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Évidemment, Ziresh n'avait pas eu besoin de terminer son récit pour que le conseiller n'émette un jugement sur ce qui était arrivé. Oui, c'était fou, et à l'entendre de la voix d'un allié, le loup d'argent se rendait un peu plus compte d'à quel point il avait été béni pour revenir ici en un seul morceau. En avançant, il avait pu entendre aussi le petit sinari s'exprimer au sujet de sa propre aventure. Ce n'était pas aussi chaotique, mais la fin de son histoire le conforta dans l'idée que le danger était présent partout. La princesse se dirigeait de toute évidence vers Esseroth et allait risquer sa vie. Le liykor avait pu la voir et il avait immédiatement estimé sa façon de penser. Elle était mature et à la fois forte et emprunte de compassion. C'était elle qu'il fallait pour diriger Fan Ming. Certainement pas un gouverneur d'à peine six ans.
En y réfléchissant, peut-être était-ce bien là qu'il aurait dû se trouver. En voyant Sirop, il se rappela comme il lui avait promis de l'accompagner et de le protéger. Et finalement, il avait vite changé d'avis quand Armelle avait relevé ses compétences militaires, nécessaires pour Esseroth. Maintenant, elle était morte, tout comme les citoyens de cette ville, et ce jeune hobbit revenait dans un échec. Mais il n'était peut-être pas trop tard...
Quoiqu'il en soit, en avançant vers la Salle du Conseil de Guerre, le loup d'argent sentit qu'on lui faisait honneur. Au départ, il avait pensé que son statut de "simple aventurier de Yuimen" l'avait placé vers un poste plus "utilitaire", de la même manière qu'on ne le reconnaissait pas alors qu'il avait cherché à se fournir en matériel, tout à l'heure. Mais ici, il se sentait fier. Tous ces hommes dans cette cour étaient là pour accompagner sa marche jusqu'au conseil. Toutes ces personnes étaient là pour se battre pour la même cause, avec lui, comme s'ils faisaient tous partie d'un tout. A Esseroth, ils n'étaient qu'une poignée d'aventuriers contre une armée des ténèbres. Mais ici, ils était une unité armée, prête à se battre pour l'honneur et la survie d'un monde... Peut-être deux. Enfin, ils entrèrent dans la salle, où de nombreux autres individus ostensiblement gradés étaient alignés sur des bancs qui faisaient face à une estrade où Chigiru, Tsukiko et les aventuriers se placèrent.
Le conseiller initia le discours en rappelant les militaires à l'ordre, d'un simple geste de la main qui traduisait toute sa puissance et le respect qu'on lui accordait. Il commença alors en formulant un panégyrique de leur nation, face au monde d'Aliaénon qui leur faisait obstacle. Et enfin, il invita le loup et le hobbit seulement à faire leurs rapports. Xël n'était pas là non plus. Il ne savait pas ce qui était advenu de Keya ou des autres, mais leur absence de rassurait pas le maître d'armes et il se sentit de plus en plus anxieux à l'idée de raconter toute son histoire à un tel auditoire. Il se tourna vers Calimène et la regarda un moment. Elle se faisait toujours concise dans ses paroles, mais elle savait comment parler et lui rappeler sa place. Il regrettait, tout à l'heure, de n'avoir pu vaincre Vallel. Elle lui avait rappelé que plus que cette victoire, il lui importait bien plus à elle de voir un Ziresh en vie qu'un lieutenant d'Oaxaca mort, en laissant douze autres. Il hocha respectueusement la tête, puis se détourna pour commencer son rapport, prenant une voix qui puisse l'aider à se faire entendre.
"Je me nomme Ziresh de Liykkendra, porteur de lumière et maître d'arme de la Citadelle endormie. J'ai été envoyé à Esseroth, accompagné d'une mage de glace nommée Eva, d'un mage de vent nommé Xël et d'une archère nommée Armelle. Nous avons rejoint deux premiers "éclaireurs" : Keya et Karz. Au moment où nous sommes arrivés, l'armée d'Oaxaca s'apprêtait déjà à attaquer la ville. Nous avons seulement eu le temps de nous répartir sur les murailles et de mettre les citoyens au courant de pratiques martiales avant que la bataille ne commence. C'était... Indescriptible. L'horizon se noyait dans l'immensité de cette armée. Sans doute y avait-il plusieurs milliers d'orcs. Et ce n'était pas tout. Ils montaient des rats géants en armure par groupes de cinq individus. Ils étaient équipés d'armes de siège de facture impressionnante. Des trébuchets lançaient des projectiles enflammés et démesurés. Les tours de siège s'avançaient rapidement et l'ascension des rats (puisqu'ils gravissaient la muraille) nous empêchaient d'organiser une défense contre les échelles et les scorpions. Mais plus que tout, il y avait de ces colosses d'obsidienne. Des géants noirs, machines de mort, à peine vivants et presque indestructibles. Quand la muraille a été prise et que les citoyens et nos alliés ont été contraints de fuir vers le donjon, j'ai pensé que nous étions si proches de la fin qu'il me fallait trouver un moyen de tout sauver. Du haut de la muraille, et ayant vaincu des soldats, je me suis fait cavalier de l'un de ces rats que j'ai utilisé pour descendre la muraille. J'avais vu, au loin, sur une colline, des bannières au couleurs de l'ennemi et j'ai suggéré qu'il s'agissait de dirigeants de l'armée. En les vainquant, peut-être que ces géants auraient cessé de se battre et que les orcs se seraient dispersés... Je n'ai pas traversé ce champ de bataille uniquement armé de ma bravoure, non... Je n'étais qu'un unique globule blanc dans une marée de sang infecté. Je me suis rendu invisible, grâce à un cadeau."
Il serra la Fleur de Lys autour de son coup avant de reprendre le discours.
"Ce que j'y ai vu, ce n'était pas simplement des dirigeants. Vallel, lieutenant d'Oaxaca, un des Treize, y était. En profitant de mon pouvoir, j'ai pensé pouvoir le vaincre, mais je n'ai pu. Ces machines me voyaient et ne semblaient pas sensibles à ma magie. Au final, j'ai dû rendre les armes et j'ai été fait prisonnier. A ce moment, Karz a montré son vrai visage. Il nous a trahi et a rejoint l'ennemi. Je ne l'ai plus revu depuis ce moment où j'ai été arrêté. J'ai réussi à m'échapper en soudoyant l'un des gardes. J'ai voulu sauver quelques citoyens, mais je n'en ai vu aucun en vie. Je n'ai fait qu'entendre leurs cris et voir leurs cadavres. J'ai vu, seigneurs... J'ai vu de malheureux hommes, femmes et enfants déformés par la cruauté des garzoks. Et quand j'ai tenté de les arrêter, je n'ai pu qu'essayer de me battre contre l'un de ces géants. J'ai perçu une faiblesse à double tranchant pour ceux là seulement : des câbles forment leurs articulations et son assez fragiles. Aussi, leur sang est comme de l'huile et s'enflamme rapidement. C'est ainsi que j'ai pu en vaincre un. Par la suite, l'orc qui m'accompagnait est mort et j'ai encore été arrêté. Mais on m'a amené directement à Vallel."
Il s'arrêta encore. La suite de cette histoire, déjà trop longue, allait paraître incroyable. C'est pourquoi il ne se faisait pas aussi concis. Il devait tout raconter pour qu'on le croie. Après une longue inspiration il reprit la parole.
"J'ai provoqué Vallel en duel. Il m'a raconté son histoire. Il l'air d'être ynorien, mais en vérité, il vient de ce monde, et tout particulièrement d'Esseroth. Les citoyens de cette ville naissent tous avec un pouvoir et lui n'en avait pas. Il a ainsi été banni et a vu ses parents mourir. C'est à Elscar’Olth, dans la Lande Noire, qu'il a vu naître son pouvoir qui l'a rendu si puissant. Il serait capable de tous nous tuer un par un pour une raison simple : il est capable de manipuler les muscles des vivants. C'est ainsi que par vengeance, et non pas simplement pas allégeance pour Oaxaca, il est venu détruire son ancien foyer. Et c'est ainsi qu'en usant de mon pouvoir... Il m'a tué."
Anticipant les probables rires ou murmures interloqués, il continua immédiatement.
"Oui, seigneurs, j'ai regardé la Mort en face. Il a paralysé mes muscles et a planté sa lame à travers ma gorge. En voici la preuve."
Il montra sa cicatrice en écartant ses poils, sans s'arrêter de parler.
"Mais la Mort fonctionne différemment ici. Dans ce monde, notre âme flotte et n'est pas dépourvue de pouvoir. Une fois morts, nous pouvons nous déplacer à une vitesse qui vous ferait frémir et nous pouvons prendre possession de corps... En risquant toutefois de mêler notre âme à celle l'hôte que l'on occupe. En revanche, si notre corps est brûlé, nous disparaissons. J'ai vu l'âme d'Armelle flotter au-dessus de son propre corps, déformé par la fange des égoûts d'Esseroth. Je pense que c'est à cause de celle-ci qu'elle n'a pu m'entendre ou se déplacer. J'ai pu intégrer le corps d'un ennemi. Un humoran nommé Sirat. Je ne le crois pas entièrement mauvais, car il m'a promis sincèrement de m'aider à rester en vie si je quittait son corps, et il avait essayé de le faire. Mais c'est autre chose qui m'a sauvé."
C'était encore là que tout paraîtrait incroyable.
"Un être, peut-être un dieu, nous est apparu à moi et Sirat. Il nous a offert à chacun un sifflet. Celui-là même qui m'a permis de revenir ici. Et plus que tout, il m'a redonné la vie. Je n'ai eu que le temps de me réveiller, de récupérer mon équipement et de combattre Sirat et d'autres orcs avant de pouvoir utiliser cet artefact et revenir ici. Comprenez bien cela : la Mort de nous démunit pas entièrement, et nous sommes aidés par des dieux. Nous avons encore une chance."
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