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Les couloirs des bas-quartiers de Mertar, Gogor les connaissait comme sa poche. Voilà de nombreuses années qu’il les entretenait à coup de pioche et de poutres en bois, avec ses collègues mineurs. Ils les agrandissaient, en refermaient certain, trouvaient des filons précieux de fer, d’or, de mithril… Ceux-ci n’étaient pour la plupart pas très étendus, mais ça avait généralement de quoi occuper l’équipe pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Sept nains, qu’ils étaient, dans l’équipe, armés de pioches, de sacs, de paniers, de marteaux et de pelles de fer. Six ouvriers, dont il faisait partie, et leur contremaître, Cole Atheral, alias « prof ». Leur modèle à tous. Lui, il broyait les pierres dans son poing. Enfin, c’était ce dont il se vantait sans cesse, en tout cas. Il savait en tout cas comment inspirer le respect à ses ouvriers-mineurs. C’était aussi le plus âgé de tous.
Quant aux autres, les surnoms n’avaient pas été si aisés à donner. Car tous les six restants étaient grincheux, paresseux, joyeux par moments, voire même un peu simplets. En tout cas, aucun n’était timide, pas même Stanley. Stanley était le meilleur ami de Gorog. Son surnom à lui, c’était Cul-Brique. Il le devait à sa prime jeunesse, lorsqu’il était encore peti…heu… lorsqu’il était encore imberbe. Sa mère, Michelle, l’avait fessé si fort que son derrière était devenu aussi rouge et dur que de la brique. Il en gardait encore les séquelles, comme il aimait à le faire voir à tout nain passant par là lorsqu’il avait bu quelques pintes de trop.
Même si leur équipe ne payait pas de mine, ils minaient de bon cœur tous les jours, chantant gaiement leur labeur, en chœur, au rythme de leurs coups de pioche.
« On pioche tic-tac tic-tac tic-tac dans la mine, le jour entier ! Piocher pic-pac pic-pac pic-pac, notre jeu préféré ! »
Un cliché ? Si peu. Au moins cela les motivait à piocher et piocher tout le jour, et à ne pas trop faire attention au mal de crâne qui martelait les tempes à chaque coup. Sitôt que Prof avait le dos tourné, deux nains se tournaient les pouces, alors que les autres comblaient le boyau de coups tintant et résonnant. Stanley et Gogog étaient souvent ceux-là, et vidaient outrageusement leur outre de bière dans leur vaste gosier, pour oublier leur migraine.
« Il faut soigner le mal par le malt ! » aimait à rappeler Gorog, alors que le liquide ambré et mousseux descendait le long de son gosier.
Aujourd’hui, ils étaient tous les deux déjà bien entamés lorsque la petite clochette salvatrice indiquant la fin de leurs heures de boulot sonna gaiement, acclamée par les cris et rires des Thorkins en congé. Il n’y eut qu’Argan qui continua encore et toujours à piocher joyeusement, ne répondant aux cris de ses collègues que par un « Heing ? » retentissant. Car oui, Argan, en plus d’éternuer tout au long de la journée, était sourd comme un pot. Et comme un pot de miel, encore bien. L’explication était évidente. Ils étaient tous près, matériel rangé et baluchons sur le dos, et lui continuaient encore son travail, inlassablement. Gorog grommela dans sa barbe rousse, et lui cria :
« Hé oh, on rentre du boulot ! »
Aucune réaction. Si bien que l’instant d’après, les six nains hurlaient à tue-tête : « Hé oh, on rentre du boulot !! »
Si un néophyte passait par là à cet instant, il eut pu croire qu’il s’agissait là d’une nouvelle habitude prise par les nains mineurs, pour célébrer la fin de leur travail. Enfin qu’importe, puisqu’Argan entendit, cette fois, la supplique de ses confrères, dont l’estomac grondait d’une seule voix, tant ils avaient tous faim.
Et en file, en train, en rang d’oignon – et ils en avaient l’odeur tant que l’apparence – ils se mirent donc en marche, Prof en tête, tenant la lanterne, en direction de la taverne la plus proche : l’auberge de la marmite d’or, où ils pourraient boire et se restaurer tout à leur aise. Gorog se sentait bien, parmi ces compagnons de toujours. Et s’il titubait, il savait qu’au moindre écart, Stanley le ramènerait sur le droit chemin. La pioche sur l’épaule, il avançait. Car telle était sa vie simple, réglée comme une machinerie de bronze, aux nombreux engrenages, auxquels il ne comprenait rien.
_________________ Gorog, nain.
Le nez, c'est l'idiot du visage.
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