D'un geste enjoué, Daio souleva son verre de rhum et frappa sa boisson contre la mienne, à notre voyage, quand soudain, il enfonça son couteau dans la table. A cet acte, j'eus un sursaut de surprise. Je cherchai la cause de ce mouvement offensif : un humain avait tenté d'attraper ma bourse posée sur la table, mais mon compagnon l'avait sévèrement puni avant l'acte. Voyant cette main transpercée, je reculai de stupeur. Alors que tout s'était passé en moins d'une seconde, Daio se leva en bousculant le banc et transperça le scélérat du regard.
L'humain hurla de douleur, sa main littéralement traversée par la lame du shaakt, et s'écria, haineux :
« Enfoiré de Shaakt, vous n’êtes que des déchets de la société. Crève charogne, je vais te tuer. »Le visage de l'elfe changea radicalement, une soif de meurtre se lisait dans ses yeux, et je restai là immobile à fixer les deux humanoïdes. Etait-il vraiment si différent des autres ? Avais-je raison de placer ma confiance en lui? J'étais effrayée aussi bien par ce nouveau visage, que par la scène qui se déroulait devant mes yeux.
Le shaakt dégaina une de ses lames, la plaça contre le cou de l'humain, signe d'avertissement, et lui répondit dans un langage que je ne compris pas. A cet instant, j'eus des visions du combat qu'avait remporté Daio à peine quelques heures avant. Etait-il douceur, ou était-il brutalité ? Quel masque portait-il donc ?
Tant j'étais stupéfaite par ces successions d'actions rapides auxquelles je ne pouvais rien faire, je n'avais pas remarqué le silence pesant qui s'était abattu sur l'auberge. Le tavernier, fidèle a sa réputation de pacifiste, s'écria à l'attention du voleur et du maitre d'arme que les combats n'avaient rien à faire ici, qu'ils devaient sortir si ils voulaient se battre.
Le visage crispé et la mâchoire contractée, Daio me lança machinalement ma bourse que j'attrapai fébrilement au vol. Il déposa quelques pièces sur la table, payement de notre repas, et tourna les talons sans même se retourner vers l'humain. Lorsque l'elfe retira son couteau de la main du brigand, celui-ci avala sa salive de douleur.
A mon attention, Daio dit d'un ton sec :
« Allons chez un forgeron pour voir pour du matériel. Nous n’avons plus rien à faire ici. »Sous les regards noirs des clients qui nous dévisageaient, le shaakt surtout, je trottinai pour arriver à sa hauteur, me sentant plus en sécurité ainsi que sous ces lourds yeux braqués vers nous. J'avais envie d'hurler à ces idiots : « Qu'avez vous à le regarder comme ça? Vous croyez que c'est lui le coupable entre ce misérable voleur et lui? Vous n'en savez rien! Je vous déteste tous! » Mais ces mots se contentaient de bouillir en moi. C'était injuste d'être ainsi discriminé à cause de sa race!
Puis le doute m'envahit encore. Qu'en savais-je après tout? Je ne connaissais rien à la vie. J'eus une dixième de seconde d'hésitation, puis plaçais ma confiance en Daio. Je n'avais pas de raison d'être comme les autres, il était compréhensible que le poids de ces préjugés pouvait être lourd à supporter, et que parfois la vapeur s'échappe.
Nous sortîmes ainsi de la taverne. Pendant quelques pas, je fus angoissée que l'humain ait pu décider de nous suivre pour se venger de Daio, et je me retournai nerveusement à deux reprises. Voyant qu'il avait été assez impressionné par mon compagnon pour espérer une riposte, je fus sûre qu'il ne nous suivrait pas. J'avançais de quelques pas rapides pour me tenir à son niveau.
Que devais-je dire ? Parler de cet incident, d'autre chose? J'étais partagée entre méfiance, admiration et colère. Instinctivement, je tripotai le contenu de ma poche, quand ma main rencontra ma montre à gousset, cet objet que je n'avais pas encore eu l'occasion de regarder de plus près, si mystérieux. Avec dextérité et d'une main, tout en continuant à marcher, je réussi à l'ouvrir et a la refermer, ce plusieurs fois de suite, dans un petit cliquetis amusant.
Avec émerveillement et amusement, je la sortis de ma poche et montrai à Daio ce tintement que je savais faire d'une main. En riant j'expliquais :
« Tu as vu ce que j'arrive à faire!? »Ce simple cliquetis me mettait en joie, et j'en oubliais même l'appréhension que j'avais ressentie après ce qui s'était passé à la taverne.
<La grande forge d'Argaïe>