''Lerceval Talrion, debout!''
Les revoila. C’est si court, deux heures. Je ne veux pas y aller, je ne veux pas souffrir encore… Je veux en avoir fini. Si seulement je pouvais m’endormir, laisser le moment passer… J’ai si peur, je n’en peux plus! Aller, avoir l’air assuré, avoir l’air fort…
''Je suis prêt.''
Voix vacillante… J’ai beau faire, ils savent bien que je suis déjà rompu. Et pourtant ils vont en mettre encore. Battons le mêlé, après tout il est fait pour cela.
On me touche, on me prend. Mes pieds quittent le sol. Sensation désormais familière de perte d’équilibre. Et c’est parti… Tâche de ne penser à rien. Rien, juste le vide. Un long moment de rien et tu seras libre…
Le chemin semble différent. Le grincement de la porte aussi. Moins massive, je dirais. Le bruit de la foule, par contre, me parvient distinctement. Elle semble avoir grandi… Ces hommes s’agglutinent autour de la souffrance comme les mouches à une bouse. Nul meilleur spectacle que la déchéance… Je les hais. Tous.
On me dépose sans précautions par terre. Je sens distinctement la pierre froide. On me force aussitôt à m’agenouiller. Je sens vaguement mes genoux racler le sol… Dans mon état, c’est à peine si j’en suis conscient. De chaque coté, on me saisit les poignets. Je tente bien d’opposer une résistance, mais c’est complètement vain. Inexorablement, mes bras sont tirés devant moi. Contact froid du métal. On me coince les poignets dans ce que je devine être un demi-cercle de métal. Une partie supérieure est aussitôt rabattue. Me voila pris. Coincé, impuissant, vulnérable! Ne panique pas! Oh, pitié, que ça se termine, pitié… Je ne veux PAS!
''Lerceval Talrion, assassin, cinquante coups de bâton. Pour meurt’ d’Ophelia. Condâ’né à l’exil.''
Oh… oh par les Dieux… Reste ferme, reste conscient… Allez. Cette voix, profonde, grave, grasseyante… Sûrement un géant, oh les muscles, oh la force qui se dégage de cette voix…
''Par autorité du conseil, je vâ procéder au châtiment. Cinquante coups.''
Ils n’ont même pas le courage de venir assister… Les conseillers... Haine… Je leur arracherais les yeux, si seulement je le pouvais! Pleutres… Et cette voix, cette voix d’ogre, et le bâton, je le devine trop bien…
''J’commence. Maintenant.''
''UN!''
MPHHFF! Explosion de douleur. Il n’ira pas de main morte, c’est certain. Épaule gauche, pas directement dessus, mais en biais. Faites que ça ne craque pas, pas de craquement! Il n’en reste que quarante-neuf, ne pas crier, ne pas…
''DEUX!''
GRÂÂÂ! L’autre épaule, cochon, je te déteste! Si fort, je ne peux pas y croire, ça ne se peut pas, pas quarante-huit autres…
''TROIS!''
Tout juste. Souffle coupé. Respirer. Concentre toi, trouve de l’air… En plein dans le flanc, tu visais mes reins, enfoiré! Doucement, respire resp…
''QUATRE!''
''ARR!''
Déjà… Quatre coup et j’ai crié. Pathét…
''CINQ!''
''ORGG!''
Le dos en feu. Jamais je n’ai été aussi conscient d’avoir un dos. Il sait ce qu’il fait… Frappes fortes, endroits différents. Méthodique… Je te hais!
''HUIT!''
''AHHHHHHHH!''
Je n’en peux plus, n’en peux plus! Il le voit bien! Je sens un liquide qui coule le long de ma colonne vertébrale, il a déchiré la peau, je saigne! Non, non, non! Je veux que ça se termine!
''QUINZE!''
''GRAAAAA!''
Je cris. En continue maintenant. Panique, éclairs dans ma tête. Il ne me laisse même pas le temps de me reprendre entre deux coups, ce fils de pute d’enfant de chienne!
''VINGT-DEUX!''
CRAC!!
Je m’effondre. Une côte. Coté droit. Cassée, pour sur, c’est cassé! Le sang, mon dos en est recouvert maintenant. Mes poignets. Coincés dans leurs entraves, ils soutiennent mon corps, car je ne le peux plus. Ils sont entaillés. Mon corps tout entier est affaissé, recroquevillé, en attente du prochain, le prochain, encore un autre… le prochain…
''VINGT-NEUF!''
Je ne crie plus. Je sanglote. Inconsciemment. Je ne contrôle plus rien. Mon dos n’est plus qu’une masse difforme et sanguinolente. J’ai vaguement entendu craquer une deuxième côte… Je veux mou… non! Lutte, rester éveillé, rester en vie! Pitié, je veux rester en vie…
''TRENTE-QUATRE!''
Il est en train de me tuer. Tranquillement. Méthodiquement. Pourtant, je sens de moins en moins les coups. Ils se perdent les uns après les autres dans un brouillard d’insensibilité. Un brouillard qui me cerne, qui menace de prendre le dessus. Nage, Lerce… Si je survis, jamais, jamais je n’oublierai ce bourreau. Sa voix. Gravée dans ma tête. En ce moment, je le hais même plus que TOI!
''TRENTE-HUIT!''
Je ne cris plus, je ne sanglote plus. À peine un spasme, à peine une secousse après chaque coup. Mon corps est brisé. Je perds conscience du monde, je n’entends plus la foule s’exclamer, je me perds… Haine, volonté de vivre. Voila qui je ce suis. Ce qui reste. J’ai froid…
''QUARANTE ET UN!''
Froid. Mal à la poitrine… Chaque respiration me transperce comme une lame. J’ai mal au cœur. Si froid…
''QUARANTE-TROIS!''
Je me sens comme un bloc de glace. Le cœur surtout. Aiguillonné. La haine… je déteste! Tous, tout, cette foule, ce conseil, TOI! Et LUI! Bourreau, je te hais, je te hais, je te hais, je…
''QUARANTE…CINQ!''
Médiocre. Il se relâche? Ai-je entendu comme de la surprise dans sa voix? Une pointe d’inconfort? Ce que j’ai froid…
''QUARANTE… SEPT…''
Clairement. Il faiblit. Que se passe-t-il? Est-ce moi? MEURT! Meurt enfoiré! Je ne sens plus mon corps, je ne sens plus mes membres, mais ma haine, oh je la sens! Elle est là, avide, forte, dominatrice! Pourvu que je ne meure pas de froid…
''QUARANTE...NEUF!''
Exténué… Je n’en peux plus. Je n’ai plus la force d’en vouloir à personne. Dormir… Froid… Ne meure pas, lutte… Dormir…
''CINQUANTE!''
Triomphal. Dure, une voix victorieuse. Et un coup magistral, qui me brise une dernière côte. Le coup de grâce. Mais je vis toujours… si peu. J’entends, comme très loin, la foule… On murmure, certains semblent surpris… Que s’est-il passé?
''Fini! Tous dehors!''
Le bourreau semble étrangement… fâché… Humide! Il vient de me cracher dessus, le salaud… Est-ce moi? Ai-je lutté? Je ne sais rien, je veux dormir, dormir et tout oublier… Pitié…
Une série de mains me tâtonnent, m’examinent. Je n’ai même pas la force de crier lorsqu’on vide de l’alcool sur la plaie qu’est devenu mon dos. On parle, on diagnostique… Quatre? J’ai cru entendre quatre côtes cassées… Je sais seulement que ça fait un mal de chien… Le reste semble avoir tenu. Ai-je réellement résisté?
On me met sur mes jambes. Chaleur intérieure. On m’a fait ingurgiter le reste de l’alcool. Enfin une sensation autre que le mal… Si seulement cela pouvait m’endormir…
On m’aide à marcher. On m’entraîne. Un pied, un autre, le rythme revient. Légèrement. Voila, non, je ne tiens pas. Sans aide, je m’effondre.
''Laissez nous.''
Cette voix, haute perchée, presque aiguë… Une voix imprimée dans ma tête… Varim Dorovan. Haine. Bois. On me place quelque chose en bois sous les bras… Des béquilles.
''Viens.''
Il me guide. Ouverture d’une lourde porte. Je tressaillis si bien au contact de l’air humide de l’extérieur que seuls les réflexes de l’homme à mes côtés m’évitent de tomber. Clopinant, me traînant à moitié, nous sortons.
''Je peux te laisser quelque part. Où?''
''La… La mer…''
Il m’aide autant qu’il me porte. Nous marchons un moment. Je sens l’humidité, l’eau. La mer, mon éternelle consolatrice, n’est plus loin. Ce que je peux avoir mal…
''Voila. Je te laisse ici. Avant de partir, sache ceci: ce qui s’est passé aujourd’hui n’était pas simple. Tous n’ont pas les mêmes sentiments envers… ton genre. La bastonnade, au moins, te laisse en vie. Certains… certains ont encore une conscience.''
Se disait, il m’empoigne la main et la guide vers le sol. Un paquet. Je le tâte, en reconnais les formes. Mes avoirs. Enfin, la majorité d’entre eux.
''Maintenant, quitte cette ville. Tu as deux jours. Adieu.''
Et la présence s’en fut. Seul. À nouveau. Seul, mais libre… et si fatigué. Terriblement exténué, brisé, foulé… J’entends les vagues. La mer. Éternelle, incessamment affairée. La mer. Je m’en approche. Je me glisse entre deux roches. Dormir. Enfin… Je me fonds dans l’oublie… Un rire... J'entends un rire, si lointain, j'ai froid... Il me donne froid. Il m'attend...
''… et on m'expulsera comme le rat que je suis, j'en suis sûre."
Rêve? Réalité? Cette voix, une voix, je la connais…
''Vous… Mademoiselle? Je... Est-ce bien vous?''
_________________ Lerceval Talrion, Demi-elfe, Fanatique
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