S'approchant de ce fascinant lieu de débauche et de beuverie, Amarante poussa la porte et entra à l'intérieur de la taverne. La jeune femme fut surprise par la clientèle plutôt lugubre et malsaine... Elle n'aurait jamais cru trouver ses pairs en cette ville qui lui paraissait dénuée de toute obscurité ! Tout ça commençait à devenir intéressant ! Son regard parcourut rapidement les lieux miteux où l'ambiance y était follement excitante ! Amarante se sentait enfin chez elle, retrouvant ainsi tout son côté démoniaque qu'elle pourrait dévoiler devant les êtres de son acabit. Les murs étaient décrépis, des morceaux de plâtre jonchaient le sol et n'avaient même pas été retirés par le gérant de l'enseigne. Quelques vitres permettaient au soleil de faire pénétrer sa lumière diaphane, éclairant ainsi la taverne tout au long de la journée. Toutefois, en y regardant de plus près, Amarante s'aperçut que la plupart des vitres étaient brisées ou tout au moins, fêlées... Quel endroit charmant ! Le décors était un peu déplorable, chassant le peu de luxe qui aurait pu y avoir d'un coup de balaie bien mérité... Enfin ! Cela n'était que peu important, tout ce qu'elle demandait c'était jouir de son plaisir et de cette malhonnêteté qui semblait régner en ce lieu. Cependant, il n'y avait pas grand monde, seuls trois hommes barbus semblaient discuter de leurs affaires en toute discrétion. Deux d'entre eux étaient bruns, l'un ayant une barbe mal entretenue et l'autre une bouche au sourire cruel... Le troisième était un nouveau noble, un de ces jeunes godelureaux qui pensaient avoir conquis la terre par pur héritage... Amarante se mit à sourire en voyant ce crétin dans cette taverne, cherchait-il à liquider quelqu'un ? Cela paraissait très probable et ne l'étonnait guère, ces gens là ne savaient rien faire de leurs propres mains... de vrais manchots... D'ailleurs, ce n'était pas pour rien que cet homme ne possédait aucune lame pendue à sa ceinture contrairement à la pourriture des bas quartiers.
Attablée dans un coin de la pièce une femme aux cheveux bruns était vêtue d'une robe rouge écarlate, virant au rose par endroits, certainement dû à la force du temps qui avait abattu ses atouts sur la pauvre fille. Elle ne devait pas avoir plus de trente ans, mais, sa peau avait l'air d'avoir du vécu, élastique, molle... Amarante n'ignorait pas ce qu'elle faisait là, attendant un potentiel client qui la sortirait de son ennui, la faisant chanter dans une danse horizontale. Cette idée marrante aurait pu inciter la Sulfureuse à gagner quelques pièces d'or avec le plus vieux métier du monde, pourtant, elle n'en tirerait aucune gloire, cela était bien trop simple ! Non ! Il lui fallait attendre le bon moment, celui où elle aurait la possibilité de fondre sur un butin pour en récupérer tout ce dont elle rêvait ! Toutefois, ce n'était pas dans cette taverne qu'elle trouverait gloire et beauté, cet univers impitoyable ne l'aiderait en rien dans sa volonté de destruction ! Amarante alla au comptoir où le gérant, sans doute, l'attendait de pied ferme, droit comme la justice. Sa chevelure grise retombait sur ses épaules, semblant avoir trempé dans un litre d'huile pendant des semaines, voire des siècles tant elle était immonde. Le regard vitreux de ce pauvre homme possédait une transparence troublante, révélant la lucidité de la personne qui cherchait les raisons de la présence de la si jolie jeune fille en ce lieu... «Bonjour ! Je voudrais un verre d'hypocras !» Amarante n'avait pas envie d'attendre et pressa le tavernier de son regard des mauvais jours.
Rapidement, l'homme crasseux prit une bouteille, versa le liquide brun dans un verre à la propreté douteuse et le donna enfin à la jeune fille contre une pièce d'or. Amarante pourrait se désaltérer, jugeant ainsi le sombre lieu dans lequel elle avait mis les pieds. S'asseyant à une table qui se trouvait près d'un mur, Amarante se mit à siroter son verre, goûtant ainsi au bon goût sucré de l'hypocras. Cela lui faisait bien plaisir, il y avait bien longtemps qu'elle n'avait bu un aussi bon verre, oubliant ainsi la plupart de ses objectifs. La jeune fille se laissait dominer par la lassitude, petit à petit, la boisson faisait son effet, annihilant les barrières de la Belle. Mais, ce n'était pas avec un seul verre qu'elle tomberait dans la détresse de l'alcool, il lui en fallait quand même un peu plus !
Les minutes passaient et à ses côtés rien ne changeait, les trois hommes murmuraient toujours, mettant certainement un plan au point pour on ne savait quelle sombre raison. Au comptoir le tavernier attendait patiemment l'heure fatidique où tous ses clients débarqueraient et la catin baillait aux corneilles, espérant le prince charmant... Toute cette atmosphère de crime et de débauche était un régal pour la jeune Amarante qui vibrait de ce plaisir incroyable, de cette douce mélopée lubrique qui écarquillait ses prunelles. Elle en eut même un frisson, exaltée par ce lieu de perfidie qui révélait une intense criminalité dans les bas fonds de Kendra Kâr ! Puis, un silence tomba sur la taverne, une absence de son glaciale qui accompagnait le jeune homme qui venait d'entrer... La vendue sans vergogne releva la tête, espérant le signe de ce nouvel arrivant, mais rien... Il ne lui jeta pas même un regard. Le garçon se dirigea vers le comptoir et commanda un verre à demi-voix, commençant à le déguster dès qu'il le reçut dans les mains. De sa place, Amarante l'observait, examinait le moindre de ses traits malsains, oui c'était ça, ce jeune était malsain ! Toute cette violence qui se lisait sur son visage aurait pu hérisser les poils de Thimoros... Pourtant, Amarante ne pouvait le quitter des yeux, hypnotisée par la beauté de cette figure hargneuse. Des cheveux bruns coupés courts révélaient un grain de beauté tout à fait charmant près de son oreille. En contre partie, une fine pellicule de poils masquait une mince cicatrice au niveau de sa joue droite. Quant à ses vêtements, ils n'étaient peut-être pas onéreux mais moulaient habilement les muscles de la partie supérieure de son corps. La Sulfureuse Amarante, sous le charme se ressaisit, déshabillant du regard le beau jeune homme qui l'observait aussi.
Mais, soudain, se levant d'un pas assuré, il se dirigea vers la table occupée par Amarante qui continuait de siroter son verre langoureusement. Surprise par cette démarche, elle reposa la boisson sucrée, et observa tranquillement le beau garçon qui avait l'air d'être intéressé par la beauté succulente de la délicieuse jeune fille. «Puis-je vous accompagner ?»
Le son qui sortit de ses cordes vocales était harmonique, somptueux, un rossignol n'aurait pas fait mieux. On pouvait même y sentir une très bonne éducation, celle reçue dans la grande noblesse, payée par l'argent des pauvres qui se crevaient à la tâche dans l'unique but de la dîme. Cet acte abhorré par certains faisait jouir la belle Amarante qui trouvait l'idée fantastique ! Pourtant ce riche sorti d'une famille aisée n'avait strictement rien à faire dans ce lieu où les ordures des bas quartiers venaient prendre le thé. Pourquoi était-il donc ici ? La curiosité prit vite le pas sur l'esprit d'Amarante, voulant à tout prix connaître les motifs de ce jeune homme, elle le pria de s'asseoir à ses côtés : «Faites donc, j'en serais honorée.» Honorée ? Risible !
De sa voix mielleuse, la Sulfureuse Amarante commença par chercher la corde sensible du jeune homme, celle qui lui permettrait de le tenir en laisse suffisamment longtemps pour le détrousser : «Mais, dites-moi, que faites-vous donc dans la taverne des sept sabres ? Pardonnez-moi, mais, vous n'avez pas l'air de la clientèle «habituelle».»
À l'aide de son index gauche, Amarante commença à se caresser la lèvre inférieure, puis, ce coquin redescendit plus bas, passant sur sa gorge pour finir sa route sur sa poitrine. Au fond d'elle, la jeune fille avait peur d'en faire un peu trop, se doutant des idées premières de ce garçon qui devait sans aucun doute penser qu'elle n'était qu'une putain, vendue sans honte au premier venu. Non ! Ce n'était pas son genre bien entendu, même si la luxure était son péché mignon, Amarante savait pertinemment qu'elle ne pouvait en abuser, craignant que cela lui cause des soucis... Abandonnant ses gestes ambigus, elle écouta les paroles de son interlocuteur, pendue à ses lèvres pulpeuses : «Hé bien, voyez-vous, je recherche une dame... - Une dame ? Comment ça ? - Le genre de personnes qui n'a pas peur de faire des indélicatesses. - Quelle sorte d'indélicatesses ?»
Feignant de ne rien savoir de ses pensées, Amarante faisait l'idiote afin de prendre le dessus sur l'être malhonnête qui se trouvait en face d'elle. La Sulfureuse Beauté connaissait ce genre de créatures et ne voulait pas frayer avec elle alors que la liberté venait à peine de lui être rendue. Mais, la réalité était tout autre, le jeune commença à lui décrire ce qu'il entreprenait et la tâche devint tout à coup beaucoup plus alléchante. «Encore une question ! Mais, ne soyez pas si soupçonneuse ! Je recherche une jeune personne qui n'a d'autre loi que la sienne, si vous voyez ce que je veux dire.»
Ce garçon ne recherchait donc pas une prostituée, mais, plutôt une créature remplie de vices plus complexes et malsains. Tout cela correspondait allègrement à Amarante, sa vie entière tournait autour de la terreur et de la méchanceté. Complètement emballée par ces paroles, elle cessa de se caresser les seins, oubliant tout à coup qu'elle était ici pour se détendre. Son voyage à Kendra Kâr commençait à être totalement et irrémédiablement sympathique et bien que les miliciens rôdaient dans les rues afin de trouver un bouc-émissaire pour les crimes commis dans l'enceinte de la ville, la jeune fille n'en avait cure et comptait bien semer la zizanie ! Songeant à toutes les vilénies qu'elle pourrait produire à l'aide de ce jeune homme, Amarante recommença à siroter son verre, attendant patiemment la suite de l'histoire du garçon. «Continuez. - Pour être franc, j'ai besoin d'aide, j'aurais bien choisi une catin pour accomplir ce dont j'ai besoin, mais je dois avouer que votre compagnie m'enchante et vous serez parfaite pour le rôle.»
Le rôle ? Comptait-il la faire danser dans un cabaret ou une maison close ? Ah le charlatan ! Rien ni personne ne pouvait contraindre Amarante à se prostituer, même si certaines de ses relations ressemblaient plus à de la vente qu'à de l'amour, elle préférait être la seule à contrôler cette partie de sa vie ! Ce ne serait pas un petit maquereau qui la vendrait dans une ruelle sombre à la merci du premier violeur, ça non ! Ce petit imbécile allait voir qui était Amarante et pourrait même être confronté à la noble magie de la jeune fille. «Voulez-vous me vendre petit crétin ?» dit-elle sur le ton de la conversation, en posant sur le visage impassible du si joli jeune homme un regard chargé de malice. «Bien sûr que non ! Où allez-vous chercher tout ça ? Il est vrai que j'ai besoin de vos charmes, mais plutôt pour faire diversion, pas pour gagner de l'argent, ce serait bien trop facile et je suis plutôt intéressé par les défis. - Tiens donc, de mes charmes ? Vous devriez savoir qu'il faut savoir gagner mes services. - Je me doute bien, que dois-je faire pour que vous créiez la diversion dont j'ai véritablement besoin. - Déjà me dire ce que je dois faire, et bien entendu une carotte, mais ne vous faites pas d'idées, je parle plutôt d'une rémunération, je ne fais rien pour du vent, même pour une personne qui a de si beaux yeux que vous. - Vous me flattez, mais, ne vous inquiétez pas, vous aurez un petit quelque chose. En ce qui concerne votre rôle dans cette affaire, elle sera toute simple. J'ai besoin de récupérer un objet sans réelle valeur, mais dont l'un de mes supérieurs a besoin... Néanmoins, le problème vient du fait que des gardes sont postés devant la porte de l'habitation jour et nuit... Je ne peux pas entrer et c'est là que vous rentrez en jeu ! - Si j'ai bien compris, vous voulez que je fasse sombrer ces hommes dans mes griffes pendant que vous rentrez vous occuper de l'objet en question ? Hé bien... Ça manque un peu de fantaisie, mais, que voulez-vous, j'ai besoin d'argent... - Vous m'enlevez un poids !»
La conversation poursuivit sur les modalités : l'heure, le lieu qu'Amaranth n'arrivait pas réellement à saisir vu qu'elle venait à peine d'arriver à Kendra Kâr et enfin la manière dont elle devrait réagir face aux gardes. Apparemment, l'homme que le voleur allait devoir délester de son bien possédait toutes les aptitudes requises pour donner des nausées à la jolie jeune fille. Ce n'était qu'un petit parvenu de Tulorim où il s'était enrichi à l'aide de moyens peu honnêtes... Même si elle aimait cette façon de faire, du moment où elle avait accepté sa mission, cet abruti s'était transformé en ennemi. La Beauté réfléchissait à la tactique qu'elle allait user sur les deux hommes car d'après le larron, ils n'étaient pas plus nombreux. Bien évidemment, Amarante allait devoir faire preuve de niaiserie et de luxure pour les occuper un moment suffisamment long pour que son nouveau compère accomplisse son méfait... Pourtant, la Sulfureuse aurait bien aimé un peu de fantaisie dans sa manière d'agir... Enfin ! D'un autre côté, Amarante ne désirait pas abandonner une technique ancestrale utilisée par toutes les jeunes demoiselles ayant un peu de plomb dans la cervelle.
Cependant, le jeune homme approcha sa main de celle de la Belle et douce Amarante et commença à la caresser suavement. Regardant le geste du Charmant garçon, elle se dit qu'il était inutile de s'énerver, après tout, il était sensuel, méprisable et possédait un charisme à toute épreuve... Non ! Il ne l'ennuyait pas, cela faisait plusieurs années qu'elle aurait voulu rencontrer quelqu'un comme lui et pourtant, sa liberté enchaînée ne lui avait été rendue que récemment... Mais, à présent, Amarante avait besoin de vivre, de se libérer, de déchaîne ses hormones en pleine effervescence ! «Au fait, vous ne m'avez pas dit votre prénom, si nous devons travailler ensemble cela risque d'être fort utile. - Vous non plus.» lança-t-elle, exprimant ainsi son trait de caractère de dominatrice. «Je me nomme Assil. - Moi, c'est Amarante. - Comme la fleur ? - Oui, comme la fleur...»
Rapidement, les pensées de la jeune fille ne firent qu'un retour dans le passé, un voyage étourdissant et assommant dans lequel elle revoyait la plante majestueuse qui se trouvait devant la maison de ses parents adoptifs... Oui, ils l'avaient planté dans l'unique but d'honorer le seul souhait de sa véritable mère qui avait glissé dans le panier du bébé le plumeau rougeâtre. De là venait son prénom, son caractère bien trempé reflétait complètement la majestueuse plante à la droiture déconcertante. Même si Assil n'avait pas réellement touché à un point sensible, Amarante se mit à réfléchir sur cette partie de sa vie, cette enfance douteuse, ses longues après-midi à vénérer Thimoros dont elle ne possédait pas les dons tant espérés... Non, c'était Rana qui lui avait prêté une partie de sa force, de sa sagesse comme les prêtres de son culte aimait en parler... Pourtant, au fond de son cœur, la jeune fille aurait préféré s'acoquiner avec le Dieu des Dieux, le mal parmi la bêtise et la mièvrerie des autres Divinités... Mais, la rappelant à la réalité, Assil continuait encore et toujours de poser des questions indiscrètes sur la belle Amarante en attendant de pouvoir commettre le méfait. «Quel événement vous a poussée à venir à Kendra Kâr ? - On va dire que j'ai eu quelques déboire avec la justice...»
Doux euphémisme pour expliciter qu'elle s'était tout simplement échappée de sa prison et s'était débrouillée pour y enfermer un de ses amants... D'un autre côté, Amarante était persuadée que la vérité aurait fait tache et puis de tout manière, cela ne le regardait pas, c'était sa vie ! Après tout, elle ne lui posait pas des questions aussi indiscrètes, tout ce qui l'intéressait était de passer un peu de bon temps avec ce jeune homme et de faire quelques pas vers son désir ardent de puissance. En y réfléchissant, elle sentait les braises de l'envie et du plaisir réchauffer l'antre de ses motivations ! Oui, cette impression si douce, cette caresse si sensuelle, cette nécessité de domination l'aiderait à atteindre son but ultime : être vénérée comme une Déesse ! Et même si pour l'instant, Amarante se trouvait à la merci du premier venu qui lui proposait de commettre un acte méprisable, elle s'en moquait, la sulfureuse et ardent Beauté savait pertinemment qu'elle dominerait cet Assil tout comme elle obligerait la communauté masculine à devenir ses esclaves ! Cette idée était jouissive, Amarante se doutait bien qu'un jour le monde ne serait plus qu'une ruine sous le joug de la Reine !
Pourtant, il lui restait bien du chemin à faire et c'était ce soir qu'elle allait commencer ! En attendant, Amarante continuait d'écouter les paroles d'Assil, espérant sans doute qu'il lui fit des propositions plus indécentes dans lesquelles la jeune fille pourrait déployer tous ses charmes...
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