Aglaeka s'installa elle aussi, sortant du papier et une plume, sans doute pour écrire à ses sœurs restées sur Imiftil. Elle sembla nostalgique un instant, m'enjoignant encore une fois de venir avec elle rencontrer les membres de la Sororité. C'était toujours une idée intéressante et qui me donnait envie.

Je sortis de ma besace quelques herbes, ainsi qu'un bol que je remplis d'eau. Je me demandais comment faire bouillir cette eau quand une première idée me vint. En effet j'avais maîtrisé un sort plutôt expéditif dans la magie du feu, mais je n'avais pas commencé par les bases. L'influence de la kitsune... Je plaçai donc mes mains autour de la céramique, tentant de faire le vide dans mon esprit un peu trop encombré. Je me concentrai juste sur la chaleur qui parcourait mon corps, voguant de mon cœur jusqu'au bout de mes doigts. Je pris mon temps, pour lentement insinuer dans mes veines l'énergie qui m'habitait, l'énergie chaude. L'exercice était plus dur qu'il n'y parait, la magie de feu étant, je l'avais appris aux dépends du lapin, particulièrement violente. Le but n'était pas de faire venir la chaleur qui ne se faisait jamais prier, mais bien au contraire de limiter celle-ci. C'est en cela que c'était dangereux et qu'il fallait rester diablement concentrée, qu'il fallait vraiment prendre tout son temps.

Je sentis des vagues de chaleur se glisser le long de ma peau et, ne relâchant pas un instant mon effort, je concentrai l'énergie entre mes doigts, n'en faisant pas s'échapper plus que de raison. Cela eut son efficacité: le bol se rougit petit à petit et il ne fallut pas longtemps pour que l'eau ne se mette à frémir puis à bouillir. Satisfaite je plongeai les herbes dedans, les laissant infuser.

J'en profitai pour tracer à la craie quelques symboles elfiques. En effet je ne pouvais m'entrainer convenablement dans la chambre et je n'avais pas envie qu'Aglaeka pâtisse de mes tentatives. Il n'étais pas trop conseillé d'aller dehors et de jouer à la magie non plus. Le mieux était de pratiquer la magie uniquement dans l'esprit, ce pour quoi les elfes étaient très forts. Leurs runes méditatives étaient très efficaces, même pour un être humain. Avec quelques plantes opiacée, il ne me serait pas si difficile que ça de m'entrainer sans laisser la moindre trace. Habituellement je n'aimais pas ce genre d'exercice, trop introspectif à mon goût, mais là cela me permettrait de me libérer de mes pensées parasites par la même occasion.

Je rajoutai quelques champignons aux vertus hallucinatoires avant de porter la mixture à mes lèvres. C'était chaud, ça avait un goût d'ortie, mais il fallait souffrir pour être mageresse.

Je reposai le bol, posant mes yeux sur les symboles que j'avais dessinés sur la table. Les courbes de ceux-ci rappelaient des serpents s'enroulant les uns aux autres et, plus le regard se portait sur eux, plus ils semblaient s'animer. C'est pour cela qu'il était pratique de se concentrer sur eux afin de méditer. Les herbes aidant, ils n'eurent plus l'air de simplement bouger, mais carrément de vibrer et de s'entortiller, si ce n'est frénétiquement du moins énergiquement.

Complètement captivée je ne me rendis pas compte que la lumière de la bougie se faisait peu un peu moins intense, souffrant de la fenêtre encore ouverte. Je n'entendis plus les bruits de plus en plus espacés venant de la rue, ni des cris s'éteignant peu à peu des ivrognes et des marins. Le froid n'eut pas d'emprise sur moi et pour cause, la chaleur des flammes brulait en moi à présent. Je fermai les yeux, les symboles continuant de danser un instant. Mais je détachai ma concentration d'eux, les serpent s'en allant fébrilement, s'écartant de moi dans un bruissement très léger.

Mes yeux s'ouvrirent en grand, se faisant aussitôt cingler par le vent fort des montagnes, s'écrasant sur les immenses falaises grises derrière moi. J'étais seule et, au loin, se dessinait une forêt, dense et gigantesque, grouillant de vie. J'étais bien trop loin cependant, et surtout bien trop haute, sur ce plateau au flanc de la chaîne de montagne, pour discerner quoi que ce soit provenant du lointain. J'étais seule, sans végétation, sans faune, sans distraction. Et en moi, fébrile, ma magie s'agitait.

Il faisait de plus en plus froid, malgré la magie. Je refermai les yeux, laissant s'instiller en moi le souffle chaud qui provenait de la puissance d'Akane. J'essayai alors de la libérer, d'une petite vague légère. Ma peau me brûla presque immédiatement, me faisant pousser un petit cri de douleur. Je rouvris les yeux: j'étais dans la chambre de l'auberge, sur le sol, un peu de fumée sortant de mes mains chaudes. Je me relevai machinalement, m'asseyant de nouveau avant de replonger dans ma méditation.

La deuxième fois fut la bonne: je ne me laissai pas emporter, laissant la magie prendre très lentement possession de moi. Elle voulait fuser, exploser mais je l'obligeai à rester calme, contre sa nature. Si bien que la chaleur qui me pénétra fut douce: douce et frustrée. C'était un bon début, maintenant j'étais prête à la suite.

Je rouvris donc les yeux une nouvelle fois, contemplant de nouveau la vallée, loin en contrebas. J'entendis un petit cri d'animal qui me fit me retourner rapidement. Devant moi se tenait un petit renard, arborant non pas une mais deux queues. Il, ou plutôt elle me dévisageait, semblant craintive. Je ne lui prêtai pas plus attention que cela, portant mon intention sur ma main.

Je pointai alors celle-ci dans la direction d'Akane, qui fit un petit pas de côté. J'arrivais à peu près à maîtriser le feu qui sortait de moi, que ce soit pour le concentrer autour de ma personne ou au contraire pour le faire fondre vers un adversaire. Je n'avais cependant pas encore essayé de faire jaillir le feu ailleurs, de manière spontanée.

Je me concentrai un instant sur la goupil, sentant sa position un peu plus loin de moi. Je n'attendis pas plus, levant la main. Quelque chose brilla un instant au sol avant de s'éteindre, faisant glapir la kitsune qui s'ébroua vigoureusement. Le mouvement était là, il suffisait de faire passer l'énergie dans l'air, de manière dissolue, ne la reformant que là où je le voulais. Je ne me gênais pas pour recommencer et, cette fois-ci, une lumière vive et chaude se mit à éclairer l'animal. Celui-ci s'éloigna, mais mentalement je tissais un lien entre la lumière et son mouvement, si bien qu'Akane fut suivie tout du long par la petite flamme. L'utilité était limitée à présent, mais pour un combat de nuit ou pour améliorer ma précision à l'arc, ce serait hautement efficace.

C'est alors que la kitsune sembla en avoir assez. En effet je la vis briller un instant, les formes de l'animal s'étirant lentement et élégamment, jusqu'à ce qu'il prenne la forme de la très belle femme que j'avais déjà rencontrée. Celle-ci, d'abord à quatre pattes, se redressa avec élégance. Elle fit un petit signe de la main et son corps nu se recouvrit d'une robe rouge vif, tout à son image.

"Je m'ennuie, faisons mieux."

Sa voix était un peu chantante, mais emplie de défi. Elle tendit alors la main dans ma direction et aussitôt je pus voir la couleur rougeoyante de la flamme se former. Sans le moindre effort elle lança un jet brûlant dans ma direction. Prise au dépourvue je me jetai au sol, mais bien trop tard. Les flammes passèrent sur mon corps, m'attaquant la peau cruellement. Je poussai un cri en voyant ma chair roussir et noircir, me roulant sur le sol de douleur.

La douleur partit bien vite cependant et bientôt la jeune femme reprit:

"Fais mieux que ça Isulka, tu as vaincu un inugami tout de même".

Mes yeux se posèrent sur la peau qui quelques secondes auparavant était à vif, mais qui à présent était en parfait état. Je me relevai donc, plantant un regard colérique dans ses yeux joyeux. Elle s'exprima de nouveau:

"Essaye donc de créer un mur de feu entre nous, tellement brûlant qu'aucun être ne puisse le franchir sans risquer la mort."

Accompagnant la parole par le geste, elle traça négligemment un trait horizontal dans l'air, la paume tendue. Le résultat ne se fit pas attendre: sur tout le plateau un mur gigantesque de lave et de flammes se dressa, montant sur plusieurs mètres. Je me protégeai le visage par réflexe, tant la chaleur dégagée était violente, puissante et outrancière. De l'écume de lave tombait, giclait tout autour, creusant de petits cratères dans la terre.

Le mur resta dressé un instant, avant de finalement se faire aspirer par Akane, qui une main sur la hanche me regardait avec un air de défi. J'avais eu du mal à saisir tout du sortilège, tant sa puissance avait été fulgurante. Pourtant je sentais qu'en moi j'avais ce qu'il fallait pour le lancer. Et puis la magie de feu était basée sur la violence pure, il me suffisait de ne pas me contenir et ce serait beaucoup plus facile. Le même sort par la foudre n'aurait ainsi eu aucun sens.

Je levai donc la main et fermant les yeux je laissai l'énergie m'envahir, concentrant au bout de ma main la puissance nécessaire. Je fis alors le même geste qu'elle, mais le résultat fut tout autre. Je ne parvins en effet pas à déplacer le pouvoir, celui-ci prenant naissance à bout de bras. Le mur se dressa ainsi, moins fort certes mais tout aussi brûlant. Sous la surprise je bondis en arrière, manquant de tomber de la montagne. Mes pieds glissèrent sur les cailloux, alors que je me retrouvai les fesses par terre, la lame et les flammes éclatant par moment tout autour de moi.

Ce fut une fois encore Akane qui aspira l'énergie, mon énergie. Elle ne se moqua cependant pas de moi, me regardant toujours. Je me relevai, m'essuyant le visage plein de suie. D'un pas décidé je me rapprochai, concentrant de nouveaux ma puissance dans mon membre. Je refis le même geste, mais en laissant la magie fuser d'abord vers le point de départ que j'avais choisi. Cela retarda un peu l'action, et ainsi à peine avais-je finis de tracer dans l'air la zone que je voulais voir brûler, une immense muraille de flammes et de magma se dressa en crépitant rageusement. Je restais un instant à observer ma création, létale, mais magnifique.

Je laissai lentement le mur se dissiper, contemplant la magie dans son état le plus beau, le plus artistique. Akane ne sembla pas se presser non plus. Nous avions le temps, ou en tout cas le prenions nous.

"C'était mieux, n'est-ce pas?
-C'était mieux oui, lui répondis-je."

Je plaçai ma main devant moi, laissant l'énergie s'infuser lentement. Akane me jeta un regard intrigué et intéressé, avant qu'une lueur de défi n'illumine ses yeux. Je serrai le poing, quelques flammèches en profitant pour s'extirper , me léchant les doigts sans pour autant me faire de mal. Ma main se déplia rapidement, s'ouvrant alors que je tentai de projeter une partie de l'énergie vers la femme goupil. Celle-ci bondit adroitement, alors que derrière elle la boule de flammes éclatait contre la paroi rocheuse, restant un instant incandescente avant de disparaître. Il n'était pas si difficile de former une boule de feu, si célèbre dans les contes pour enfant. Ma technique n'ayant pas été parfaite du premier coup je recommençai l'effort, et cette fois-ci accompagnai du bras le mouvement de mes doigts. La seconde attaque vola beaucoup plus droit en direction d'Akane, qui fut obligée de bloquer le sort de ses mains, y parvenant in extremis. Cela ne sembla pas lui faire le plus grand bien. Cette méditation était décidément très efficace, à moins que ce ne soit l'aide de la kitsune qui ne se soit avérée providentielle.

"Et si nous passions aux choses sérieuses?" me lança t'elle, tout en m'adressant un léger clin d'œil.

Elle passa la langue sur ses lèvres et comme pour répondre à son injonction le soleil disparut à l'horizon, nous laissant dans les ténèbres les plus profondes.

"Concentre la flamme dans tes yeux, tu verras mieux encore que si tu allumais des torches."

J'obéis, une fois n'est pas coutume. Il ne me restait guère d'énergie, le feu ayant fini par se dissiper avec tous mes essais. Cependant je parvins à faire remonter jusqu'à mes pupilles le peu qui m'habitait encore. Ce ne fut pas aussi difficile que prévu, ce fut même presque aisé. Mas paupières me brûlèrent un instant, mais bientôt ce qui était noir pris du relief. Je n'y voyais pas clair pour autant, mais je percevais une chose: Akane, ou plutôt son aura rougeoyante.

"Et bien tu as vu ce que je pouvais faire avec ta magie. Maintenant je vais m'entrainer avec la mienne, tu ferais mieux de fuir Akane.
-Et rater le spectacle? Pour rien au monde..."

Je souris dans l'obscurité, avant d'écarter les bras. Je fermai les yeux une énième fois pour me concentrer, même si ma nouvelle vision isolait toujours la silhouette chaude de la jeune femme. Je n'avais encore jamais essayé de canaliser toute la foudre en moi, du moins pas depuis que j'avais ingéré autant de fluides. Je n'avais pas eu le temps, ni l'endroit pour il est vrai. Dans ce lieu imaginaire, libre de toute contrainte, je pouvais y aller franchement et je n'allais pas me gêner un instant.

Mes mains se mirent à frémir, et bientôt dans l'obscurité des arcs bleutés se mirent à grésiller, émanant de moi de manière fébrile et en désordre. Je concentrai ma force tout simplement, allant chercher au fond de moi l'essence même de l'électricité qui commençait à remonter le long de mon échine. Je me décidai à ne plus me limiter, laissant libre cours à la puissance qui m'habitait et qui à présent illuminait par intermittence les lieux.

Un craquement sec se fit alors entendre une première fois, puis une deuxième. Un cri sortit de ma bouche, tandis que la foudre jaillissait de moi par vagues difficiles à contrôler. La puissance grandissait encore et toujours, atteignant un degré difficile à supporter pour mon frêle corps. Je ne pus bientôt plus contrôler l'énergie et, levant les bras au ciel, je la laissais exploser de part en part. Des poches statiques se formèrent un peu partout au-dessus du plateau, avant de finalement éclater en des éclairs terrifiants, zigzaguant tout autour de nous. Des rochers volèrent, ajoutant d'avantage de vacarme.

Akane poussa un cri, avant de vociférer:

"Arrête ça tout de suite!"

Elle glapit alors, s'étant transformée de nouveau en renard. Je vis sa forme, rouge dans l'obscurité, sauter de rocher en rocher pour échapper à l'orage virulent qui s'était formé. Celui-ci ne dura pas longtemps cependant, surtout compte tenu de l'énergie qu'il m'avait coûté. En effet, j'avais été bien trop large sur la puissance: pour avoir un effet similaire il me faudrait moitié moins en combat. Ce n'était pas précis certes, mais peu d'ennemis réussiraient à se concentrer en pareille occasion.

Akane ne revint pas, mécontente certainement d'avoir manquer de se faire frire par la foudre. Il faut dire que même moi, l'espace d'un instant, j'avais eu peur. Peu importait, il y avait quelque chose d'autre que je voulais essayer avant de quitter la méditation. Quelque chose qui m'aurait bien servi contre l'inugami et contre pas mal d'adversaires dans ma vie. J'avais déjà essayé, mais l'énergie suffisante m'avait toujours manqué. A présent ce n'était plus le cas, je l'avais constaté.

J'invoquai la magie qui me restait, en assez grande quantité malgré l'effort que je venais de faire. Décidément il ne valait mieux plus plaisanter avec moi. C'était peut-être pour ça que l'obédience s'intéressait à mes services d'ailleurs.

Lentement l'électricité me fit raidir les membres, crissant dans l'obscurité. Je la fis sortir de mon corps, l'entourant autour de mon être comme une aura, la contrôlant uniquement par un effort de visualisation. En me concentrant fortement j'enjoignis la foudre de me soulever, par la seule force statique que dégageaient les anneaux de foudre. Cela marcha, à peu près: je me retrouvai à moins de deux mètres de l'endroit où je me trouvais juste un instant auparavant. Cela n'avait donc pas fonctionné comme je le voulais, mais j'avais compris comment faire mieux.

Je me redressai, faisant venir à moi la foudre. Je l'extirpai de nouveau, la faisant tournoyer autour de moi dans le sens des aiguilles d'une montre. Je laissai alors un peu d'énergie filer à quelques pas, la faisant aussi tournoyer mais dans le sens inverse.

L'effet ne se fit pas attendre, les deux cercles de foudre accélérèrent au-delà de mes espoirs, atteignant une vitesse inouïe. Puis tout bougea autour de moi: la terre se retourna et je chus sur le sol, non pas à l'endroit où j'étais, mais à l'emplacement du deuxième cercle.

Je me redressai tant bien que mal, crachant un peu de sang par terre. Malgré tout j'avais un immense sourire aux lèvres.: les deux cercles avaient atteint une telle vitesse que ce qu'ils entouraient avait été déplacé, échangé. Autrement dit, mon corps était une fraction de seconde devenue pure foudre, aspiré deux mètres plus loin. Ce n'était pas exceptionnel pour le moment, il faudrait le retravailler longuement, mais j'avais réussi pour la première fois un sort de téléportation. Je n'étais pas peu fière.

Totalement exténuée, je sentis l'illusion se dissiper. J'avais comme chuté dans la réalité, sur la chaise que je n'avais pas quitté. Une nausée me pris, ma main venant machinalement se poser sur ma bouche pour m'empêcher de vomir. Je parvins par chance à ne pas rendre mon repas du soir.

Je me retournai lentement. Aglaeka était toujours là, concentrée sur ses lettres. J'essayai de me lever, pour sentir mes jambes se dérober sous moi. Mes pensées se mélangèrent alors: je sentis l'étreinte de mon amie, le sol se soulever puis le contact doux du matelas. Mais était-ce ce que je ressentais réellement ou simplement ce que je désirais?

Cela n'eut pas d'importance longtemps. Je ne me sentais pas bien, mais je m'endormis rapidement.


(Hrp: apprentissages
-Chaleur, sort rp de feu.
-Bouclier de chaleur, sort évolutif de feu.
-Repéré, sort de feu niveau 1.
-Mur de feu, sort de feu niveau 3.
-Boule de feu, sort évolutif de feu.
-Vision infrarouge, sort rp de feu.
-Orage terrifiant, sort de foudre niveau 3.
-Téléportation, sort de foudre niveau 3
Coût: 430 yus)

Thalo avait un esprit chevaleresque, et l'idée de rejoindre un équipage pirate semblait le répugner. Lui et sa compagne voulaient apparemment quitter la plus grande ville du monde connu le plus tôt possible, et partir le jour même leur allait parfaitement. Alors que Nark allait répondre, un gobelin entra dans la taverne. Les gobelins était petits, vert, et ne savait pour la plupart pas faire des phrases corrects. C'étaient des nuisibles, et ils pouvaient parfois être dangereux, ils ne se rendaient pas compte du danger tellement ils étaient idiots. L'elfe noire et le gobelin devraient s'entendre à merveille, entre parasites

Nark en avait un jour croisé un minuscule, encore plus chétif que les autres. C'était un vieux mage qui se battait aussi avec une épée adapté à sa taille. Il s'appelait Yado, et n'avait pas compris que le verbe allait, en général, après le sujet. Lui était par contre assez sérieux et intelligent, et disait que la magie ne venait pas des fluides, mais de la force, ce qui, comme tout le monde le sait, n'a aucun rapport. Il avait dit au jeune guerrier qu'il était l'élu, qu'il devait tuer un empereur. Or, il n'y avait aucun empereur à Kendra Kâr, mais un roi. Nark l'avait envoyé balader, car il n'avait à l'époque pas le temps de s'occuper de ce genre de bêtises.

Revenons à ce que nous disions. Un gobelin entra et commença à hurler sur le tavernier, demandant à boire. Il était suivi d'un loup, qui vraisemblablement lui appartenait, et d'un garde. L'être humanoïde vert sortit une flèche de son carquois pour la planter dans l'appareil reproducteur du garde, qui devait lui taper sur les nerfs. Il la ressortit pour l'enfoncer à nouveau sous son aisselle. Le garde se vida de son sang en quelques instants, et mourut, baignant dans son sang. L'un des clients sortit en courant, sûrement pour aller prévenir la milice. La créature verte avait peu de chance de s'en sortir indemne, Kendra Kâr étant une ville pleine de soldats. Nark n'allait pas intervenir, jusqu'à ce que l'ignoble chose verdâtre s'approche de leur table et commence à leur parler, comme s'ils étaient des amis de longues dates. Le milicien ne comprit pas du tout ce qu'il disait, lui non plus ne semblait pas savoir parler normalement. Thalo se leva et dégaina son arme, protégeant de son corps la jeune sorcière. Il ne pouvait laisser ce meurtre impuni, et voulait passer le gnome par le fil de son épée. La créature s'en fichait comme de son premier meurtre, et annonça qu'il était un chasseur d'elfe. Le jeune homme n'avait aucune envie que cette rencontre se termine dans un bain de sang, même si son envie de tuer ce nuisible le démangeait. Il se leva donc, sortit sa rapière et dit calmement :

"Sieur Thalo, je vous prie de vous calmer, de ranger votre arme, et de vous rasseoir. Quant à vous, gnome, partez en ne revenez pas."

« Comment ?! Laisser un tel crime sans justice ? Ce fourbe accuse Rosa et ne fait qu’ajouter la diffamation sur sa tête. Je refuse de ranger mon arme tant que la garde n’aura pas saisi cet assassin ! »

« Mais laisse le donc, il est occupé à combattre ses propres démons. »

Rosa changea de masque, la petite elfe terrifiée sur sa chaise laissait place à une sorcière médisante et cruelle. D’un sourire prophète, elle huma l’odeur du métal forgé fraichement dégainé. La bêtise du jeune intrus combinée au vice du petit meurtrier donnaient un magnifique parfum de douloureuses déchirures futures. La Shaakt prenait bien soin de se cacher derrière son bouclier courroucé, l’injustice rendait ce bras tellement furieux ! De plus, l’insignifiant sekteg, bien que sa nature soit délicieusement manipulable, pouvait par crainte tirer une nouvelle fois. Ce Granak semblait une marionnette amusante, oh ! Que la mage voulait jouer avec ce pantin. Un esprit stupide mais néanmoins perfide, un caractère sanguinaire qui peut à tout moment se noyer dans l’effroi, que rêver de mieux ? Bien sur comme toute créature méprisante, le gobelin agitait bien trop sa langue et d’une façon dégoûtante, insolente voir navrante. Peut être que la lui tirer jusqu’à ce qu’elle craque, qu’il gémit sans pouvoir prononcer une syllabe… Le respect nait de la coutume, soumettre le silence aux fâcheux en était une. L’appellation des Shaakts ne lui plaisait guère, ça non. Une telle impertinence méritait bien de couper ses vilaines oreilles repoussantes. Mais de quel dieu ce petit présomptueux trouvait-il l’inspiration de narguer la dangereuse veuve noire ? L’accuser de ses méfaits n’était pas le meilleur moyen d’éviter une toile venimeuse. Rosa eut une petite moue teintée de dégout et d’amusement, d’une voix douce et presque murmurée la mage répliqua :

« Gare à toi petit sekteg. Les humains ont soit de vengeance. Tu as enfreint leur droit, prépare toi à subir leur châtiment. Ta petite colonne vertébrale risque de sentir le poids de la justice kedranne, ton cou la sévérité du peuple éphémère. Ne t’ajoute pas une chasseuse qui n’a pas raison de l’être. Si tu cherches à préserver ta vie de ton audace, gage de ne pas t’ajouter des ennemis qui ne sont pas les tiens. »

« Gobelin ! Jette ton arme et avoue tes méfaits ! »

Si la créature maléfique voulait croiser le fer, Thalo se tenait prêt à la maîtriser. Cela se ferait même s’il devait faire couler le sang du ressentiment. Sur ce point, le guerrier espérait que Nark le rejoigne. Laisser partir un criminel se montrait inconcevable aux yeux du protecteur. Les paroles du milicien furent un son amer. Allait-il rester passif, lui qui avait servi la ville ? Thalo ne s’asseyait pas et l’intention ne lui effleurait même pas l’esprit. Toute son attention se focalisait sur l’arme de ce maudit Granak. Si cette sale vermine encochait une flèche, le guerrier bondirait. Aucun innocent de plus ne mourrait par la folie d’une engeance corrompue tant qu’il serait en vie !

Le segtek croisa le regard meurtrier de la shaakt, et, comme si on venait de lui jeter un sort, il baissa les yeux, se soumettant à ses trois interlocuteurs. Nul ne pouvait savoir quelle réaction animale s'était produite dans la petite tête du gobelin, mais il se hissa sur l'épaule de Thalo d'un seul bond, mû par un instinct sauvage. Il souffla quelque chose à l'oreille du protecteur, puis grimpa sur ses épaules, s'en servant de monture. Le gros loup de la créature s'était approché, prêt à intervenir si le moindre mal était fait à son maître.

Nark voulait s'interposer, mais les crocs du loup promettaient la mort à quiconque attaquerait le segtek. Il imaginait déjà son cadavre en train d'être dégusté par le gobelin et son animal de compagnie, son corps baignant dans son propre sang, le museau du warg plein de sang. De plus, le jeune guerrier ne savait pas se battre au corps à corps. La créature verte dit quelque chose sans queue ni tête, que le jeune milicien ne comprit absolument pas.

Un gros et vieil homme entra dans la taverne, accompagnée d’un borgne à moitié mort. Ce premier cherchait un guérisseur pour son acolyte, qui était bien mal au point. Les deux hommes semblaient être des pirates, leurs habits ainsi que le cache-œil du borgne étant la caricature des navigateurs. Le jeune homme et ses deux nouveaux amis pourraient peut être rejoindre leur bateau si ils étaient effectivement marins. Celui qui était blessé transpirait beaucoup et il sentait mauvais. Même le milicien, qui était à l'autre bout de la salle, percevait son odeur putride. Notre protagoniste ne connaissait aucun guérisseur, il ne voyait pas du tout comment ils pourraient aider les deux corsaires.

Il devait d'abord s'occuper du problème du gobelin. Il s'approcha du loup qui ne le remarqua pas, trop occupé à regarder les âneries de son maître. Il ne voulait pas le tuer, juste le déconcentrer le temps d'enlever le segtek des épaules de l'homme en armures. Le jeune guerrier donna un puissant coup de pied au warg, qui s'effondra, et ne bougea pas, quelque peu surpris. Nark devait se dépêcher avant qu’il ne réagisse. Il tenta d’attraper la créature verte pour ensuite le jeter par terre.

Cette maudite créature osa bondir sur lui ! Thalo pensait que par une ruse de la Shaakt, le gobelin se soumettrait aux conséquences de sa folie. Bien au contraire celui-ci écouta plutôt cette dernière et dans un instant d’inattention du guerrier, Granak s’agrippa à son casque en fer. La sale bête le tenait fermement et lança un braillement insupportable. De façon subtile, le jeune humain tenta avec mal de garder son calme, de rester sage. Ce fut alors que la peau verte raccusa avec maladresse sa partenaire elfe, il dépassait une nouvelle fois la limite et le protecteur lança alors vers le petit monstre un vif coup de pommeau …

Rosa quant à elle bien trop lassée par ce petit vers présomptueux, se laissa emporter vers la direction de la nouvelle scène qui se présentait. On oubliait déjà l’assassinat, le corps avait été déplacé dans l’attente de la garde. Un étrange duo détourna l’attention générale. Décidément, le pauvre aubergiste risquait fort de fermer boutique. Un souffrant, un porteur, rien de plus pour cette sombre heure. La curiosité de l’elfe noire voulait néanmoins savoir quel mal torturait ce frêle marin. Elle s’avança vers lui, prit la liberté de toucher son front. Malgré cette futile méthode, il n’était pas difficile de déduire que l’estropié brulait. Une fièvre destructrice, cette odeur infecte, mais surtout une incroyable réaction à la chaleur, l’image se donnait une maladie bien peu commune… Une malédiction peut être. Notre malheureux petit homme semblait avoir joué avec un feu trop dangereux pour lui. L’appel des flammes ne laissait pas la mage du feu aveugle. La sorcière proposa :

« Cela m’étonnerait bien qu’il expire d’un si petit fardeau. Votre ami va ; éventuellement ; avoir besoin d’un prêtre du feu… Qui sait… Ce pauvre marin a-t-il agacé Meno ? Dans une petite taverne comme celle-ci à part le faire boire vainement jusqu’à ce qu’il crève d’épuisement, vous ne trouverez rien. Dépêchez vous plutôt d’aller chercher l’aide du divin et si ça ne marche pas vous prendrez de l'avance pour les funérailles ... »

La shaakt fragile sourit. Son masque commençait à lui peser, elle se retourna vers Thalo comme pour aller se réfugier.

Le coup de Nark toucha de plein fouet le petit segtek, qui tomba par terre, quelque peu étourdi. Il tentait de reprendre ses esprits quand la jeune shaakt vint ausculter le marin malade. Elle pensait que c'était de l'ordre du divin, que l'homme avait contrarié Meno. Mais alors que la jeune elfe noire donnait son opinion sur l'étrange mal du borgne, celui-ci souleva sa robe, et sourit avec un air béat. C'était un acte vraiment vulgaire, et sa victime semblait outrée. Cet homme était l'un des plus idiots que le milicien ait connu : il était en position de faiblesse, allongé sur une table, et à moitié mort, de plus, le jeune guerrier connaissait les moeurs des shaakts : la femelle était supérieure au mâle, qui n'existait que pour procréer, et ces premières choisissait leurs amants, le concept d'un homme courtisant une femme n'existait pas. Le malade risquait donc de mourir très rapidement, ou pire, d'être torturé jusqu'à ce que mort s'ensuive. La mage se retourna et jeta un regard sombre à l'auteur de cette infamie.

Pendant ce temps là, le gobelin avait eu le temps de se relever et d'approcher du mourant, le tripotant à l'aide de l'une de ses flèches. Il comptait en faire son prochain repas, c'était une certitude. Nark allait intervenir quand le marin désigna le segtek comme le coupable de ce crime odieux. Cela ne gênait pas notre héros, qui espérait que cela permettrait de se débarrasser du monstre verdâtre. Il s'approcha donc de la petite troupe, un sourire narquois aux lèvres, et dit à la créature verte, même s'il savait qu'elle ne comprendrait pas :

"Si j'étais toi, je courrais vite et loin"

Puis il se tourna vers l'homme victime du courroux de Meno :

"Bonjour, je m'appelle Nark Lounge. J'espère que vous allez bien, vous êtes dans une situation difficile, si vous voyez ce que je veux dire... Je suppose que vous faites parti d'un équipage, vu vos habits. J'aimerais en être, et mon amie et son compagnon aussi "

Rosa ne put empêcher son esprit d'entrer en une classique dispute. Devait-elle pulvériser cet établissement par un feu vengeur ou simplement hurler une nouvelle fois dans les mots courroucés des Shaakts ? Quoiqu'il en soit, elle trahissait cette fureur naissante en son coeur par une grimace de léger agacement sur ses lèvres meurtries. Le chien bien dressé venait de la bousculer. Ce charognard pour rejoindre son maître la poussa hors de sa trajectoire. Le contact se montrait déconseillé chez la mage et s'il était violent cela ne faisait que rajouter du rouge pour une vengeance future. Elle voulait sa tête, qu'on la mette au sommet d'une pic. Ce warg devait être éventré, dépiauté, dépecé, de la viande froide voilà ce qu'elle désirait . Le choc la fit perdre son équilibre et la sorcière dut saisir une table pour éviter la chute. Comme ci cela ne suffisait pas, le malade fit un geste, d’abord aux yeux de l’elfe, insensé. Néanmoins, après une rapide réflexion, la shaakt déduit que ce n’était pas un spasme musculaire d’agonie mais plutôt une pulsion assouvie. La place du mâle dans la société kendrane avait jusqu’alors laissé perplexe la jeune mage. Cependant face à un tel choc culturel, la sorcière grinça des dents. Heureusement pour elle , soulever le manteau de fourrure laissa la robe à sa place, pas de yeux indiscrets satisfaits. Rosa se tourna pour observer l’idiot à l’air benêt qui indiquait le sekteg. Il pouvait bien toucher une fois l’araignée, à la prochaine tentative elle mordrait.

Thalo souffla, la garde entra. Une petite patrouille de trois hommes arrivèrent pour mettre fin à cette mascarade. Les gardes remarquèrent leur frère d’arme à terre, le guerrier leur expliqua :

« C’est ce gobelin qui de ses flèches à tiré sur ce malheureux ! »

Le guerrier comme pour se persuader que sa tâche s’achevait ici, regagna les côtés de sa protégée. Désormais la vile petite peau verte meurtrière devait répondre de la véritable figure d’autorité, le bouclier ne voulait pas rejoindre un combat qui n’était plus le sien. Il se tourna alors vers Nark qui parlait au malade.

« Si monsieur est rétabli, nous cherchons en effet de quoi faire fortune sur la mer. »

« Tu veux rejoindre ce … Mal’ai ? Et lui ? Depuis quand je suis son "amie" ? »

« Qu’est ce que vous avez contre cet homme ? »

La mage ne répliqua pas, elle se contenta d’observer le seul imbécile qui souffrait de sa bêtise par une violente fièvre. Peut être allait-il dire quelque chose avant de mourir, avec un peu de chance…

Les gardes arrivèrent, pour arrêter le coupable du meurtre de leur collègue. Mais la petite créature verte ne voulait pas être arrêtée. Il attrapa le marin et lui ordonna de lui donner son bateau, pensant qu’il pourrait échapeper à la milice. Son gros chien, pendant ce temps, attaqua les hommes de lois, qui pourtant n’avaient rien fait.
Le borgne joue une comédie ridicule envers le gobelin, lui faisant croire qu’il lui offrait son navire. Le mourant était donc le capitaine, et le gros chauve son second. Le segtek ne comprit sûrement pas, tellement il était idiot, mais il crût que le pirate n’avait aucune mauvaise intention envers lui, il le relâcha, mais le malade en profita pour le malmener pour ensuite l’enfermer dans un tonneau que venait d’apporter l’aubergiste. Bien, cela faisait un parasite de moins. Le marin se leva et décida d’aller au temple de Meno, suivant le conseil de la shaakt. Nark se dirigea vers l’écurie, pour prendre Mélodie. Sa jument l’attendait, elle avait mangé un peu de foin pour rassasier sa faim. Elle semblait contente de voir son maître, et elle hennit en le voyant. Le guerrier était de plus en plus sûr qu’il s’agissait de sa sœur, tout son être le lui dictait.

(Tiens, je vais prendre quelques fourrages pour mon cheval)

Il mit un peu de foin dans le sac que portait son cheval et côté, monta en selle et sortit. Il se rapprocha du pirate, qui était à la porte, attendant l’elfe noire.