Et après quelques minutes de marches dans les bas quartiers de la ville, toujours soumis à l’oppression et au mal manifeste de ces ruelles, j’arrivai devant un bâtiment plus grand que les autres, d’où s’élevait des cris jouasse, de grands rires, et une bonne odeur de bière brassé. Content d’avoir enfin trouvé un endroit où je puisse me reposer, je poussai la petite porte de bois, et pénétrai d’un pas discret dans la salle. Mon entrée passa totalement inaperçue, les différents groupes étant trop occupés à discuter, jouer, débattre ou raconter leurs aventures épique à travers tout Yuimen. Dès les premiers instants, je réalisai que je n’avais peut-être pas choisi le meilleur endroit pour m’arrêter. En effet, les personnes présentes ici ne paraissaient pas très fréquentables, c’était un ramassis d’aventurier à l’air louche, discret comme des ombres et avec une allure d’assassin… Mais qu’importe, je ne m’en préoccupai que peu, à vrai dire.
Me faisant discret, passant sans bousculade entre les groupes, je me faufilai vers le comptoir, pour étancher ma soif, désormais envahissante. Arrivant près du grand meuble contre lequel étaient adossés une douzaine de client, je hélais discrètement le tavernier.
« Une bière, s’il vous plait »
Il ne me répondit pas, mais se retourna, attrapa une chope sortant du lavage, et commença à préparer la pression que je lui avais réclamé. Je le regardais faire, pris d’une sensation étrange, comme si je n’avais pas bu depuis une éternité. Pas depuis mon réveil, en tout cas… Après quelques instants, le patron se retourna vers moi, avec ses yeux menaçant, et me tendit ma commande.
« Merci, mon brave ! Lançais-je, tout jouasse. Et, après quelques secondes de silence, je me sentis obligé de répliquer. Ne parlez vous donc jamais ? L’interrogeai-je lourdement, pour souligner son impolitesse. »
L’homme ne répondit pas, encore une fois. Mais à la place, il ouvrit la bouche, et ce que j’y découvris m’horrifia. Le pauvre bougre avait la langue coupée à sa base, l’empêchant d’articuler n’importe quel mot, il ne pouvait qu’émettre des grognements confus. Un peu honteux de l’avoir réprimandé à tort, je plongeai mon regard dans ma bière, et la portai à ma bouche, tant pour me cacher que par désir d’enfin la gouter. Le liquide coulait dans ma bouche, et je le savourais, délectant son moindre arôme avec complaisance. Que c’était bon de le sentir passer à travers moi, me visiter et finir dans mon estomac… Mais je fus interrompu brutalement par une main qui s’agrippa à mon épaule, et me tira en arrière à tel point que je failli lâcher ma pinte. Je plongeai mes yeux dans ceux de l’homme, prêt à me défendre si nécessaire. C’était un petit Elfe rabougri, portant des boucles d’oreilles, et tatoué sur la moitié du visage. Son expression de colère s’apaisa lorsqu’il me reconnu.
« Cyowä, c’est bien toi ?! Nom de Dieu, mais oui, c’est bien toi ! Ca alors, mais c’est impossible ! »
Puis, sans que je n’eusse mon mot à dire, l’individu me prit dans ses bras, me serrant contre lui comme s’il revoyait un vieil ami, situation plausible après tout, car il se peut que nous ayons été amis sans que je m’en souvienne. Et sans attendre, il me tira vers lui avec vergogne, m’invitant à rejoindre sa table, où plusieurs hommes discutaient, visiblement eux aussi étaient des aventuriers expérimentés, et portaient tous une armure semblable à celle de l’Elfe. Mon ami m’invita à m’asseoir, puis fis poliment les présentations :
« Chers compagnons, je vous présente mon vieil ami Cyowä le voleur ! Et toi, vieux frère, laisse moi te présenter Hadak, Muysten et Rodral, mes compagnons humain, et Thörn’âck le nain. Quand à moi, et bien les présentations ne sont plus à faire, hé hé ! Alors explique moi tout, nous te croyions mort ! Tu as été enterré tué sous mes yeux ! Par quel sortilège t’en est tu tiré, cette fois ?
-Je n’en ai aucune idée, mon ami… Répondis-je, mis en confiance par cet Elfe aux belles paroles. A vrai dire, je ne sais pas qui tu es, je ne me souviens de rien, et je n’ai même appris mon nom qu’en le découvrant sur ma dague…
-Mais comment est-ce… Par quel maléfice !
-J’en sais encore moins que toi.
-Mais… La guilde, les aventures, tout cela ne t’est-il pas familier ?
-Aucunement, pas plus que ne l’es ton visage, cette ville. J’ai eu une vision néanmoins, un peu plus tôt dans la journée… Je me suis vu, descendant en hâte le clocher de la tour du grand clocher, j’étais…
-Ah, quelle nuit ! M’interrompis t-il en riant, nous avions bien une douzaine de mercenaires aux trousses ! Mais commençons par le commencement alors, si tu as tout oublié. Tu es Cyowä, mon ami, et aussi… »
Cette fois, ce fus lui qui s’interrompit. Il avait vu la porte s’ouvrir, et quatre hommes tout vêtu de noir entrer, commençant à tourner la tête de tout les côté. Tout ensuite se passa très vite. Sans que je comprenne pourquoi, L’Elfe m’asséna un violent coup de poing dans le ventre, me coupant de ma respiration et de mes moyens, avant de me projeter sous la table, dissimulé aux regards de toute la salle. Puis, j’entendis un bruit, celui caractéristique d’une flèche qui fend l’air, avant de venir s’incruster dans la chair, ce bruit caractéristique de la mort. Puis, des cris, un énorme tumulte, créer par toute l’assemblée présente. De grandes et grosses voix qui s’élevait, et enfin le bruit de pas précipités, s’enfuyant à toute vitesse. Tout cela dura quelques secondes, le temps pour moi de reprendre ma respiration en haletant, et de sortir de ma couverture, pour découvrir que le corps de mon ami était étendu sur la table, une flèche casée profondément près du cœur. Ses compagnons s’afféraient autour de lui, essayant de trouver une solution quelconque pour lui éviter la mort. Mais lui, semblait s’être fait à l’idée.
« Cyowä, où est Cyowä ?! Hurla t-il avec vergogne. Alors, j’approchai lentement ma tête de la sienne, prêt à entendre ses derniers mots. Perdant patience, il m’agrippa au col de ses deux mains, propulsant mes oreilles à quelques centimètres de sa bouche. Écoute-moi, mon ami, écoute moi… Commença t-il, cherchant ces mots. Ces Hommes veulent notre peau, ils m’ont eu, ils croient t’avoir tué… Et c’est là qu’est la clé, ils te croient mort, petit homme ! Ecoute moi bien, car je sens que ma vie s’achève, et que mon âme réclame de s’échapper de se purgatoire qu’est le monde des vivants. Rend toi, à Tulorim, et trouve Serthïng, Serthïng tu m’entends, trouve le ! Puisse les Dieux avoir pitié de nous, adieu, adieu mon frère… »
Et sur ces paroles, son corps retomba lourdement sur la table, ruisselant de sang, et une larme perlant sur ses joues. Sans savoir pourquoi, je me mis à pleurer moi aussi, je me savais très proche de cet Elfe, au fond de moi. Ses compagnons se tournèrent vers moi, m’invitant à les suivre. Deux d’entre eux, le regard bas et d’une tête abattue, prirent le cadavre par les bras et les jambes, et nous quittâmes l’auberge, sans que j’eusse finit ma bière, et sous le regard médusé des invités, tous devenus aussi silencieux que des morts.
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