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Au grand damne du félin, il leur fallut plus d'une heure pour atteindre les portes tant attendues. Sur le chemin, Aztai n'avait pas hésité à intimider les gens présents pour se frayer un passage. Telle une fourmilière géante, la foule allait, venait, partait dans une cacophonie incroyable. Fatigué de ses aventures, le woran neige était presque à bout de force. Deux trois rugissements bien sentis firent s'éparpiller des habitants comme une volée de moineaux. Peu engagés à mettre en colère une montagne de deux mètres couverte de fourrure, ils ne firent pas long feu sur son chemin.
-Je ne me rappelle pas avoir mis autant de temps pour parvenir à ces fichus remparts, soupira le tigré en arrivant devant une ligne de gardes.
-Kendra Kâr est un peu un berceau de vie, l'une des plus grandes villes de tous les continents, souffla Aglaë. En ces temps de guerres, beaucoup de peuples viennent chercher la protection de la cité.
De son côté, la magicienne venait d'échapper à un détrousseur. Peu encline à se faire vider les poches, elle avait assommé le pauvre bougre, sortant son bâton à la vitesse de l'éclair. Tout ça sous les yeux du fauve et des gardes, sans qu'aucun n'ai eut le temps de dégainer sa lame. Alors que le voleur se tirait la queue entre les jambes, cette démonstration fit sourire plusieurs militaires. La vieille Aglaë cachait une habilité et une rapidité à toute épreuve. Si sa rencontre avec la diseuse de bonne aventure troublait encore un peu Aztai, il se savait en compagnie d'un précieux atout, comme ils aimaient le dire entre eux.
-Combien de temps nous faudra-t-il pour atteindre le temple de Meno, lança Aglaë en s'avançant la première devant les soldats.
-Hum... peut-être une heure. Cette cohue extérieure annonce bien pire une fois derrière les portes.
Analysant la phalange militaire qui filtrait les arrivants, le tigré compta plus de trente soldats à terre et en vue, tous des colosses. Sur les remparts, scrutant la foule tels des faucons, des archers allaient et venaient en très grand nombre. La panoplie d'armes que supportaient ces hommes était impressionnante. De la masse d'arme à la hache de guerre, certains arboraient fièrement de fabuleux couteaux. Malgré l'absence de soleil, l'acier reflétait la lumière et rendait les soldats plus menaçants que jamais. Dans le lot, le félin repéra aussi des elfes, plusieurs thorkins et même un liykor qui lui fit signe d'avancer. Armure sur fourrure blanche, le canidé lui rappela immanquablement le seul liykor qu'il connaissait. Aztai devina qu'un mage ou deux devaient aussi se tenir non loin de là: la magie, prête à supporter l'acier.
-Qu'est-ce qui vous amène avec... ça sur l'épaule? Jappa le militaire en levant le museau pour regarder Aztai dans les yeux. Un ton menaçant, mais certainement habituel pour le liykor.
Il désignait Octave, inconscient sur son épaule, le félin avait un instant oublié son jeune fardeau.
-Une urgence, répondit franchement le woran. Mon ami (il désigna Octave des yeux) est dans un état critique et seul l'archiprêtre du temple de Meno saura faire quelque chose. Moi et mon amie (il désigna Aglaë à quelques mètres) prions le Père de la Flamme de sauver ce jeune garçon.
Par cette prière, il fit comprendre à son interlocuteur qu'il n’avait aucun projet hostile pour la ville. Le liykor acquiesça, observant d'un œil critique l'accoutrement de l'aventurier. Laissant trainer un instant son regard sur le fourreau pendant à la ceinture, il ne fit pas mine d'aller à l'encontre de ce visiteur. Faisant signe à l'arrière garde, le fauve et la vieille magicienne se retrouvèrent enfin pour franchir la porte. Elle avait le sourire aux lèvres:
-Très pratique de se tenir en ta compagnie. Le soldat qu'on m'a affublé n'a même pas daigné me demander la raison de ma visite, il avait les yeux rivés sur toi.
A cet instant, une voix interpela le fauve quand le duo franchissait la grande porte:
-Seigneur Aztai! Seigneur Aztai!
Avant même de s'être retourné, le fauve jura intérieurement de s'être fait remarquer. Il savait que ses gesticulations guerrières avaient fait écho jusqu'aux villes alentours, mais de là à ce qu'on lui donne du Seigneur Aztai, il comprit qu'il aurait du mal à s'habituer à une telle appellation. Aglaë crut comprendre son sentiment et chuchota:
-Ce n'est que le début, Seigneur Aztai...
Alors qu'ils se retournaient pour chercher la voix, celle-ci répéta encore haut et fort:
-Seigneur Aztai, attendez!
Bien sûr tous les militaires présents s'étaient retournés: hébétés, suspicieux ou simplement curieux, ils semblèrent un instant oublier la foule attendant patiemment d'être fouillée. Comme si le temps était un moment en suspension, un tout petit homme émergea de la marée de gens et dépassa les gardes sans leur jeter un regard. Lorsqu'il vint se jeter au pied du félin et de la magicienne, un genou à terre, d'aucun tenta de l'intercepter. La tête pour le moment baissée, son accoutrement en lambeaux laissait témoigner d'un rude séjour, lui seul savait où. Désarmé (expliquant le laxisme des gardes), ses bras nus étaient couverts de zébrures au sang coagulé. Sur sa nuque, exposée aux yeux du félin, et tout autours de son cou, une brûlure lui faisait un collier de peau rouge mutilée. Cet homme avait été retenu et attaché comme un chien, et son calvaire mit le félin en alerte. Lorsqu'il releva les yeux, ses traits indiquèrent au tigré qu'il n'avait pas plus d'une trentaine d'année. Durée pendant laquelle il n'avait jamais dormit, aurait on pu croire en voyant ses paupières cernées. La poussière maculait tout son visage, tuméfié à plusieurs endroits. Sa voix, sèche et râpeuse, ajoutait à la gravité des mots qui allaient suivre:
-Par Meno Je vous retrouve, haleta-t-il.
Il avait du mal à s'exprimer, le fauve lui tendit une outre d'eau qu'il accepta volontiers:
-Merci Seigneur!
Alors qu'il vidait d'une traite le restant de la gourde, il ne s'aperçut pas de la mine agacée qu'avait prit son Seigneur en le nommant ainsi. Captant de plus en plus de regards autours, le tigré glissa doucement à sa protectrice:
-Il faudrait rentrer maintenant.
-Laisse cet homme parler avant, il semble avoir fait un long chemin.
-C'est exact ma dame! Répondit le concerné.
Il prit alors une teinte des plus sombres, lançant un piteux regard au Champion de Meno:
-Ma compagnie était en charge de vous accueillir. Octave (il désigna le garçon d'une main fatiguée) était avec nous.
Les sangs d'Aztai se glacèrent, il y avait au moins un survivant parmi le cortège d'Octave. Conscient de l'ampleur de la situation, le félin allait en savoir un peu plus sur l'embuscade. Résigné en voyant le regard interrogateur du garde liykor qui l'avait laissé passer, le woran neige fit volte-face en invitant le rescapé à le suivre. Les paroles que cet homme prononcerait ne seraient pas bonnes pour toutes les oreilles. Conscient qu'il était peut-être à l'origine d'une guerre prochaine, le fauve reprit son chemin la gueule haute mais les entrailles nouées. Comme pour faire bonne figure le garde liykor ordonna, à tout hasard:
-Qu'on lui admette une escorte. Cinq hommes!
En moins de temps qu'il en faut, Aztai fut affublé de cinq soldats, prêts à déjouer mille pièges. Aglaë semblait amusée de se voir ainsi escortée, elle n'hésita pas à entamer la causette au plus timide semblait-t-il. Avec son air de grand-mère-poule, la magicienne inspirait au woran l'image d'un loup revêtu d'une peau de mouton. Elle ne laissait rien transparaître de sa vraie identité, fusse avec de potentiels alliés. Quand au Champion, sa discrétion mise à sac, il se concentra sur sa destination et réajusta Octave sur son épaule. Se fabriquant un véritable masque de neutralité, il désirait ne plus rien laisser transparaître de ses émotions: la marque d'un Champion? Il n'en savait rien mais cette méthode lui permettrait de se réfugier en son fort intérieur, auprès de sa faera. S'il devait se montrer à la hauteur de son rang et des hommes l'interpelant Seigneur, autant cacher toute faiblesse.
Comme toujours lorsqu'il se sentait en détresse, le félin "toucha" le lien qui l'unissait à sa faera. Dans un battement de cœur, Zénith lui redonnait toute la confiance dont il aurait besoin... et Meno savait combien la faera millénaire allait être importante pour son Champion.
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