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Les habitationsUne ambiance sur fond de crépitement de cheminée et d'eau remuée. Les yeux clos comme me l'avait commandé la liykor, j'essayais de deviner ses faits et gestes. Un objet venait d'être plongé dans la grande cuve d'eau de la pièce. Ce devait être une sorte de linge qui s'était imbibé de liquide vu que le son suivant fut celui d'un tissu que l'on essore avec force. Immobile, j'attendais que cet objet vienne à ma peau d'écorce nettoyer les blessures suintantes de mon épaule. Une seconde qui me parut s'éterniser plus tard, rien ne m'avait encore touché. La voix de Païvhane, accompagnant sa main libre qui frôlait ma nuque, s'éleva. Le ton était neutre, me donnant juste une indication. A l'entendre, elle s'était déplacée, venant se poster à ma droite.
"
Retiens tes cheveux."
Penchant la tête vers la gauche, je déroulai ma main et m'exécutai. Quelques instants plus tard, le tissu humide vint frotter précautionneusement l'épaule dégagée. La louve devait s'être penchée car je sentais son souffle régulièrement. Elle émit un claquement de langue, tapotant les plaies. L'eau qui s'y insinua réveilla la peine mais il me semblait qu'elle était déjà moins forte. Un petit silence s'installait dans la pièce tandis que la liykor me prodiguait des soins. Le linge retourna dans la cuve et en ressortit de la même façon. La voix de mon amie décrivit un arc de cercle à côté puis au-dessus de mon oreille.
"
Alors ? Elle est liée à quelle histoire cette marque de lame ?"
Je haussai un sourcil légèrement. Comment Païvhane avait-elle pu voir que c'était le résultat d'une lame ? Est-ce qu'elle en avait déjà vu ? Quand ? Etait-ce à son encontre ? Les questions se bousculaient dans ma gorge au point qu'aucune ne céda sa place à l'autre. Au final, je ne parvins qu'à trouver les mots pour lui répondre.
"
J'ai fait une... Mauvaise rencontre. Mais je pense que c'était de ma faute."
"
De ta faute ? "
Malgré le brusque éclat de voix, je pris le temps de lui expliquer.
"
J'ai... Sorti ma bourse pour compter mes yus. Je n'ai pas vraiment fait preuve de discrétion."
"
Donc si je te suis, c'est un vol qui a mal tourné ?"
J'acquiesçai. La liykor émit un son de gorge difficile à interpréter, d'autant plus que je ne pouvais pas ouvrir les yeux pour m'appuyer sur son expression. Le linge fit un autre aller-retour entre la réserve d'eau et moi. Je pouvais sentir ce liquide clair dévaler les légères crevasses de ma peau d'écorce. Epaule, bras, avant-bras, le long de mon index déroulé qui était collé le long de ma cuisse jusqu'à mon talon. Maintenant que j'y faisais attention, ce sol-ci était encore différent du précédent. J'allai m'y intéresser quand la voix canine s'éleva de nouveau.
"
Mais au fait, Nono, qu'est-ce que tu fais à Yarthiss ?"
La question me prit un peu au dépourvu, faisant ressurgir un tas de souvenirs en même temps. Je gardais le silence quelques instants, le temps de remettre en ordre mes idées. La guérisseuse en profita pour, apparemment, fouiller dans son sac et en sortir quelque chose. Je ne m'y attardai pas. Après tout, elle savait ce qu'elle faisait. Prenant une inspiration lente, je remontai en arrière dans ma mémoire, organisant ma pensée.
"
Tu te rappelles de cet elfe qui a rejoint le cercle quelques mois avant ton départ ?"
"
Mmmh... Non. Rafraîchis-moi la mémoire."
"
Eh bien... Hinion, à peu près ta taille... Longs cheveux dorés en deux tresses dans le dos, yeux teinte ciel de jour chaud, pommettes saillantes... Je crois qu'il s'appelait Gano... Gabo..."
J'eus un doute sur son nom mais je n'eus pas à le chercher longtemps car la liykor le trouva avant moi. Elle le prononça d'ailleurs d'une façon étrange mais je n'arrivais pas à savoir exactement ce qui clochait dans son intonation.
"
Gahory ?"
"
Oui."
Un bruit mou et inconfortable émana d'un endroit quelque part derrière moi. Je n'avais aucune idée de ce que faisait Païvhane mais je ne m'en inquiétais pas. Une mixture soudainement froide entra en contact avec ma plaie, manquant me faire sursauter. La pression de l'un des doigts de la louve était perceptible à travers un tissu. Etait-elle en train d'appliquer un remède ? C'était fort probable vu où elle s'activait. Elle m'enjoignit, par un petit son approbateur, à continuer mon récit.
"
Il est passé à la tête du cercle récemment."
La main de la liykor s'immobilisa.
"
Comment ? Il est devenu Vénérable ? Mais alors qu'est devenu l'ancien ? "
Même si je ne la voyais pas, je pouvais sentir que Païvhane était agitée. Cela ne lui ressemblait pas. Certes, je ne l'avais pas vu depuis deux ans et elle avait pu changer. L'image colorée d'une Liykor enjouée, curieuse et volontaire s'était peut-être teinte d'un coloris plus sombre en ces années d'absence. D'ailleurs, où avait-elle pu passer pendant tout ce temps ? Ce mystère était d'autant plus épais qu'elle n'avait jamais essayé de m'écrire malgré notre complicité. Son doigt s'attaqua à ma plaie dans le dos un peu rudement, me causant un souffle douloureux.
"
Hm."
"
Oh. Pardon Nono..."
J'entendis un bruit de bois alors qu'elle se mouvait. Laissant mon imagination travailler, je pensai qu'elle avait un pot contenant son remède sous la main, dans lequel elle plongeait le tissu. Après un court instant, je repris la parole.
"
Quelques mois après ton départ, l'ancien vénérable a commencé à aller mal. Il commettait des erreurs, perdait l'appétit. Il avait l'air euh... "Malade". Gahory étant le plus âgé et le plus expérimenté d'entre nous, il a... Naturellement commencé à prendre le cercle en main."
Païvhane n'en avait peut-être pas conscience mais sa paume tremblait légèrement contre ma peau d'écorce. Il me paraissait évident que quelque chose la contrariait et je doutai sérieusement que ce fut lié à ma plaie. J'allai reprendre le flot de mes paroles quand la voix de la louve, d'un coup plus froide, me parvint.
"
Alors s'il a... C'est que l'ancien..."
Lentement, j'acquiesçai.
"
Il y a quelques semaines, il avait l'air de mieux se porter... Et un matin, il ne s'est... Pas réveillé."
Les yeux toujours clos, je n'eus aucun mal à revivre la
scène.
Depuis une bonne quinzaine d'années, j'avais toujours eu le privilège d'aller le trouver au réveil. Je me souvenais sans peine de lui.
Un être ressemblant à un elfe mais qui n'en était pas tout à fait un, une main capable de réconforter ou de punir et surtout dégageant une impression étrange. Là où il se trouvait, je me sentais à ma place.
Et puis, un matin, il ne m'avait pas attendu à sa table comme il l'avait toujours fait ni ne m'avait salué avec son sourire doux. Il était assis dans son lit, le dos contre le mur, immobile. Je me rappelais l'avoir appelé, avoir enroulé mes mains autour de la sienne sans avoir la moindre réaction en retour. Ses doigts étaient si froids que j'avais encore du mal à croire que la veille, son sourire chaleureux m'avait accueilli. Ma gorge se resserra brutalement alors que les images floues d'autres mages entrant à leur tour dans la chambre obscurcissaient mes souvenirs. J'avais déjà vu des mages décliner et s'éteindre mais jamais je n'avais jusque-là ressenti une telle perte, un déchirement. Je le revoyais encore.
Il avait été revêtu de sa plus belle tunique bleue, à motif de sarnas, celle qu'il portait à chaque célébration. Sauf que cette célébration-ci n'avait rien d'une fête. On conduisait son corps au bûcher funéraire. Jamais je n'avais autant haïs le feu que ce jour-là et pourtant, même des heures après que la dernière flamme ait trépassé, je n'avais pas quitté l'endroit des yeux. Ce ne fut que lorsque toute mon énergie fut consommée que je perdis le tas de cendres de vue.
Je levai ma main gauche, la plaquant contre le haut de mon visage. Je n'y arrivais pas. Je ne parvenais pas à accepter cela. Dès que je pensais à lui, à ce qu'il avait toujours représenté, une douleur intérieure m'envahissait, enserrant dans son étau chaque canal de mon fluide de vie. Une main poilue me ramena doucement au moment présent alors que la louve se penchait, m'enlaçant avec une certaine rudesse. Un son entrecoupé me parvint. Des sanglots. Etait-ce moi qui produisait un tel son ? J'en aurais eu la certitude si ma main gauche n'avait pas été se poser contre l'omoplate de la liykor. Elle pleurait. Païvhane pleurait ? Jamais elle n'avait versé une seule larme lors des dix années que nous avions passé ensemble. J'eus l'envie de rouvrir les yeux et j'allais le faire quand la voix étranglée de la liykor me parvint. Elle explosa d'abord puis ses paroles s'évanouirent dans l'atmosphère humide.
"
Non ! Ne me regarde pas ! Ne regarde..."
Inspirant difficilement, je m'efforçai de me reprendre, focalisant ma pensée sur les événements récents.
"
L'ambiance au cercle s'est tendue... Certains voulaient poursuivre leurs activités comme ils l'avaient toujours fait... D'autres ont embrassé les idées nouvelles de Gahory. Seule une poignée d'entre nous est restée neutre. La pression était si forte que nous avons décidé... De quitter le cercle.Je resserrai mon étreinte. Païvhane reniflait bruyamment, émettant par moment des couinements qui fendaient quelque chose dans ma poitrine.
"
Yarthiss... Ce n'est qu'une étape... Je n'ai pas l'intention d'y rester plus que nécessaire."
Je n'arrivais pas à croire ce que je venais de dire et pourtant c'était vrai. Même si retrouver la liykor m'avait fait beaucoup de bien, j'avais besoin de mettre de la distance entre le cercle et moi. Les bons moments étaient finis. Païvhane prit une profonde inspiration, reniflant par la même occasion. Elle me relâcha doucement et murmura quelque chose dans un souffle.
"
J'aurais du..."
Elle se déplaça sur ma droite et m'aida à entrer dans la cuve. L'eau avait un peu refroidi mais elle restait agréable. La Liykor entra à son tour, attrapant quelque chose à proximité. Un "glouglou" ainsi qu'un mouvement d'eau me convainquirent qu'elle venait de remplir un récipient de liquide. Un autre son m'indiqua, lui, qu'elle venait de se le renverser dessus. Frottement, frôlement. Malgré sa taille, la cuve ne pouvait pas contenir deux êtres de nos tailles respectives sans que l'on se touche. Je relevai les genoux, laissant de la place à la liykor. Un long moment passa où rien ne se produisit. Pas un mouvement, pas un son sauf celui des flammes du foyer de l'autre côté. J'étais sur le point de lui parler quand un doux sifflement se fit entendre.
"
Chuuuuut... S'il te plaît... Ne dis rien, ne regarde pas..."
Païvhane bougea enfin. Ses longs bras vinrent encercler mes genoux dépassant de l'eau, les resserrant sans forcer alors qu'elle venait poser sa tête dessus. Elle reniflait encore un peu par moments. Doucement, sa voix un peu faible m'interpella.
"
Dis Nono... Tu te souviens de ce que tu faisais avant ? Quand j'avais mes cauchemars ?"
Il me suffit d'un mince moment de réflexion. J'approchai alors ma main d'elle, tâtant doucement sa truffe puis son museau. Je glissai alors ma main le long de sa joue, la menant jusqu'à la base de l'oreille. Avec lenteur, je passai mon pouce le long de son oreille, plongeant mes autres doigts dans sa fourrure. Elle était humide mais elle avait conservé ce côté soyeux que je lui avais toujours connu. Païvhane s'apaisa, cessant de renifler pour reprendre un souffle normal mais en contrepartie, c'était à mon tour de me sentir mal à l'aise. Pourquoi soudainement voulait-elle que je l'apaise ? Pourquoi évoquer ce geste avec tant de nostalgie ? Que pouvait-elle bien me cacher ?
Je n'eus pas le loisir de lui demander qu'elle attrapait ma main, la plaquant devant ses babines, le haut de ma paume au niveau de sa truffe. Une sensation de contact chaud me parvint depuis ma main mais j'étais incapable d'imaginer ce qu'elle venait de faire. Elle finit par sortir de l'eau et m'aida à faire de même. J'entendis un bruit de tissu avant de le sentir sur ma tête. Vu le poids, cela devait être un morceau de grande taille.
"
Tu peux te sécher un peu ? Je reviens tout de suite..."
Je m'exécutai, non sans me demander ce qui pouvait bien se passer dans le crâne de la guérisseuse. D'ailleurs, elle avait rudement bien mené sa tâche puisque mes plaies ne me lançaient plus du tout. Cette mixture était véritablement efficace. Païvhane revint avec quelque chose sous le bras.
"
Ferme les yeux encore un peu, Nono.J'obéis à sa demande, ne sachant pas ce qu'elle me réservait. D'abord, elle me retira le tissu qui servait à me sécher, le faisant mollement choir dans mon dos. Par la suite, un mouvement d'air m'incita à penser qu'elle avait lancé quelque chose par-dessus mes épaules. Cette sensation se confirma quand un léger clic se fit entendre. Elle dégagea mes mèches de l'objet, s'éloigna un peu puis, d'une voix
douce, elle brisa le silence.
"
Maintenant... Tu peux les ouvrir."
Mon regard tomba d'abord sur la silhouette drapée de la guérisseuse qui humait l'air doucement, les oreilles légèrement aplaties sur les côtés. J'abaissai le regard sur mon épaule gauche puis tournai sur moi-même. Le vêtement, une cape, accompagna mon mouvement. Elle était légère, d'une teinte que j'estimai être verte et s'arrêtait à peu près à mi-mollet. En la regardant d'un peu plus près, j'eus la sensation de revoir le feuillage de l'un des arbres des abords du cercle. Elle était magnifique mais je ne parvenais pas à chasser un pressentiment. Je levai les yeux vers la liykor dont l'expression était indéchiffrable. Elle se passa lentement le poignet droit sur l'oeil opposé, prenant la parole sur un ton un peu enjoué.
"
Eh ! Je savais qu'elle t'irait bien... Elle a presque l'air..."
Cette fois-ci, ce fut son revers de main qui frotta son orbite.
"
Faite spécialement... Pour toi..."
Elle marqua une pause, ses oreilles se baissant encore un peu, au diapason de sa voix.
"
Quand... Quand je suis partie... L'ancien, il... Il m'en a fait cadeau... J'crois... J'pense... Enfin j'voudrais... J'veux...Elle prit une inspiration rapide entre ses babines, ravalant une intonation émue, avant d'enchaîner.
J'veux qu'elle te revienne... Qu'elle ne te quitte jamais...Un violent pincement dans la poitrine me priva un instant de souffle. J'avais l'impression de revivre une scène vieille de deux ans mais en sens inverse. J'avais cette sensation distante, inconfortable, qu'elle me faisait ses adieux. Inspirant par le nez, je me rapprochai d'elle, levant la tête dans sa direction. Nos soixante centimètres de différence ne m'avaient jamais paru aussi grands. Je déployai ma main gauche, allant effleurer son visage.
"
Tu sais... Je ne suis pas encore sur le départ, Paï..."
Elle renifla une nouvelle fois, la truffe tremblante. Sa large paume se posa contre mes doigts, les serrant avec toute la douceur dont elle était capable, son museau se tournant vers ma peau d'écorce. Ses yeux dorés, embués, se rivèrent aux miens. J'y lus alors comme un triste sourire.
"
Je le sais..."
La grande taille de la louve diminua à mesure qu'elle se penchait sur moi. Attrapant mon visage de ses deux mains, elle apposa son front contre le mien, plissant les yeux. Déroulant mes doigts dans un grincement à peine audible, je posai ces derniers sur sa fourrure humide. Sa chaleur m'avait manqué. Sa voix m'avait manqué. Son départ avait causé un vide pendant ces deux années et je ne la revoyais que là, maintenant, alors que j'envisageai de partir...
"
Je le sais..."
Un sourire étira mes lèvres sombres malgré le pincement que je percevais dans ma poitrine. Rompant le charme du moment présent, une voix familière se fit entendre.
"
Ca y est ? La toilette est finie ?"
Païvhane grogna ou plutôt gronda, restant dans cette position jusqu'à ce que le bruit de la canne dans les escaliers se fasse entendre. Elle se redressa de toute sa hauteur, lançant sa voix vers le paravent.
"
Ca va pour Nono mais moi, j'ai pas fini !"
"
Pas la peine non plus de laver ta fourrure poil par poil ! J'en demande pas tant !"
La liykor eut un petit sourire puis, sans me regarder, elle fit un signe de tête vers le paravent. J'opinai, resserrant la cape portant l'odeur de la louve autour de mes épaules, non sans avoir eu l'impression que le bras de cette dernière remontait une nouvelle fois vers son visage. J'arrivai dans la pièce au moment où "Nanny" finissait de descendre. Ses yeux pétillants observèrent mon visage. Elle lança une phrase joyeuse.
"
Alors ? On se sent mieux, pas vrai ?"
Je me contentai de sourire timidement. Sur le coup, je n'avais pas de réponse totalement honnête à lui faire.
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Les habitations -séparation-[[[Acquisition RP de la cape de dissimulation feuillage précédemment obtenue en correction]]]