Il était tard et les rues de la ville s’assombrissaient tandis que les façades s’éclairaient de toutes parts. J’avais passé un petit moment à me balader en ville pour profiter de la fraicheur printanière qui envahissait Kendra-Kar depuis peu. La tempête s’était calmée dans la soirée et nous laissait les traces de son passage en de multiples dégâts mineures sur les toits ou dans le parc. L’adrénaline du combat diminuait doucement et mes blessures n’étaient qu’un mauvais souvenir, si bien que je me sentais parfaitement en forme pour aller boire un coup dans une taverne. Avec une certaine nostalgie de la beuverie de la semaine précédente, je décidai de retourner à la taverne des 7 sabres. Bien mal m’en prit…*~¤~*
La chaleur des lieux embruma bien vite mes sens et les relents d’alcool offraient un entêtement qui me faisait office de réminiscence de la dernière soirée. J’entrais dans ce tumulte et toutes les voix criardes dansaient autour de moi, chantantes, beuglantes, assourdissantes. Pourtant, le temps de commander une bière au tenancier taciturne et rejoindre une table vide avait suffit pour que je voie l’ambiance se dégrader. Le volume sonore s’était atténué pour se stabiliser en un ensemble de murmures et de remarques agressives étouffés par une main ou une étole.
(Que se passe-t-il ?)Craignant un quelconque danger, j’ouvrais l’œil d’un air alerte pour réagir si besoin, avant de me rendre compte que c’était ma présence qui avait refroidi les lieux.
(Sans mauvais jeu de mot…)Tandis que mes pensées digressaient en humour grinçant, les origines de ce changement m’apparurent peu à peu. Des regards mauvais pesaient sur moi et des chuchotements glissaient de lèvres en lèvres. Au bout d’un moment quelques gros bras quittèrent leur table pour s’approcher de moi d’un pas agressif.
« Eh, le branquignole, ça t’amuse de faire de faire des matchs nuls ? »« Faut vraiment être un lâche pour abandonner ainsi un combat. Aucun honneur… »J’allais bondir à l’assaut pour répondre à la provocation et sûrement déclencher probablement une bataille de taverne. Mais avant que je ne puisse me lever, une des brutes me planqua l’épaule contre le mur derrière moi, empêchant tout mouvement. J’aurais sûrement pu briser son étau, mais au prix de quelques sorts aux dégâts importants. Un autre porta un coup, prêt à me démettre la mâchoire.
« Attention, il va demander un match nul au lieu d’accepter sa défaite ! »Au milieu des railleries, le poing m’atteignit et m’ouvrit la pommette. Des rires malsains commençaient à fuser et je songeais furieusement à déchainer ma magie sur eux lorsque quelqu’un vint s’interposer. C’était le gérant, un gaillard aussi massif qu’une montagne. Se tenant droit pour être plus imposant, il bloqua le poignet de celui qui m’avait frappé et le mis à terre en le frappant d’un rapide coup de pied dans l’arrière du genou, Puis il balaya l’assemblée avec un regard aussi impétueux qu’un orage d’été qui poussa rapidement les brutes de regagner une attitude plus pacifique dans sa taverne.
(Il domine vraiment son petit monde sans problème)« Merci, heureusement que vous étiez… »Le muet s’éloigna sans écouter l’entièrement de mes paroles, un air d’agacement figeant son visage, puis il tapota sur une plaque accrochée au mur contenant la règle « Pa de bagar’ dens mon bar » grava avec une calligraphie et une orthographe aussi brouillonnes que l’art ménager en ces lieux. Il alla rejoindre son comptoir sans s’arrêter tandis qu’un jeune garçon bedonnant, à moins que ce ne soit un sinari, me glissa discrètement quelques mots avant de filer pour servir une autre table.
« Il a fait ça pour sa taverne, pas pour vous. Pour peu, il les aurait bien laissé faire. Il a plusieurs amis qui ont perdu de grosses sommes dans votre combat. »(Je n’ai vraiment pas d’amis dans le coin…)Le tenancier revint quelques instants plus tard vers moi, une grosse choppe à la main aux senteurs de malt. Il la posa avec brusquerie sur la table et tendit une main. Je lui donnai quelques pièces et pris ma bière pour la boire au plus vite.
(Je ne suis pas la bienvenue, je ne vais pas rester.)Le moral en berne, je bus d’un trait la moitié de ma boisson. Et ce fut une grosse erreur ! Immédiatement, un goût indéfinissable envahit ma bouche. C’était un mélange entre le plâtre et le gras cru, avec une note amère semblable à une moutarde pas mûre et pâteuse ou une racine marinée dans un vinaigre rance. Un reflux réflexif ne tarda à venir pour me faire cracher ce liquide infâme. Mais à ma surprise, ce fut majoritairement des bulles qui sortir de ma bouche, éclatant sur mon visage et sur la table en laissant des traces luisantes.
« Qu’est-c blorp que ..bluuu ? »(Je fais des bulles en parlant aussi. Le moindre son émis devient une mousse étouffante bien plus impressionnante que l’écume d’un chien enragé.)En panique, je me levai d’un bond pour rejoindre le comptoir et rincer ma bouche avec une vraie boisson. Le chemin fut rude car respirer devenait difficile et je titubais sous les rires moqueurs. Arrivé au bar, je pris un pichet d’eau pour m’en asperger allégrement, comme si je n’avais pas bu depuis une semaine. Mais ça n’arrangea rien à mon affaire et un déluge de bulles jaillit hors de mes lèvres pour inonder le plan en bois. Un rictus moqueur teinta le visage du muet tandis qu’il continuait à nettoyé le sol derrière son comptoir en passant un balai dans un seau d’eau savonneuse.
« Le savoblluurrp »(Il a mis du savon dans ma bière ! Le saligaud !)Décidément, j’avais du suffisamment faire perdre des parieurs pour me faire des ennemis dans toutes la ville. Devant les gens de cette taverne qui au mieux m’ignoraient et au pire ricanaient, je sentais que je devais partir. La solitude était une existence bien plus paisible…
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Après avoir quitté l’établissement malfamé, j’avais commencé à déambuler dans les rues, sans vraiment savoir où j’allais. La panique m’avait gagné et une bulle se formait sur ma bouche dès que j’ouvrais la bouche. C’était à la fois pathétique et alarmant et il me fallut une demi-heure d’errements avant que la raison me pousse aux portes du temple de Gaïa pour y chercher des soins. Les prêtres me rassurèrent même s’il n’y avait pas grand-chose à faire. Au mieux, je pouvais user de ma magie pour geler l’eau dans mon estomac et éviter de boire dans les prochaines 24h pour que le savon finisse de se digérer sans faire trop de bulles ou risquer de m’étouffer. Je repartis pantois me coucher en me lamentant sur mon malheur. La nuit fut courte et mauvaise et la journée qui suivit tout aussi terrible. Je restai toute la journée à me tordre sur mon lit, assoiffé et fatigué, suppliant pour un verre d’eau. On ne m’y reprendra pas à avaler du savon.> Suite