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Les ruelles)))
Tâtonnement. Reprise d’équilibre. Appui sur la béquille. Effort pour se relever. Voila. Tâte autour de toi. Des parois, du bois, je ne sais pas, JE NE SAIS PAS!
Respire. Sens. Le bois, évidemment. Mais plus. Ça sent… vert. Des légumes. Plein de légumes. Dans le bois! DES LÉGUMES DANS DES CAISSES! Cache toi, derrière, derrière les caisses… Mais fais plus vite! Il faut éviter le danger, cette fois, faites qu’il t’évite… LAISSE MOI TRANQUILLE!
Tâter le bois. Le longer. Du vide. Une ouverture entre deux rangées! Vite, cache toi, coince toi entre les deux. Voila. Baisse toi! Main sur la caisse, l’autre par terre, descente. Voila. Maintenant, silence. Faites, mais faites qu’ils ne s’arrêtent pas ici! Je ne veux pas être trouvé, pitié…
Silence funeste. Angoisse dévorante. Mais que se passe-t-il? Affût, reste à l’affût! Sans cesse! Tant de sons, cesse de sursauter à chaque fois. Écoute, mais écoute donc! Si tes oreilles pouvaient saigner à trop écouter, elles le feraient sûrement…
Cliquettement. QU’EST-CE? Encore. Une goûte d’eau. Imbécile, c’est juste de l’eau! Grondement sourd de la foule en arrière-plan. Des pas, tant de bruits de pas dehors… Lesquels sont dangereux? Attendre… Reste caché. Oh? Plus légers, moins prononcés… mais nombreux. Très nombreux. Des enfants? Possible… Pffff. J’ai peur d’enfants… Pathétique! JE VEUX MES YEUX!
Définitif. Plusieurs pas, qui se rapproche de la porte. Des halètements! Des petits pieds qui courent. Oui, définitivement, ils courent. Continuez, ne vous arrêtez pas, continuez, aller!
Ils sont devant la porte. Ils courent toujours. Bénis soient tous les Dieux (SAUF TOI!), ils vont m’oublier! Courrez, plus loin, partez, pitié!
Voix. Ponctuelles, peu nombreuses, mais définitivement des voix. Écoute. Mais calme toi et écoute! Aigues. Hautes perchés. Clairement des enfants. Pas plus de douze ans, je crois. Certains définitivement moins. Et qui passent leur chemin, qui t’ignorent, qui partent… Espoir! Ils vont t’oublier, ils…
''Eille! La porte… elle est brisée!''''Oh! Viens, on va voir! Il y a peut-être à manger à l’intérieur.''Non. Non non non non non non non!!! Ouste, partez, pas ici, NON! Pitié, par pitié! Ne panique pas, cache toi, serre toi contre les caisses, il ne faut pas qu’ils te voient! Pitié, pitié, pitié, pitié…
''Euh… Hein! C’est quoi ça?!''''On dirait qu’il essaie de se cacher devant les caisses… J’y comprends rien!''Terreur. Idiot. Caché devant les caisses! Imbécile… Relève toi, il n’est peut-être pas trop tard… Contrôle ta voix, ne flanche pas, ne bégaye pas! Une main sur la béquille, un effort… Relève toi!
''Bonsoir, je euh… je… je ramassais euh… mon chapeau…''''Regarde ses yeux! C’est un aveugle, il a les yeux crevés!''''Chuttttt! Avertis pas les autres, il est tout amoché, on se le garde juste pour toi et moi!''''Héhéhéhéhé!''On se le garde… Oh, non. S’il vous plaît, tout, mais pas ça! Et leurs voix, excitées et méprisantes… Sensation de frisson sur l’ensemble du corps. Prépare toi, garde le contrôle, ce n’est peut-être pas ce que tu crois…
''Je, euh… je vais partir maintenant…''''Eh oh, où c’est qu’il croit aller, le pas d’yeux?''''C’est qu’on a faim nous autres!''''Les légumes! Prenez ce que vous voulez, mais… laissez moi! Je veux juste partir!''''Ouais on va la prendre, ta verdure. Mais avant, c’est le blé qu’on veut, si tu comprends ce que je veux dire!''''Si tu nous en donnes assez, il se pourrait qu’on te laisse partir. C’est une possibilité.''''Hahaha!''Les orphelins de la rue. Je comprends mieux l’inquiétude précédente de mon guide… Frayeur. Je ne veux pas être maltraité, je ne veux pas me battre! Pas dans ce corps, pas maintenant, oh je ne veux pas souffrir encore… Oublier, disparaître, je veux que TOUT se termine! Je veux en finir… Terminer…
ARRÊTE! Vivre. Tu veux vivre. CALME TOI! C’est le pire moment pour paniquer! Calme toi et réfléchis. Tu es seul avec deux enfants. Des enfants. Pas de panique, pas de panique, il doit y avoir une façon de t’en tirer… Ce ne sont que des enfants…
Recule. Vite! Douleur de chaque muscle, de chaque plaie, qui proteste. Recule! Encore! Recule, vite, oublie le mal, recule!
Petit choc dans le dos. Une pile de caisses. Tourne, et recule encore! La main dans le sac. Tâtonnement. Fouille! Contact froid, métallique. Le poignard! Doigts qui se referment sur le manche. Armé.
''Eh, il s’en va! Vite!''''Merde, il fait noir là-dedans! Aller, allume ta torche!''Ils n’avancent que peu. Recule! Crissement d’une pierre sur le silex. Le noir! Il faut qu’ils puissent te voir… Recule encore!
''Bon, on y va!''Voix enfantines, mais oh combien porteuses de sombres promesses. Éloignées de quelques mères, au moins. Bruit d’une flamme qui jaillit soudainement. Concentre toi… Bruit de crépitement? Le feu, ils ont créé le feu… Bruits de pas. Ils ne parlent plus, mais ils avancent. Ils se séparent… Non, oh non! Ils vont essayer de t’encercler!
Respire. Encore. Calme. Vivre. Rien d’autre ne compte que de vivre, maintenant. Immobile. Écoute. Lame pointée devant.
Respiration. Pas feutrés. Crépitement sporadique de la flamme… Droit devant… OÙ est l’autre? Merde, ne le perds pas, écoute, ÉCOUTE!
''Pof!''À gauche. La douleur à mon épaule en est la preuve. PETIT CON! Enfants, des enfants, des foutus enfants silencieux! Écoute!
''Poc!''Dessus de la tête… Pas très fort. Un bâton de bois sans doute. Celui de devant a profité de ta confusion. Frappe!
Vide. QUE LE VIDE! Il n’est plus à gauche… OÙ??????
''Pouf!''MES FLANCS! Arrêtez, mais arrêtez! Directement sur une des côtes brisées, douleur! Il a frappé ta côte brisée! Reprend ton souffle, cesse de haleter, merde de merde, RÉAGIS!
''HAHAHAHA!''Mon capuchon qui retombe sur mes épaules. Sûrement déplacé par leur bâton… Ils s’amusent. Ils sont en train de jouer! Petits souffles, j’entends leurs pas par moments, les bâtons qui fendent l’air… Impuissance! Merde, merde, mais ressaisis toi! MA CUISSE!!! Douleur cuisante!
''Alors, il va le donner, son argent? Ou peut-être qu’il s’amuse, Yeux Crevés?''''Hihihihi!''Réfléchis! Il DOIT y avoir une solution, quelque chose!
La torche. ILS te voient et toi pas. La torche. La torche, la torche…
''Baf!''''GRUMBL!''La main! Salauds, ils veulent que tu lâches ton arme… Cramponne toi y! Balaye l’air devant toi… Vide. Encore. Petits rats! Et vifs, si vifs… Recule, recule… les caisses. Tâtonne, longe les caisses… Humide. Palpe, touche… Les légumes! Euh… des courges!
Empoigne.
''Ouch!'' Petit vicieux, mon ventre… HAINE!
Courge. Plein de courges. Lance les! Encore, encore, plus fort, lance, lance, lance!! Craquements sonores des courges qui éclatent sur le sol. Encore! Ils vont reculer, force les à reculer!
Moins de coups. Répit. Douleur… faiblesse. Tu ne tiendras plus très longtemps… Ecchymoses. Élancements. Mal...
''HAHAHA!!! C’est une bonne idée ça!''''Ploush!''Visage. Le nez. Souffrance… humiliation. Une courge en pleine gueule. Enfoiré, je te hais, je te hais, je vous hais! D’autres. Je les entends voler. De côté, mets toi de côté, présente ton flanc… J’ai honte, j’en ai marre, j’ai peur! Que ça cesse, que ça cesse, je les HAIS! Je TE hais! Pourquoi, pourquoi?
Désespoir. Que faire??? Encore des courges, encore des coups… Ils n’arrêteront pas, jamais, je les déteste! JE VOUS DÉTESTE TOUS!
Froid glacial. Froid presque vivant, qui se répand dans l’estomac et remonte. Vers le cœur. Froid qui augmente à chaque coup, à chaque rire moqueur, à chaque humiliation. Froid désormais si familier… Froid honni. Froid détesté, SON froid à LUI! Mais froid qui représente ta seule, ton unique chance… Concentre toi. Ignore tes membres meurtris. Le froid les engloutit dans son royaume d’insensibilité. Reste éveillé! Conscient. Contrôle. Garde ton contrôle, ne laisse pas le froid sortir, pas maintenant, pas encore! Garde le contrôle!
La torche. Ils te voient, mais tu ne les vois pas. La torche… Concentration. Le froid. Lâche le, lâche le sur la torche! Éteins toi, éteins toi, éteins toi, éteins toi, éteins toi, éteins toi, éteins toi…
''Eh ho, il est mort tu crois?''''Naaaa, regarde!''''HUMMPF!''Coup en plein sur la tempe. Il y a mit de la force! Désorientation… Et rien qui se passe, le bruit de la flamme qui continue, qui continue, encore et encore… Faible odeur de poix brûlée. Froid, j’ai si froid… Haine… Désespoir… Échec. Impulsion quasi-irrésistible de partir, de ne plus rien sentir… Haine… Froid. Battements de cœur irréguliers, cœur qui n’en peut plus, qui menace de geler. Et la flamme qui continue!
LUI. Horrible être. C’est pour TOI qu’ils m’agressent, je le sais! Conscience, reste conscient… Agis!
Lui. Le tout pour le tout. Il doit se moquer de toi, rire de toi, il va te tuer! Il tient la torche. Haine brûlante et froid glacial. Agis!
Laisser aller. Laisser sortir. Il va le sentir, oh oui, souffre! Souffre, enfoiré, sens la douleur! Sens la comme je la sens, souffre! Reste éveillé, ne tombe pas, vit, vit, vit, vit… Vivre, il faut vive, c’est tout, vivre… Souffre...
''Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii!''Cri. Si aigu. Qui n’arrête pas. Un cri où perce la surprise, l’incompréhension… et l’inconfort. La douleur même. Et le froid qui sort, qui quitte mon intérieur… SOUFFRE! C’EST LE MOMENT!
Impulsion des jambes. Ignore les protestations de ton corps rompu et saute! Bondis! Pieds qui quittent le sol, corps qui s’élance… Ne bouge pas, souffre et ne bouge pas, reste où tu es! Faites qu’il ne bouge pas!
Sensation rêche du tissu sous les doigts. Serre! Agrippe toi, ne le laisse pas s’éloigner! JE TE TIENS! Tu vas voir, tu vas voir, tu vas voir! OH TU VAS VOIR!
Poignard. DE TOUTES TES FORCES! Bandes tes muscles, frappe, FRAPPE!
''AHHHHH!!!!''Choc sourd. Bruit écœurant du métal pénétrant dans la chair. Sensation divine. Chaud. Chaud et liquide… du sang! Tu saignes, enfin! SOUFFRE! C’est ça, cri, n’arrête pas…
Explosion de douleur dans le dos. L’autre… Il frappe. Il ne rit plus, il cogne dur! Pour vrai! Martèlement du bois contre la peau, contre la chair… Contre ma chair. Chaque coup se fait l’écho de ceux du bourreau d’hier. Insoutenable. Étoiles… On dirait que je vois des étoiles… Je vois… oh…
RESTE CONSCIENT! Oublie le mal, LA TORCHE! Laisse le poignard dans la cuisse, la torche, la torche, LA TORCHE!
BOIS! Le manche sous les doigts. Serre, tire, arrache la! Il résiste, il ne veut pas! Coups, presque rythmés, qui martèlent le dos… Combat pour la torche, combat pour la vie… Une main pour tenir ses vêtements, l’autre pour la torche… La torche…
Arrêt du temps. Combat de deux volontés, de nos volontés. Ne t’évanouis pas, force, force! Éteins leur lumière. Lâcher la torche, c’est lâcher ta vie… VIVRE!
Glissement. Main qui tremble sous l’effort. Étoiles dans la tête… Relâchement abrupt. GAGNÉ!!! À moi, à moi la lumière! Tension et relâchement des muscles du bras. LANCE LÀ! Le plus loin, le plus fort possible. Adieu la torche.
Les coups s’espacent. Se font moins précis. Ils ne savent pas, ils ne savent plus où tu ES! Ne le lâche pas, frappe, frappe, encore, encore!
Tâte son corps. La cuisse, le poignard! Agrippe le, voila. Sors le, mon arme, entre mes doigts! Flot de sang qui me recouvre les mains. LE POIGNARD!
Agitation, incohérence, mouvements infinis, bruits, cris, odeurs… Délire. Incompréhension. HAINE! Frapper, frapper, blesser, vaincre…
Sanglots? Gémissements. Cris. ON NE RIT PLUS, HEIN!
''Pitié, laissez moi, je veux partir, pitié! J’ai si mal, ARGHHH!!''''Oui, lâche le, par pitié!''Choc sonore. Il est tombé au sol… Maintiens le! Utilise ton poids, tombe aussi! Sur lui! Et frappe, encore, encore, encore… Lame qui entre, qui sort… Sang… Délire…
Te repousser, il tente de te repousser, constamment… Faiblesse? Il faiblit, oui! Moins de pression, moins de force… Et il cri, et il pleure, et ça continue…
Les coups dans mon dos ont cessé. Depuis quand? Aucune idée. Frapper, encore, encore, toujours plus… Encore…
Encore…
Encore…
Silence. Soudain. Il… il ne bouge plus. Ne cri plus. Où suis-je? Je… Silence. Complet. L’autre est… je ne sais pas. Je… Euh…
Il ne bouge plus. Vraiment plus. Sensation poisseuse… Couvert, recouvert de sang. Surtout le sien. Il… mort…
Silence. L’autre doit être parti… parti. Terminé. Fini. JE VIS!!!!
Partir. L’autre… Il peut, il va revenir… et pas seul. Partir. Vite!
Détrempé. L’odeur, la sensation, la tiédeur… Tu es couvert de sang. Et de courge. Ressaisis toi. Enlever ta chemise du dessus. Frottements, bruissements du tissu. La laisser ici. Enlever le sang, le sang, partout… Laisser le sang ici…
Où suis-je? Tâtonnements. Du cuir. Le sac… Laisse y ton poignard. Voila. Tâte, encore… Du bois. Les béquilles!
Calme toi. C’est fini. Douleur… La douleur revient. Oubliée pendant la lutte… Souffrance. Je veux que ça se termine, je n’en peux simplement plus… Partir.
Prise d’appui sur les caisses. Se relever. Souffrance… mal… Partir… Où? Où est la sortie? Calme toi, calme toi et réfléchis… Écoute… Sens…
Salée. La mer. Odeur des temps heureux, odeur de ton enfance… Par là…
Un pas. Un autre. Cette fois est la bonne, cette fois c’est terminé... Boite plus vite, il faut partir! Faites qu’ils ne reviennent pas… Ne pas s’évanouir…
Dehors. Choc du vent sur la peau. DEHORS! Sens, sens la mer, vers la mer… Marcher vers la mer… Ne perd pas connaissance…
Plus silencieux. Rien que les bruits de la ville au loin. Rien qui soit proche. Marcher vers la mer… Marcher pour ne pas tomber… Marcher pour oublier...
Aujourd’hui, tu as survécu. Tu as vaincu. Survécu. Vivre…
…
…
…Vivre…
…
…
Aujourd’hui, tu as tué. Pour la première fois. Aujourd’hui, tu as assassiné…
…
…
…un enfant…
…
…
…
Je me demande comment il s’appelait.
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