Il fallait se rendre à l'évidence: l'histoire du liykor ne pouvait pas être crue ainsi. Manifestement, le reste du groupe ne s'était pas rendu compte des changements de personnalité de certains aventuriers, contrairement à lui et Depheline, précédemment. Par ailleurs, l'homme-loup ne s'attendait pas vraiment à ce que Serpent lui fasse aveuglément confiance. Mais il était déjà bien heureux de savoir que ce dernier lui accordait le bénéfice du doute. Car si cela n'avait pas été le cas, Ziresh savait bien qu'il était le moins expérimenté de tous, ici. Il aurait été tué, ni plus ni moins.
Tous réagirent à son arrivée et à celle d'Amarante, dans tous les cas. Trà Thù avait l'air de croire le liykor, puisqu'il ne questionna même pas cette histoire de "double" et se contenta d'espérer un duel avec son propre clone. Selen, lui, préféra la sécurité, et considéra qu'il fallait accomplir immédiatement la mission que de venir en aide trop promptement à Depheline. C'était un point de vue que Ziresh comprenait, mais qu'il ne partageait pas. Accomplir une quête ne signifiait pas, à ses yeux, qu'il faille faire fi de la sécurité de nos propres compagnons. Enfin, Aztai sembla le plus chamboulé. Il questionna le loup au pelage d'argent sur sa véritable identité. A cet instant, Ziresh sentit son sang ne faire qu'un tour: il comprenait bien, il savait qu'il devait pouvoir se défendre en apportant beaucoup d'informations, mais il ne savait pas lesquelles suffiraient. Heureusement, le woran sut lui apporter une certaine confiance en relevant la présence de son nouveau casque, accessoire que le clone ne possédait pas. Le loup d'argent avait d'ailleurs reconnu Aztai principalement grâce à sa carrure et son pelage: ce masque était terriblement effrayant, et c'est sans doute une des choses qui accentua la peur du jeune lupin.
"C'est vrai, oui, il n'a pas ton... masque..."
Il aurait voulu continuer, mais une voix inconnue le coupa dans son élan. C'était un de ces hommes encapuchonnés qui les avaient menés jusqu'ici, pour combattre la "Mère". Ce dernier expliquait alors que vaincre les doubles n'était pas chose aisée, puisque l'on devait mourir si l'on voyait notre propre clone. Puisque Ziresh avait vu le sien, il semblait clair qu'il fallait que le clone meure au préalable pour aller dans l'autre "dimension". Ziresh prit une grande inspiration, regardant tout le monde. Il ne les connaissait pas tous aussi bien. Mais il y avait déjà quelque chose qu'il pouvait dire à Serpent, pour se donner crédit. Et il en avait besoin s'il voulait aider Depheline.
"Vous voulez des preuves? Très bien, je vais vous en donner. Ton double, Serpent, avait un caractère vraiment différent à notre réveil, en ville. Moi, Warren, Depheline et Amarante allions vraiment mal, sans savoir pourquoi, et pourtant, tu ne faisais rien pour l'aider, Depheline. Vous aviez tous changé, alors avec elle, on a fini par parler, à part. Et elle m'a dit alors qu'elle se sentait seul, depuis que tu avais changé. Que tu étais son protecteur."
Il se tourna ensuite vers Trà Thù et Selen.
"Vous, vos clones n'avaient qu'un semblant d'humanité. Selen, tu as tué une femme, une exilée. Et cela, gratuitement, sans aucune raison. De plus, alors que nous étions au plus mal, tu nous as menti, en nous disant que tu n'avais plus une once de fluide pour nous soigner. Quant à toi, Trà, il y a une chose que tu m'as dite que je n'ai jamais oubliée. Warren - ou son clone, je ne sais pas - a été infecté par un de ces parasites, et il en est mort. Et alors que nous devions continuer, avec simplicité, tu m'as juste dit cela: "La fin est proche, quoiqu'il arrive, la fin est proche." Je n'avais aucune raison de croire à une trahison de votre part à tous, mais maintenant que je vous vois, là, je comprends bien. Le Trà qui est là-bas, aux côtés de Depheline, est un de nos ennemis. De même que les clones de Serpent et d'Aztai qui sont encore là."
Il se rapprocha de Selen, sans vraiment être certain de si ses paroles pouvaient le convaincre.
"Tu es le seul dont le clone est mort, et qui puisse aller là-bas pour aider Depheline. Je t'en prie, aie confiance en tes compagnons ! Ils resteront ici pour combattre ce qui risque de venir ! Depheline, elle n'aura pas la chance d'être aidée au combat... Dans tous les cas, qu'importe si tu ne me crois pas, j'irais là-bas avec ou sans arme ! Lorsqu'on avait remarqué vos changements, nous nous étions fait mutuellement confiance pour rester ensemble. Je suis le seul, actuellement, en qui elle peut croire. Alors j'irais. Je sais que je n'ai rien de votre force, à tous, mais je préfère mourir en aidant quelqu'un que de laisser quelqu'un derrière moi pour rester en vie !"
Tous ces mots, Ziresh les avait signés avec énormément de conviction, en accentuant grandement ses gestes, allant jusqu'à l'utilisation de ses bras plutôt que de ses mains. Cette particularité dans son langage, propre aux liykors bratiens, n'était peut-être pas utilisée par son clone, il y avait pensé. Mais pourtant, il n'essaya pas d'étayer ses arguments en relevant cette éventualité. Il s'approcha simplement "l'eau" autour de l'autel de Thimoros.
"Serpent, je ne sais pas si tu me fais confiance. Mais si c'est le cas, alors balance moi l'arme dans le portail. Elle me suivra. J'irais dans tous les cas, même si personne d'entre vous ne peut, ou ne veut venir. Quant à toi, Aztai, ton double a disparu, mais on ne sait pas où il est. Alors si tu viens... ce sera à tes risques et périls."
Il fit face à tous ses compagnons, successivement, et s'apprêta à mettre le pied dans le vide qui remplaçait l'eau qui y était autrefois présente. Le vertige lui fit si peur qu'il resta figé longtemps. Et cet état là l'amena à se rendre compte d'un nouveau danger... Tout s'était assombri autour de lui, même si étant un liykor, il avait plus de facilité que d'autres à voir dans le noir. Et une odeur désagréable vint à son museau. La Mère arrivait, cela ne faisait pas de doute... Un dilemme s'imposa alors à lui. Il pouvait partir et tenter de sauver Depheline, abandonnant ses compagnons à la créature qui allait sûrement arriver. Ou bien, il pouvait rester, avec sa lance pour de bon, pour combattre la chose. Et une idée lui vint: Il n'avait aucune certitude que tomber dans ce trou allait le ramener à l'endroit précédent. Il risquait aussi bien de tomber, de se casser une patte, et de ne plus pouvoir jamais remonter.
"Merde! Je ne sais même pas si je peux y retourner!"
Il resta figé dans la peur et l'indécision. Là, devant l'autel. Cette fois-ci, il ne pouvait pas agir seul. Il avait besoin d'un conseil avisé...
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