Il commençait à se faire tard, la nuit avait fait son chemin et la ville se dépeuplait progressivement, laissant les rues désertiques et mornes. Seuls quelques chats révélaient que la ville n'était pas fantôme, pourtant, dans l'ombre étaient cachés Amarante et Assil, les deux brigands prêts à agir à la moindre occasion. Chacun était sur le point de mettre fin à toute cette attente, à dérober cet objet si précieux pour l'employeur d'Assil, mais complètement désuet aux yeux de la Belle. La tension était palpable, tout pouvait encore arriver, le monde aurait très bien pu s'écrouler sous leurs pieds avant qu'ils n'aient pu commettre quoique ce soit. Hé oui ! L'univers était impitoyable, ingrat, morveux et puant et ça Amarante le savait bien, elle l'avait expérimenté depuis sa plus tendre enfance. Finir une nouvelle fois enfermée dans les cachots, elle ne le supporterait pas, non, elle ne pourrait pas... Dans sa tête seul un rire de vengeance et d'apocalypse résonnait à n'en plus finir, un son à réveiller les morts. Le démon avait été libéré, à présent plus rien ne l'arrêterait, pas même l'armée de Kendra Kâr, elle en était persuadée ! Mais, ce silence pesant fut rompu par la voix si parfaite d'Assil qui fit sortir la demoiselle de ses songes déments. Le sang de millions d'innocents venaient de cesser de couler, s'estompant sous ses yeux étincelants d'une haine de furie. «Allez-y Amarante ! C'est à vous de jouer.» lança son compagnon de route à voix basse.
La Sulfureuse Amarante inspira une bouffée d'air, emplit ses poumons de la fraîcheur nocturne avant de se transformer littéralement en une autre femme. Son visage s'attendrit, on aurait même pu croire que la terreur était en train de se dessiner sur ses traits si sûrs et déterminés. Son regard reflétait la panique, une panique profonde ancrée au fond d'elle-même, ses cheveux semblèrent même tressaillir sous l'effet d'une force mystérieuse. Tout ceci était époustouflant, Assil la regardait fébrilement, observant la métamorphose de ses yeux satisfaits. Qui aurait deviné tout ce qui se cachait derrière ce masque impétueux, sous ses traits de femme en détresse ? Bien entendu personne, la supercherie était bien trop satisfaisante pour que quelqu'un se doute qu'une vipère se cachait sous cette apparence. Même sa bouche frétillait, Amarante était prête à pleurer, à sombrer dans une vague de tristesse qui la déchirait au fond de son âme. Bien que le spectacle soit exceptionnel à regarder, l'Ardente jeune fille faisait preuve d'un courage intense, combattant son abominable passé qui surgissait comme l'aurait fait la lave d'un volcan. Oui, elle revivait les moments les plus terribles de son adolescence, ce moment effroyable où on l'avait jetée dans les oubliettes pour qu'elle se repentisse de ses péchés. Le risque qu'elle prenait était indubitablement inconscient car à tout instant, la jeune fille aurait très bien pu perdre le contrôle de ses émotions et se changer en véritable harpie. Pourtant, elle avait accepté sa mission et ne comptait certainement pas faire demi-tour alors que son crime chasserait la part de morale qui restait présente dans son esprit.
En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, Amarante se mit à courir vers les gardes, affolée par un ennemi invisible qui la pourchassait dans l'obscurité menaçante. Ses yeux éjaculèrent une pluie de larmes divines qui dégoulinèrent sur ses joues rougies par le froid ambiant qui tombait inexorablement sur la ville. Amarante courait à en perdre halène, avançant vers les gardes en hurlant, déblatérant un chapelet de bêtises qu'elle ne comprenait même pas. Le ciel semblait lui tomber sur la tête, pourtant il n'en était rien, seule une femme affolée criait, contrastant avec la tranquillité ambiante. Ce paradoxe se dirigeait toujours plus rapidement vers les soldats qui attendaient devant la porte de la masure, bloquant l'entrée. Toutefois, à huit ou dix mètres des gardes, la Sulfureuse fit mine de trébucher et tomba sur le sol tout en sanglotant de plus belle : «Aidez-moi... Par pitié...»
Rapidement, les deux hommes en armure s'avancèrent pour voir ce qui était en train de lui arriver, observant la beauté qui gisait sur le sol, le visage dans la poussière qui s'était déposée sur les pavés. Son corps semblait être en train d'agoniser, ses gémissements arrivaient aux oreilles des deux soldats, les obligeant à se précipiter vers l'ange qui venait de se poser devant leurs pieds. Son combat intérieur l'obligeait à faire abstraction de ce qui se passait autour d'elle, l'empêchant de faire de son mieux lorsque les deux hommes s'agenouillèrent près d'elle. Son regard semblait être absent, emprisonné dans un univers que seule Amarante pouvait comprendre, un univers de sang et de maux. Une douleur la prit à la poitrine : elle suffoquait. Toutefois, la jeune fille devait faire son possible pour reprendre le contrôle de ses sens, de ses émotions, de cette satané personnalité qu'elle venait de construire et qui pourtant lui échappait complètement. Son esprit se morcelait, tombait en miettes, comme un verre qui tombe sur le sol, les murs de son psychisme éclatèrent en un million de morceaux. Ce n'était plus qu'une poupée passionnée, un monstre vulnérable prêt à succomber à sa détresse si attirante. «Mademoiselle, que vous arrive-t-il ? Mademoiselle !»
Le garde se mit à la remuer afin de la remettre sur pieds, mais, le monde qui entourait Amarante lui paraissait bien loin, dans un autre espace temps. Elle ne pouvait plus se contrôler, elle se voyait dans le cachot, dénudée, attendant l'heure fatidique où son geôlier viendrait une nouvelle fois la violer. Tout ceci était si dur, difficile à accepter;Amarante n'était plus consciente de ce qu'on lui faisait, elle subissait comme l'aurait fait un petit animal. Toute sa haine et sa rage remonta à la surface, néanmoins, elle entendit comme un murmure la voix du soldat qui résonnait dans sa tête. Était-ce un de ses violeurs ? La sulfureuse Démente n'en avait plus aucune idée, elle perdait complètement la notion de son environnement... Son corps était dans la rue de Kendra Kâr alors que son esprit se trouvait dans sa prison indestructible, dans cette pièce exiguë qui sentait la pisse et la crasse. Le mal la prenait, un monstre de nerfs s'empara de son âme, l'empoignant d'une main de fer et l'emmenant dans un puits de délice et de plaisir. Amarante revivait ce moment terrifiant mais tellement excitant et jouissif. Cependant, les gardes étaient toujours à ses côtés, examinant la jeune fille avec des yeux épouvantés. «Mademoiselle, par Gaïa dites-nous ce qui vous arrive !»
À cet instant précis tout s'arrêta, ses yeux transpercèrent le mâle qui se trouvait au-dessus d'elle, des larmes continuaient toujours de ruisseler le long de ses joues. Hé bien, on pouvait dire que la jeune Amarante venait de perdre les pédales, mais, cela ne lui importait que peu, le nom de la peste venait d'être cité, ramenant l'esprit de la démente dans son corps fébrile. Comment osait-il invoquait Gaïa devant elle ? De quel droit s'était-il permis de le faire ? C'était à peine si l'ardente Amarante supportait celui de Rana dont elle possédait une infime partie magique. Mais, l'autre, non ! Elle ne pouvait entendre ce nom, cette entité qui s'installait dans l'esprit de tout un chacun comme force de connaissance comme pureté céleste qui n'avait lieu d'être. Sa colère monta d'un cran, Amarante était prête à lancer un sortilège pour lui rabattre son caquet, mais, elle savait pourquoi elle était là, pour quelle raison elle avait perdu toute maîtrise sur son for intérieur. Il fallait qu'elle tienne les deux hommes en halène encore quelques minutes et bien entendu elle ne pouvait faillir à sa mission, elle ne se le pardonnerait jamais ! «Un homme... terrible... oui c'est terrible... un homme a tenté... c'est abominable... il a voulu me tuer... un poignard... mon corps lacéré... J'ai fui... - Où ça ? Dites-nous ! - Je ne sais pas... je ne sais plus... Pitié faites quelque chose...»
Elle tressaillait, semblait se liquéfier sur place vu toute l'eau qu'elle était en train de perdre ! Tout ceci semblait si réel aux yeux des deux hommes qui paraissaient s'inquiéter de ce fait divers plus vrai que nature. L'autre qui était resté stoïque jusqu'à présent tenta de relever Amarante qui faisait tout son possible pour l'en empêcher, retombant à genoux dès que son «sauveur» l'eut lâchée. Il n'y avait pas à dire, elle était sous le choc, ce bouleversement interne lui avait permis de se changer en une véritable loque humaine, une serpillère inutile qui sombrait dans la mélancolie au beau milieu d'une rue déserte. Amarante n'était plus que l'ombre de la jeune femme déterminée qu'elle avait été, mais au fond d'elle, cette main d'acier était en train de revivre, tel le phœnix qui renaît de ses cendres. Cependant, la Belle allait devoir mettre fin à son cinéma car elle aperçut du coin de l'œil une ombre mouvante qui sortit de la masure vulnérable. Assil avait enfin récupéré la cause de leurs soucis ! La jolie jeune fille espérait avoir de grandes et éloquentes explications car elle espérait bien ne plus jamais revivre un tel désespoir ! Bien ! En tout cas, il ne lui restait plus qu'à mettre fin à ce spectacle pour qu'elle puisse rejoindre le si charmant Assil à l'auberge de la tortue guerrière. «Oui... Là-bas... à environ trente mètres... il doit nous observer... - Ne bougez pas, nous allons jeter un coup d'œil.»
Le soldat dégaina son arme, sortit une épée étincelante qui refléta les rayons lumineux de la lune sur le visage de la jeune fille. Les deux hommes musclés se dépêchèrent, fonçant vers le mal inconnu qui les attendait... Pendant ce temps, Amarante se releva et se mit à courir une nouvelle fois, elle cavala, avançant toujours plus rapidement.
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Dernière édition par Amarante le Lun 26 Oct 2009 16:56, édité 5 fois.
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