La fiole magique lui avait donné la fraîcheur des violettes. Elle sortait des égouts et pourtant se sentait plus propre qu'elle ne l'avait jamais été. La magie avait ça de bon qu'elle offrait toujours des surprises, il lui restait l'équivalent de quatre gorgées dans la fiole mais elle espérait ne pas avoir à encore l'utiliser à la sortie des égouts. Elle en réservait une pour l'inconnu qui l'avait suivie jusque dans les boyaux malodorants de Tulorim qui allait bien avoir besoin d'un coup de magie pour éviter de sentir la mouflette.
Elle patientait dans la pénombre faiblement éclairée par les torches et les habitations. Le trou béant restait sans vie. Pas même un bruit ne sortait de ses profondeurs. Où était-il ?
Elle s'approcha, prudente de la fosse et observait en fronçant les sourcils. Rien ? ( Bon sang, il est mort noyé dans la fange ? )
Rien. Le silence, un lointain clapotis de gouttes qui tombent... Aucun signe de vie de l'homme vêtu de la tunique rouge qui la suivait. Un sentiment de crainte frappa Silmeria. Et si il avait été un espion au service de la milice. Après tout elle ne savait rien de lui, mais l'huile n'allait pas rester éternellement sous le marché, elle serait diluée à cause des prochaines pluies. Elle avait laissé un homme inconnu la suivre, il avait déjà été témoin du meurtre, avait sauvé un enfant et maintenant disparaissait juste avant qu'elle n'incendie les égouts. Ça sentait aussi mauvais que dans les sous-sols cette histoire. Un gros chat tomba à côté d'elle du rebord d'une fenêtre. Elle n'avait pas senti sa présence, ce qui la fit légèrement sursauter. Le chat noir se frottait à ses jambes en ronronnant, elle céda à la tentation et se baissa pour caresser le chat en pâmoison. Lui au moins était heureux, il profitait de la nourriture des pauvres et des riches ainsi que leurs caresses.
L'animal quitta déjà la jeune femme, elle observait, accroupie l'animal marcher dans la ruelle, quelques poils de sa fourrure tiède étaient encore entre ses doigts. Elle aimerait bien avoir un chat, une petite boule de poil propre et affectueuse qu'elle pourrait retrouver le soir à l'auberge. Mais pas pour l'instant, elle avait l'intention de quitter la ville quelques temps après l'acte qu'elle s'apprêtait à commettre. Pour aller où, elle n'en avait pas la moindre idée mais c'était loin de la choquer. Si l'homme était un espion, il allait très vite se manifester à la tête d'un groupe de garde. Elle avait délivré un ours après avoir tué le dompteur ce qui avait causé la mort de deux hommes, elle avait tué une servante dans les bains pour faire comprendre à quelqu'un qu'elle ne plaisantait pas. Et aujourd'hui elle venait d'égorger une femme innocente et était prête à faire la même chose de son enfant. La loi était claire, c'était la corde.
Elle n'allait pas moisir ici en attendant sagement qu'un groupe de milicien viennent la cueillir à l'auberge du pied levé. Elle devait embraser les égouts maintenant !
Elle avança, discrète sous le capuchon sombre, une ombre dans la nuit qui s'avançait, en silence vers une torche. Elle décrocha la lourde tige de bois de son emprise métallique qui la maintenant au mur et une fois l'avoir retiré, elle s'avança parmi les ruelles les plus sombres. Il ne fallait pas être repérée, surtout que la torche compromettait fortement sa discrétion, mais si la milice devait chercher sa trace grâce aux torches disparues, la piste serait brouillée du fait de la distance : ils allaient s'attendre à ce qu'elle prenne la torche la plus proche. Or quelqu'un qui se promène de nuit avec une torche dans les ruelles mal famée, ça attire l'œil. Elle passait devant les maisons des pauvres, elle entendait parfois un mari trop ivre battre sa femme et ses enfants, parfois il n'était seulement question de ronflements sonores, parfois le silence. Rien de plus. C'était agréable et varié, mais elle ne se sentait pas rassurée, elle savait qu'on l'attendait probablement de pied ferme. Elle aurait dû tuer l'homme une fois l'avoir entrainé dans les égouts. Mais il était trop tard, cette question la taraudait - espion ? Ou malchanceux qui était tombé dans l'eau croupie pour ne jamais en ressortir ? S'était-il perdu ? Elle n'avait pas vérifié sa présence à chaque tournants, mais si il était tombé, elle l'aurait sûrement entendu.
Qu'importe qui il était ! Il fallait créer quelque chose pour faire office de diversion. La chaume sur les maisons basses était une excellente idée. Les maisons étaient basses, étroites et serrées les unes aux autres, or la chaume était légèrement humide à cause des pluies de la journée, et il n'était pas dit qu'elle ait suffisamment séché pour brûler. Or, encore une fois il n'y avait pas plusieurs façons de le savoir. Alors à mesure qu'elle avançait, lentement et sans scrupule, elle passait sa torche au contact des maisonnées de chaume qui commençaient rapidement à bruler et faire une énorme fumée grise illuminée par les flammes jaunes qui crépitaient sur la paille légèrement humide. Le feu gagna peu à peu le haut de la maison incendiée, Silmeria ne tenait pas particulièrement à être présente une torche à la main quand les habitants en sortiraient. Elle s'effaça au coin de la rue au moment où des cris de panique percèrent la nuit.
Ça allait peut être attirer la milice sur les lieux, elle avait oublié un détail, la milice emprunterait peut être le même chemin qu'elle à contresens, elle se trouverait donc face à face avec un groupe d'hommes lourdement armés... On ne pouvait pas penser à tout, elle basait ses plans sur une part de chaos et de hasard, ça portait souvent ses fruits mais il restait un risque énorme.
Les hurlements de panique derrière, l'agitation des émeutiers devant... Elle se savait non loin du marché, et selon ses calculs, elle se trouvait au dessus du chemin qu'elle avait emprunté quelques heures plus tôt. Il fallait donc trouver une bouche qui menait aux égouts. Elle passa sa torche au plus près du sol et, au bout d'une vingtaine de mètres à scruter le sol, elle trouva enfin son bonheur. A l'aide de la botte, elle dégageait la boue qui recouvrait une bonne partie visible de la plaque de fonte. Et avec l'aide de son épée qu'elle utilisait comme levier d'une seule main, elle poussa avec peine la lourde plaque qui provoqua un raclement grave malgré la boue qui atténuait le frottement. Elle se pencha doucement au dessus de la grosse fente puante et nota l'odeur âcre de l'huile à demi-brulée.
( l'heure est venue, déchaîne les enfers et brûle le monde. ) Elle laissa la torche choir dans l'eau huilée. Ce qui provoqua instantanément la combustion des gaz. Elle sentait une violente bouffée d'air chaud sortir de l'orifice ce qui indiquait que la flamme se propageait très vite... Elle était passionnée par l'écran bleu et jaune qui dansait dans la merde des paysans, mais rester ici était une très mauvaise idée. Les rats, bien que peu nombreux dans ces allées étaient susceptible de sortir. Et elle ne voudrait pas manquer le spectacle. Des centaines de rats qui dînaient sous le marché des délicieux détritus abandonnés par les marchands allaient être soudainement chassés de leur trou pour être propulsé dans le monde des hommes.
Elle courrait en direction du marché, sautant pour éviter les planches en bois tombée sur le sol, évitant de mettre la botte dans un seau en bois. Elle se senti vite à bout de souffle, mais elle ne devait rien rater, les émeutiers au loin, hurlèrent soudainement à en déchirer le ciel, comme si les dieux avaient lancé une vague d'horreur sur le monde. Elle était à deux rues du marché, mais rigolait en entendant les cris, elle rigolait en courant ce qui la força à s'arrêter dans sa course pour reprendre son calme et rester stoïque. Le marché n'était plus très loin; elle allait prendre sa place habituelle sur les toits grâce à un petit escalier de maison abandonnées qui menait aux toitures du quartier. Elle manqua de tomber encore une fois après avoir marché sur une irrégulière, elle clopinait sur le toit, discrète, se penchant le plus possible pour ne pas être vue. Et quel spectacle attendait la jeune femme...
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