Il retint alors un juron : ils avaient disparu ! Il tend une élégante oreille pointue et perçut des bruits de branches cassées. Ils n'étaient pas loin mais les arbres étaient denses, ici, il était donc impossible de savoir par où exactement ils étaient partis. N'ayant guère le choix, Faëlis s'enfonça dans la forêt droit devant lui, espérant retrouver des traces.
Il regretta un moment de ne pas avoir tenté de métier de pisteur, préférant la chasse avec des pièges (qui évite de devoir analyser des crottes ou s'agenouiller dans la boue pour observer une piste), mais bientôt, il vit des branches qui semblaient fraichement cassées. Heureusement, les deux colosses n'étaient guère discrets, surtout avec leur prisonnière qui les embarrassait et les ralentissait.
Faëlis continua d'avancer... et se précipita de justesse derrière un arbre. Les deux brutes étaient de retour. Déjà ? Le jeune elfe ne put s'empêcher de frémir. En même temps, c'était peut-être sa chance. Il prit son arc, encocha une flèche et, toujours collé à l'arbre, tenta de trouver un angle de tire qui ne le fasse pas repérer.
Les deux hommes, en fait des elfes, mais parmi les plus larges qu'il ai jamais vu, commentaient grassement leur « exploit ».
« J'espère que le patron va nous en laisser un peu, ricana l'un, cette petite salope est vraiment bonne ! »Le patron ? Bon sang, il ne fallait pas que l'un d'eux pousse un cri de douleur, où leur chef risquait de se débarrasser de sa malheureuse victime avant de s'enfuir... Faëlis se rapprocha donc aussi silencieusement que possible. Ils n'étaient pas vraiment face à face, ils étaient à demi tournés vers l'endroit d'où ils venaient. C'était sa chance. Il arriva doucement derrière eux, puis lança calmement :
« Levez les mains là où je peux les voir, sinon, votre souci sera plutôt de savoir si je vais laisser un peu de vous pour votre patron. »Les deux hommes se tournèrent lentement vers lui, les mains levées. La vision de la flèche encoché dans un arc officiel de l'armée de Cuilnen et braqué sur eux produisit un effet que Faëlis trouve des plus satisfaisant.
« Votre patron est par là ? demanda-t-il avec un signe de tête vers l'endroit vers lequel ils étaient tournés et où il devinait l'orée d'une clairière.
Si vous parlez trop fort, il va y avoir au moins un mort... »Ils hochent la tête dans un bel ensemble et un sourire sauvage s'étira sur les lèvres de Faëlis. Ils étaient décidément bien moins courageux dès l'or qu'il s'agissait d'autre chose que de maltraiter une jeune fille sans défense !
« Retournez vous. J'y vais »Ils se retournèrent et Faëlis put presque deviner que leurs esprits tordus se préparaient à l'attaquer dans le dos, mais il n'était pas bête à ce point. Dès qu'ils se furent tournés et alors qu'ils s'y attendaient le moins, il posa son arc... et leur cogna la tête l'un contre l'autre.
Ils s'effondrèrent, assommés. Comme quoi avoir une bonne musculature ne servait pas qu'à parader devant les filles !
Un hurlement perçant retentit depuis la clairière. L'estomac noué, Faëlis se précipita dans cette direction tandis que le bruit d'une gifle incroyablement violente parvint jusqu'à lui.
« Ta gueule, catin ! Tu n'as que ce que tu mérites ! Tu m'as volé, humilié ! Ce n'est que justice ! »Arrivé devant la clairière, il vit alors la jeune fille attachée à un arbre solitaire, au main d'un homme élégamment vêtu qui la brutalisait. Il portait un masque doré orné de perles multicolores qui figurait un visage rigolard. Le genre de masque que portaient les nobles quand ils allaient dans des maisons de tolérance, histoire de passer inaperçu. Faëlis aussi fréquentait ce genre de lieux, mais il ne portait pas de masque. Quand on est débauché, il faut savoir assumé. Visiblement, la fille devait être une prostitué qui avait dérobé son client, lequel était décidé à se venger.
Le jeune homme était tout de même perturbé, il connait toutes les maisons closes de la ville mais ne se souvenait pas de cette fille. Pourtant, une pareil beauté, non seulement il s'en souviendrait, mais en plus, il aurait payé le triple rien que pour un baisé et quelques câlins !
La voix de l'homme lui semblait aussi familière, mais elle était déformée par le masque. Sans doute quelqu'un qu'il avait croisé lors d'une réception. Étant donné les imbéciles pontifiants qui s'y trouvaient, lui donner la correction qu'il méritait ne dérangera aucunement le jeune homme !
Mais il fallait agir vite. Déjà, il déchirait le haut de sa victime pour la malmener avec des ricanements lubriques. Faëlis prit une flèche et l'ajusta. Comble de l'horreur, il devait prendre son temps pour ajuster son tir, malgré le spectacle insoutenable, sous peine de risquer de blesser la malheureuse.
La fille gémit faiblement, vaincue, ce qui n'empêcha pas son agresseur de la frapper violemment au visage. Le sang coula. Le visage tordu sous la haine et la tension, Faëlis termina de viser soigneusement. De l'avis de son professeur, il ferait un excellent archer car, tant qu'il prenait la peine de se concentrer, il était capable d'une précision exceptionnelle. C'était le moment de vérifier cela.
La flèche. La cible.
La cible. La flèche
La flèche partit et frappa la cible.
La cuisse transpercée de part en part, l'homme s'effondra en hurlant de surprise et de douleur. À nouveau, un sourire sauvage s'étira sur le visage du garçon.
(Prend ça, ordure !)Il s'élança ensuite vers l'arbre solitaire, complice bien malgré lui d'une tentative de viole. L'homme rampait comme il pouvait, sur le dos, en gémissant après sa blessure. Il ne retirait pas la flèche, était-il conscient que cela ne ferait qu'aggravé la blessure ? Ou avait-t-il juste trop mal pour oser y toucher ? Faëlis s'en fichait. Il ne prit même pas la peine d'encocher une nouvelle flèche et déclara froidement :
« Ce que vous avez fait est hors la loi. Voilà, j'ai dit ce qu'il fallait dire... Sa voix se charge de colère.
Maintenant, j'aimerais ajouté à titre plus personnel que vous êtes la pire ordure de cette ville ! Et que seul le désire de ne pas souiller une flèche innocente avec votre âme infecte m'a convaincu de ne pas viser un point vitale ! »L'homme se tourna péniblement vers lui en gémissant :
« Toi ? Non, c'est impossible ! »Ainsi c'est donc bien quelqu'un qu'il connaissait. Qu'importe, il y avait plus urgent que de s'occuper de ce salopard. Il se diriga vers l'arbre et la jeune fille qui y était attachée. Il remarqua au passage qu'elle était en fait un peu plus vieille qu'il semblait. Ce n'était pas facile avec les humains, ils sont si petit ! Mais en fait, elle devait avoir en équivalence le même age que lui, à peu de choses prêt.
Elle semblait perdue et en état de choc, ce qui était compréhensible. Le garçon s'affaira à la détacher avant de ramasser la traine de sa cape pour l'enrouler autour de sa poitrine. La pauvre n'avait sans doute pas besoin de se sentir toute nue en cet instant.
« Tout va bien, lui murmure-t-il doucement.
Vous êtes sauvé, il ne va plus rien vous faire. »Il était lui même surpris mais très heureux de constater qu'il n'avait aucune peine à ne pas la toucher plus que nécessaire. Aussi désirable soit-elle, elle n'avait certainement pas besoin de ça !
(C'est bien la preuve que je vaux mieux que ce genre d'ordure...)Elle murmura d'une vois douce, visiblement égarée :
« Acktar... »De qui parlait-t-elle ? Elle était sans doute un peu perdue et invoquait un ancien compagnon...
Tout en la soutenant du bout des doigts pour ne pas l'effrayer, il se tourna d'ailleurs vers l'homme, qui était toujours à terre, et grinça :
« Enlevez votre masque. »« Non ! » répondit l'autre, paniqué.
« Il faudra bien l'enlever quand vous serez devant la garde pour répondre de vos actes ! »« NON ! » hurla-t-il en reculant.
Faëlis était surpris devant sa résistance. A quoi bon ? Il ne pouvait rien faire pour s'échapper !
« Il va falloir apprendre à assumer les conséquences de vos actes... »« Mes actes ? cracha-t-il.
Prendre revanche d'une salope humaine ? Ce n'est qu'une vulgaire voleuse ! Comme tous les fils de porc de son espèce ! Pourquoi la défends-tu ? Ne me dit pas que tu t'accoquines avec cette engeance ! »Le racisme évident de l'homme retourna le cœur du jeune elfe. Il savait que ce genre de sentiments existaient, et était en grande partie responsable de la pauvreté de la plupart des humains installés dans la ville, mais c'était la première fois qu'il y était directement confronté. Mais ce qui le surprenait le plus, c'était la familiarité de cet homme. Était-ce donc quelqu'un qu'il connaissait bien ?
Il ne savait pas quoi faire.
(suite)