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Auparavant~
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Peut-être le Dragon est-il assuré de sa victoire, ou peut-être a-t-il juste l'envie de parler, à moins qu'il ait oublié que nous ne sommes pas du même côté. Toujours est-il qu'il m'offre un nombre important d'informations. Il est un récent promu de l'armée de la Demie-Déesse, ambitieux, mais pas à l'origine de tout ceci. C'est le Seigneur Vallel, d'Oaxaca, qui en est la cause. S'il me fallait être stoïque avant, les propos de mon puissant interlocuteur exigent de moi un effort colossal pour ne rien manifester.
Il m'explique que la conquête de ma Patrie n'est en fait qu'une étape pour celle du royaume de Kendra Kâr. Irritant et blessant pour ma fierté d'ynorien, mais compréhensible. Des montagnes difficiles à franchir séparent les terres de l'Empire et celles du Royaume kendrain. Ou il leur faudrait conquérir l'Anorfain, qui est bien plus éloigné de leur capitale. J'ai du mal toutefois à ne pas hausser un sourcil quand il prête à mon peuple des volontés belliqueuses et de stigmatisation de celui de la Demie-Déesse. C'est faux ! Évidemment que ce n'est pas vrai ! Mon peuple est fier, respectueux et humble ! Jamais il ne s'abaisserait à... Non, nous ne faisons que nous défendre contre leurs raids. Ce sont eux qui s'évertuent à nous agresser ! Je le sais ! J'en entends parler régulièrement à la milice. Mais... Mais la conviction dans la voix du Dragon éveille un doute en moi. Nos contrées sont ennemies depuis bien avant ma naissance... Peut-être... Peut-être existe-t-il une vérité dont je n'ai pas connaissance ? Mais en Aliaénon, personne n'est en mesure de me répondre, hélas. Cela fait la seconde fois en quelques heures que je sens une atteinte à la foi que j'ai en ma Patrie. J'ai le cœur un peu troublé, et je n'aime pas cela.
Je me reprends quand l'elfe évoque la chute de la République. Je m'y refuse. Je n'ai pas versé et fais couler mon sang pour offrir le pays, qui commence enfin à m'accepter, au premier conquérant venu. Ma détermination chassant temporairement mon trouble, j'entends le Dragon préciser que les Hommes Pâles n'ont jamais été menacés directement, mais que leur implication pouvait en faire aussi bien des alliés que des victimes. La Reine se reprend aussi et s'annonce volontaire, pour demeurer otage au cas où Andel'Ys tenterait quelque chose.
Quand bien même je m'étais préparé à une telle éventualité, l'entendre mise en paroles par la première concernée me glace le sang. Le Seigneur Naral Sham l'accepte vivement, avant de me désigner pour préparer la cité à son arrivée et à celle des siens. Une garnison désarmée et un peuple accueillant. Il m'invite étrangement à être aussi présent pour les ripailles du soir. Oui, je n'ai guère de doutes. Il a oublié que je n'étais ni son subordonné, ni même de son côté. Ou il ne s'en soucie guère, puisque je ne suis qu'un "sous-fifre d'Oranan". Par contre, je n'ai nullement l'intention de suivre ses directives en-dehors de notre affaire commune.
Je sens peser sur moi le regard de la Reine et le soutiens quelques instants. Je m'incline à l'ynorienne devant le duo.
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Je préparerai Andel'Ys à la venue de son puissant invité à la chevelure coloris ianthin... Seigneur Naral Shaam. Majesté."
Je coiffe mon casque et tourne les talons sans perdre de temps. Le poids que je ressens sur mes épaules dépasse de loin tout ce que j'ai pu endurer dans ma vie de milicien. La situation se résoudra dans le sang car c'est inévitable. Reste à savoir si je serai assez fort pour éviter le pire.
À peine hors de la tente, je me fige, cherchant à comprendre exactement ce qui se passe. L'agitation était perceptible à l'intérieur, mais j'ai du mal à en prendre la mesure. Quoi qu'il arrive, je n'ai nulle intention d'aider les troupes du Dragon contre Astinor, et cherche plutôt les chevaux du regard. D'ailleurs, Ganko me manque. J'espère que les troupes de Treeof et d'Arothiir n'auront pas eu de difficultés en cours de route.