<< Le Port de Kendra-KârQuelque peu surpris par tout ce capharnaüm, qui me semble bien plus impressionnant qu'à Tulorim, je m'arrête brusquement pour mieux me rendre compte de la vie qui fourmille devant moi. Je ressens alors un nouveau choc, mais dans les jambes cette fois-ci. Baissant les yeux, j'aperçois une miniature d'homme se débattre entre mes bottes pour tenter de s'y faufiler.
"Mais poussez vous donc, ils vont m'rattraper !"Tendant la main pour m'emparer du bambin par son col, je relève la tête pour scruter la foule du côté d'où vient le marmouset. Il ne me faut que quelques secondes pour repérer une petite bande de braillards courant vers nous comme des forcenés. Hissant celui que je tiens par la chemise jusqu'à mon visage, je plonge mes yeux rougeoyants dans les siens d'un étrange bleu-gris.
"Qu'as-tu donc fait pour qu'ils te coursent ainsi ?
- Mais moi rien sir. – Bégaye le petiot, un tantinet impressionné par l'aisance avec laquelle je l'ai soulevé, à moins que ce ne soit mon regard, d'une couleur qui lui semble inconnue. –
C'est la bande à Marben, y sont méchants s'avez ! Veulent me prendre le Yus, que j'dois acheter à manger pour ma pauv' maman !
- Dans ce cas, grimpe donc là-haut."Emu par le petit visage pâlot couvert de saletés sous la tignasse blonde, je dépose le garçonnet sur mes épaules et reprends ma route, qui ne tarde pas à croiser celle de la clique du Marben. Je pense reconnaître ce dernier dans le grand lardon aux cheveux bruns et au faciès couvert de tâche de rousseur, où se tord une bouche moqueuse et arrogante. Ses quatre sbires s'arrêtent alors derrière lui, tous plus fluets les uns que les autres, j'aperçois même une demoiselle dans les rangs. Marben ne se laisse pourtant pas démonter par ma présence, bien que tous m'observent avec une curiosité mêlée de crainte.
"Hé Belkas descend de ton promontoire !"Belkas, voilà donc le prénom de mon petit protégé. Celui-ci ne perd d'ailleurs pas un instant pour rétorquer.
"Viens donc me chercher Marben !
- Dis moi Marben, que lui veux-tu donc à Belkas ?
- Moi ? Oh mais rien m'sieur, juste jouer avec lui !
- En me volant mon argent !
- Je n'appelle pas ça jouer jeune homme.
- Mais si, c'était pour rire Belkas, tu sais bien !
- Tu n'es qu'un fieffé menteur Marben ! Et un voleur !
- Allons, arrêtons là les jeux les garçons. J'ai de toute façon besoin de Belkas pour le moment, alors vous autres, il faudra jouer sans lui.
- Bien m'sieur, au r'voir m'sieur !"Et sans demander leur reste, ils se fondent dans la foule de Kendra-Kâr, me laissant là avec le dénommé Belkas, toujours perché sur mes épaules.
"Bien Belkas, je t'ai débarrassé de tes poursuivants, il va falloir descendre de là-haut et me rendre la pareille.
- Tout ce que vous voulez sir ! Mais, dites... Je peux rester là ? On voit drôlement bien d'ici !"Un rire me secoue le torse à la demande du môme, qui doit s'accrocher à mes cheveux pour ne pas tomber.
"Oh là ! Je ne suis pas un canasson ! Tu peux rester sur mes épaules, mais tiens toi donc à ça."Lui dis-je en indiquant les lanières qui passent sur mes épaules. Je sens les petites mains s'agripper à la fourrure et au cuir, tandis que ses jambes se serrent sur ma poitrine.
"Bien, en route alors. Connais-tu le temple de Yuia ?
- Bien sûr sir...
- Appelle moi donc Rurik, plutôt que sir. - L'interrompais-je.
- D'accord Rurik ! Alors droit devant et puis à droite là-bas ! Je connais Kendra-Kâr aussi bien que les grandes personnes !"Suivant la direction que Belkas m'indique, je m'enfonce dans les rues de la cité. Les gens nous jettent des regards fort intrigués devant l'attelage que nous formons. Mais cela ne me dérange pas, ni le petit, qui resté un temps silencieux, reprends la parole. Et alors que nous discutons tout en marchant, je ne cesse de m'émerveiller sur l'immense ville qu'est Kendra-Kâr.
"Y sont marrants tes cheveux Rurik ! On dirait que t'es un vieux !
- Haha ! Oui, j'ai remarqué que vous autres vous aviez des chevelures multicolores ! Mais moi et mon peuple avons toujours eu les cheveux blancs, même les enfants comme toi.
- C'est quoi ton peuple ? Attention c'est à gauche là.
- D'accord. Mon peuple ? Nous nous nommons les Phalanges de Fenris. Je ne pense pas que tu en ai déjà entendu parler ?
- Non jamais, tu viens d'où ? C'est ici ? Sur Nirtim ?
- Non... Excuse-moi, je continue tout droit ?
- Vers là, à droite, tu vois les jardins et derrière le château ? Faut qu'on le dépasse et qu'on tourne à droite encore.
- Bien. Alors je te disais que je ne venais pas de Nirtim, mais du continent Nosvéris.
- Ah ça je connais ! J'en ai entendu parler, mais je n'y suis jamais allé !
- Tu as encore bien du temps devant toi pour voyager Belkas.
- Oui, j'espère que je pourrai faire comme toi quand je serai grand ! Qu'on laisse les petits tranquilles et que j'aille dans d'autres endroits ! Voilà tout droit maintenant...
- Et bien, viens donc un jour par chez moi, je t'emmènerai dans les montagnes.
- Oh ! Tu habites dans des montagnes ? Je n'y suis jamais allé !
- Oui, ce sont d'immenses montagnes recouvertes de neige.
- Ah ça la neige je connais, on en a ici des fois ! Tiens regarde il est là le temple que tu dis."De la neige à Kendra-Kâr, voilà qui répond à l'une de mes interrogations. Mais déjà je pense à autre chose, observant ce petit bâtiment, bien différent du temple de Yuimen et Gaïa que j'ai pu admirer à Tulorim. Mais ces murs bleutés et simples ne sont pas pour me déplaire, je suis bien placé pour savoir que la vanité de certains ont causé leur perte. Cette porte va-t-elle s'ouvrir sur des réponses ?
M'ébrouant tel un cheval pour amuser le petit, je le saisis par les vêtements et le dépose sur le sol. M'agenouillant pour être à sa hauteur, je lui tends ma large main.
"Merci d'avoir été mon guide jeune Belkas.
- Tes yeux aussi sont bizarres Rurik !"J'éclate de rire et pose une main amicale sur l'épaule du mioche.
"C'est aussi une marque de mon peuple. Nous sommes tous ainsi, nous, le plus vieux peuple des hommes."La bouche de Belkas fait un rond parfait, marquant l'étonnement. Il se reprend bien vite et jette un regard en arrière, vers le temple.
"C'est le temple de ta déesse, hein c'est ça ?
- Tout à fait.
- Je peux venir avec toi ?
- Ta mère ne t'attend-t-elle donc pas chenapan ? La nuit est presque tombée !
- Si, si, je vais rentrer... Mais... Où vas-tu dormir ce soir ?"Je me redresse, souriant devant la gentillesse du marmot. Lui ébouriffant les cheveux, je le rassure sur mon sort.
"Je ne sais pas encore, mais ne t'en fais pas pour moi.
- Bon sinon, j'habite dans la Grande Rue, pas loin du marché, va te balader par là-bas si tu n'as nul part où aller, je te verrais.
- Merci Belkas, j'espère te revoir.
- Moi aussi Rurik !"Crie le gamin, s'éloignant en courant dans les rues dans lesquelles il vient de me guider. De nouveau seul, mais le cœur réchauffait par cette bienveillante innocence, je gravis les marches qui mène à l'entrée du temple de Yuia et en pousse la porte en acier.
>> Le Temple de Yuia