« Respirez un peu cet air ! Le marché a cette vertu de vous réveiller le nez. N’est ce pas une odeur annonciatrice d’une magnifique journée ?"
Tout semblait merveilleux. Une mer d’âmes agitées qui vomissait des vagues assourdissantes, des bancs de misérables errants, des récifs d’étalages d’infects marchands, des patrouilles de prédateurs passant, tout ce mouvement étouffait la sorcière naufragée. Noyée dans cette foule écumante, avec pour seul radeau un guerrier qui appréciait cette scène, Rosa gémit discrètement. Elle le collait à moins d’un mètre, son bras hésitait à s’accrocher à l’armure protectrice. La mage manquait cruellement d’air. Il fallait qu’elle quitte la tempête. Le présent était clair. plus longtemps elle perdrait la tête. Cruelle peine, guide aveugle ! Ne voyais tu pas que la sorcière souffrait un sort insupportable ? Thalo, l’homme en armure, comme pour rythmer la cadence sifflait un air enchanteur. Une mélodie de monstre marin qui poussa Rosa à marcher plus vite , sans regarder sa future stupeur.
La jeune Shkaat percuta quelqu’un. Le bousculé ne bougea pas d’un pouce, ce fut la mage qui tituba pour se pétrifier un peu plus loin. Elle osa lever les yeux, un ogre. Un monstre qui montra les dents pour signaler son agacement. Enorme, une masse de chair musclée qui paralysa l’elfe noire. Les yeux plissés, L’homme fit une grimace de dégoût. Il sut que c’était une elfe… Et la pire des races à son regard.
« Regarde où tu vas… Elfe. »
« Ne la touchez pas ! holà ! »
Son compagnon fit irruption, auparavant occupé à admirer une échoppe des plus sordides. Il s’interposa puis continua tel le sauveur féérique qui connaissait son texte par cœur :
« Écoutez, mon amie n’a pas l’habitude des villes bien peuplées sa… »
« M’étonne pas. » coupa t-il sur un ton d’un gout amer. La brute poussa Thalo puis reprit sa route.
Un temps.
« Curieux personnage… On a oublié de regarder devant soi ? »
« Un endroit calme. Maintenant. »
Le noble protecteur s’inclina avec ironie amusée. Ca a du surement lui sortir de la tête. Rosa semblait mal à l’aise. D’habitude toujours courroucée à son égard, elle se donnait un masque affolé perdu au loin gémissante sur une rive blanche d’écume. Pourtant, c’était la bile noire qui bouillait en son cœur . Tremblements passés, elle brûlait d’envie de carboniser ce furieux présomptueux. Cet homme qui l’avait bouleversée, bouffi par les vanités du travail pensait derrière ses muscles échapper à sa rancœur ? Infernale cité, tu nourrissais de ton sein une engeance méprisante. Tous ces yeux méfiants sur elle, maintenant Rosa les sentait. Cette bousculante expérience l’avait faite quitter sa bulle. La plupart, un regard de coin, comme on observait un mendiant aveugle. Les autres, plus francs, fixaient d’un air violent, agressif. Shaakt se voyait comme une araignée hors de sa toile, au milieu d’une fourmilière. Une image percutante qui nourrit l’imagination puis la paranoïa. Sa respiration s’accéléra, elle voulait crier mais son essence semblait bloquer à la gorge, souffle coupé, la jeune perdue allait sombrer dans une crise lorsque son guide prit la parole :
« Voilà une parfaite auberge ! La Tortue… Guerrière ? Hm… Comme on dit l’épitaphe ne fait pas le mort ! Nous allons pouvoir passer la nuit ici, Rosa."
“Magnifique journée.”
L’elfe noire entra d’abord, suivie de l’homme. Foyer passant des voyageurs, aujourd’hui abri de l’heur. Apaisement incertain, Rosa put souffler. Ses pensées s’éclaircissaient d’avantage avec pour seule lueur le soleil couchant sur les fenêtres. Fin du chaos pour un endroit restreint qui baignait dans l’ordre serein. L’aubergiste prévoyant allumait déjà le lustre, un songe apparut : Rosa voyait le bateau, elle le regrettait lui et ses grandes voiles blanches, son peu d’équipage et son immense horizon qu’était l’océan. Pour le peu d’argent qui leur restait, le guerrier conseilla de s’arrêter ici dans cette maudite ville. Pourquoi avait-elle accepté ? La plus grande cité de ce monde, elle aurait du y penser. Où était Thalo ?
« J’ai loué deux chambres pour quelques jours. »
« Pourquoi rester ici ? Quitter la mer pour cet endroit est la pire idée que j’ai jamais eue. Je ne la supporte pas, on y atteint des sommets de démesures. »
« Eh bien si vous souhaitez partir, nous reprendrons la route… Mais si vous me permettez, nous n’irons pas bien loin avec la maigre monnaie qui nous reste. »
Elle se mordit les lèvres, Rosa voulait s’enfuir mais pas en tant que vagabonde, horreur du doute omniprésent et de l’existence sans destination. Il fallait que la Shaakt trouve un moyen de subvenir à son désir. Tout cela semblait stupide. Errer sans avenir, était-ce là leur but ? Son esprit embrumé s’affola une nouvelle fois, incapable de voir autour d’elle, l’elfe noire soupira enfermée sur elle même. Seul le guerrier pouvait parfois lui ouvrir l’esprit.
« Si vous voulez mon avis, vous êtes attirée par l’aventure, le souverain de cette cité a probablement du travail pour un duo comme nous… Et puis au pire des cas, j’irai dans la milice un temps ! »
L’humain avait sans doute remarqué l’inquiétude plus présente que d’habitude sur l’elfe noire. Cette dernière soupira puis se laissa tomber sur une chaise. Qu’est ce qu’il pouvait bien rechercher ? Son collier d’esclave fut brisé mais il s’entêtait à la suivre. Thalo ne demandait rien et ne parlait que lorsque Rosa s’en montrait incapable. Un code d’honneur stupide ? Un idéaliste en quête d’expiation ? Une statue de chair animée qui en a eu l’ordre ? La mage ferma les yeux. Une douleur insoutenable à la tête fit son entrée. Elle se contenta d’acquiescer pour la question du dîner. Un voyageur mangeait déjà, un perroquet de perchait sur son épaule, l’oiseau lavait son bec bien qu’il semblait propre.
Un temps.
Le couple étrange restait silencieux. Thalo demanda simplement qu’on lui apporte le plat dans sa chambre. Ils restèrent là à réfléchir…
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