Chasser ces sons et ces images de mon esprit. Respirer par la bouche pour ne pas m'étouffer avec la puanteur des humains. Tenir ma nouvelle arme en l'inspectant de bout en bout. Heureusement que Dae'ron était avec moi, parce que les regards de ces femelles m'ont mis hors de moi. À croire qu'elles n'ont jamais vu d'aldryde ! Et même si c'était le cas, constater qu'elles détaillaient mon congénère des pieds à la tête m'a donné envie de vomir. Je dois me distraire de tout ceci avant de céder à mes envies et de tuer au hasard certaines formes déambulant dans les rues. Je déteste Kendra Kâr, j'exècre les grandes gens ! Je crache sur cette foutue bourgeoise barricadée chez elle !
Et je passe mes nerfs là, sur la branche d'un arbre de la grande place entourant le château. Encore une construction morte, en pierres, devant laquelle se pressent des curieux, surtout autour de panneaux. Le meilleur endroit pour savoir si le dirigeant de ces imbéciles a l'intention d'agir, et donc de nous en mêler. Mais si le Protecteur observe le spectacle avec attention et intérêt, repaissant son regard naïf et curieux des mouvements de foule tout en se tenant entre moi et mon oiseau, je suis davantage accaparé par cette arme. Pour une fois, un géant a su faire quelque chose de pas trop laid, et globalement à ma taille. Une arbalète assez légère, que je m'exerce à manipuler.
Je vise le tronc de mon perchoir, cherchant à comprendre où le carreau atterrit par rapport à ce que je vise. La différence est notable entre ma sarbacane et cette chose entre bois et métal. La prendre en main va me demander un peu de pratique.
"
Tu t'en sors ?", fait le Protecteur dans mon dos.
"
Plus pesant que prévu. Je vais avoir besoin de mes deux mains pour viser correctement.", réponds-je en décochant un carreau qui, non content de s'enfoncer profondément dans l'écorce, manque de se diviser à l'impact. Évidemment, on m'a refilé de la camelote en guise de munitions. Il vaut mieux pour ces crétins de la forge qu'ils ne soient pas tous dans cet état !
Et pour recharger la chose, je suis contraint d'utiliser mes deux pieds pour bloquer l'arc et tendre la corde. L'avantage d'être un aldryde, c'est que je peux le faire tout en me déplaçant dans les airs. Et j'ai beau détester ce fait, l'arme que j'ai entre les mains est bien plus efficace que feue ma sarbacane. J'ajuste un nouveau carreau, essayant de voir si je vise mieux en ouvrant les deux yeux ou un seul.
"
Tu sais...", commence Dae'ron avec une voix croissante m'indiquant qu'il s'est tourné vers moi. "
Je pense pouvoir la manier, si tu préfères utiliser Plume d'Argent."
Petite pause de ma part à ses paroles, puis je cale ma nouvelle acquisition contre mon épaule.
"
Un de ces jours, Dae'ron...", dis-je en visant un nœud dans le bois. "
Faudra que tu apprennes à te montrer plus possessif avec tes effets personnels."
Le trait file, mais frappe plus bas que ce que j'avais cru, m'arrachant un claquement de langue indigné.
"
Pardon ? Qu'est-ce que tu veux dire ?"
"
C'est ta javeline magique. Je sais que tu y tiens.", répliqué-je avant de réarmer mon arbalète, puis de le regarder par-dessus mon épaule. "
Alors arrête de toujours vouloir te sacrifier comme cela, c'est frustrant à la longue."
"
Frustrant ?"
Carreau à la main, je me redresse et avise mon voisin en lui présentant mon profil balafré, notant que Lyïl envahit l'épaule de mon interlocuteur de sa grande tête. Dae'ron lisse distraitement la huppe de la monture, attentif, presque suspendu à mes lèvres.
"
Tu fais une tête."
"
Une tête ?", demande le brun en se palpant la joue.
"
La tête. Celle qui indique que tu te sens contraint de réagir ainsi. Inutile de nier. J'ai vécu entouré de menteurs et d'hypocrites trop longtemps...", dis-je avec un brin d'amertume. "
Alors n'essaie même pas."
"
Oh...", souffle le mâle en détournant un peu les yeux vers la place. "
Tu... Tu n'as pas tort. Mais je me disais juste... J'avais envie de te rendre service."
Je rive mes yeux sombres aux siens, lisant de la sincérité dans son regard. Je m'empresse de lui tourner les ailes, et de reprendre mes exercices.
"
Comme d'habitude. Rendre service. On sait tous deux à quel point cela te... Non... Nous réussit, pas vrai ?, grincé-je, vindicatif. "
Alors vas-y, continue donc ! Montre-toi toujours plus serviable et docile ! Mais ne viens pas chialer si ça te revient dans la face. Je t'aurais prévenu...", déclaré-je froidement à son encontre.
J'avais réussi à retrouver un peu de calme, et je suis de nouveau irrité, mais cette fois, par le côté mère poule de mon congénère. Et puis par ce bruit de plus en plus fort en contrebas ! Qu'est-ce qui se passe encore ? On ne peut pas viser des coeurs imaginaires emplis de fiel tranquille !
Par mes ailes, je hais cette foutue cité !