(Des tigres… Ca je crois que je connais… Comme des gros chats. Des harpies, connais pas… Et puis les créatures sous la plaine…Des taupes qui soufflent de l’eau ? Bah, ça peut bien exister dans un monde étranger… Pas plus bizarre que les humains qui se trempent dans l’eau sans y être obligé, alors que rien ne vaut de la bonne poussière, quelque chose qui vous décrasse vraiment la fourrure de tout ce qui n’a rien à y faire… On a déjà assez avec les torrents, la pluie et la neige… La neige…)
Pas idéal pour la chasse, des odeurs bien particulières à l’hiver, des odeurs blanches, et tous les animaux qui sortaient encore revêtaient alors leur plus pur manteau de fourrure, se fondant dans le décor avec une habileté désagréable pour le prédateur affamé. Sans compter qu’avec toute cette neige le soleil illuminait bien plus encore le paysage alors que le sol renvoyait vers les yeux des observateurs ses rayons. Sans son casque d’olath, qui ménageait une obscure et impalpable capuche autour de son crâne allongé, préservant ses yeux sensibles, Therion aurait été complètement aveugle ; cette situation le plaçait déjà dans un inconfort rare qui n’améliorait guère ses sentiments vis-à-vis d’Aliaénon. Du coin de l’œil, il aperçut l’autre bête, l’elfe transformée, Celle-Qui-Chasse-Bien, escalader les rochers pour se poster en observation. Que pouvait-elle percevoir ? Il l’ignorait encore. Pour sa part, la faim ne le taraudait pas encore, il pouvait encore se priver un jour ou deux d’un repas avant de faire bombance sur une carcasse chaude et sanglante, mais guère plus. Aussi se demandait-il quelle conduite adopter. Trois jours de marche pour gagner la forêt ne lui semblaient pas un défi terrifiant, pour peu que le voyage s’effectue de nuit. Dormir toute la journée dans un creux de neige tassée, à l’abri du vent, du froid, sous la fourrure et une maigre couverture, puis s’en aller sitôt le soir venu, laissant derrière eux la ville. Que d’avantages à voyager la nuit lorsque l’on y voit assez clair ! Plus de soleil pour tromper et éblouir, plus de fouineurs : si les garzoks s’avisent de voyager de nuit, de patrouiller, ils ne sont pas les plus discrets, et s’ils campent, il y a des feux, des odeurs, des fumées, la viande. Sans compter la sueur chaude que la brise transporte au long de la plaine, les jurons étouffés, les claquements du fouet pour faire taire les récalcitrants, plus bruyants que les murmures… Therion se souvint petit à petit de ses jours de servitude, sous le joug d’Oaxaca, et à l’agacement suscité par tout ce qu’il avait rencontré depuis son arrivée sur Aliaénon s’aggloméra une rage sourde, un désir de vengeance, de sang, de souffrances infligées, ces sentiments qui faisaient que Therion et ceux de sa race n’étaient pas tout à fait des bêtes et parfois pouvaient se rapprocher des humains.
Laissant à la créature dont il avait décidé de partager le destin ce qui lui semblait être assez de temps pour se livrer à son observation, puis demanda à voix assez haute pour se faire entendre du bas du promontoire.
« Que dirais-tu de dormir ? Et de partir à la nuit tombée. On voyagerait de nuit, on irait vite, on chasserait une proie au matin, on surprendrait nos ennemis dans l’ombre et on chasserait dans la forêt. Je n’aime pas les plaines. Les batailles ont lieu dans les plaines à ce qu’on dit. »
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La faim chasse le loup du bois...
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