Alors que le crépuscule couvrait peu à peu Kendra Kâr, alors que le soleil disparaissait lentement, Halkmir se sentit pris d’un vertige. Sa frêle silhouette dressée au bord du sommet de la tour qu’il avait choisit pour remplir sa mission. Il contemplait la foule qui s’amassait en contrebas, le cœur serré. Maintes fois, sous le ciel brûlant d’Exech,il avait pu observer les passants , les échanges, les larcins, comme un spectacle curieux, qu’il suivait distraitement.
Ce soir, les rôles étaient inversés, les gens se rassemblaient dans la place, juste sous l’édifice, et observaient, intrigués, ce large brasier qui éclairait, tel un phare dans cette nuit naissante, le cœur de leur cité. Il se demandaient quelle en était la cause, la raison. Si cette petite silhouette, dont les vêtements rouges et amples qui ondulaient sous le vent, tels les flammes derrière elle, était responsable de cette curiosité.
Pour Halkmir, l’instant était unique. Non pas car il estimait avoir passé avec succès l’épreuve que son maitre lui avait imposé. Non pas parce qu’il avait rarement crée un feu si parfait, si bien maitrisé (même si cela y participait grandement). Ce qui le rendait si ému, c’était cette foule, à ses pieds, qui lui offraient toute son attention, même si cela n’était du qu’à leur étonnement. Jamais, dans toute sa courte vie, le petit mage n’avait sentit autant de regards posés sur lui, et encore moins des regards n’exprimant nulle haine ou mépris. Ils étaient captivés, hypnotisés par ses flammes, sa création, sa représentation. Pendant ce court instant, il se sentit roi, il se sentit dieu. Pour quiconque, cela pourrait paraître sot d’éprouver de tels sentiments dans un moment pareil. Mais pour un enfant qui n’a connu que les ombres, c’est un nouveau monde…
Au milieu de la foule, cependant, il remarqua une file d’hommes en uniformes qui progressaient jusqu'à l’entrée de la tour. Halkmir eut un frisson, puis soupira. Il n’avait pas aucun regret, et il valait mieux que cela s’arrête tant qu’il maitrisait le feu. Il se tourna vers son « chef d’œuvre », et d’un simple mouvement de la main, en pris le contrôle jusqu'à doucement l’éteindre. Il n’y eu pas de pas de danse ni de gestes étranges. Il agit avec calme. Le spectacle était finit, pour l’instant.
Il fallut un moment aux gardes pour monter les longs escaliers de la tour. Une montée troublante puisque de la cour à extérieur, ils eurent plusieurs fois l’impression que s’élevaient des rires… Que se passait il ? Arrivés au sommet, ils ne trouvèrent rien sinon les marques sombres sur les pierres brulées. Pas de feu, pas de suspect. Accourant jusqu’au rebord de la tour, le capitaine de la garde fut rapidement obligé de reculer, pris d’un vilain vertige. Après quelques instants, il osa enfin un second coup d’œil : la silhouette rouge, tandis qu’ils s’épuisaient à grimper jusqu’en haut, l’agitateur usait des nombreuses sculptures et gargouilles pour descendre la façade de l’édifice aussi vite que possible.. Ils l’avaient croisé sans même le voir, au plus grand amusement de certains citoyens.
Une fois au sol, Halkmir fut accueillis par divers sons de cloche. Pourquoi ce feu ? Était il pyromane ? Prestidigitateur ? ses intentions étaient elles bonnes ou mauvaises ? Certains s’interrogeaient, d’autres avaient déjà leur avis.. qui se voyait parfois ébranlé quand ils constatèrent que l’individu n’était qu’un jeune garçon. Il hésita un court moment, avant de s’exclamer.
« Hum.. mesdames, mesdemoiselles, messieurs, soyez sans craintes ! Je ne suis nullement une menace… éventuellement un fauteur de trouble, mais je ne veux en rien du mal à qui que ce soit ! Ce dont vous avez pu témoigner ce soir sont.. les.. balbutiements de la maitrise d’un art magnifique dont, si j’en ai l’occasion, je vous ferait profiter des beautés incomparables…si vous vouliez bien me laisser retourner à mes études.. »
Il leur adressa alors un grand sourire dans lequel il mis toute sa gentillesse et son innocence purement enfantine, avant de se ruer à toute jambe dans la masse, profitant d’une part de la surprise des passants qui le laissèrent filer sans réagir, et d’autre part de sa petite taille pour disparaitre en peu de temps et quitter la place. Quand les gardes arrivèrent enfin aux portes de la tour, à bout de souffle, les témoignages étaient si vagues qu’ils n’en tirèrent pas grand-chose.
Quelques temps plus tard, marchant de toits en toits, Halkmir jeta un œil derrière lui. « sa » tour avait repris un aspect normal. la foule s’était dispersé. Plus rien ne témoignait de ce qu’il avait fait…Rien en dehors de la rumeur qui courrait et qu’il entendait dans les murmures, en contrebas. On disait qu’un petit diable était apparu, ou qu’un magicien avait fait un spectacle, se jouant des gardes, ou encore qu’un enfant étrange était né au sommet de la tour dans un grand feu, et était descendu annoncer une étrange prophétie.. Certaines de ces rumeurs étaient vraiment loufoques, mais le petit mage s’étonnait d’à quel point l’effet de son numéro avait résonné dans toute la ville, comme si ce feu avait continué de s’étendre, embrasant non pas la ville, mais esprit de ses habitants. Quelque peu décontenancé par l’idée de disposer ainsi d’un tel pouvoir, si aisément, il continua d’errer, quelques mètres au dessus de la tête des gens, agile comme un chat, en réfléchissant. A nouveau, il eu un pincement de cœur en regardant deux enfants qui écoutaient quelques bougres à extérieur d’une taverne. L’un d’eux se vantait d’avoir assisté au « spectacle de la journée » et exagérait quelque peu les performances d’Halkmir. Ce dernier retrouva alors dans les yeux des enfants cette lueur qu’il avait vu dans ceux se son public un peu plus tôt..Cette lueur qu’il avait lui-même eu, bien des années plus tôt, en apprenant ce qu’était la magie…
Des heures plus tard, bien que événement s’était complètement perdu, sa rumeur noyée dans les méandres des conversations et de la folle activité nocturne de Kendra-Kâr, le bonheur du jeune apprentis demeurait intact. Il se sentait comme sur un nuage. A sa gauche, une femme peinait à allumer sa lampe. Il l’aida d’un claquement de doigts. A sa droite, un vieil homme faisait tomber un cageot de fruits. En quelques instants, le jeune garçon reparait le mal et saluait le vieillard. C’est le cœur léger qu’il retrouva ainsi le chemin de la cabane du vieux Baldy.
C’est en frappant à sa porte qu’il sentit un poids…Et si le vieux bougre avait manqué sa prestation ? le feu n’avait pas duré très longtemps… Et s’il n’avait rien vu ? Après une courte réflexion, Halkmir haussa les épaules… « Bah, se dit il, ce sera l’occasion de recommencer ! »
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