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 Sujet du message: Re: Les habitations
MessagePosté: Sam 19 Déc 2015 11:06 
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Un rayon de Soleil, progressivement, perça les rêves sombres de la petite fille. Cela la dérangeait, et elle bougea sur le côté. Mais, le temps passant, le rayon revint à nouveau sur elle. Elle ouvrit un œil, puis deux. Elle reconnut le lieu décrépi où elle dormait depuis plusieurs années déjà. La déchéance de sa famille l'avait rendu, au fil des mois, de plus en plus sale et en mauvais état. Des planches du mur étaient pourries depuis belle lurette, et le toit ne protégeait plus totalement la pièce, laissant à plusieurs endroits l'eau couler lorsqu'il pleuvait. Après avoir effectué ce constat, Yurlungur avait bougé fréquemment son lit, de manière à rester au sec, mais les possibilités s'amenuisaient à vue d’œil.

Elle se leva, et s'aperçut qu'elle était encore habillée. Et que sa jolie jupe était tâchée. Le tissu étant rouge naturellement, elle ne pensa pas dans un premier temps au sang, mais lorsqu'elle remarqua le rouge pourpre de ses mains, elle se souvint de la soirée d'hier, et sourit. Elle se remémorait les sacrifices faits à Phaïtos. Deux enfants et un guerrier, oui, c'était bien ça. Quelle soirée agréable...

Mais malgré cela, une certaine anxiété la troublait. Il manquait quelque chose. Oui... Elle regarda par la fenêtre. Le soleil était déjà levé depuis longtemps. Elle avait bien dormi, et personne ne l'avait réveillée. Où était donc passée sa mère ?

Elle sortit doucement de sa petite chambre, enjambant la grosse armure qu'elle avait pris à son adversaire dans les entrepôts, pour arriver dans l'entrée de la maison, qui servait aussi de cuisine, salle commune et à manger. Une modeste table, ainsi qu'un plan de travail au fond et quelques chaises, voilà sur quoi on arrivait si on avait le courage de passer la porte d'entrée, qui ne payait pas de mine. Le sol était de pierres, depuis longtemps recouvertes par un peu de mousse d'un joli vert, tandis que la porte en bois possédait un œil de bœuf particulier : un petit trou circulaire dans la porte. Autre détail amusant, une tâche rouge indélébile persistait, à l'endroit où son père était mort sous ses yeux, néanmoins cachée en partie par une chaise. Malgré tous les efforts de la pauvre maîtresse de maison, la souillure de sang n'avait jamais voulu disparaître, narguant les occupants chaque jour. Mais ce n'était pas très grave du point de vue de Yurlungur.

Elle lança un regard à travers la pièce, sans trop prêter attention à tous ces éléments qu'elle connaissait si bien. Sa mère n'était pas là non plus. Était-elle sortie ? Ce serait étonnant, bien que cela lui fasse le plus grand bien. Elle s'approcha de la porte qui la mènerait à la chambre de sa mère... Et se ravisa. Elle ferait mieux, d'abord, de se laver, faute de quoi elle risquait de passer un mauvais quart d'heure.

Elle sortit de la maison, emportant avec elle un large seau. Dehors, il y avait quelques habitations aussi miteuses que la sienne – voire même plus. Le quartier pauvre de Dahràm, celui où tous les sans-le-sou se réunissaient. Les masures, abandonnées ou squattées, mais en aucun cas achetées – qui en voudrait ? –, étaient plutôt espacées, mais une puanteur qui insupportait la petite fille régnait ici. Elle marcha, lentement, dans les ruelles de terre miteuses, vers le puits. Elle sentait des regards rivés sur elle, mais ne s'y attardait pas, ou plutôt, ne s'y attardait plus. Elle savait. Elle savait qu'on la considérait comme une folle, elle savait qu'on la prenait pour une assassine, elle savait qu'on médisait d'elle dans son dos, souhaitant sa fin, afin de retrouver une ville plus saine, plus propre, plus sûre. Se montrer avec des mains sanglantes n'allait pas arranger les choses, quoique : était-ce encore possible de descendre plus bas dans l'estime d'une population ?

Elle arriva au trou profond entouré d'un muret en pierres, très typique, et fit choir le seau au fond, après l'avoir accroché à la corde. Une fois qu'il fût rempli, elle tira. C'était lourd, mais elle réussit, petit à petit, à le faire remonter, contractant ses muscles. Elle s'étonnait presque de la force qu'elle avait acquise au fil des années, qui était très surprenante pour une petite fille. Finalement, elle attacha la corde à un crochet sur le rebord pour pouvoir saisir et ramener le seau à elle, difficilement. Ensuite, elle dut traîner plus que porter le gros récipient jusque chez elle. Sa force avait des limites, tout de même. Les ruelles était généralement un peu plus animées, elle le voyait quotidiennement de la fenêtre, dans l'ombre. Mais le monde fuyait devant les deux folles, la mère et la fille, et elle le voyait aussi, ça.

Brusquement, elle tourna la tête, plongeant un regard glacial dans celui d'un pauvre hère qui l'observait d'une fenêtre de son taudis, ou plutôt d'un trou dans le mur. Il eut un mouvement de recul, puis n'osa plus bouger, peut-être pensant qu'elle ne l'avait pas remarqué. Il était nettement affolé, de toute façon pas très costaud ; et elle gardait son regard froid et sérieux, rivé sur lui. Après quelques instants de réflexion, elle s'efforça de lui faire un petit signe amical de la main, avec un sourire. Mais l'homme disparut aussitôt dans l'ombre du taudis. Le visage de la fillette reprit la froideur qui lui était propre en ce lieu, et se remit en marche. Il était évident que ça n'allait pas marcher, pourtant, alors pourquoi avoir essayé ?

Elle arriva à la maison, et claqua la porte derrière elle. Heureusement, cette dernière ne céda pas, et resta en place après quelques vacillement – mais elle n'y avait même pas fait attention. Se plaçant à proximité du vide-déchets dans le coin au fond à gauche, elle fit couler de l'eau sur ses mains au-dessus. Le sang coagulé partit facilement, donnant une teinte rouge délicate au liquide. Elle se déshabilla, sans pudeur, et lava ses vêtements. Des vêtements qu'elle chérissait, seul vestige de l'homme qui lui avait tout appris. Avant qu'il ne s'en aille.

Elle frottait énergiquement le tissu, le visage fermé. Les tâches s'en allèrent progressivement, et elle mit ensuite l'ensemble à sécher sur l'une des chaises. Prenant de l'eau dans ses mains, elle se nettoya elle-même, essuyant la poussière qui s'était accumulée sur sa peau à force de traîner partout. Elle frissonnait au contact de l'eau froide, mais restait silencieuse. Sa pensée était ailleurs.

Pourquoi se souciait-elle encore de ces gueux ? Ne valait-elle pas mieux qu'eux ? Elle n'avait pas besoin de ces minables. Ils pouvaient à peine servir de chair à canon si jamais quelqu'un voulait la tuer ici. Ce qui arriverait plus souvent maintenant qu'elle s'était mise le Grand Prêtre de Phaïtos à dos. Elle soupira en repensant à cette mésaventure. Il lui faudrait retourner au Temple pour présenter ses excuses, mais après suffisamment de temps pour que le rituel soit passé, et pour qu'on l'ait un peu oubliée.

Une fois sa toilette faite, elle alla chercher l'armure, pour nettoyer tout le sang qui s'était répandu sur elle lorsqu'elle avait décapité son ancien propriétaire. Elle fut bien vite propre et luisante, et elle la sécha consciencieusement avec un bout de tissu déchiré qui restait à côté. Il valait mieux ne pas qu'elle rouille. Elle fit de même, rapidement, avec la dague, qui parut ensuite comme neuve, à l'exception bien sûr des quelques éraflures caractéristiques qui s'étaient accumulées sur sa lame.

Il lui restait un peu d'eau, qu'elle laissa à côté du trou puant, sur lequel elle rabattit le couvercle, en soupirant à nouveau. Si seulement ils avaient plus d'argent... Ce genre de situation n'était pas décent. Elle se rhabilla, lentement, prenant le soin de bien lisser sa jupe et son corset. Ces derniers commençaient presque à devenir trop petits pour elle. Il ne fallait pas trop qu'elle grossisse.

Alors seulement, elle osa entrer dans la chambre maternelle. Elle ouvrit doucement la porte, craintive, songeant alors à l'étrangeté de la situation. Sa mère n'en était pas encore sortie, et une moitié de journée s'était presque écoulée... ou alors, elle était sortie, et n'était toujours pas revenue, ce qui n'était pas franchement mieux.

Elle glissa un œil à l'intérieur, et vit, soulagée, un corps dans le lit à l'intérieur. Elle referma la porte, et s'avança vers le lit, sautillant joyeusement, et oubliant momentanément toutes ses pensées sombres.

Maman !

Mais rien ne bougea à son appel. Elle s'approcha encore plus, et passa sa main dans les cheveux noirs de sa mère, complètement ébouriffés. Elle ne voyait que la partie haute de son crâne, le reste étant caché sous la couette.

Maman ?

Son ton s'était fait inquiet. Encore une fois, seul le silence lui répondit. Elle se mit à trembler, paralysée par l'absence de réponse. Mais un souffle rauque provenant d'en dessous vint la réanimer de cette léthargie. Elle tira d'un coup la couette en arrière, et retourna sa mère sur le dos, dévoilant son visage. Elle était pâle, très pâle, ouvrant à grand-peine des yeux fatigués. La fillette passa une main sur le front de l'alitée. Il était brûlant. Ne pouvant se retenir, elle s'effondra en larmes sur elle, et la serra dans ses bras, sanglotant. La pression qui s'était accumulée depuis hier retombait enfin.

Maman... Maman...

Ou... Oui... C'est... est... toi... ?

Elle avait de la difficulté à parler, et la petite fille leva la tête encore toute rouge et toute mouillée. Leurs regards se croisèrent, partageant chacune la peine de l'autre, à des degrés différents. Elles avaient toutes les deux ce même regard d'un brun touchant, innocent, qui incitait les gens à leur faire confiance, à les apprécier. Mais ce charme disparaissait face à quelqu'un qui le possédait aussi. L'amour entre la mère et la fille dépassait ces simples artifices.

S'il te plaît...

Elle toussota un peu, de plus en plus fort, allant jusqu'à une toux franche, avant de reprendre, calmement.

Va... me chercher... le Rebouteux... j'ai... besoin... (toussotements) soins...

Yurlungur, soudainement plus sérieuse, se redressa et, séchant ses larmes, répondit par réflexe :

Mais... C'est contraire aux principes des fidèles de Phaïtos !

Il reste... argent... sous... sous le... lit...

La femme se tut après cette indication, sans avoir tenu compte du reproche de sa fille. Elle s'était rendormie. La petite fille resta un moment à contempler les traits du visage de celle qui lui avait donné la vie. Elle se demanda si elle lui ressemblait, et pensa que oui. Pour vérifier, il lui faudrait un miroir, mais il n'y en avait pas ici, évidemment.

Elle replaça la couette, déchirée par endroits, couvrant bien tout le corps de la malade à l'exception de sa tête. Elle alla ensuite chercher le seau d'eau, pas encore totalement vide. Saisissant un bout de tissu de son bras gauche, elle faillit hésiter, mais le déchira brutalement, et le plongea dans l'eau sans plus y songer. Elle le passa ensuite doucement sur le front de sa mère.

Il lui semblait bien avoir vu, pour soulager la fièvre, des gens faire comme ça. Son imitation était sans doute de piètre qualité, mais que pouvait-elle faire de plus ? Elle qui reniait les soins se trouvait à essayer de sauver sa mère des griffes de la maladie en ce moment même... Était-ce vraiment soigner ? Cette question la tourmentait, mais elle préférait se dire que ce n'était qu'un soulagement pour sa mère, et non un véritable soin. Et sa mère n'était pas une fidèle de Phaïtos, donc ça irait... non ?

Son raisonnement était minable, sans aucun doute, elle le savait. Dès qu'elle sentait le tissu se réchauffer trop, elle le replongeait dans l'eau froide. Un travail demandant beaucoup d'attention, et elle en venait à comprendre pourquoi le vieux Rebouteux en demandait autant pour ses services. Elle qui se moquait d'ordinaire des patients qui se faisaient avoir, aujourd'hui, ça allait être à son tour d'être arnaquée... Ironique.

Ses gestes étaient doux, presque inhabituels pour elle, mais si communs pour une petite fille 'normale'. Pourquoi n'était-elle pas 'normale', après tout ? Pourquoi n'a-t-elle pas grandi dans une famille 'normale', d'une manière 'normale', jouant avec les autres enfants, des enfants 'normaux' ? Elle restait songeuse, et effectuait le mouvement plus machinalement, ayant pris le coup de main.

Au bout d'un moment, le seau fut vide. Elle chassa les idées sombres qui la tourmentaient, et faufila une main sous le lit, plutôt bas. Elle trouva bien vite une petite bourse, contenant quelques piécettes. Rien de bien extraordinaire, à peine une dizaine de yus. Cela ne servirait pas à payer le Rebouteux complètement... Elle regardait sa mère endormie, en proie à des cauchemars, comme le montrait son front crispé. Elle quitta, peinée, la chambre, et sortit de la maison, emportant avec elle l'armure à bout de bras. Cette dernière était bien trop grande pour qu'elle la porte elle-même.

Il lui faudrait quelques fioles de ce vieux brigand des mers, qui monopolisait les guérisons à Dahràm... malheureusement. Et des négociations seraient sans aucun doute plus que nécessaires. Mais avant tout, il fallait qu'elle se débarrasse de l'armure.

Suite : ici

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 Sujet du message: Re: Les habitations
MessagePosté: Lun 11 Jan 2016 02:01 
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La femme la mena ainsi jusque dans une curieuse bâtisse en plein Dahràm, qui de l'extérieur avait l'air tout à fait normale, à ceci près que les volets étaient toujours fermés même en journée, aussi la pensait-on abandonnée. De temps à autres, quelqu'un essayait de rentrer pour prendre possession des lieux. Étrangement, il n'y arrivait pas. Quelqu'un l'en empêchait : et cette personne était la femme devant la fillette.

Celle-ci, une fois arrivée, referma brusquement la porte et la pièce fut plongée dans la pénombre. Elle se dirigea d'instinct vers une bougie qu'elle alluma, ce qui révéla un décor sobre. Il n'y avait tout simplement rien dans la pièce : ni meuble, ni décoration, même le sol était simplement en pierre. Au fond, un petit escalier montait. C'est alors que la femme retira sa capuche.

Des cheveux roux mi-longs s'échappèrent sur un coup de tête qu'elle fit. Son visage était fin et sévère, mais gardait indubitablement une beauté stupéfiante, en partie par son teint pâle magnifique. Son âge semblait difficile à estimer. Ses cheveux étaient encore magnifiques et n'avaient pas perdu de leur éclat au fil du temps, cependant on percevait sur le front de la femme quelques rides nouvelles. Mais une singularité chez elle était apparente : des oreilles pointues et longues. La petite fille n'avait encore jamais vu d'oreilles comme celles-là mais connaissait quelques racontars.

Vous êtes une Elfe ?

Ses yeux bleus sombre se posèrent sur la jeune fille.

Semi-Elfe. Tu peux retirer ta capuche, tu sais.

Elle s'exécuta aussitôt dans un murmure d'excuse et dévoila à son tour son visage, qui était néanmoins connu de la femme. Celle-ci proposa :

Bon. On n'a pas toute la nuit, montre-moi ce que tu sais faire.

La petite fille parut décontenancée.

Ce que je sais faire ? Ben, je sais voler, j'ai déjà tué des gens et...

Oui, bon, d'accord. Mais en supposant que je sois ton ennemie, là, maintenant, tout de suite. Que ferais-tu ?

La fillette réfléchit quelques instants et répondit, anxieuse de cet interrogatoire imprévu :

J'attaquerais ?

La femme s'avança extrêmement rapidement et donna une claque sur l'arrière de la tête de Yurlungur avant qu'elle ne puisse réagir. Un gémissement commença à sortir de la bouche de la fillette mais la femme s'éloignait déjà et prononçait d'un ton exaspéré :

Faux... D'abord tu restes cachée et tu observes. Tu observes ton ennemi. S'il est plus fort que toi, tu l'évites. Sinon, tu l'affrontes. Simple comme bonjour, n'est-ce pas ? Pourtant tu ne le savais pas.

Elle s'adossa contre l'un des murs et croisa les bras sur sa poitrine.

Bon. Supposons que tu te retrouves face à un ennemi inconnu et que vous vous voyez l'un l'autre. Que fais-tu ?

Je m'enfuis, du coup ?

À nouveau, sans que Yurlungur ne distingue ses mouvements, la Semi-Elfe lui donna une seconde claque sur l'arrière du crâne sans qu'elle puisse l'éviter. Un nouveau gémissement se fit entendre tandis que la femme reprit sa position.

Encore faux. Tu te caches hors de sa vue et tu l'observes. Supposons que tu te retrouves face à un ennemi hors de portée. Celui-ci peut s'approcher de toi pour te toucher à n'importe quel moment. Que fais-tu ?

Évidemment, je me mets hors de portée !

La femme fonça à nouveau sur la gamine. (Attention !) Yurlungur se retourna pour lever une main qui bloqua au poignet la claque de la femme juste à temps. Celle-ci eut un sourire.

Tu ne sais pas, mais ton corps le sait. Tu le laisses s'approcher et au dernier moment tu bloques son coup pour pouvoir répliquer.

Elle poussa Yurlungur en arrière et secoua sa main. La fillette lâcha prise et tomba au sol.

Ceci n'était qu'une attaque directe. Elle peut être facilement parée pour n'importe quel combattant, d'autant plus que je l'ai toujours faite au même endroit. Mais maintenant, tiens-toi prête. Je vais essayer de te toucher à nouveau et tu devras me parer comme tu l'as fait.

La petite fille se releva et se prépara. Son expression était mécontente, mais elle brûlait de l'envie de montrer à cette femme de quoi elle était capable. Elle parviendrait à bloquer le coup... Elle la vit bouger, comme d'habitude levant la main droite ainsi prête pour la claque. La fillette leva uses deux bras devant elle et se prit la tape dans la côte, de la main gauche de la femme, ce qui la déséquilibra. Elle garda son équilibre à grand-peine, mais un index vint lui donner une pichenette qui la fit chuter.

Je tenais !

Ce n'est pas ce que dirais ton adversaire. Elle soupira. Sais-tu quelle technique j'ai utilisée ?

Tu m'a fait croire que tu allais me taper de ta main droite alors que tu l'as fait de la gauche.

Tu aurais pu le résumer en un mot : il s'agit d'une feinte. Le principe est simple : tu vas essayer de faire croire à ton ennemi que tu vas le frapper à un endroit d'une certaine manière, mais finalement tu fais autre chose. Bien entendu, il est difficile d'envoyer énormément de force dans un tel coup, mais il a l'avantage de déstabiliser l'adversaire suffisamment pour qu'il se retrouve par la suite plus facile à toucher. Tu vois ce que je veux dire ?

Euh... À peu près.

Bon. Passons à la pratique. Essaie de me toucher.

La femme serra ses poings et tourna son corps en diagonale face à la petite fille, les bras devant. Ses appuis étaient solidement calés au sol, les genoux légèrement fléchis. Elle fixait la petite fille qui se sentait étonnamment inquiète d'être l'objet d'une telle attention. Celle-ci déglutit puis reprit le contrôle. Il fallait qu'elle y arrive. Elle s'avança d'abord doucement puis se jeta directement sur le côté droit de la femme. Celle-ci fit quelques pas en arrière, plaçant ses bras un peu plus à sa droite comme prévu. Mais au dernier moment, elle avança brusquement et poussa violemment la fillette qui ne s'y attendait pas. Encore une fois, elle perdit l'équilibre et tomba au sol.

Nous abordons donc une autre manière de feinter. Tu peux faire semblant de rester sur la défensive pour en fait passer à l'offensive au dernier moment, comme je l'ai fait. Il est par contre nettement plus ardu de faire l'inverse. Tu comprends ?

Oui... Je crois...

Prends une pause et réfléchis à ce que je t'ai dit.

Elle s'adossa à nouveau à l'un des murs et ferma les yeux. La petite fille se releva et réfléchit.

(Tu as compris, toi ?)

(Évidemment que oui. Ce n'est pas très compliqué. Avoue tout de même que tu as bien eu besoin de moi lorsqu'elle a essayé de te toucher pour la troisième fois !)

(Oui. Merci d'être revenue. Tu n'as qu'à prendre le relais.)

Aucun problème.

La feSemi-Elfe se redressa et ouvrit les yeux. Devant elle, la petite fille avait maintenant un grand sourire aux lèvres et regardait ses poings serrés avec amusement. Puis elle se retourna, dos à la femme, pour donner des coups de poings dans le vide. La rousse parut surprise et s'approcha.

Qu'est-ce que tu...

Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase et bloqua au dernier moment un coup de la fillette qui venait de se tourner vers sa professeur, visant l'estomac. Elle recula de quelques pas, plus par surprise que véritablement à cause de la force du coup, les deux bras sur son ventre et inclinée en avant. Elle plissa les yeux et se redressa.

Je vois que tu commences à comprendre. Essaie de parer celui-là.

Le sourire de Yurlungur ne fit que s'élargir. La femme fonça sur elle, aussi rapidement que les autres fois, mais au lieu de l'attendre passivement, la petite fille se jeta sur le côté. La femme parut décontenancée et s'arrêta à quelques pas.

C'est une feinte de ne recevoir aucune attaque ?

Tu es sensée parer, pas esquiver.

Apprendre à esquiver une feinte me semble aussi profitable qu'apprendre à la parer.

Eh bien tu te trompes. En garde.

À nouveau, l'air en colère, elle fonça sur la gamine qui resta immobile. Son bras gauche se leva et Yurlungur se prépara à parer un coup sur la droite. Coup qui vint finalement bel et bien de la gauche. Elle se le prit de plein fouet et chuta au sol.

(Ce n'est pas très compliqué, tu disais ?)

(La ferme.)

La femme la regarda d'un air méprisant avant d'expliquer :

Il paraît logique que si je vois que tu t'attends à une feinte, je ne vais pas en faire. Une feinte dans une feinte, si tu préfères. Elle soupira à nouveau. Tu as encore beaucoup à apprendre.

Elle grommela et se releva, furieuse. Ça n'allait pas se passer comme ça.

Oui, je sais... Bon, à moi maintenant.

Sans attendre de confirmation, elle se jeta sur son adversaire, les deux bras levés de chaque côté. La Semi-Elfe leva ses deux bras également, symétriquement par rapport à la petite fille, qui abaissa le droit directement sur elle mais essaya de faire passer le gauche par-dessous. En face, sa professeur vit le coup arriver et baissa sa main, qui bloqua l'attaque de Yurlungur à quelques centimètres de ses côtes.

Bien. Tu t'améliores. Essaie encore.

La petite fille recula en grommelant à nouveau. Une fois en place, elle se jeta à nouveau à l'attaque. Le coup feinté qui venait de droite fut lui aussi bloqué. Elle réessaya ainsi et le temps fila. Au bout d'une dizaine d'essais, la fillette parvint à trouver une faille dans la garde de la femme et s'empressa de l'utiliser pour parvenir à ses feintes. Mais quelques coups après, la femme s'en était rendue compte et parvint à bloquer les feintes qui se faisaient répétitive sans trop de problème. Ainsi, elles échangèrent encore dix, vingt, trente coups.

Finalement, la femme s'arrêta et proposa, une goutte de sueur coulant sur son front :

Prenons une pause.

Yurlungur n'allait pas refuser. Elle se laissa tomber au sol et haleta, s'essuyant un front trempé. La femme, après quelques instants, s'approcha d'elle et lui tendit une gourde dans laquelle elle venait de boire quelques gorgées. La petite fille s'en saisit et but goulûment le liquide frais. Les volets étant fermés, elle ne savait quelle heure il était. C'était sûrement encore la nuit, mais à une heure bien avancée.

Dors quelques heures. Je te réveillerai pendant la nuit pour qu'on reprenne et tu auras ensuite droit à une deuxième pause jusqu'à l'aube. Il y a une couche en haut, prends-la.

La fillette n'eut pas à se faire prier et monta les quelques marches malgré l'épuisement, pour venir s'effondrer et s'endormir immédiatement sur le matelas posé au sol.

***


Lorsque la Semi-Elfe la réveilla, Yurlungur se sentait mieux. Elles se remirent au travail, mais cette fois elle dut parer les coups de son professeur. Dans un premier temps, elle ne sut les voir arriver et chuta à chaque fois. Au fur et à mesure cependant, ses yeux s'habituèrent à ces mouvements rapides et parvinrent à repérer les coups avant qu'ils n'arrivent, sans réagir suffisamment pour les parer. Au bout du vingt-troisième, elle réussit enfin à bloquer l'attaque de la femme.

Bravo. Tu fais de gros progrès. À toi maintenant. Attaque.

La gamine ferma les yeux et respira amplement. Puis se jeta sur le côté de sa professeur, qui se tourna en reculant un peu. Aussitôt, Yurlungur lança un coup de poing droit en arc de cercle, modifiant l'orientation entre haut et bas au cours du mouvement. Les deux bras se levèrent, essayant de distinguer dans quel sens viendrait l'attaque, et ne purent bloquer le coup qui venait de gauche et qui s'enfonça pour la première fois profondément entre les côtes et le bassin de la femme. Elle se plia en deux et recula. Les deux combattantes se redressèrent, toutes les deux un sourire aux lèvres.

Tu as bien mérité un peu de sommeil, et moi aussi d'ailleurs. Allez, vas-y. Je pense que tu es au point pour ça.

Yurlungur ne monta pas tout de suite mais resta immobile. Puis elle demanda enfin :

Je suis Yurlungur. Comment vous appelez-vous ?

Un sourire plus grand apparut sur le visage de la Semi-Elfe.

Il était temps que nous nous présentions, en effet. Je suis Liniel. Allez, ne discutons pas, va te coucher.

Elle rougit un peu. La petite fille se demanda si c'était le fait de révéler son nom qui teintait ainsi ses joues, mais préféra ne rien demander. Elle monta et lâcha en montant les marches un dernier :

Bonne nuit.

Suite : ici

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 Sujet du message: Re: Les habitations
MessagePosté: Lun 11 Jan 2016 02:15 
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Peu après, Yurlungur et Liniel s'étaient séparées. La petite Varrockienne avait vu la Semi-Elfe courir jusqu'à la maison close où l'une des filles l'attendait avec sa cape. Elle disparut ensuite précipitamment dans la maison close et Liniel reprit sa route à toute hâte. La petite fille était donc partie dans la direction opposée. Chez elle.

Elle courut aussi vite qu'elle le put, malgré la fatigue, l'angoisse la poussant à fuir ce lieu où Phaïtos avait failli la rattraper. En courant, elle le remercia, lui, d'avoir préféré ses adversaires plutôt qu'elle. Lorsqu'elle fut à l'intérieur, elle reprit son souffle. Sa mère l'attendait dans la salle commune, assise à la table en train de manger un dîner convenablement servi. Un doux fumet s'échappait des deux assiettes présentes, l'une en face de l'autre, et le couvert avait été mis.

Tu es en retard, jeune fille.

Aucune trace de reproche ne venait altérer la douce voix féminine. Aucun regard ne fut non plus lancé à la fille, dont l'identité ne faisait pas de doute pour Trisha malgré la capuche. Celle-ci était vêtue de sa robe longue grise. Elle avait toujours refusé de revendre sa garde-robe, qu'elle avait hérité, d'après ce que Yurlungur en avait compris, de sa famille peu avant qu'elle ne la quitte pour vivre à Dahràm avec le regretté défunt. La fillette s'approcha et laissa apparaître son visage, enlevant les deux capuches qui commençaient à l'étouffer.

Maman. Tu vas bien ?

Ce n'est pas ainsi que l'on s'excuse pour son retard.

La gamine soupira et s'exécuta. À ce petit jeu, elle ne pourrait pas gagner. Elle s'inclina un peu en avant et prononça d'une voix claire et distincte :

Je vous prie de m'excuser pour l'insolence dont j'ai fait preuve par mon retard.

Elle resta inclinée, attendant un signe de sa mère. Celle-ci posa enfin son regard sur son enfant et acquiesça. Son visage restait inexpressif, dépourvu de tout sentiment à l'égard de Yurlungur. Celle-ci s'assit aussitôt et se saisit de sa fourchette et de son couteau. Les couverts étaient en bois, bien qu'elle se rappelait vaguement d'une époque encore heureuse, lorsqu'ils en possédaient trois paires en argent. Volé quelque part par l'homme de ces dames, certes, et sûrement en faux argent. À présent revendus.

Devant elle, sa coupelle en bois contenait une sorte de bouillon de teinte marron dans lequel baignait des lentilles et quelques bouts de lard. Sans montrer son étonnement face à la présence inhabituelle de viande, elle reposa sa fourchette et prit la cuillère pour goûter le mets. Un sourire charmeur sur le visage, elle affirma :

C'est délicieux.

Merci.

Malgré la façade apaisée et gentille qu'elle montrait, la fillette commençait à perdre patience. Non pas que le repas lui déplût, mais plutôt qu'elle avait des comptes à rendre au Gros Néral avant que celui-ci ne vienne les demander lui-même de manière moins... délicate. Elle faillit se mettre à tapoter du bout des doigts sur la table mais se retint à temps. Elle n'obtiendrait jamais l'autorisation de sortir de table rapidement si elle le faisait.

Et si tu me racontais ce que tu as fait aujourd'hui ?

Yurlungur retint un soupir et débrida son imagination. D'un côté, elle avait bien envie de se décharger de ce poids. D'un autre, elle ne pouvait pas tout avouer à sa mère... Elle changea le Gros Néral en un génie emprisonné dans une statuette, sa mission devint une exploration dans le pays des songes, à la recherche d'un artefact mystique d'origine démoniaque. Elle changea Liniel en une fée protectrice, quatre en un esprit ambulant qui manquait de compagnie et qui avait décidé de les aider dans leur quête. Elle finit par se prendre au jeu et raconta tout dans les moindres détails. Les pirates étaient des lutins, leur bateau était un château enchanté, le perroquet était un gentil démon inconscient de ses actes infiltré. Quant à l'oiseau, il s'agissait simplement d'un dragon. Elle raconta que le dragon vint au château pour récupérer l'artefact, mais qu'elle tenta de l'en empêcher. L'artefact permettrait en effet de libérer le génie de la statuette qui serait enfin libre, mais le dragon força les lutins à l'aider, ceux-ci ayant besoin des pouvoirs magiques du dragon pour soigner leur Roi. Ce ne fut qu'à la toute fin que le gentil démon qui s'était déguisé en lutin révéla sa véritable apparence à tous et ouvrit un passage vers le monde démoniaque où il disparut avec l'artefact. Le dragon et tous les lutins s'y engouffrèrent et le passage se referma derrière eux. Yurlungur eut alors un instant d'hésitation, retrouvant le sens du récit original.

Mais du coup... Je ne suis pas restée jusqu'à la fin. Je ne sais pas ce qui arrive au génie dans la statuette ! Il faut que j'aille vérifier.

Un sourire attendrit se dessina sur le visage de Trisha. Elle tendit la main par-dessus la table et caressa la joue de sa fille. Si elle ne croyait pas un mot à l'histoire inventée – ce qui était bien normal –, elle savait qu'elle ne pourrait pas empêcher bien plus longtemps sa fille de repartir.

Vas-y. Je t'attendrai.

Yurlungur se leva, un véritable sourire éclaircissant son visage. Elle prit la main de sa mère dans la sienne et la relâcha, avant de repartir en courant, ayant à peine touché à son repas.

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 Sujet du message: Re: Les habitations
MessagePosté: Dim 21 Fév 2016 02:25 
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« Alors, jeune fille, quand saura-t-on enfin où vous êtes passée hier ? »

Pour la troisième fois consécutive, sa mère répétait cette question qui commençait sérieusement à taper sur les nerfs de la petite fille.

« C'est une longue histoire, fort peu intéressante. Je vous assure qu'elle ne vous apportera rien d'intéressant. Et puis... »

« Mais encore ? J'aimerais avoir connaissance des affaires que vous menez. »

Yurlungur soupira et se leva sans répondre, saisissant son assiette en terre cuite maintenant vide pour aller la poser sur la table au fond de la pièce. Le petit déjeuner, comme toujours, avait été bien frugal. Elle n'écouta même pas la dernière remarque teintée d'impatience que sa mère lui lançait, encore assise, et se réfugia dans sa chambre. Puis elle soupira. Pourquoi lui refuser le droit de faire ce qu'elle voulait de sa vie ? Elle n'était plus une petite fille. Elle avait déjà tué.

(Rectification. Tu es une petite fille. Moi, je n'en suis pas une.)

C'était à vrai dire sûrement le meilleur moment pour la voix dans sa tête de venir la déranger. Elle prolongea son mutisme à ce compagnon d'infortune et vint s'allonger sur son lit sur lequel trônait encore la capuche. Capuche aux mille mystères, pourtant si miteuse, capuche cherchée par les puissants, pourtant désormais dans ses bras. Elle contempla de longs instants la teinte brunâtre sur l'objet encore sale et plein de poussière. Cet aspect lui plaisait. Cette capuche n'était-elle pas destinée à ceux qui vivent dans les bas-fonds ? Ce lieutenant d'Oaxaca ne l'aurait sûrement pas apprécié. Ce genre d'attributs ne seyait pas aux gens de sa qualité.

Pour la première fois de la journée, un sourire timide apparut sur son visage. Malgré toute la courtoisie du monde, se moquer de quelqu'un permettait à coup sûr de relativiser sa situation, d'autant plus lorsque c'était quelqu'un qu'on avait réussi à rouler. En se remémorant les aventures de la veille, la petite fille s'imagina braver encore une fois des ennemis nombreux et puissants, les défaire un par un, par ruse et par habileté. Ses pupilles brillaient d'un éclat rêveur, son esprit s'élançait sur des territoires inconnus issus de son imagination. De l'autre côté de la porte, sa mère restait silencieuse.

Soudain, on frappa. Aussitôt, la petite fille se redressa et sauta au pied de son lit pour s'approcher à pas de loups jusqu'à la porte de sa chambre et y apposer une oreille attentive. Sa mère se leva et vint ouvrir à ces arrivants. Il était fort étrange que quiconque puisse vouloir leur rendre visite.

« Bonjour, messieurs. Que puis-je faire pour vous ? Je... Hé ! »

Un bruit sourd indiqua que la femme venait de tomber durement au sol.

« Nous avons l'ordre de fouiller toutes les maisons du quartier. Auriez-vous vu une petite fille comme celle-là ? »

Le son d'une feuille qu'on défroissait accompagna les pas rapides et silencieux de Yurlungur qui saisit la capuche avant de se lever sur son lit et de monter agilement sur les poutres apparentes au plafond au prix d'un petit saut. Avant de s'immobiliser et d'écouter la suite. Il se pourrait que ce ne soit pas d'elle qu'il s'agisse, après tout.

« Je la vois de temps en temps dans le quartier... Mais qu'a-t-elle donc fait pour être ainsi recherchée ainsi par la Milice ? »

Yurlungur sourit. Si la première phrase laissait à penser qu'elle n'était pas impliquée, la seconde confirmait les soupçons de la fillette. Sa mère n'aurait jamais demandé de précisions sur quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Par mépris ou par indifférence, qui sait. Sans plus attendre, la petite fille s'agrippa au toit au-dessus d'elle et s'extirpa de sa chambre. Bien que ces trous au plafond soient du plus mauvais effet, il fallait bien reconnaître qu'ils l'aidaient grandement en la situation présente. Une fois arrivée en haut, elle rabattit la capuche sur son visage. Le temps pour jouer était passé.

Dehors, l'air était sec malgré les imposants nuages qui recouvraient la ville. Elle hasarda un pied sur l'une des vieilles tuiles qui parut tenir et s'avança ainsi à tâtons, soupesant chacune de ses avancées mais s'approchant inéluctablement de la maison d'à côté. En-dessous, elle entendait vaguement les bruits des armures claudicantes des soldats qui s'avançaient dans les quelques pièces de leur taudis. Qu'ils cherchent, ils n'étaient pas près de trouver. Elle évitait les trous, se repérant par rapport aux fuites du toit qu'elle voyait lorsqu'elle était à l'intérieur.

Finalement, elle parvint jusqu'au bord du toit au-dessus de la chambre de sa mère. Une petite ruelle de moins d'un mètre la séparait du toit opposé où elle pourrait continuer incognito sa progression. Elle ne put cependant s'empêcher de frémir. Et si elle chutait ? Elle passa sa tête au-dessus du rebord. Presque deux mètres la séparaient du sol. Elle n'osait imaginer ce qui lui arriverait si jamais elle se réceptionnait mal en face... Elle secoua la tête et fixa son objectif des yeux. Il lui faudrait prendre un peu d'élan pour arriver de l'autre côté.

Elle parvint tant bien que mal à se lever, ou plutôt à se tenir accroupie à quelques centimètres du rebord. Et d'un coup, elle contracta tous les muscles de ses jambes et envoya ses bras en avant, tendus. Pendant quelques instants qui passèrent à une vitesse affreusement lente, elle resta suspendue dans les airs, s'approchant aussi bien de la maison d'en face qu'elle commençait à être soumise à la gravité. Le coup fut dur mais sa main droite trouva une prise, bien vite rejointe par la gauche. Elle se débattit, les pieds dans le vide au-dessus de la ruelle, avant de parvenir à monter sur le toit et se diriger rapidement à l'abri des regards en rampant.

Des yeux angoissés parcoururent les alentours, ses oreilles à l'affût du moindre signe qui pourrait lui signaler la présence d'un des miliciens. Apparemment, son dernier saut n'avait pas été remarqué. Elle continua son chemin, s'approchant de la prochaine ruelle qui la séparait de ce pavé de maison. Elle se faufilait entre les cheminées, avançant pas à pas. De temps à autres, un cri l'immobilisait, mais aucun ne la désignait et le son s'estompait ou s'éloignait. Les toits semblaient lui offrir une relative sécurité envers la Milice, si ce n'était envers les risques de chute.

Le saut suivant était déjà beaucoup plus court. Elle devrait même pouvoir enjamber la ruelle sans trop de difficultés. Elle jeta un œil en dessous avant de le retirer tout aussi rapidement. Un garde se tenait là, adossé au mur. Il semblait bien inutile pour lui de tenir le guet ici... C'était sûrement un tire-au-flanc, mais il ne perdrait pas une occasion de l'attraper si jamais elle commettait une imprudence. À nouveau, elle se prépara à sauter, sachant qu'il faudrait être aussi discret que possible. À nouveau, elle sauta. À nouveau, elle tendit les bras et se réceptionna de l'autre côté en s'agrippant à une tuile.

À une tuile qui céda. Sans même comprendre ce qui lui arrivait, elle se mit à glisser, essayant de s'accrocher aux autres tuiles qui se détachèrent de même. Puis elle chuta, droit sur le milicien. Ce dernier se prit ainsi de plein fouet le corps de la petite fille et les quelques tuiles, ayant relevé la tête au dernier moment pour voir ce qui causait ce raffut. Ce fut sans doute la dernière chose qu'il vit, puisqu'un craquement significatif retentit lorsque sa tête se courba en arrière, les jambes de la petite fille appuyant dessus sans lui laisser le moindre espoir de s'échapper de ce choc mortel.

Le corps du milicien, bien que recouvert de métal, put au moins servir à amortir la chute de sa meurtrière involontaire. Celle-ci se frotta la tête en se redressant, quelques bleus commençant à apparaître ça et là sur ses jambes. Elle se releva douloureusement et prit la fuite, courant jusqu'au bout de la rue. Là, elle passa sous le nez d'un autre milicien qui lui cria de faire attention, ne reconnaissant pas sous la capuche le visage de la fillette tant recherchée. Mais ses cris prirent une toute autre forme lorsqu'il vit le corps inanimé dans la ruelle d'où elle venait d'émerger.

Yurlungur maudit sa chance, se demandant toutefois qui pouvait lui en vouloir au point d'envoyer la Milice à ses trousses. Il aurait été cocasse qu'elle ne soit pas la cible de leur recherche, mais qu'à cause de ce malheureux incident, elle se fasse arrêter tout de même... Mieux valait ne pas y penser. Elle continua à courir, jusqu'à ce qu'un autre milicien apparaisse devant elle, un sourire sur le visage, lui criant de s'arrêter tout en brandissant une lance devant lui.

Elle se plaqua contre le mur pour éviter le coup avant de lui sauter dessus, lui fourrant un doigt dans les narines. Il hurla de surprise et lâcha sa lance, la fillette maintenant agrippée sur son dos. De là, elle sauta à nouveau, propulsant le buste du milicien au sol – et elle aussi accessoirement. Profitant du temps nécessaire à son adversaire pour récupérer son arme, elle se releva et se remit à courir, les miliciens à ses trousses. Petit à petit, l'étau commença à se resserrer et elle à s'essouffler.

Elle voyait autour d'elle les miliciens se presser, essayer de la retrouver. Elle bousculait les passants pour continuer sa route, mais ces derniers opposaient bien plus de résistance à une petite fille qu'à ces soldats à la botte d'Oaxaca. Sa seule chance serait de se fondre dans la foule. Elle continua à courir, malgré ses muscles qui lui disaient de s'arrêter, d'abandonner, jusqu'à arriver à la rue qui traversait Dahràm d'Est en Ouest. Comme prévu, celle-ci était bondée à cette heure de la journée.

Arrivant là, elle se mit à marcher et s'avança comme si de rien n'était à travers la foule, vaquant à des occupations inexistantes. Les cris des gardes se firent entendre, mais tous les cris du monde ne pourraient pas empêcher la petite fille de s'échapper. Souriante, la capuche toujours sur son nez, elle prit sa place dans la cohue.

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 Sujet du message: Re: Les habitations
MessagePosté: Sam 3 Déc 2016 19:17 
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Le voyage se déroula très agréablement. Yurlungur fit semblant de dormir malgré les cahots et le sifflement dérangeant du conducteur, surprenant à un moment une discussion à son propos entre ce dernier et le mercenaire anxieux. Mais ils parlèrent surtout des brigands, et bien peu d'elle, aussi un sourire apaisé refit-il surface. Finalement, elle s'éveilla et s'étira tel un chat lascif dès que la ville fut en vue. Ils se rapprochaient et ses yeux brillaient, osant même raconter quelques anecdotes imaginaires sur sa vie dans la colonie oaxacienne. Le marchand sembla s'être épris de la candeur de la petite fille et laissait s'échapper un rire bourru.

Mais dès qu'ils eurent passé les murs de la ville, la petite fille inoffensive se leva, un sourire énigmatique sur le visage, s'inclina gracieusement et prononça quelques paroles d'adieu avant de sauter sur le sol et de disparaître dans la foule en rabattant sa capuche sur son visage.

Il était étrange pour elle, à vrai dire, de laisser un marchand s'en aller sans qu'il n'ait rien à lui donner. Mais cela ne faisait rien : elle avait mieux à faire. Il lui fallait vérifier si le Gros Néral lui en voulait encore, soigner ces plaies qui lui faisaient de plus en plus mal, retrouver Liniel et Calua. Et malgré la douleur qui devenait de plus en plus vive, elle se sentait revivre entre ces murs, entre ces maisons vieilles et dans ces ruelles tortueuses, à éviter les gros durs et à bousculer les passants, à sentir l'effluve maritime et le vomi des soiffards. C'était repoussant, mais qu'est-ce que cela lui faisait plaisir !

Elle sentait toute la ville vibrer d'une fréquence nouvelle, elle se sentait simplement en phase et en harmonie. Rien n'aurait pu diminuer son bonheur – que le Gros Néral essaie seulement de la chasser à nouveau ! Que la Garde essaie donc de l'attraper, de la traquer, de la tuer ! Que cette douleur croisse et croisse encore, elle savait qu'elle y résisterait !

Car elle était simplement heureuse, peut-être encore plus que la veille : mais c'était un bonheur différent, fondé sur la plénitude de l'âme et les habitudes enfantines. Il n'y avait qu'elle pour le sentir et, si d'autres souffraient, elle n'en avait cure. Il fallait qu'elle vive, il fallait qu'elle passe et que d'autres trépassent ! Elle allait courir, elle allait sauter et danser, elle trépignait d'avance de folies incontrôlées !

Ce ne fut qu'arrivée proche du quartier miséreux où sa mère et elle avaient élu domicile qu'elle s'arrêta. Elle était plongé dans la pénombre d'un toit, invisible aux yeux du monde : mais les deux silhouettes encapuchonnées qui avançaient, elles, étaient bien visibles, ressemblant comme deux gouttes d'eau aux agents du Gros Néral.
Les mêmes agents qui avaient pris son père.

Son sang se glaça, son cœur se révolta : elle voulut leur sauter dessus, leur faire payer la souffrance qu'ils lui avaient causé, mais elle se calma. Ils étaient deux et elle ignorait leurs objectifs. Le mieux était d'aller voir le Gros Néral en personne pour régler cette affaire, idéalement accompagnée de Liniel. Elle se retourna vivement – mais un peu trop. Les deux silhouettes se tournèrent vers elle et une voix féminine et hautaine demanda :

« Mon enfant ? Pourrais-tu nous indiquer la demeure d'une personne nommée Trisha... Elvent ? »

Sans un mot, Yurlungur fit face aux deux inconnus, le visage enfoui sous sa capuche, et désigna sa maison. Ils ne pourraient de toute façon pas faire de mal à sa mère, bien trop maline et faible pour être une cible d'une quelconque puissance de la ville. Mais elle allait s'expliquer avec le Gros Néral, et il allait l'entendre.

***


Trois petits coups brefs contre la porte de sa mentor, puis une attente.

Courte. Car après qu'un œil attentif ait surgi d'un judas, la porte s'ouvrit et tira brutalement la gamine à l'intérieur avant de se refermer tout aussi brusquement.

« Yurlungur ! »

La Semi-Elfe serra son apprentie dans ses bras, la douce caresse de ses cheveux roux apaisant la petite fille en lui assurant une protection incomparable. Liniel avait même mis un genou à terre rien que pour elle...

« Où étais-tu passée, idiote ? »

Elle s'écarta, laissant voir un visage coléreux. Alors que la fillette s'apprêtait à répondre, elle répliqua :

« Aucune importance. Je suppose que, malgré tous mes conseils, tu es allée frapper à la porte du château Enulcard... Mais tu n'y as rien trouvé, n'est-ce pas ? Dieu merci, tu es en vie... »

« Tu t'y es déjà rendue, Liniel ? osa demander l'enfant. »

« Oui. »

Son regard s'enfuit un moment, comme culpabilisé.

« Je ne voulais pas te le dire pour que tu ne fasses pas la même erreur que moi. Ce qu'on trouve à l'intérieur est... affreux. »

« Je n'en doute pas, mais je resterai ici à présent, affirma Yurlungur non sans une ironie voilée. »

Le sourire que lui rendit la Semi-Elfe en était presque maternel et elle se releva, les mains sur les hanches.

« Alors, maintenant, que fait-on ? Il me semble que la Garde n'est plus à ta recherche, ni le Gros Néral... »

« Faux, intervint la gamine. Deux de ses hommes se rendaient chez moi tout à l'heure, ce qui m'a poussé à venir ici. Je suis venue te voir pour te demander de m'emmener chez lui et m'aider à le voir en face. Je veux qu'on s'explique une bonne fois pour toutes, continua-t-elle d'un ton assuré. Mais attends, avant cela, j'aurais besoin de toi, je suis blessée. »

Elle prit la main de Liniel et la guida jusqu'au second étage où elle s'assit au bord du lit et retira son haut, laissant apparaître les multiples entailles de verre sur sa peau et l'aspect déboîté de son épaule.

« Je ne suis pas Sephon, mais je saurai bien m'en sortir avec tout ça. »

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 Sujet du message: Re: Les habitations
MessagePosté: Dim 4 Déc 2016 12:21 
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((( [:attention:] Certaines scènes de ce rp sont à forte connotation sexuelle/violente/gore, aussi est-il recommandé aux lecteurs sensibles d'y réfléchir à deux fois avant d'en entamer la lecture.)))

Le quartier était calme alors que le Soleil commençait à descendre dans un doux après-midi. Les deux ombres furtives se dirigeaient d'un même pas vers la petite maison délabrée. Alors qu'elle n'étaient qu'à quelques pas, elles remarquèrent qu'une discussion était encore en court à l'intérieur. Yurlungur tendit l'oreille et repéra la voix de sa mère, puis celle de l'inconnue qui lui avait demandé son chemin le matin même. Elle se tourna vers Liniel, hocha la tête d'un air assuré et, après avoir retiré leurs capuches, elles ouvrirent la porte en grand et pénétrèrent à l'intérieur.

Quatre regards se tournèrent vers elles instantanément. Alors que d'un côté on reconnaissait la posée Trisha, à coté de laquelle se tenait Calua, les yeux grands ouverts d'ahurissement, en face se tenaient les deux inconnus. Le premier était un homme qui avait déposé son épée à côté, semblant se tenir à l'écart de leur conversation, mais qui se leva immédiatement dès qu'ils furent entrés, toisant ces deux arrivantes avec un air de méfiance non voilé, tandis que la seconde était une femme à l'expression mûre malgré un corps plus jeune, le regard gris acéré et la posture altière, qui ne les accueillit que d'un haussement de sourcil méprisant sous ses cheveux lisses et bruns. En aucun cas il ne semblait régner une atmosphère tendue car tous tenaient dans leurs mains un gobelet de breuvage chaud libérant un nuage de vapeur, signe qu'ils méritaient selon Trisha un minimum d'hospitalité.

« Yurlungur ! »

La petite fille fut plaquée au mur par l'étreinte joyeuse du garçon qui s'était immédiatement levé, trop impatient de venir à sa rencontre. Elle le repoussa gentiment et s'écarta pour venir se placer aux côtés de sa mère, observant avec une certaine culpabilité mêlée à de la confusion les deux inconnus qui ne la lâchaient plus des yeux.

« Euh... Bonjour, madame, bonjour monsieur, fit-elle à leur encontre, avant de se tourner vers sa mère : Bonjour, maman. »

Dès qu'elle eût prononcé ce mot, la femme se leva, visiblement en colère.

« Ah, la voilà ! Trisha, c'est donc cela, ta fille ? »

Un malaise croisé à une colère grondante fit hausser un sourcil à l'intéressée, mais avant qu'elle ait pu répondre quoi que ce soit, sa mère l'arrêta d'une caresse.

« Je t'en prie. »

Yurlungur n'en revenait pas de voir quelqu'un être tutoyé par sa propre mère. À sa connaissance, seuls son père et elle-même avaient eu droit à une telle réception... Mais Trisha se levait déjà, se dirigeant vers Liniel qu'elle prit dans les mains, laissant sa chevelure noire voleter derrière elle et sa robe dépiécée traîner de même.

« Liniel... Je vous remercie d'avoir ramené Yurlungur. Je ne sais comment exprimer ma gratitude... Mais le moment est inadéquat. Je vous prierais de repartir à présent, je vous expliquerai tout dès que cette affaire sera finie. »

Cela jeta un froid sur le cœur de la gamine. Que se passait-il donc par ici pour que sa mère se comporte ainsi ? Elle avait dû rencontrer Liniel lorsque cette dernière avait amené Calua, mais jamais elle ne se comportait de la sorte d'ordinaire. La petite fille, presque tremblante, saisit la main du blondinet à côté et la serra fort, restant tout aussi interdite. La Semi-Elfe tenta bien de lui adresser des signes pour vérifier que tout allait bien, mais elle ne reçut pas de réponse, haussa les épaules et disparut, lançant simplement un dernier avertissement à l'intention de la fillette :

« Je vais prévenir notre Gros ami que tout va bien, ne t'inquiète pas. »

Le message ne pouvait être plus clair, mais Yurlungur ne parvenait pas à décompresser. Le mépris constant et la colère sourde que semblait afficher l'inconnue en face d'elle la rendait nettement mal à l'aise et des problèmes se profilaient à l'horizon de sa courte vie. Trisha revint s'asseoir à ses côtés et annonça :

« Yurlungur, je te présente Elsa... Elsa Louvardent, ma sœur. »

Si l'étonnement avait pu être plus grand, les yeux de la petite fille auraient éclaté en entendant cela. Sa mère, qui n'avait jamais évoqué sa famille, ni sa rencontre avec son père, ni rien d'autre que sa vie à Dahràm, avait une sœur qui provenait d'au-dehors...

« Et je suis venue vous chercher, toutes les deux, ma petite, coupa Elsa. Cela fait bien trop longtemps que tu t'es absentée, Trisha ! Le ton de la colère était clairement perceptible dans sa voix. Cela fait quatorze ans ! Quatorze ans, tu te rends compte de ce qu'on a dû endurer ? Nos parents sont morts, Trisha, entre temps, sans leur fille pour les soutenir à leur chevet... Imagine leur douleur lorsqu'ils n'ont rien pu faire pour essayer de te sauver après que cette guerre a commencé ! Moi-même, j'ai pris d'énormes risques à venir te chercheur au cœur de l'empire oaxacien... »

Elle tentait vainement d'éveiller un sentiment de culpabilité chez Trisha, mais celle-ci restait définitivement impassible.

« C'est fort dommage, osa-t-elle indiquer sans la moindre touche d'émotion transparaissant alors qu'elle portait son gobelet aux lèvres. »

« Oui, c'est fort dommage, mais je t'ai retrouvée ! explosa Elsa. Tu vas rentrer chez nous, à Kendra Kâr. J'ai assuré le bon maintien du domaine pendant ton absence, mais il est temps que tu rentres, et je ne te laisserai pas t'enfuir à nouveau, précisa-t-elle. »

Yurlungur serra d'autant plus fort la main de Calua en entendant ces mots. Quitter Dahràm ?

« Ton mari est mort et c'est bien heureux. Qu'il repose en paix ! Je peine encore à croire qu'il ait pu t'emmener avec lui... Mais c'est de l'histoire ancienne. Je comprendrais que tu ne veuilles pas te remarier une fois là-bas, mais il faudra que tu rentres, pour la bonne tenue de notre maison, je t'en prie. Et toi, fit-elle en se tournant vers Yurlungur qui tressaillit, ton nom n'est pas du tout acceptable. “Yurlungur” ? Cela est à peine digne d'une roturière... Non, à présent, tu t'appeleras... »

Elle sembla chercher un moment un nom dans son esprit.

« Asmodée. Un prénom très en vogue, en ce moment, je suis sûre que tu le porteras à merveille. »

Aussitôt, les yeux de la fillette s'assombrirent et un large sourire apparut sur son visage alors qu'elle lâchait brutalement la main de Calua.

« Excellent, lâcha-t-elle d'une voix rauque. »
« Tu es malade ? s'inquiéta Trisha. »
« Euh, non, pas du tout, répondit précipitamment la fillette en reprenant ses esprits. »
« Dans ce cas, puisque tout est réglé, nous partirons demain. Et toi, Trisha, tu reprendras la place d'aînée qui t'es due, que tu le veuilles ou non. »

Sur ces mots, Elsa s'était levée et, d'un signe de la tête, elle fit signe au mercenaire taciturne qui l'escortait de la suivre.

« Nous reposons à l'Auberge des voyageurs. Je suis accompagnée de trois autres hommes et nous suivons une caravane de marchands factice. Il est hors de question que tu résistes, sois-en assurée ! »
« Attends, intervint Trisha alors que sa sœur allait partir. Nous oublions quelque chose. »

(Qu'y a-t-il d'autre qui ait pu être oublié ?) fulmina Yurlungur, désemparée. Il n'y avait rien de pire que ces nouvelles qui arrivaient, qui détruisaient sa vie et son bonheur, qui allaient la tirer loin de tout ce qu'elle connaissait afin de faire plaisir à la noblesse kendrienne... Elle était donc de la lignée de cette maison Louvardent ? La belle affaire ! Elle aurait préféré s'élever depuis le peuple et les renverser, eux qui se croyaient tout permis, même d'arracher une jeune pousse de sa terre natale ! Un sentiment de haine obscure croissait en elle alors qu'Asmodée, attirée par l'emploi de son nom, rôdait dans les tréfonds les plus profonds de son esprit.

« C'est l'anniversaire de Yurl... d'Asmodée. »

L'intéressée sursauta, autant à cause du rappel de cette information que de l'emploi de ce nom.

« C'est son treizième anniversaire, aujourd'hui. Tu pourrais au moins le lui souhaiter, non ? »

Elsa, une mine de dégoût sur le visage, s'approcha et murmura :

« Je vois que tu n'as pas perdu de temps, il y a quatorze ans de cela... »

Elle tira un ruban rouge de sous sa cape et s'approcha pour le nouer dans les cheveux de celle dont on fêtait l'anniversaire par la tristesse et la haine.

« À demain, prononça-t-elle simplement en s'en allant pour de bon. »

Un moment, le silence emplit la pièce alors que personne n'osait plus rien dire. Un silence pesant et étouffant, qui aurait pu s'installer plus longtemps, mais...

« Tu sais, ce ruban, c'est celui que je portais quand j'étais plus petite, indiqua Trisha. Elsa l'a sorti tout à l'heure... Il ne faut pas que tu lui en veuilles, tu sais. C'est moi qui ai fait de mauvais choix, aussi, par le passé... C'est moi qui l'ai fait souffrir. Elle agita une main, un sourire attristé sur son visage. Mais c'est de l'histoire ancienne, j'imagine ! Tu sais, elle ne parviendra pas à m'emmener loin d'ici dans l'immédiat, je te le promets. Mais un jour... Un jour, il faudra que nous revenions à Kendra Kâr, Yurlungur. »

Elle avait prononcé ces paroles avec toute la douceur du monde, mais le baume qu'elle avait appliqué n'avait rendu la blessure de sa fille que plus sensible. Celle-ci, des larmes commençant à couler sur ses joues, se jeta dans les bras de sa mère pour pleurer un moment, ses cris de douleur s'élevant au milieu des habitations effondrées. Elle se serrait dans les bras de cette mère si douce et si secrète, espérant se réveiller d'un mauvais cauchemar, qu'on la rassure et qu'on la caresse, qu'on lui donne une affection dont elle avait toujours manqué.

Au bout d'un moment, ses pleurs s'estompèrent et Trisha la repoussa doucement.

« Tiens, je n'avais pas remarqué que tu commençais à avoir les cheveux noirs, remarqua-t-elle. Mais je m'égare. Je crois que ton ami a quelque chose à te dire. »

Yurlungur se tourna vers Calua, les yeux encore rougis.

« Je... Eh bien, cela fait un moment que je voulais te le dire, mais... Il évitait son regard, les mains dans le dos, une rougeur cramoisie ayant tapissé toute sa peau, tandis que le même effet commençait chez Yurlungur. En fait, hem... Je t'apprécie beaucoup. Non, même plus, je crois que je t'aime. »

Il leva vers elle des yeux suppliants alors que Trisha contemplait la scène, souriante, comme si elle s'y attendait depuis toujours. Qu'avaient-ils pu échanger, tous les deux, le temps de son absence ? Yurlungur se sentit devenir aussi brûlante que les volcans les plus rageurs, elle se sentit bafouiller quelque chose, puis elle sentit enfin une émotion semblable à une joie intense s'élever en elle, bien qu'une tristesse toute aussi grande lui fit récupérer des pleurs.

Elle s'approcha, prit le visage de Calua entre ses mains et l'embrassa. Ce n'était pas très sophistiqué, simplement le contact de leur lèvres et de leurs nez, mais cela réveilla en elle des sensations inconnues, une vague de plaisir charnel parcourant tout son être. Puis elle recula un peu, baissa les yeux, quelque peu confuse, cherchant une échappatoire à cette situation qui n'aurait pas dû être gênante.

Asmodée revint à l'attaque et, lentement, ses muscles la lâchèrent et elle tomba au sol, évanouie.


***



À nouveau, ce sol blanc. À nouveau, l'Autre derrière les barreaux de sa cage. Yurlungur, parfaitement consciente en quelques instants, se releva et fronça les sourcils en fixant Asmodée qui la regardait pour une fois sans sourire mystérieusement.

« Qu'est-ce que cela signifie ? protesta-t-elle, les poings serrés. »

Asmodée s'approcha d'elle, maintenue captive à l'intérieur de cette prison mentale dont elle ne pouvait fuir.

« Tu m'avais promis un moment avec maman, indiqua-t-elle. »
« Mais pourquoi maintenant ! hurla Yurlungur. Pourquoi... »
« Parce que Calua est là aussi, la coupa Asmodée. Tu m'avais dit que j'aurai le droit à quelques moments de douceur, moi aussi... Et tu es fatiguée. Tu as déjà eu beaucoup d'émotions fortes, aujourd'hui, n'est-ce pas ? Il serait temps de te faire relayer... »

Yurlungur sembla hésiter puis, après quelques instants, répondit enfin, une moue presque déçue sur le visage :

« D'accord, vas-y. »
« Ce n'est pas aussi simple, commença à expliquer l'Autre. Tu vois, je suis prisonnière de... ceci, fit-elle en désignant les barreaux. Je ne peux d'ordinaire m'en échapper que lorsque tu, ou plutôt nous sommes en danger, ce qui n'est pas le cas. »
« Et... alors ? demanda Yurlungur après un court moment d'attente. »
« Eh bien, il ne te reste plus qu'à détruire cette prison et me laisser libre. Est-ce ce que tu me fais confiance, c'est la question que je te pose. »

Yurlungur recula d'un pas, quelque peu effrayée. Détruire ce qui lui permettait de contrôler l'Autre ?

« Est-ce que tu es capable de faire confiance à celle à qui tu as donné un nom ? À celle qui t'a sauvée la vie maintes et maintes fois ? À celle qui jamais ne t'a trahie... continua Asmodée, en venant même jusqu'à s'accroupir face à Yurlungur, une expression de pure détresse sur le visage. »

L'hésitation disparut, la balance pencha.

« D'accord. Je vais le faire, affirma-t-elle avec un sourire. »
« Il te suffira de le vouloir pour que cela devienne réalité, annonça Asmodée. Je t'aime, je t'adore, merci, ma sœur. »

Et Yurlungur s'assit, n'osant pas penser à ce qualificatif de “sœur”, Yurlungur sourit, Yurlungur voulut la paix de son âme-sœur qui s'envola, oiseau enfin libéré des barreaux de sa cage.


***



Noir.
Tout était noir.


***



Lorsqu'elle se réveilla, Yurlungur vit immédiatement qu'il faisait déjà nuit. Elle était allongée sur le dos dans la cuisine obscure de la maison, voyant à travers le plafond troué les étoiles scintiller faiblement alors que la lumière du Soleil disparaissait définitivement. Elle était elle-même allongée en étoile et aucune bougie ne venait éclairer la pièce. Pourquoi s'était-elle couchée ainsi au sol même ? Où étaient sa mère et Calua ?

Elle se releva difficilement et sa main glissa contre une flaque visqueuse, la faisant chuter à nouveau. Elle approcha sa main de ses narines, tremblante, et reconnut entre toutes l'odeur distinctive du sang.

Cette fois, elle se releva prestement, sentant alors ses cheveux lourds, gorgés de l'hémoglobine qui couvrait le sol. C'était encore chaud, presque rassurant, mais Yurlungur ne pouvait s'arrêter de trembler. Elle se tâta le corps sans découvrir aucune blessure le temps que ses yeux s'habituent à l'obscurité de la maison, puis remarqua les deux corps au sol, inanimés, aux entailles profondes.

Un jeune garçon aux cheveux blonds, une femme à la robe miteuse et aux longs cheveux lisses.

Son cœur tressaillit et elle recula en chancelant. Dans l'une de ses mains se tenait encore la dague couverte de sang et elle la laissa tomber au sol horrifiée, avant de chuter à son tour sur les genoux en se tenant le visage entre les mains, y apportant la marque du meurtre.

Elle haletait, le souffle coupé sans avoir reçu le moindre coup, la dague assassine juste devant elle.

« Pourquoi ? POURQUOI ! »

Elle avait hurlé à la mort sous l'éclat funèbre des astres. Mais une voix lui répondit, comme provenant de l'obscurité. Par rêve ou par hallucination, elle crut apercevoir la silhouette d'Asmodée qui jouait dans les ombres.

« Parce que tu les aimais, Yurlungur. J'ai fait ça pour ton bien. »
« C'est... C'est toi... C'est toi qui les a tués... »

Elle se tenait le visage entre les ongles, se griffait elle-même dans l'espoir de se réveiller de ce cauchemar.

« Oui, c'est moi, affirma à nouveau Asmodée alors que ses paroles résonnaient dans les oreilles de la petite fille. Aimer un être, c'est lui accorder une préférence, lui reconnaître une primauté, donc un pouvoir. Être aimé, c'est se voir reconnaître cette prépondérance. Nos rapports amoureux sont des rapports de puissance à puissance. Je pensais que tu l'avais remarqué, avec le temps, hasarda-t-elle. »

La voix affreusement posée de l'Autre semblait provenir de l'intérieur comme de l'extérieur, envahissant tout l'espace sonore sans troubler le calme des lieux autrement que par sa tranquillité épouvantable.

« Je t'ai délivrée d'eux, Yurlungur. Tu aurais fini par les perdre... Il fallait que je le fasse, pour ton bien. Tu ne dois pas t'attacher aux choses mortelles de ce monde, affirma-t-elle avec un petit rire ironique. »
« Je te hais... »
« Non, tu m'adules et tu m'adores. Tu sais que j'ai fait le bon choix, un choix que toi tu n'aurais jamais pu prendre seule. »
« Je te hais... »
« Si maman était encore là, tu sais tout aussi bien que moi que tu l'aurais suivie à Kendra Kâr. Maintenant, tu peux rester à Dahràm aussi longtemps que tu veux... Avoue que tu m'aimes pour cela. »
« Je te hais plus que tout... »
« Et Calua ! continuait Asmodée. Je ne comprends pas comment tu as pu t'attacher à un faible pareil. Il s'est à peine pris un coup de couteau qu'il s'est effondré, mort... Quitte à choisir quelqu'un, sélectionne plutôt un qui soit un minimum résistant... »
« Je te hais et je te déteste ! éclata la fillette. Pars ! Pars et ne reviens jamais ! Pourquoi m'avoir fait cela ? Je t'avais accordé ma confiance entière et totale, je t'avais accordé un nom, et tu m'as infligé une douleur mille fois pire que tout ce que j'ai enduré jusqu'ici... »

Elle se leva en saisissant sa dague, dernière protection, des larmes de rage et de douleur coulant sur son visage enfantin, écartant les bras en attendant une rédemption des cieux.

« Pourquoi as-tu fait cela ? »

Son regard vint à nouveau se poser sur les corps au sol et elle tressaillit encore une fois, recula à nouveau, puis s'enfuit dans la nuit, dispersant derrière elle les larmes d'une enfance détruite et les cris d'un amour perdu à jamais. Et Asmodée souriait au milieu des ténèbres.

Suite : ici

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