloï les eut rejoint. Arrivés au bois, ils furent séparés en plusieurs groupes et se mirent au travail.

Oleg faisait malheureusement partie de ceux qui lui vouaient un certain mépris et l'avait (délibérément, il en était sûr) affecté au sud du bois avec le pire groupe possible. Il s'était rapidement éloigné de ceux-ci et s'attaquait maintenant à la base d'un robuste bouleau. Il s'installa vite dans la monotonie de leffort physique et des tchoc, tchoc incessants de la hache contre le tronc pour laisser divaguer son esprit.

L'ambiance était particulièrement paisible dans le petit bois. Le soleil se déployait lentement à son zénith, réchauffant la terre après une rude nuit ; L'endroit baignait dans cette ambiance paisible du bois qui se réveille recouvert de la rosée du matin. Cela ne suffit pas à calmer les inquiétudes du jeune kendran. Aussi désagréable fût sa situation actuelle, c'était cette voix sortie de nulle part qui le préoccupait vraiment. Elle avait réveillé chez lui une multitude de ressentiments différents et opposés sur lesquels il n'arrivait pas à mettre de noms. Il l'avait déjà entendue, mais il n'aurait sû dire ni où, ni quand, comme si elle faisait partie d'un souvenir refoulé ou trop ancien que pour avoir laissé une marque claire dans son esprit.

Une masse imposante grandit soudainement dans son champ de vision. Eloï perdit une fraction de seconde à comprendre que le bouleau s'effondrait du mauvais côté et risquait de l'écraser. Il se lança instinctivement sur le côté et roula dans le lit de feuille, non sans s'écorcher l'épaule avec une pierre tandis que l'arbre s'écroulait dans un retentissant vacarme.

- T'as vraiment rien dans la tête, Eloï !

Le coeur battant, il releva la tête vers son interlocuteur. Celim, l'un des deux villageois qui l'accompagnait, le toisait de l'autre coté de l'arbre abattu. Grand et blond comme la plupart des kendran, il était aussi fort vigoureux et d'une certaine beauté. Son visage avait su rester fin malgré les années de labeur à travailler aux côtés d'Oleg. Il était le plus véhément de ses détracteurs. Eloï lui avait déjà, par simple curiosité, demandé ce qui lui valait une telle haine de sa part. "T'es dangereux, je le sais, je le sens dans mes tripes." Il ne s'était pas attendu à cela.

Celim ne chercha pas à dissimuler de son regard tout le mépris qu'il lui vouait. Il ne lui offrit pas sa main pour se relever et le vrilla de son regard tandis qu'Eloï s'époussetait et récupérait sa hachette bloquée sous le tronc.

- Tu me suivais, Celim ?

- Tu croyais pouvoir nous larguer comme ça ? On te lâchera pas, timbré. T'es bien trop dangereux pour ça.

-Dangereux pour qui ? Même les arbres ont l'ascendant sur moi.

Trait d'humour lancé à perte mais il n'attendait pas de réaction de Celim. A vrai dire il était encore trop secoué que pour se préoccuper de son interlocuteur.
Il entendit quelqu'un arriver derrière lui. Gray, sans aucun doute. Plus bête et donc moins retors que Celim, il était plus petit et beaucoup moins charismatique que son compère. Du même âge qu'Eloï, il avait été un temps aimable avec lui jusqu'à ce que Celim le prenne sous son aile. Il n'haïssait maintenant pas moins Eloï que lui et le suivait en général dans tous ses coups bas. Gray se contenta de ricaner face aux vêtements maintenant couverts de terre et de feuilles du jeune kendran puis se plaça aux cotés de Celim.

- Joue pas au plus fin avec moi, tes conneries ça ne marche qu'avec ceux qui ont la cervelle trop creuse pour voir qui t'es vraiment. Tu fais pas partie de notre village et tu ne l'as jamais été, Yuimen m'foudroie si j'ai tort. Toujours dans son coin à faire des trucs que personne de sain ne f'rait. J'peux pas blairer ta présence.

- Il y en a qui ont appris à l'accepter, pourquoi pas toi ?

- Mouais... Y'a toujours une aut' solution... dit Selim, tandis qu'il s'approchait, jouant nonchalamment avec sa hache.

Gray le contourna lentement, son outil sur les épaules, pour se placer dans son dos. En était-on vraiment arrivé là ? Celim pouvait-il se le permettre ? Aussi insensé que cela pouvait paraître à Eloï, il semblait qu'il considérait que oui. Et personne aux alentours, bien évidemment, vu que les groupes avaient étaient répartis dans le bois par Oleg...

Le bûcheron faisait-il lui aussi partie de ceci ? Avait-il délibérément créé ce groupe dans cette intention ?

- Ma tante ne vous laissera pas vous en sortir ainsi.

- Je crache sur cette pute de Deliah et sur ce soumis de Gyl. Les vrais villageois partagent mon avis. Mais, t'inquiètes don' pas, lui dit-il tandis qu'il s'approchait lentement, j'compte pas te tuer, juste t'égratiner un brin... Perdre un doigt ou deux, ça devrait t'faire brailler un coup, histoire de voir si t'as vraiment un coeur de pierre.

Le coeur battant, Eloï recula instinctivement mais buta contre le puissant torse de Gray, lui coupant toute échappatoire. Il lui restait sa hachette, mais le résultat d'une confrontation directe pouvait finir de façon bien plus sanglante que la soumission.

"Utilise la Noirceur. Anénatis-les avec l'Ombre. La Marque arrive, le Pacte sera respecté."

La même voix, plus nette, plus présente, plus menaçante, résonna dans toute les fibres de son esprit et lui causa une douleur aigue. Eloï poussa un cri, se tint la tête entre les mains et tomba à terre. Celim dut prendre le geste comme une soumission. Gray lui tira sans ménagement le bras tandis que le grand blond empoignait sa hache à deux mains.

- Quelqu'un veut à boire ? Oleg m'envoie avec de l'eau fraîche.

Cette intonation féminine là, par contre, il la connaissait. Une des seules dans laquelle il ne décelait ni mépris, ni dégoût. La jeune femme sortit de fourrés à proximité et se dirigea directement vers Eloï sans même prêter attention aux deux gaillards armés de haches.

- Ca va, Eloï ? T'as pas l'air bien. Tu devrais ptêtre faire une pause. Allez, viens, lui enjoint-elle tandis qu'elle le relevait rapidement et l'emportait avec elle sous le regard incrédule de Celim et de son larbin, manifestement pris de court par les évènements.

Elle lui tint fermement le bras et lui imposa sa foulée rapide pendant un bon moment puis, devant juger la distance suffisante, le relâcha enfin.

- T'as le chic pour te mettre dans des situations délicates, Eloï, lui dit-elle tandis qu'elle reprenait son souffle contre un tronc d'arbre.

Les mains sur les genoux, le jeune homme ne lui répondit pas directement. Quand il jugea avoir récupéré suffisamment de contenance, il se releva pour fixer sa sauveuse dans les yeux. Un peu plus petite que lui mais de taille moyenne pour une femme kendrane, elle portait ses cheveux blonds en queue de cheval, ce qui avait pour avantage de dévoiler entièrement son visage . Même si celui-ci n'était pas extrêmement fin, son nez aquilin et ses yeux bleus pétillants d'intelligence et de malice lui conférait un charme certain.

- Merci, Alya.

- Je te sauve la mise une fois de plus, à force, j'aimerai bien quelque chose de plus gratifiant qu'un simple "merci" ! lui lança-t-elle en souriant de toutes ses dents.

Alya. La jeune fille avait depuis toujours pris sa défense, et d'elle, il n'avait jamais pu obtenir de raison. Elle se contentait de rire et évitait la question.

C'était également la fille de Gyl. Sa famille avait en général une attitude relativement bienveillante, notamment Gyl lui-même qui depuis quelques temps semblait redoubler de gentillesse à son égard. Une des choses qui avait fini par le convaincre que sa tante entretenait des relations avec celui-ci.

(Je me demande de quel oeil Alya voit cette relation. D'ailleurs, ça fait d'elle ma demi-soeur, en quelque sorte...)

Malgré le fait qu'il ne la voyait pas si souvent que ça, puisqu'ils ne travaillaient pas dans les mêmes domaines et qu'il mangeait seul avec sa tante, Alya l'avait plus d'une fois sorti de quiproquos et de situations délicates. Elle semblait prendre cela comme un jeu. Un jeu qui l'avait cette fois sauvé d'une amputation.

- Si tu veux, je peux demander à Deliah de laisser de côté une des babioles de l'offrande pour toi.

- Bah, non, ça ira, lui répondit-elle, et il entraperçut dans son regard de la déception et de la tristesse, sans en comprendre son origine. Mais elle revint vite à sa gaieté habituelle. Une statue en mon honneur, ça suffira !

- Qu'est-ce que tu fais là, en passant ? Je pensais que les femmes préparaient la célébration de la Terre...

- Je me suis portée volontaire pour amener de l'eau fraîche à nos vaillants hommes. Je me doutais que ce crétin bouffi d'orgueil de Celim allait tenter quelque chose, l'occasion était trop belle.

- Je dois bien dire que sans toi, j'aurais eu des gros problèmes.

- Comme toujours, mais tu ne te rends pas toujours compte à quel point je couvre tes arrières, Eloï. Allez viens, il est bientôt midi, laissons ces deux idiots se débrouiller pour ramener le tronc.

Alya et lui repartirent ensemble vers le village. Ils croisèrent Oleg à l'orée du bois, et si il fut surpris de voir Eloï en ressortir intact, le bûcheron n'en montra rien, pas plus, étrangement, qu'il ne fit de commentaire sur le fait que le jeune homme repartait avec Alya, abandonnant son travail en cours.

Celle-ci bavarda avec entrain tout le long du chemin du retour, mais Eloï n'entendait qu'une chose, lui, qu'il se ressassait sans relâche, y cherchant désespérément la signification.

"La Marque arrive, le Pacte sera respecté"


Dernière édition par Eloï le Mer 18 Jan 2012 15:35, édité 3 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mar 17 Jan 2012 00:12 
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Eloï raccompagna Alya à sa maison puis se dirigea vers celle de Deliah, en s'efforçant d'ignorer les regards dégoûtés que les villageois portaient sur l'état déplorable de sa tenue. Il trouva sa tante dans un état d'esprit un peu plus calme que celui de la matinée. Elle semblait en avoir terminé avec les préparatifs de l'offrande et s'apprêtait à descendre le tout à la place du village. Le jeune homme, après avoir changé de tunique, lui prêta donc un coup de main puis, lorsque les bûcherons revinrent avec les troncs récemment abattus, aida à la confection du grand bûcher de l'Offrande à la Terre.

Le village avait beau être rustique et peu attirant, lorsque tout fut terminé la place avait fière allure. De grandes tables ornées de décorations florales avaient été installées à une distance respectable du bûcher pour accueillir le festin et le petit temple dédié à Yuimen avait été redécoré à l'occasion pour lui donner un air un peu plus festif. Ledit temple était d'ailleurs le seul bâtiment qui ressortait un peu de la masse grisâtre des chaumières. Soi-disant construit par quelque prophète de Yuimen, il était la fierté du prêtre du village, qui s'occupait de sa maintenance avec un zèle confinant au fanatisme. Le temple trônait devant la place publique, ce qui rappelait à tout le monde le caractère pieu de la fête... bien qu'après quelques rasades d'alcool les esprits s'égaraient vite vers d'autres préoccupations plus festives.

Le crépuscule sonna l'heure du rassemblement de la communauté. Tous ceux qui n'étaient pas encore présents rejoignaient maintenant la place, accoutré de leurs habits de fête (pour ceux qui en avaient les moyens) et le visage rieur. Eloï ne tarda pas à repérer Celim et Gray : Ceux-ci semblaient maintenant le fixer avec plus de haine encore qu'auparavant, si cela était possible. Le grand blond était accompagné de sa femme, une beauté venue d'un autre village et qu'il exhibait avec fierté. Gys et ses enfants étaient arrivés également. Ses deux fils Norma et Garret lui offrirent un salut de tête poli mais réservé tandis qu'Alya lui lança un clin d'oeil à la dérobée.

( Je ne la connais pas tellement, à vrai dire...)

Deliah s'était entre temps changée et arborait une magnifique robe estivale décorée de fleurs. Une robe bien au dessus de ses moyens, par ailleurs. Eloï y vit une façon indirecte de démontrer à tous sa relation avec Gyl ; Le fait qu'il paraissait particulièrement grognon en regardant sa tante ne faisait que confirmer ses soupçons.

(Il aurait probablement voulu le cacher plus longtemps. Maintenant le prêtre va insister pour les marier devant les Dieux, il n'aura pas la paix avant...)

Cela impliquerait-il qu'il allait dorénavant vivre avec celui-ci ? L'idée ne lui déplaisait pas vraiment. Sa maison était spacieuse et agréable, et ses enfants de bonne compagnie. Le panoramique qu'offrait leur maison sur la colline allait lui manquer un peu, mais rien ne l'empêchait d'y faire un tour de temps à autre. Tant qu'il ne se faisait pas assassiner dans un bosquet par Celim et son sbire, ni par un autre des villageois qui partageait les mêmes opinions que le grand blond. Et tant que, bien sûr, cette fameuse "Marque" ne venait réclamer son "Pacte" venu d'on ne sait où. Il avait fini par se persuader, sans conviction, avoir entendu des voix, et cherchait à oublier l'incident, mais il s'imposait sans cesse dans son esprit, ressassant et ressassant encore la phrase sans jamais y trouver le sens.

Mais l'heure était à la fête. Tous les villageois étaient maintenant arrivés et s'installèrent aux tables. Il se trouva à côté de Deliah, du forgeron, qui ne lui avait jamais manifesté d'hostilité franche, et des trois enfants de Gyl. Sa tante semblait vouloir s'excuser du pétrin dans lequel elle l'avait envoyé ce matin en l'éloignant de ses détracteurs, et il ne s'en plaignit pas. Gys se leva alors, grimpa la petite estrade déposée en face du bûcher et quémanda le silence d'un raclement de gorge. Il promena son regard sur l'assemblée puis, d'une façon un brin théâtrale, déclama :

- Hommage soit rendu à Yuimen, dieu de la Terre. Puisse-t-il nous offrir encore de longues années de fertilité et d'opulence, puisse-t-il bénir le peuple kendran en sa miséricorde, puisse-t-il avoir en lui suffisamment de bonté que pour veiller sur l'humble village d'Asha. Ecoutons maintenant les saintes paroles de notre prêtre.

Gys dût aider le vieil homme à monter les quelques marches de l'estrades puis celui-ci, visiblement ému, sortit quelques paroles à l'égard des divinités. Quand enfin tout fût réglé, Gys enjoignit un jeune garçon timide à allumer le bûcher couvert d'offrande. Tous les yeux du village posés sur lui, il s'acquitta hâtivement de sa tâche puis se réfugia dans les jupettes de sa mère tandis que le brasero montait en puissance. Lorsqu'il fut suffisamment imposant, Gys, manifestement soulagé que le protocole arrivât enfin à son terme alors qu'il faisait maintenant nuit noire, déclara :

- Ainsi Yuimen nous offre le feu de la Fertilité. Que débute la Célébration !

Le village entier se jeta alors comme un seul homme sur le festin qui l'attendait : Denah importés droit de Bouhen, rôti de boeuf et autres délices. Eloï se servit en proportions humbles de plusieurs plats puis remarqua, tandis qu'il s'attaquait à son assiette, un ménestrel qui jouait au centre de la place un air festif et paillard repris en coeur par l'assemblée (majoritairement masculine, pour le coup, la plupart des femmes fronçant des sourcil d'un air désapprobateur).

- Gys à même engagé un ménestrel ? Il ne te refuse rien !

Eloï s'attendait à tout sauf à voir sa tante rougir, c'est pourtant ce qu'elle fit. Elle avait l'air particulièrement épanouie en cette soirée, d'autant plus que Gyl venait maintenant de la rejoindre. Un secret de Polichinelle, dorénavant.

Il passa l'heure suivante à déguster les plats et écouter les différentes conversations qui se tenaient autour de lui. Personne ne lui parlait mais il ne cherchait de toute façon pas à discuter, préférant, comme à son habitude, rester en retrait. Le forgeron semblait en grande conversation avec Norma sur les méthode de forge tandis qu'Alya bavardait gaiement avec un jeune fermier qui la dévorait manifestement des yeux. Tout le monde était heureux, tout le monde avait l'esprit à la fête et donc personne ne cherchait à lui nuire, pas même Celim qui, lui, s'était mis à danser gracieusement avec sa femme sur l'air enjoué du ménestrel.

- Mutique, même en période de célébration... Tu es vraiment un cas perdu, Eloï.

- Dès que j'ouvre ma bouche, cent personne réclament ma tête sans même que je comprenne pourquoi, répondit Eloï à Alya qui s'était tournée vers lui.

- Oh, tu sais très bien pourquoi ! lui répartit-elle malicieusement.

- Il me semblait que tu étais en grande conversation avec un jeune homme, pourquoi ne pas y retourner ? Et puis, on dirait qu'il t'appréciait bien.

- Ah, ne sois pas si bougon ! Je compte bien te tirer un éclat de rire d'ici la fin de la soirée, même si les anciens jurent grands dieux que tu en es aussi incapable que d'éprouver quoi que ce soit ! Et pour le jeune homme... Je ne suis pas intéressée, j'ai quelqu'un d'autre en tête, à vrai dire,
et elle le fixa d'un regard pénétrant.

- Ah oui ? Un chanceux, alors, la fille du chef du village, c'est un beau parti.

Elle sembla fort déçue par la réponse. Eloï s'apprêta à lui demander pourquoi.

"Il est temps."

La chaleur du feu lui léchait le visage. Il reporta son regard sur le bûcher derrière son interlocutrice. Les flammes, immenses, dansaient de leur mouvement hypnotique et échappant à toute raison. Elles semblaient grandir, grandir encore, jusqu'à ce qu'il ne restât plus qu'elles dans son champ de vision; elle absorbèrent même le son, les clameurs de la foule, les notes du ménestrel. Elle se détachèrent alors du bûcher, et Eloï les regarda, hypnotisé, fasciné et terrifié, se façonner, changer de couleur, passer du rouge flamboyant à un noir, un noir d'une profondeur abyssale, qui semblait pouvoir engloutir tout ce qui se trouvait en ce monde. Changeant sans cesse de forme, plus vite que son oeil ne pouvait suivre, les flammes (mais était-ce encore des flammes) se façonnèrent finalement en un symbole impossible à décrire de façon exacte. Il semblait au jeune homme y voir une multitude de choses, un serpent enlacé dans un autre, une silhouette squelettique, un poignard baignant encore dans le sang de sa victime. Le symbole se mit alors en mouvement.

Pour se placer sur le front d'Alya, dont il avait oublié jusqu'à l'existence.

Il ressentit immédiatement quelque chose de plus puissant que ce qu'il avait jamais pu ressentir jusqu'alors. Un désir, un désir incroyablement fort, qui obnubilait tout son être, toute son âme, s'il en avait une. Un besoin impérieux qu'il ne pouvait combattre, qu'il ne cherchait même pas à combattre, tellement le désir se montrait maintenant comme une évidence à accomplir. Et, sautant par dessus la table d'une seule enjambée, il retomba de tout son poids sur Alya.

Avant même qu'elle pût exprimer sa surprise, il commença à l'étrangler. De toutes ses forces. Et ce faisant, il en éprouva une jouissance extrême, à un niveau qu'il n'avait pas même imaginé. Pour la première fois de sa vie, il se sentit vivre. Vivre pleinement. Le but de son existence, sa destinée était d'étrangler Alya, de la frapper jusqu'à ce qu'elle se vide de son fluide vital, jusqu'à ce que son souffle s'arrête, que sa chair pourrisse et que la terre absorbe tout ce qui avait fait un jour partie de son corps.
Il sentit une pression sur ses épaules. Quelqu'un voulait l'empêcher d'accéder à l'accomplissement de son destin. Il se retourna rapidement et fit alors apparaître dans le creux de sa main une chose dont il n'avait pas idée savoir créer : de l'énergie noire. Il la créa instinctivement, comme si il savait depuis toujours utiliser ce pouvoir qu'il avait en lui, et le souffle noir atteignit le forgeron au ventre, l'envoyant valdinguer avec un glapissement de douleur quelques mètres plus loin.

Eloï se retourna alors vers Alya, mais la Marque qui ornait son front, se mouvant et changeant sans cesse de forme, disparut subitement. Entraînant à sa suite le désir de tuer.

Le jeune homme mit quelques secondes, durant lesquelles le temps lui-même semblait avoir perdu le compte du temps, à reprendre le contrôle de soi. Alya gisait sous lui, pauvre forme tentant de reprendre son souffle dans ce qui avait été sa belle tunique de fête. Autour d'Eloï, le monde semblait figé. Mis à part la réactivité du forgeron, les villageois avaient été pris de court par l'évènement et par l'utilisation du pouvoir noir. Personne ne s'était interposé. Ils se contentaient maintenant de le fixer, sans un mot.

Eloï se leva lentement, embrassa l'assemblée du regard, Gys et Deliah, les deux frère d'Alya qui, les premiers, volaient maintenant au secours de leur soeur, Celim et Gray, tous les autres. Et il courut, plus vite que jamais il n'avait couru, le plus loin possible du bûcher, de la Marque, d'Alya, du village lui-même.


Dernière édition par Eloï le Mer 18 Jan 2012 15:44, édité 1 fois.

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MessagePosté: Mar 17 Jan 2012 18:49 
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Combien de temps exactement il resta prostré dans les bois, Eloï n'aurait su le dire exactement. Cela lui semblait une éternité, et pourtant le soleil ne s'était toujours pas levé. Il s'était instinctivement dirigé vers le petit bois de la matinée pour y trouver refuge, le temps de reprendre ses esprits. Les évènements avaient pris une tournure irréelle, proche du cauchemar vivant. La Marque, le pouvoir noir, Alya gisant à terre, ses mains lui serrant la gorge, tout cela n'avait aucun sens. Aucun. Il fallut un très long moment au jeune homme pour réussir à rationaliser à nouveau ses pensées et à penser à la marche à suivre.

Fuir ? Il ne connaissait que ce village et jamais ne s'était aventuré beaucoup plus loin. Il aurait tôt fait de finir dans la rue, pourrissant sur quelque bas côté d'une route de campagne, ou encore étripé par des bandits de grand chemin. Non, il fallait retourner à Asha, demander à sa tante ou à Gyl de l'aider. Après tout, Alya n'était pas morte. Il pouvait mettre son comportement sur le compte de l'alcool, même si il n'avait pas bu de la soirée. Après un tel incident, le village entier le haïrait probablement jusqu'à la fin de ses jours, mais il préférait encore cela à une errance et une vie de mendiant.

(Oui. Oui, Deliah m'aidera, elle. Je peux lui expliquer, je pense qu'elle me croira, difficilement, mais elle me croira. Quel autre choix me reste-t-il, de toutes façons...)

Il s'extirpa des buissons sous lesquels il avait trouvé refuge et emprunta le sentier jusqu'à Asha. La lumière de la lune lui servit de guide lors de son voyage de retour et, bientôt, il aperçut les premières lumières du village. Prudent, il contourna l'entrée sud de celui-ci et grimpa un monticule adjacent afin d'observer en toute discrétion les habitants. La fête était manifestement terminée, bien que les tables n'aient pas encore été débarrassées et que le bûcher brûlait toujours avec autant de force. La place était déserte, mis à part un petit groupe d'une dizaine de personne qui conversait devant le temple. Ils étaient trop éloignés d'Eloï pour qu'il puisse entendre leur conversation, mais leur but ne lui semblait que trop clair : le retrouver. Il y reconnut, sans surprise, Celim et Gray, qui menaient manifestement les opérations. Si il voulait atteindre la masure de sa tante, il allait devoir contourner le village entier puis grimper la colline par le flanc opposé pour éviter de se faire repérer. Autant il comptait sur la miséricorde de Deliah, autant une confrontation avec le grand blond ne laissait que peu de chance à la diplomatie.
Pas de trace d'Alya et du forgeron. Eloï espéra de tout coeur n'avoir tué ni l'un ni l'autre ; Si tel était le cas, jamais il ne retrouverait sa place à Asha.
Abandonnant à gestes furtifs son point d'observation, il entreprit le contournement du hameau et ne rencontra, à son grand soulagement, aucune patrouille sur le chemin. Il atteignit enfin le sommet de la colline qui surplombait Asha : Sous lui, à une cinquantaine de mètres, la vue confortablement familière de la demeure de Deliah, simple mais robuste avec ses murs de pierre et son toit de chaume.

On devait s'attendre à son retour, il acheva donc le trajet à plat ventre, en se contorsionnant pour atteindre enfin le palier de la maison. La porte n'était pas gardée : Elle était même entrouverte, et Eloï aurait rapidement succombé à la tentation s'il ne repéra pas immédiatement une voix autre que celle de sa tante à l'intérieur. Le jeune homme recula précipitamment, puis se coucha dans des fourrés à proximité pour écouter à son aise la conversation avant de décider si il pouvait entrer sans danger.

- Je ne peux plus rien pour lui, Deliah.

Gys. Son ton trahissait de l'embarras, mais également de l'irritation.

- Tu peux, et tu le feras. Le garçon a payé un prix suffisamment fort pour le bien-être du village entier, tu le lui dois.

- Je l'ai protégé. Tu n'imagines même pas combien de fois j'ai du refouler l'ardeur de certains qui voulaient le bannir du village, et je crains qu'ils n'aient eu raison depuis le début. J'ai fait tout mon possible, mais il n'y a pas de rédemption pour quelqu'un comme lui. Il a failli tué ma fille, Deliah, ma propre fille !

- Et par la faute de qui ? C'est toi qui l'as créé, Gys, toi et toi seul. Les dieux m'en soient témoins, ma soeur t'aurais arraché les yeux et aurait retourné la terre entière pour t'en empêcher, et je l'ai trahie. Je lui ai dit que c'était la seule solution, elle est partie et n'est jamais revenue.

- C'était nécessaire. Ecoute... Je suis tout à fait conscient du sacrifice qu'a fait Eloï pour Asha, mais il est devenu trop dangereux. Je me doutais que cela arriverait un jour où l'autre. J'avais espéré, je dois dire que jamais ne se réveille la noirceur qui se trouvait en lui, mais je me voilais la vérité.

- Mais...

- Jamais plus je ne pourrais lui faire confiance, ni même le regarder dans les yeux. Un psychopathe avec des pouvoirs sombres est quelque chose que je ne peux garder au sein de mon village.

Bruit de pas.

- Je... Pourquoi ne pas lui construire de quoi vivre à l'extérieur du village ? Il pourrait servir de garde forestier...

- Et je n'aurait alors aucun moyen de le surveiller. Non, Deliah. Il doit partir, ou il doit mourir.

Les pleurs de sa tante lui confirmèrent la triste vérité : Il l'avait convaincue. Le sens de leur conversation lui avait totalement échappé. Pouvoir, sacrifice... Jamais il n'avait entendu Deliah parler de cela, mais c'était manifestement lié à un évènement de son passé. Il avait en tout cas perdu sa dernière alliée. Que faire maintenant ? Où aller ? A qui demander de l'aide ?
Sûrement pas à Gys qui venait de sortir et qui le fixait maintenant avec des yeux gros comme des soucoupes. Eloï put heureusement réagir avec vivacité : Il bondit de sa cachette défectueuse et cueillit de son poing la mâchorie du chef du village. L'effet de surprise compensa le manque de puissance son coup et Gys s'écroula à terre. Il entendit distinctement le cri de terreur de sa tante mais ne prit pas la peine de se retourner car, déjà, des villageois, ameutés par le vacarme, se dirigeaient vers lui. Il voulut se replier vers le sommet de la colline mais un groupe d'une demi dizaine de personne lui barrait le chemin ; sa seule échappatoire était le chemin vers le village. Il bondit alors, louvoya pour éviter les bras d'un grand mastard qui faisait mine de se saisir de lui et dévala aussi vite qu'il pût le chemin qui le séparait de l'entrée sud du village, son seul espoir de liberté. Il crut pouvoir y parvenir, mais quand il atteint la place d'Asha, le groupe qu'il avait entraperçu, mené maintenant par Gray, sortit soudainement d'une ruelle, tandis que simultanément quelques villageois qui l'avaient suivi dans sa course folle arrivèrent dans son dos, l'empêchant de faire demi-tour.
Il était encerclé.

- J'mattendais pas à c'que ça s'termine comme ça, mais bon sang c'que j'ai attendu c'moment, Eloï, lui lança alors Gray, souriant de toutes ses dents jaunâtres. Il tenait dans sa main droite une longue fourche, et la façon dont il voulait s'en servir ne faisait aucun doute.

Un grincement à sa droite attira son attention. Le vieux prêtre était en train de refermer les battants du temple de Yuimen, manifestement apeuré par la tournure des évènements. Eloï n'hésita qu'un instant : Saisissant une cruche qui traînait encore sur une des tables, il la lança de toutes ses forces sur Gray qui s'approchait de lui. Maigre distraction mais les villageois eurent tous un mouvement de recul, personne n'ayant oublié qu'il possédait le don noir. Cela lui laissait une et une seule chance de salut, et il la saisit sans réfléchir. Le jeune homme fonça vers le temple de Yuimen, repoussa sans ménagement le prêtre qui tomba avec un glapissement outré sur son séant et poussa de toutes ses forces les lourdes portes. Il avait presque terminé lorsqu'il sentit que quelque chose l'empêchait de terminer la fermeture des portes. Il entraperçut entre les battants le visage déformé de haine de Gray à l'extérieur du temple, qui s'était lancé le premier à sa poursuite et, tenant sa fourche dans l'autre sens, avait inséré le manche entre les portes pour bloquer ses efforts tandis que le reste du groupe se rapprochait. Eloï donna un vigoureux coup de pied dans le manche et, tandis que Gray hurlait de douleur derrière la porte, probablement blessé par sa propre arme, il laissa tomber la massive planche de bois qui servait à fermer le temple de l'intérieur en cas d'attaque, le séparant définitivement de ses agresseurs.

- Tu pourras pas t'planquer éternellement, espèce de timbré ! hurla Gray entre ses ululements de douleur. On finira par t'avoir !

(Peut-être plus tôt que tu ne le penses, pensa alors Eloï, car, se retournant, il s'aperçut que le vieux prêtre ne serait pas le seul à lui tenir compagnie.

Alya était là, debout, l'air hagard, qui le fixait sans émotion. Mais aussi, et surtout, Celim.


Dernière édition par Eloï le Mer 18 Jan 2012 15:53, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mar 17 Jan 2012 23:15 
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Le temple d'Asha était un modèle d'ascétisme. Des sobres colonnes de pierre bordant chaque côté aux bancs en bois passablement inconfortables, il remplissait parfaitement son rôle, qui était de détourner l'esprit des biens matériels pour le tourner vers les Dieux. La seule fantaisie esthétique que s'était autorisé le prêtre se trouvait être une rangée de chandeliers de fer finement ciselés. L'unique trou central qui faisait office de fenêtre ne dispensait qu'une modeste luminosité, voire aucune en ce moment, car la lune était maintenant voilée par des nuages ; seules les lueurs vacillantes des chandelles offraient une humble lumière. L'ensemble était austère, mais on ne pouvait lui dénier un certain charme ésotérique. Et, au centre du tableau, Celim qui, remis de sa surprise, semblait au comble du bonheur.

Un instant, Eloï crut que le robuste villageois allait le charger directement, auquel cas il n'aurait eu que peu de chance d'en sortir indemne. Heureusement, celui-ci devait être déterminé à savourer l'instant.

- Je voulais que tu prouve au village entier à quel point tu étais dément, mais tu as dépassé toutes mes espérances, Eloï. Agresser la fille du chef du village ? Je n'aurai pas trouvé mieux !

Tout en lui causant d'un air presque distrait, Celim semblait chercher quelque chose du regard. Il trouva finalement son bonheur et, malgré les faibles protestations du prêtre qui, tassé dans un coin, était le spectateur impuissant de la scène, s'empara d'un des chandelier en fer, en dégagea la bougie et le pointa vers le torse du jeune homme.

- Je vais te tuer. Je vais te tuer et, de surcroît, j'ai maintenant une raison tout à fait légitime de le faire.

Son rire, proche de l'hystérie, se répercuta sur les rugueuse parois de pierre du temple.
Eloï eut du mal à garder le contrôle de soi devant ce terrifiant tableau. Son esprit, heureusement, semblait déterminé, depuis quelques heures, à allouer l'ensemble de ses capacité à sa survie et sa survie seule, sinon il serait depuis longtemps prostré à terre, à ruminer sur sa vie détruite.

(J'ai peut-être tué le forgeron, failli étranglé Alya, assomé le chef du village... Je commence à me demander moi-même si j'ai une âme, après tout cela.) La pensée lui arracha un demi-sourire torve. Celim le prit comme un défi, et s'avança, chandelier en main. Il marcha posément durant quelques secondes, puis sprinta sur son adversaire avec une agilité qui surprit le jeune homme, avant de tenter d'abattre l'arme improvisée sur son crâne. Eloï se jeta de côté, se releva rapidement, mais pas suffisamment pour éviter la deuxième frappe, horizontale cette fois : Elle le cueillit à la joue en lui arrachant un morceau de chair et l'envoya bouler vers un des piliers du temple. Assommé un instant par la douleur, Eloï se faufila à quatre pattes dans l'ombre du pilier, laissant une traînée de sang derrière lui.
Celim jouissait de la situation plus que de raison.

- Tu sais, je pense même que ce n'est pas un hasard si tu es arrivé au temple. Je priais pour la guérison de tes victimes et pour ta mort, et voilà que tu m'apparais au palier ! C'est un don de Yuimen, une illumination, le signe que je dois mettre un terme à l'abomination que tu es.

Eloï profita du monologue de son adversaire pour se faufiler de piliers en piliers. L'endroit était avare en cachettes, et sa disparition ne serait que temporaire. Il lui fallait trouver quelque chose, n'importe quoi, pour surpasser le grand blond et retourner la situation.

(Il est presque en transe maintenant. Illumination. Illumination...)

Celim l'avait rejoint derrière les piliers, mais Eloï, d'une foulée rapide, avait changé de côté dans son dos. Celui-ci suivait les traces de sang du jeune homme avec délectation. La seule chose qui le retenait de le rejoindre directement son adversaire était le fait qu'il jouissait de chaque moment.

(Je dois exploiter ça...)

Le prêtre avait stocké ses quelques affaires de ce côté-ci du temple, entre lesquels gisait un simple bâton de bois poli. Eloï s'en saisit, fit taire ses appréhensions et sortit des ombres rassurantes des piliers.

- Tu avais raison, Celim. Je suis un démon. J'ai été envoyé par Oaxaca pour préparer le terrain. Ma mère a forniqué avec une des abominations de la demi-déesse et m'a mise bas avec ce visage d'humain. Tout se déroulait pour le mieux, mais toi... toi, répéta-t-il en tentant de paraître le plus haineux possible, tu as vu mon vrai visage, tu m'as démasqué directement, tu m'as obligé à dévoiler mes intentions. Je vais te tuer ici même, de par mes pouvoirs noirs, dans le sanctuaire de ton dieu déchu, et Oaxaca me récompensera de ton meurtre.

Le ton n'était pas aussi assuré qu'il le voulut, mais cela sembla porter ses fruits : Il lut dans les yeux du villageois, en plus de son fanatisme grandissant, de la terreur. Celim n'en pointa pas moins son chandelier et, d'une voix pleine de ferveur, déclama :

- Ce jour n'est pas celui de ma mort mais le tien, engeance du Mal ! Et ce faisant, il chargea une nouvelle fois son adversaire, arme en avant, qui esquiva de même et cette fois pris soin, dans son esquive, de faire basculer un chandelier sur le grand blond. Il l'écarta sans ménagements et, se tourna de nouveau vers Eloï tenta de nouveau une frappe horizontale mais celui-ci campait maintenant sur ses deux pieds et n'eut qu'à bondir en arrière pour sortir de la trajectoire du chandelier. Il en bascula un autre, et la luminosité commença à baisser dans le temple.

(Illumination...)

- La noirceur est mon élément, Celim. Tu n'as aucune chance de me vain...
Peut-être était-il devenu un peu trop confiant sur les capacités de son adversaire, car celui-ci, manifestement plus très disposé à savourer l'instant après ces "révélations", lui jeta le chandelier en pleine face. Il ne fut pas assez prompt pour l'esquiver cette fois et, comme un javelot, l'objet l'atteignit à l'épaule mais, heureusement, son poids et son caractère contondant fit qu'il ne se ficha pas dans celle-ci. Il y causan par contre une sévère contusion qui, en plus de lui faire perdre le bâton, l'envoya de nouveau à terre, près d'un autre chandelier.

(Plus que 3.) Il resta prostré le temps que Celim le rejoigne, puis, s'en saisissant à la base, se releva rapidement sur les talons et lui fit faire un cercle complet pour finalement l'écraser sur le tibia du grand blond. Tandis que celui-ci hurlait de douleur, il se releva d'un bond, empoigna l'avant dernier chandelier et l'abattit de toutes ses forces sur le crâne de Celim. Le coup aurait probablement assommé un homme de constitution moyenne, aussi fut-il surpris de le voir encore debout.

- Reaaaaauh ! Il faudra plus que ça pour m'abattre !

(Ce n'est pas dans mon intention) Profitant de l'hébétude momentanée de son adversaire, Eloï se saisit du dernier chandelier et fixa Celim d'un air qui se voulait maléfique, avant de proférer :

- Ténèbres. Il brisa la chandelle à terre, et ténèbres ce fut.

Son épaule le relançait atrocement et sa joue continuait de saigner, mais il s'astreignit à la concentration. Il fit lentement le tour du temple en prenant appui sur les colonnes pour se repérer. Celim gémissait, manifestement terrorisé par la tournure des évènements. Il devait s'imaginer entre les griffes d'une créature terrible.

Maintenant que le calme était retombé dans le petit temple, Eloï pouvait entendre les efforts des autres villageois qui tentaient de percer l'entrée, mais la porte avait été spécifiquement conçue pour repousser d'éventuels intrus.

- Personne ne peut plus rien pour toi, Celim. Je vais t'offrir à mes Dieux, ceux de la souffrance, de la haine et de la chair morte.

Il prenait bien soin de continuer à se déplacer pour désorienter le grand villageois sur sa position réelle. Celui-ci ne cessait de répéter "non...non..." dans ses gémissements. La mascarade semblait avoir eu l'effet escompté, et avec un peu de chance, les villageois à l'extérieur avaient également tout entendu et le laisseraient partir sous peine de subir son "courroux", bien qu'il doutât que certains, comme Deliah ou Gyl, se laisseraient berner.
Mais Yuimen semblait déterminé à le voir faillir, car alors qu'il reprenait enfin espoir sur ses chances de s'en sortir, survint la seule chose sur laquelle il n'avait pas compté : Dans la petite fenêtre du temple apparut, brillante et en même temps désespérante, la lune, maintenant délivrée des nuages qui la voilaient, et sa clarté s'infiltra dans toute la pièce, révélant du même coup la position du jeune kendran à Celim.
Celui-ci y vit une intervention divine, et comment le lui reprocher ? Cela en avait tout l'air. En apercevant Eloï, en face de lui, il n'hésita pas une seconde, et lui décocha un coup d'une incroyable puissance dans l'aine qui le courba en deux, avant de tomber définitivement à terre par une frappe de l'épaule sur son dos.


Les yeux clos, haletant de douleur, Eloï prit tout d'un coup conscience et de plein fouet que c'était la fin. Il avait beau être renfermé, il avait beau avoir eu des moments difficiles, il allait beau sûrement terminer sa vie seul, il n'en avait pas moins envie de vivre. Mais le destin en avait décidé autrement. Ce qui avait causé cette Marque et le réveil du pouvoir noir, il n'en savait rien , bien que la conversation de sa tante avec Gyl lui offrait quelques pistes.

Le pouvoir Noir...

Il n'avait pas pensé à tenter de le rappeler, depuis l'incident. Mais maintenant, prostré et impuissant, il ne lui restait pas grand-chose d'autre à faire. Et, tandis qu'il s'abandonnait à une introspection intérieure, ses nouvelles capacités lui apparurent comme une évidence : Il sentit le flux d'ombre couler en lui, discernait la source du pouvoir à l'intérieur de son corps, et s'aperçut avec surprise qu'il en avait un accès tout à fait aisé : Il suffisait d'en prendre conscience.


Eloï ouvrit les yeux.
Celim s'évertuait à dégager la planche de bois pour permettre l'accès aux autres villageois, mais si la faire tomber à sa place était simple, la soulever en était autrement plus difficile, même pour un grand gaillard comme lui. Il avait le dos tourné.
(Je n'ai droit qu'à un seul essai.)
Tout cela était absolument nouveau pour lui, aussi le jeune kendran, sans discipline, ne put que concentrer instinctivement ses nouvelles capacités dans le creux de ses mains. Une étrange fumée noire et dense y apparut. Négligeant les protestations de son dos, il se releva une fois de plus, courut vers son ennemi et, tandis que celui-ci, alerté par les bruits de pas, se retournait, mais pas assez vite, il sauta sur son dos, plaqua ses deux mains de chaque côté du lobe frontal de Celim et y déchargea tout ce qu'il avait pu emmagasiner.

La bouche entrouverte, le grand blond tituba un instant, puis, comme un arbre qu'on aurait déraciné, s'étala de tout son long sur les froides dalles de pierre. Son crâne était troué de plusieurs centimètres à chaque extrémité, et ce qui semblait être un mélange de sang et de cervelle commençait déjà à dégouliner.

Eloï vomit, autant de dégoût que de fatigue, puis, titubant, alla s'effondrer au bout du temple, dos au mur. Il discerna une présence à côté de lui. Alya. Il l'avait oubliée. Elle avait dû être témoin de toute la scène. Pour l'heure, Eloï se sentait incapable de proférer un seul mot.

La voix de son père retentit dans son esprit. " Si ils t'ont enlevé quelque chose, les dieux on dû t'offrir en compensation un don d'égale valeur". Le pouvoir noir...
(Je m'en serai bien passé) pensa-t-il avant de sombrer dans un profond sommeil.


Dernière édition par Eloï le Mer 18 Jan 2012 16:08, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mer 18 Jan 2012 01:32 
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- Eloï.

La première chose qui parvint à ses sens fut la dureté de la pierre contre son dos. Il n'était pas chez lui. Il ouvrit lentement les yeux pour observer les alentours, et à la vue du temple les souvenirs refluèrent en masse, lui vrillant le crâne. La douleur s'éveilla elle aussi : Sa joue gauche, son dos et son épaule droite semblaient être en piteux état.

- Eloï.

Il regarda dans la direction de l'appel. Alya s'était assise en face de lui, et le fixait, les yeux rougis d'avoir trop pleuré. Sa chevelure blonde, d'ordinaire impeccablement rassemblé en un coquet chignon, lui coulait en désordre le long de sa nuque. Elle portait au cou les marques de son agression, et la même robe que celle qu'elle exhibait avec tant de fierté durant la Célébration de la Terre. Tout cela paraissait si lointain...

- Tu vas me tuer, maintenant ? L'attente est insupportable, je suis trop faible pour ouvrir la porte est le vieux prêtre ne m'est d'aucune utilité, il s'est fait dessus, le pauvre... Si tu dois me tuer, fais-le tout de suite. Tu me dois bien ça.

- Alya...

Il lut dans ses yeux toute l'angoisse, l'incompréhension, la colère, le chagrin qu'elle avait accumulée ces dernières heures. Allait-il la tuer ? Il n'y avait pas de raison. Et si la Marque réapparaissait ? Au vu du besoin impérieux qu'elle avait créée en lui, oui, très probablement. Alors que pouvait-il lui répondre ?

- Je ne suis pas un monstre, c'était une mise en scène pour perturber Celim, mais... quelque chose s'est passé, durant la fête de la Célébration. Quelque chose... contre lequel je ne pouvais pas lutter. C'est... difficile à expliquer.

Silence. Il prêta l'oreille pour entendre les autres villageois ; il semblait y avoir une discussion animée. Après un moment, la jeune fille repris la parole, d'une voix rouée :

- J'étais venue... prier pour le salut de ton âme. J'étais sûre qu'il y avait une explication logique. Il ne pouvait en être autrement. J'ai toujours été gentille avec toi, malgré les mises en garde de mon père, malgré l'avis des autres villageois...

Il se sentait sincèrement désolé pour elle, mais un détail attira son attention.

- Les mises en garde de ton père ?

- Il disait... que quelque chose s'était passé, durant ton enfance. Qui te rendait dangereux. Qu'un jour ou l'autre, tu allais poser un problème pour le village. Mais je ne l'ai jamais cru, moi... Je pensais qu'il l'inventait pour qu'on s'éloigne de toi.

Toujours cette allusion à son passé. Du plus loin qu'il remontait dans ses souvenirs, Eloï avait toujours vécu ainsi, avec sa tante et les quelques visites de son père. Rien d'horrifiant qu'il puisse se souvenir. Ou il l'avait oublié, ou il était trop jeune pour s'en remémorer. Il aurait volontiers posé la question à sa tante ou à Gyl, mais sa situation un brin délicate l'en empêchait.

- Je t'aimais.

L'aveu était sorti d'un ton infiniment triste. (L'amour, alors...) Voilà une des choses dont il pouvait difficilement se faire une idée. Il n'avait jamais rien éprouvé d'aussi puissant, mis à part le désir de tuer lors de l'apparition de la Marque, mais cela éclairait bien des choses. Le dévouement qu'elle lui portait, le fait qu'elle prenait toujours sa défense contre Celim (qui gisait mort, lui. L'idée avait quelque chose de saugrenue.) Et maintenant elle en souffrait, peut-être plus encore que lui, lui et son coeur de pierre.

- Je suis désolé, Alya. Je jure que je n'ai jamais voulu tout ce qui est arrivé. Je n'aspirais qu'à vivre en paix, mais le sort en a décidé autrement.

- Mais c'est arrivé, pourtant. Tu as attaqué le forgeron et tué Celim. Quoiqu'il arrive maintenant, il est trop tard pour revenir en arrière. Tu m'as assez blessée, tu as causé assez de destruction autour de toi. J'ai fait ce que j'ai pu pour toi, mais il est temps que tu quittes ce village, d'une façon ou d'une autre.

( Je suis d'accord, mais comment ?) Et, tandis qu'Eloï se formulait la question dans son esprit, se produisit quelque chose de totalement inattendu : La lourde planche, comme mue d'une force propre, se souleva elle-même de ses gonds, lévita quelques instants, avant de retomber avec fracas sur le sol du temple de Yuimen.
Les portes s'ouvrirent avec une lenteur théâtrale, dévoilant un homme en robe noire et encapuchonné qu'Eloï ne put identifier.

- Magicien... murmura Alya.

Magicien ? Quel magicien ? Etait-ce un agent du royaume venu chercher sa tête ? Il s'était battu de toute ses forces contre un simple villageois, l'idée affronter un mage ne l'effleura même pas. Il se contenta d'attendre, hébété, que l'inconnu déclare ses intentions. Alya, elle, n'attendit pas de signe du nouveau venu. Elle se leva et, jetant un dernier regard indéchiffrable à Eloï, courut vers la sortie, vers le groupe de villageois qui attendait derrière l'étranger, avant de s'effondrer, en larmes, dans les bras de son père.

- Viens avec moi.

C'était un ordre, et pas une proposition. Eloï se leva et clopina vers le magicien, vaincu et abattu. Arrivé devant lui, l'homme le saisit par le bras et l'entraîna dehors. La soudaine clarté de l'aube naissante éblouit le jeune homme, qui porta sa main libre au visage pour se protéger de la lumière. Le village entier était réuni en hémicycle autour de lui et observait la scène. Il chercha du regard la lueur de triomphe qu'il pouvait attendre de ses ennemis, n'y trouva que la haine habituelle. Un cri déchirant retentit derrière lui : Il reconnut le timbre de l'épouse de Celim, qui avait dû découvrir le corps mutilé de son mari.

- Je te demande maintenant de respecter ta parole. Laisse moi l'emmener sans poser de questions et sans réclamer compensation, en vertu du présent que je t'ai offert il y a maintenant 20 ans.

Il s'adressait à Gys. Celui-ci relâcha Alya pour se tourner vers le mage :

- Emporte-le, emporte-le loin. Cet enfant a causé de nombreux tourments à Asha, et devrait payer pour tout ses crimes. Nous pourrions réclamer réparation, nous ne le ferons pas, par égard au pacte passé.

Murmures indignés dans la foule.

- Ne me parle pas comme si tu me faisais une faveur, Gys, et le ton de l'homme était froid et dur comme l'acier. Je pourrais raser ton village d'un claquement de doigt. Tiens ta place.

Eloï eut tout le loisir d'observer son sauveur tandis qu'il s'adressait à Gys. La barbe drue mais rasée courte, les yeux d'un gris profond et le visage taillé dans le marbre, l'homme, d'une cinquantaine d'année, émanait un charisme et une sensation de puissance exceptionnels. Et tandis qu'il parlait,il lui rappela une intonation familière.

"Le Pacte doit être respecté."

Un des fermiers, un gars bourru et connu pour son caractère impulsif, s'avança alors d'un pas.

- On va le laisser partir ? Après tout ce qu'il a fait ? Vous vous foutez d'moi, j'espère ! La place de la tête de ce salopard est sur une pique, à l'entrée du palais du roi, pour rappeler à tous que sa Justice veille ! On va vraiment laisser faire ça ?

Une faible clameur accueillit ses paroles, tandis que le mage tournait ses yeux vers l'homme.

- Il y a en ce monde des forces bien plus puissantes et plus terribles que la justice de ton incapable de roi. Si tu ne tiens pas à en faire la rencontre, retiens ta langue avant que je t'arrache la tienne, de tête.

L'argument fit mouche et l'homme, soudainement pâle, rentra hâtivement dans les rangs.
Les sanglots de la femme de Celim, en arrière, plan, ponctuaient la conversation. Parmi les regards de ses congénères, il ne distingua plus du tout de condescendance ou de pitié, et qui aurait pu les en blâmer, à présent ? Sa place n'était plus ici et, où que l'emmenait le sorcier, il le suivrait. C'était sa seule option, dorénavant.

Un jeunot se fraya un chemin dans la foule en tenant à les brides de deux chevaux et tendit celles-ci au mage, qui s'en empara prestement.

- Celui-ci est le tien, lui dit-il en désignant un robuste cheval bai tandis que lui-même enfourchait un élégant étalon noir. Si il reste quelqu'un qui soit concerné par ton départ, dit lui adieu maintenant.

Eloï chercha sa tante du regard mais ne la repéra pas dans la foule. La disgrâce de son neveu devait être un spectacle trop dur et honteux pour elle. Il se tourna vers le mage et lui fit un simple signe de la tête.

- Alors allons-y. Suis-moi, et garde tes question pour plus tard. Il sembla hésiter un instant, puis rajouta : Tu peux m'appeler Akkin, contente-toi de ça pour l'instant.

Il restait une myriade de questions non résolues, mais Eloï accepta de bon coeur la proposition : Il n'était pas pressé de contrarier son sauveur. L'homme lança sa monture au trot en prenant la direction de la colline, et le jeune kendran le suivit bientôt. Il pouvait presque sentir son épaule crouler sous les regards accusateurs et frustrés de ce qui avait été, après tout, ses semblables. Cette sensation dura tout le long de la montée du sentier. Quand ils passèrent devant la maison de sa tante, Eloï crut y déceler un mouvement à la porte mais ne put le confirmer.

Ils atteignirent bientôt le sommet de la colline. Ici, le sentier se divisait en plusieurs directions : L'un redirigeait vers le bois à proximité d'Asha, l'autre vers un village voisin. Le dernier... il ne l'avait jamais emprunté. Il ne put retenir sa curiosité :

- Où allons-nous ?

- A Kendra-Kâr, tout d'abord. Il est temps que tu apprennes à maîtriser les fluides d'ombre qui sont en toi.

Akkin s'engagea sur le chemin, mais Eloï, au lieu de le suivre directement, ressentit le besoin impérieux de se retourner. Le soleil se levait encore, offrant le même panoramique qu'hier ; pourtant tout était différent, à présent. Il observa le paysage qui lui était tant familier avec nostalgie, comme il l'avait fait il y a très exactement 24 heures. Le village, vu d'ici, semblait aussi paisible que d'habitude.

( Ma place n'est plus ici. Suis-je à ma place quelque part, d'ailleurs ?) il craignit que la réponse fut non. Il représentait un danger pour tous ; son seul espoir était le mage qui allait peut-être, d'une façon ou d'une autre, le libérer de l'étrange malédiction de la Marque... Si il n'en était pas la cause.

- Eh bien ?

Il laissa dériver une dernière fois son regard, puis rejoignit Akkin, abandonnant derrière lui 23 années de sa vie.


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MessagePosté: Mer 9 Mai 2012 13:38 
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Après avoir vérifié qu'aucun humain n'arpente la ruelle, je la survole et me dirige vers la grande rue. Le trafic s'est rudement intensifié, au point que les fouilles par la milice bloquent une partie du chemin. Avisant un lot de tonneaux proches d'une paroi, je me camoufle derrière, regardant bien à chaque fois qu'aucun de ces bipèdes malodorants ne me remarque. Finalement, sortir des lieux est plus simple que je ne l'avais cru. Les véhicules, devant attendre aux portes, forment un chemin tout tracé jusqu'à l'extérieur. Je n'hésite pas. Quand l'un d'entre eux s'approche de ma cachette, je vole dessous, prenant garde à ne pas m'y heurter.

En levant le nez, je remarque des poutrelles de bois reliant les essieux entre eux. Voilà une solution pour ne pas trop fatiguer mes ailes. Je me saisis des longs pans de mon pagne que je noue autour de la barre centrale. Plissant les yeux, je vois plusieurs paires de pieds, certaines dans des bottes renforcées de métal, faire le tour du chariot. Des bruits de paquets déplacés résonnent contre le bois, mais pas un de ces idiots ne pense à vérifier en-dessous. J'attends, sans un bruit ni souffle superflu, que le convoi reparte. Un hennissement mécontent suivant un coup vif m'informe que c'est le cas.

Je me fige, attendant jusqu'au dernier moment pour esquisser un mouvement. Le chaos de la voie provoque un soubresaut suffisant pour que je me cogne le haut du crâne contre le bois. Un grommellement manque de m'échapper, que j'intériorise de justesse. Tout en me frottant la zone meurtrie, je vois se rapprocher des champs d'une plante verdâtre que je ne parviens pas à identifier. Dénouant mon pagne, je reprends mon vol et, lorsque la charrette dépasse une large et haute pierre, j'émerge de ma cachette et plonge entre les plants.

Posant un genou à terre, je m'immobilise, guettant le son du véhicule. Rien ne change dans l'allure. Tant mieux. Cela veut dire que je suis enfin sorti de cet atroce ramassis de pierres mal dégrossies. Reste à savoir où j'ai atterri. Je me relève et m'enfonce un peu entre les tiges, droit devant moi.

(Mieux vaut rester à couvert pour le moment. J'ai davantage de chance d'esquiver des ennuis de cette façon qu'en volant.)

Je n'ai aucune idée de ce qu'est cette plante qui pousse tout autour de moi et de façon faussement contrôlée. Parfois, des fleurs d'un rouge vif brisent la monotonie des environs. Je poursuis ma route, passant entre les pieds des végétaux plutôt que de les écarter. Rien de tel qu'un lot de feuilles mouvantes pour attirer une attention non désirée. Plissant un oeil, je masse la bosse naissante sous ma tignasse, sans réprimer cette fois un grondement agacé. Voilà encore de quoi me mettre de mauvaise humeur. Un petit caillou entre dans mon champ de vision. Mu par une envie irrationnelle, je m'en empare et le jette avec force dans la forêt de culture. Je l'entends disparaitre dans la pénombre après quelques rebonds. Je ne comprends pas l'utilité de mon geste, mais en tous cas je me sens incroyablement soulagé.

Mon étrange duo bottes-pantalon se tache de parcelles de terre humide alors que je reprends la marche. Je ne sais pas où je vais, mais je sais que c'est loin du tumulte de la ville et du passage des chariots le long de la voie. Je dois être en train de me diriger vers les étendues de champs situées entre la cité et la forêt. Quoique ? Au final, je n'en sais rien. De toutes façons, cela n'a guère d'importance. Au milieu de ces plantes, je ressens une certaine sécurité. C'est donc avec une certaine méfiance lorsque j'atteins un chemin de terre que j'en mets le nez dehors. Sur ma gauche, loin au bout de la voie terreuse, j'aperçois des bâtiments. A ma droite, les murs du ramassis de tombeaux pour vivants, si clairs qu'ils en font mal aux yeux, se dressent encore non loin.

Face à moi, je remarque un champ d'une plante qui m'est totalement inconnue. Verte, haute de plusieurs mètres, elle est mise en culture en rangs serrés, de sorte qu'une pénombre intense semble s'y trouver en permanence. Le feuillage dru m'empêche de plonger mon regard plus avant, mais le manque de lumière qui y règne m'inspire et m'appelle. De plus, si je continue dans l'espace cultivé où je me tiens, je vais inexorablement me rapprocher de la ferme sur ma gauche et augmenter le risque de croiser un humain. A peine cette idée a-t-elle émergé que ma décision est prise. Un duo de bipèdes se rapprochant de ma position, je me terre entre les plants, attendant qu'ils passent. Dans leur tunique sale et maculée de terre, ils en seraient presque supportables. Enfin, seulement s'ils n'avaient pas ouvert leur fichue mâchoire et brisé l'harmonie naturelle en déblatérant des choses inintéressantes.

Une main sur la forme de ma sarbacane cachée dans ma manche, je patiente encore un peu puis, lorsqu'ils sont suffisamment éloignés, je m'élance à couvert de ces étranges plantes. Je vole droit devant moi dans une allée, bloquant ma respiration pour faire une pointe de vitesse. Lorsque je sens un besoin impérieux de respirer, je me pose au pied de l'un des plants. Maintenant que j'y fais attention, il s'agit d'un étrange lierre, enroulé autour d'un pieu de bois. Je suis sur le point d'en détacher une feuille pour l'examiner quand un vacarme soudain résonne non loin. Des cris de volatile en colère se mêlent à des bruits de végétaux mis à mal. Quelque chose me dit que, sur ma gauche, se déroule une scène qui ne peut que m'attirer des ennuis.

J'hésite une seconde. Je peux contourner le problème ou aller voir ce qu'il se trame. L'idée de rester dans l'ignorance m'agace. Vivement, je sors ma sarbacane et la charge d'une fléchette, en gardant deux autres dans la main. Repliant mes ailes, je me dirige vers la source du bruit en longeant les pieds des plants. A mesure que je me rapproche, le bruit s'amplifie et se fait plus violent. Le cri éraillé d'une autre créature s'élève entre des bruits de coups répétés. Je presse le pas, scrutant les alentours pendant que j'avance. D'un coup, en contournant un poteau, j'assiste à une scène de lutte, ou plutôt de combat désespéré.

Droit devant moi, dans une dépression du sol, je peux voir un oiseau au plumage jaune, devant faire le double de ma taille, étendre ses ailes et les battre frénétiquement. Tentative d'intimidation ? Sans doute si le creux en question est son nid.

(Mais contre qu...)

La réponse ne se fait pas attendre quand une voix enrouée émerge d'entre deux plants. Un volatile, ou du moins je pense pouvoir le qualifier comme tel, apparait. Son profil laisse voir un oeil d'un jaune uni, au-dessus d'un bec comme une tenaille et qui claque entre chaque cri. La tête de la bête arbore une crête d'un rouge défraichi et, à bien y regarder, son corps est écailleux du bas du bec au bout de la queue. C'est à croire qu'un serpent et une poule ont fauté pour qu'une créature aussi peu agréable à l'oeil apparaisse. D'ailleurs, ses ailes n'ont aucune trace de plumes, toutes faites d'une membrane d'une teinte difficilement jaunâtre. Cette chose pourrait-elle voler ? Je suis un peu perplexe tant les membres supérieurs de cet être me paraissent disproportionnés.

Immobile, je regarde avec une étrange fascination le volatile à écailles se rapprocher de l'oiseau au sol. D'un coup, tout se déchaîne. Au moment où l'oiseau jaune semble vouloir décoller, l'autre se jette dessus, toutes serres dehors. Alors que le bec de l'affreux volatile se met à plonger vers la tache colorée, un mouvement attire mon regard. Un troisième oiseau plonge depuis les airs, faisant un piqué droit sur le crâne de l'assaillant. Après son attaque, le nouvel arrivant fait du sur-place dans les airs, usant de ses pattes pour tenter de griffer la tête de l'hybride. Mes yeux sombres restent rivés à ce troisième individu.

Plumage noir sur la quasi intégralité du corps, de belles teintes d'un bleu nuit marquent ses ailes. Son profil révèle un oeil aux reflets d'un bleu crissant, à l'aplomb duquel démarre une très longue huppe de plumes d'un bleuté équivalent. Cet animal fait preuve d'une fougue impressionnante et d'un courage certain alors qu'il s'attaque à un adversaire légèrement plus gros que lui. J'ai du mal à détacher mon regard de lui tant je lui trouve un air majestueux. D'un coup, alors que la bête à crête se retourne vers son agresseur, une petite pierre vole dans sa direction, la frappant juste derrière l'oeil. Un cri rauque lui échappe, suivi d'un vif mouvement de tête, sans doute pour trouver l'origine de ce caillou volant.

Non loin, entre les animaux et moi, une sorte de fourche entre les mains, un être de petite taille et bonnet tombant tremble de tout son corps, son bras encore tendu. Nez pointu, oreilles visibles et tenue faite de morceaux de tissus raccommodés me font savoir qu'il s'agit d'un lutin. Sa voix, mal assurée, s'élève.

"L... Laisse-les ! Va-t-en !"

Je plisse les yeux à cette scène. Employer des mots menaçants en ayant l'air de pouvoir s'évanouir à tout moment est loin d'être efficace. L'hybride de poule semble interloqué un bref instant, puis elle crie de sa voix insupportable. D'un coup d'aile, elle déstabilise l'oiseau bleuté qui recule malgré lui, avant de se mettre à charger le petit bipède. Le lutin a l'air en mauvaise posture. Le voilà qui se retourne et court droit devant lui...

(Et droit sur moi !)

Je suis certain qu'il ne m'a pas vu, jusqu'à ce qu'il rive ses yeux aux miens. Dès lors, il infléchit sa court et fonce dans ma direction. Je n'ai pas le temps de protester qu'il se cache derrière mes ailes. Je m'attends à ce qu'il me demande de l'aider, de le protéger ou de combattre avec lui cette chose. En somme, que nous fassions équipe, bipèdes de petite taille, contre un adversaire visiblement agressif. Je me sens prêt à toute éventualité.

Sauf à celle-là.

Le lutin ne prononce pas un mot, préférant agir. Attaque surprise sur le volatile ? Lancer de minéral ? Non. Sans que je puisse réagir, je sens une brutale et douloureuse poussée dans mon dos qui me fait trébucher. Après deux pas maladroits, j'étends mes ailes pour me rééquilibrer. En voyant la vitesse et la proximité de la bête, je change d'avis et plonge sur le côté, me faisant frôler par une serre et égratignant ma peau bleue contre des graviers. Par réflexe, j'ai gardé le poing serré sur mes fléchettes, m'éraflant les doigts au passage. Incrédule, je me relève aussi vite que possible alors que j'entends la bête à crête, sans doute emportée par son élan, heurter un poteau proche. Mon coeur bat à tout rompre en voyant le responsable de ma chute prendre la fuite.

Ce lutin que je ne connais pas vient littéralement de me jeter en pâture à cette créature. Cette chose à moitié serpent. Peu importe ! Je réalise avec amertume que même les membres du petit peuple sont capables de se conduire en lâche, en humains, et que je me retrouve face à face avec une bête plus énervée que jamais. Je me sens trahi, ravivant l'incompréhension et le mal-être du jour de mon enlèvement. Le mépris m'envahit, la colère et la haine aussi. Peu m'importe que ce volatile fasse le double de ma taille, je sens l'envie impérieuse de détruire quelque chose à mon tour. J'ai peur, mais l'excitation, la soif de vivre libre et le froid envahissant ma poitrine l'effacent.

La bête me fixe et pousse un cri rauque et strident, étendant ses ailes membraneuses. Ma main se resserre sur la sarbacane alors que je perçois la peine naissante des écorchures.

Je veux la faire taire.
Je veux la voir gésir.
Je veux la tuer, de mes propres mains.



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MessagePosté: Sam 12 Mai 2012 22:18 
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L'oeil gauche, d'un jaune de plus en plus horripilant, de la bête m'observe. Je fais de même, braquant mon regard dans le sien. Là où ma peau a touché le sol, de petites traces sanglantes naissent. J'essaie d'en faire fi et, d'un geste court et vif, je porte ma sarbacane à mes lèvres. Ce geste suffit à faire réagir la bête à crête. Sans me laisser le temps de lancer la moindre fléchette, mon adversaire se rue dans ma direction. Je sens mon coeur accélérer alors que le bec béant se rapproche vivement de mes yeux. Bien trop. Chaque pas lourd de l'animal résonne dans le sol. Je n'ai pas le temps d'attaquer. Je dois esquiver !

Donnant en même temps une impulsion au sol et un coup d'ailes, je bondis sur ma droite. Le bec acéré claque juste à ma gauche, passant à quelques centimètres de ma spirale auditive. Alors que je tente de garder les yeux sur mon agresseur, mon pied touche terre et ripe sur un caillou, me déstabilisant. Je n'ai pas le loisir de réaliser ce qui m'arrive qu'une aile de la bête me frappe de plein fouet. Mon estomac me renvoie une douleur vive. Mon souffle se coupe. Le sol se dérobe sous mes bottes tandis qu'un courant d'air provoqué par la projection agite ma tignasse blonde. Par réflexe, j'étends mes ailes de toute leur longueur, freinant mon élan. Je m'oblige à déglutir, ravalant le flot écoeurant remontant de mon estomac, le poing libre apposé sur ce dernier.

La voix horrible du volatile me parvient, dans un cri presque moqueur. Mon corps est raide et il me faut un instant pour parvenir à porter mon arme à mes lèvres. Pas d'hésitation cette fois. J'envoie ma fléchette dans sa direction, sans viser de point particulier. Je veux lui faire autant de mal que j'en ressens. Qu'elle saigne à son tour.

(Attrape ça !)

L'objet aldryde file dans l'air et va percuter l'animal, bien en-dessous de la gorge. La pointe touche une zone d'écailles, glisse dessus et rebondit sur la droite. Une sensation glacée me parcourt soudain l'échine et mes yeux s'écarquillent. Ma tentative a totalement échoué. Non seulement la fléchette ne lui a rien fait, mais même la bête semble n'avoir rien remarqué. Seul un léger mouvement de tête de sa part, afin de regarder le projectile retombé mollement au sol, atteste que je n'ai pas rêvé mon attaque. Je me sens trembler, en proie à différentes sensations toutes moins agréables les unes que les autres. Je suis en train de me battre. Pour ma vie. Cela n'a rien à voir avec le tir sur cible immobile.
Je veux la détruire, la tuer, mais il est évident qu'elle a cette même intention envers moi. Je dois trouver un point faible dans sa cuirasse si je veux la blesser. Et vite !

Je n'ai pas le temps de réfléchir davantage que l'animal se met à battre brusquement des ailes, m'envoyant des souffles d'air charriant des particules du sol. De mon bras libre, serrant une fléchette, je tente de protéger mes yeux. Cette sale bête poursuit son acte avec plus de violence encore. Quelques cailloux très fins viennent percuter mes parcelles de peau à découvert et mes ailes, ravivant la chaleur désagréable des écorchures. Je grimace, cherchant une issue.

Peine perdue.

Dès que je fais un pas sur le côté, le volatile suit mon mouvement, ajoutant un croassement horrible à l'air qui m'est envoyé. Une seule solution m'apparait.

Je bats des ailes à mon tour, m'élevant à la verticale tout en rechargeant l'arme. Le souffle d'air s'amenuise à mesure que je vole. Du revers de la main, je chasse quelques grains de terre maculant mon visage. Un doute m'assaille auquel s'ajoute une pointe d'effroi. Suis-je suffisamment haut pour être sauf ? Immédiatement, je braque mon regard vers l'animal. En une fraction de seconde, je réalise que non.

Mais trop tard.

La créature a bondi et attrapé de son bec le pan frontal de mon pagne, tentant de me ramener vers le sol avec elle. Je bats des ailes comme un forcené pour me maintenir en l'air alors que l'agresseur donne des coups de tête brutaux pour m'attirer à elle. A la suite d'un de ses mouvements, j'aperçois ses serres aiguisées. Une unique et affreuse certitude m'envahit. Si je tombe, si elle me plaque au sol, je suis perdu. Alors je bats des ailes, encore et encore, avec une vigueur telle que je suis sûr que mon coeur pulse en continu. Mon souffle est trop irrégulier pour que je parvienne à souffler dans mon arme. Je suis coincé et cette prise de conscience s'accompagne d'une peur croissante. Je ne veux pas finir ma si courte liberté comme amuse-bec pour bestiole à l'aspect révoltant !

Tch !

Je continue de voler comme je le peux, réalisant soudain que, si je ne peux pas fuir, la bête est aussi coincée. Si elle ouvre le bec, je suis libre. Si elle change ses appuis au sol, je peux voler de l'autre côté pour la déstabiliser. Mais pour le moment, je suis dans une impasse. Mes doigts bleutés s'agrippent au pagne, tirant dessus pour faire céder la bête ou, au pire, le cuir. Malheureusement, cette fichue bourgeoise a su en choisir un vraiment résistant. Mon regard balaie les alentours. Quand bien même je me libérerai de son emprise, je ne peux rien faire contre elle sans trouver de point faible. Et même dans ce cas, il me faut encore réussir à avoir la possibilité de lui envoyer un projectile. Je vais avoir besoin de temps, d'une diversion.

Mon regard tombe alors sur la dépression servant sans doute de nid au duo d'oiseaux. Le volatile jaune n'a d'ailleurs toujours pas reparu. L'autre se tient aux abords du trou, les ailes déployées, presque menaçant. De temps en temps, il lance un son aigu, totalement ignoré par la bête à crête. Mes yeux se plissent alors que je résiste à un nouveau coup de tête de la créature. Voilà ma diversion. Lâchant le pan de cuir, je change ma sarbacane de main et attrape une fléchette. Armant mon bras, je lance avec force ce projectile en direction de la tête de mon adversaire.

Bonne visée ? Coup de chance ? Difficile à dire. L'objet file directement sur le bec qui me retient et sa pointe va se loger dans l'orifice droit de ce dernier. L'hybride à écailles me lâche subitement, poussant un cri désagréable. Elle secoue la tête pendant que je recule dans les airs, le coeur battant si fort que j'ai du mal à entendre. Aussi vite que mon corps chargé d'adrénaline me le permet, je me rapproche de l'oiseau sombre. Celui-ci me menace d'ailleurs, mais je l'ignore. M'obligeant à contrôler mon souffle, j'envoie une nouvelle fléchette à l'aide de ma sarbacane. Ce projectile fonce vers la bête et termine sa course à très peu de distance derrière son oeil jaune. L'impact résonne différemment et son cri hargneux aussi.

Cela ne présage rien de bon, s'il est possible de rendre une situation comme celle-ci pire encore.


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MessagePosté: Mar 15 Mai 2012 19:26 
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Quelques gouttes de sang perlent de la blessure, tachant le plumage déjà sale de l'animal. Rechargeant mon arme, maintenant ma posture légèrement au-dessus du sol, je m'attends à ce qu'elle fasse quelque chose depuis ce dernier. Je ne me trompe pas, mais le savoir ne m'empêche pas d'en être victime. Après avoir étendu ses ailes membraneuses et froides, la chose exécute un bond prodigieux. Sidéré, je ne parviens pas à l'éviter. Je ferme instinctivement les yeux, ne les rouvrant que lorsque je perçois un impact puissant et une douleur dans l'aile gauche. Mon coeur bat soudain au ralenti. Je déglutis en comprenant ma situation. Sans pour autant la blesser au sang, les serres de cet affreux volatile ont cloué mon aile au sol. Cette sale bête est proche, beaucoup trop proche. C'est à un point tel que les écailles de son ventre ne doivent pas être à plus d'une épaisseur de main de ma peau.

Une légère douleur lancinante me parvient depuis mon dos. J'ai du racler le sol quand elle m'a attrapé, mais je suis bien plus préoccupé par la peine de mon flanc droit. Un liquide coule dessus, accompagnant une sensation de chaleur désagréable. J'ai la certitude d'être blessé sans pour autant pouvoir en définir la gravité. Bientôt, je peux sentir chaque parcelle de mon épiderme se hérisser de dégoût quand je comprends que la bête, au-dessus de moi, n'a pas vraiment réussi son coup. Elle ne bouge pas, comme légèrement étourdie. Le piaillement de l'autre oiseau me parvient davantage, mais je n'en ai cure. Dans mon malheur, j'ai de la chance. Seule mon aile gauche est immobilisée. Malgré tout, je ne peux rien tenter. Non seulement la créature est trop près, mais la seule zone accessible est sa cuirasse d'écailles.

D'un coup, la bête se reprend et se redresse. Son oeil jaune m'observe. Son bec s'ouvre, tout comme ses ailes. Un bruit d'impact se fait d'ailleurs entendre, mais je n'y prête pas attention. Je me sens presque désespéré. La situation que je craignais de vivre se présente. Je vais mourir, là, entre des plantations humaines et par la faute d'une créature dont je n'ai pas même idée du nom. Je plisse les yeux et serre les dents. C'est si stupide ! Finir ainsi ?

(Pas question ! Pas ici ! Pas comme ça ! Non. Saleté de créature... Abrutis d'humains ! Maudit soit le destin ! Je claquerai peut-être, mais je ne le ferai pas seul !)

Ma peur s'estompe peu à peu, remplacée par une haine flamboyante. Après tout, je n'ai plus rien à perdre. Je me débats, agite mon aile libre et donne des coups de genoux bottés contre les écailles. D'un coup, la bête à crête se meut violemment alors que le son courroucé du volatile sombre s'élève avec force. Prenant une fléchette dans la main, j'abats la pointe de cette dernière dans la patte retenant mon aile. Je m'acharne, persuadé que la créature est distraite par le bel oiseau teinte nuit. Soudain, je parviens à en faire sauter une écaille qui atterrit sur mon buste. Sans aucune pitié, je plonge la pointe dans la chair à découvert.

La réaction ne se fait pas attendre. La patte qui me retient se relève au diapason d'un cri suraigu, libérant mon aile. D'un mouvement vif, je la replie et m'oblige à rouler sur le côté, hors de sa portée. Bondissant presque sur mes pieds, je m'éloigne à bonne distance et me retourne. Le bel oiseau vole sur place, alternant entre coups de bec et tentatives pour griffer l'hybride. L'agresseur réplique en tentant de le déstabiliser à coups d'ailes. Agressé, l'animal à couronne de chair semble m'avoir momentanément oublié.

C'est ma chance.

J'inspire vivement, horriblement surpris par la douleur émergeant d'un grand nombre de zones de mon corps. Loin de me déstabiliser, cette sensation ne fait que renforcer ma colère croissante à l'égard de l'hybride de serpent. Sa querelle sonore et gestuelle avec l'autre animal met en évidence son profil. Et son horrible oeil jaune. Je lève ma sarbacane et projette une fléchette acérée dans sa direction. Un son dégoûtant me parvient, m'arrachant un sourire amer. J'ai touché au but. De la paupière soudainement close de la bête s'écoule un abondant filet rougeâtre, que je perds de vue quand elle se tourne vers moi. L'éclat doré de son autre organe de vue est si intense que je peux presque le sentir me transpercer.

Nous sommes loin d'en avoir terminé.



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Dernière édition par Nessandro le Dim 20 Mai 2012 02:13, édité 4 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres cultivées autour de Kendra Kâr
MessagePosté: Mar 15 Mai 2012 19:28 
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Je la devine vouloir me charger, mais cette fois je ne panique pas. Campant sur mes pieds, je fais appel à cette énergie bouillonnante qui pulse dans ma poitrine et, ramenant ma sarbacane à mes lèvres, j'attaque. Ma fléchette, comme mue par une force propre, va percuter la patte de l'animal. Le choc est si violent que cette dernière recule de façon maladroite et tombe au sol. Son bec s'ouvre pour laisser passer un nouveau cri insupportable et rauque.

(Boucle-la, charogne !)

L'obliger à la boucler ? Oh oui. En voilà une bonne idée. Aucun appendice d'écoute ne devrait être obligé de subir l'agression d'un son aussi affreux ! Et surtout pas les miens ! Je mets un genou à terre, stabilisant ma posture. Je veux la faire taire et pour de bon. Mais pour cela, je dois viser juste. Mes forces se rassemblent progressivement alors que je garde le bec de cette sale bête dans ma ligne de mire. Au bout de quelques instants, l'affreuse bestiole se relève et me fixe de son unique oeil valide. Je ne bouge pas, attendant qu'elle fasse ce qui m'irrite le plus à son sujet. Je la vois d'abord se secouer, comme pour s'ébrouer, puis étendre les ailes. Enfin, après d'interminables secondes, son bec s'ouvre largement, laissant passer un bruit grinçant et rauque.

J'envoie mon projectile.

Ma poitrine s'emplit de froideur alors que je le vois voler droit vers l'ouverture. La seconde suivant sa disparition, le cri se stoppe. La créature donne un brusque coup de tête en arrière, le bec gardé largement ouvert et la langue sortie. Elle tousse, tentant sans doute d'expulser l'élément intrusif. Un sourire cruel apparait sur mes lèvres peu avant que je ne recharge ma sarbacane. Le volatile sombre, lui, s'est écarté, retourné se poser auprès de la dépression. Tant mieux. Il m'a bien servi et ne ferait plus que me gêner.

Arme aux lèvres, je regarde sans aucune émotion, autre que de la colère et de la satisfaction, la bête s'agiter de façon désordonnée. J'attends et la suis de mon arme, essayant d'anticiper son mouvement. Elle tousse encore et encore, crachant par moment quelques postillons, mais pas ce qui la blesse. Sa détresse soudaine et sa douleur me plaisent tant je me sens content de lui avoir rendu la monnaie de son yû. Je n'en ai toutefois pas encore terminé avec elle. Non, pas tout à fait. Elle est encore en vie et, si elle parvient à se défaire de la fléchette, elle va recommencer.

Sa tête s'agite et, d'un coup, elle me présente son profil presque intact. Sans aucun remord ni pitié, j'attaque une nouvelle fois. La fléchette frappe avec précision, heurtant dans une gerbe écarlate l'oeil intact de la bête.

Ses ailes s'étendent sans que sa gorge encombrée ne parvienne à laisser partir un son. Elle frappe l'air de ses membres écailleux et de sa longue queue reptilienne, tourne sur elle-même puis, sans aucune retenue, se met à charger dans ma direction. Cette fois-ci, j'ai tout le temps pour l'éviter en prenant mon envol. Dans les airs, je tourne sur moi-même pour suivre sa course folle. Quelques gouttes colorées tombent sur le sol à son passage. Elle tousse encore et encore, en proie à une visible souffrance, mais ne s'arrête qu'après avoir heurté le tronc d'un plant verdâtre.

Une idée étrange me vient, que je décide de mettre à exécution.


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Dernière édition par Nessandro le Jeu 17 Mai 2012 23:34, édité 3 fois.

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