< Les rues de Bouhen

J'entrai dans la boutique par la chatière, courbant l'échine. Lorsque je levai la tête, mes yeux s'émerveillèrent. Ici encore, tout était grand. La boutique était emplie de longues étagères surchargées de parchemins divers et variés. En face, un imposant bureau de bois était visible sous un capharnaüm d'ouvrages ouverts et de parchemins enroulés. Derrière le bureau, une immense armoire laissait passer par sa porte entrouverte une lueur scintillante et étrange. Le rangement n'était apparemment pas la meilleure des qualités du Sieur Chantelierre, mais ce désordre donnait à la boutique un air de repère de savant fou qui me plaisait bien.

Tout à coup, je ressentis une sensation bizarre, comme si il y allait avoir de l'orage, l'air était comme chargée d'électricité. Une voix tonna :

"Morley ! Ou étiez vous !"

Je vis mon compagnon se tasser sur lui-même, l'air apeuré. Un vieillard s'approcha de nous. Il portait une longue barbe blanche et était vêtu d'une toge grise, lui donnant un air de grand magicien. Ses petits yeux perçants étaient rivés sur le lutin à coté de moi, et il n'avait semble-t-il même pas remarqué à ma présence.

"Ou sont les potions que je t'ai demandé pour hier ? Et pourquoi, par Valyus, empeste-tu la bière ?"

Bab se courba un peu plus.

"Toutes mes excuses, Sieur Chantelierre, mais je vous ai laissé les fioles sur votre bureau hier soir ... Et pour la bière ... heu ... c'est une longue histoire ."

"Tu t'es saoulé à la taverne, oui ! Quant aux fioles ..." Il se retourna vers son bureau où régnait un désordre monstrueux. "Elles n'y sont pas, alors retrouve-les moi !"

Il jeta ensuite son regard accusateur sur moi et lança :

"Qui c'est celui là ?"

J'allais rétorquer et claquer le bec à ce vieux machin qui commençait sérieusement à me courir sur la patate lorsque je sentis ma langue s'engourdir, m'empêchant de prononcer un son. L'alchimiste répondit à ma place :

"Il s'appelle Psylo. Il m'a aidé pour quelques affaires, et je lui ai proposé de venir se laver ici." dit-il en me montrant du doigt, encore dégoulinant d'alcool. "Je pense aussi qu'il sera intéressé par ce que nous vendons, je l'ai vu faire de la magie."

"Très bien. Mais allez vous laver avant." répondit-il.

(J'y compte bien, vieux débris puant) pensai-je en lui lançant un regard méprisant qu'il ne remarqua pas.

"Et retrouve-moi ces fioles !" ajouta-t-il à Bab.

Le vieux mage retourna derrière son bureau, décrypter un énorme grimoire, tout en marmonnant des choses incompréhensibles à propos de lutins alcooliques, tandis que Bab m'entraînait à l'étage de la boutique où se trouvait son chez lui.




La chambre du lutin était située au tout dernier étage de la boutique, sous le toit. Une chambre ? Disons plutôt un atelier ! En effet, la pièce exiguë était en grande partie occupée par un long établi qui courait tout le long du mur de gauche. Il était recouvert de nombreuses fioles dont un bon nombre émettaient une fumée épaisse. Il y avait également de nombreuses plantes qui poussaient sur des étagères au-dessus de l'établi. La lumière pénétrait par une petite fenêtre creusée au beau milieu du mur de droite, et éclairait les jeunes pousses.

Tout de suite à droite de la porte d'entrée, se trouvaient plusieurs petit tonnelets empilés les uns sur les autres et qui émanaient une forte odeur d'alcool. Sur le mur du fond, il y avait une porte qui menait surement au bain. Et, presque invisible, calé au fond à droite de la chambre, se trouvait la couche du lutin. Le lit se résumait à un amas informe de couvertures en laine et d'oreillers, posés à même le sol, mais semblait pourtant bien confortable.

"Voila, c'est chez moi !" dit le lutin tout en déposant sur l'établi son sac. Il en sortit la fiole de bière durement gagnée et la rangea sur un porte-éprouvette, en examinant le contenu.

"Tu peux aller te laver pendant que j'examine ceci." dit-il en me montrant la porte au fond de la pièce.

Je m'exécutai, passant la petite porte aménagée spécialement pour un lutin. La pièce était minuscule. Une petite cheminée la chauffait et faisait bouillir une marmite pleine d'eau accrochée au-dessus du foyer. Au beau milieu, trônait un bac en cuivre recouvert à l'intérieur d'un drap blanchâtre, c'était le baignoire. Je la remplis de l'eau presque bouillante qui chauffait dans le chaudron. Bab avait de la chance, il était rare de nos jours d'avoir autant de confort.

Je me déshabillai et commençai d'abord par laver mes vêtements dans l'eau, frottant fort pour enlever l'odeur. Je les étendis près de la cheminée, pour les faire sécher, laissant tout de même mon bonnet et mes bottes près de la baignoire. Finalement, je me plongeai dans le bain, l'eau était chaude et très agréable. Je me détendis après m'être bien savonné, puis amusé à faire des bulles et à éclabousser un peu tout ce qui m'entourait, puis m'assoupis un bon moment.

Au bout de longues minutes, j'entendis l'alchimiste frapper à la porte :

"Hé ! T'es mort là-dedans ? C'est mon tour, maintenant !"

"Oui, oui ! Je sors ! Désolé !" m'excusai-je.

Je sortis du bain et me séchai avec un linge propre qui traînait par là. Puis j'enfilai mes habits et sortis de la pièce. Dehors, Bab était en train de bidouiller avec des fioles de différentes couleurs et de différentes formes. Il se tourna vers moi, souriant :

"On se sent mieux, hein ?"

Je hochai la tête, mais en réalité, j'avais froid et mes vêtements n'étaient pas complètement secs.

"Tu peux aller voir le vieux en attendant, après je t'emmènerai faire le tour de la ville."

Je descendis donc vers la boutique pour aller jeter un œil à ce que vendait Chantelierre.




Quand j'arrivai dans la boutique, le Sieur Chantelierre était toujours penché sur ses grimoires. Il se tourna vers moi et me lança :

"Alors ... Comme ça tu t'y connais un peu en magie ?"

J'avais envie de lui lancer une réplique bien cinglante au visage, ce vieux rabougri ne me plaisait pas du tout. Il était hautain et de mauvaise humeur, et devait rarement rire. Je dois avouer que ça m'arrivait aussi d'être de mauvaise humeur, quelquefois ... Mais je savais rire ! Je dus me forcer à lui répondre intelligemment, pour ne pas créer d'ennuis à Bab :

"Oui j'ai été formé dans mon village à l'utilisation des fluides, mais je débute encore et j'ai beaucoup de choses à apprendre."

"Ça je m'en suis douté ..." répondit-il, méprisant. "Quel type de magie utilises-tu ?"

"Celle de l'eau. Na !"

"Hmpf ... Ce n'est pas ma magie préférée ... " rétorqua-t-il.

(Veut-il dire par là qu'il n'y connait rien ?) pensai-je, ricanant intérieurement.

Plusieurs parchemins s'élevèrent des immenses étagères et vinrent se poser sur le bureau déjà bien surchargé. Ils étaient enroulés et cachetés par une cire couleur bleu marine. S'en suivirent nombre d'explications sur chaque sort proposé, et je finis par en choisir un. Après avoir payé le vieux mage, je pliai plusieurs fois le parchemin pour le faire rentrer dans mon sac de lutin. Puis sortis dehors pour y attendre Bab.

(((Achat du sort RP : Fontaine)))

> Les rues de Bouhen

< Les rues de Bouhen

La nuit fut courte et mon sommeil agité dans la petite chambre exiguë perchée au dernier étage de la boutique. Bab m'avait aménagé une petite couche sous son établi avec quelques couvertures. Quelques heures de sommeil hantés par des cauchemars aux images d'épouvante, c'est tout ce que je pus tirer de ce repos pourtant bien mérité. J'ouvrai les yeux et regardai autour de moi, Bab n'était pas là, il était déjà levé. Il n'avait pas du dormir bien longtemps non plus. Il faut dire que les évènements passés n'aidaient pas. Au moins, j'y avais gagné quelquechose, l'état d'ivresse que je ressentais plus tôt dans la nuit s'était totalement dissipé.

Je me relevai brusquement et me cognai le front contre le dessous de l'établi. Les fioles qui y étaient entreposées émirent un tintement.

"Aïe !" lachai-je, me frottant le front du revers de la main.

Une fois debout, j'observai le ciel par la fenêtre. Il faisait encore nuit, il devait être aux alentours de 4h du matin et le soleil, paresseux en cette saison, ne s'était toujours pas levé. Sur la pointe des pieds et le plus discrètement possible, je sortis de la chambre pour rejoindre la boutique. Quand il est impossible de dormir, les lutins insomniaques aiment bien se retrouver autour du feu pour se conter des histoires. J'étais sûr d'y trouver Bab.

Mais quand je poussai la porte de la boutique, seul Chantelierre se tenait devant un petit feu de cheminée. Assis sur un fauteuil confortable, il fixait le foyer d'un air songeur, ne portant pas attention à ce qui l'entourait. Je m'approchai de lui et lui touchai le bras en lui demandant :

"Vous allez bien ?"

Le mage eut un petit sursaut en me voyant, il n'avait pas remarqué ma présence, trop plongé dans ses pensées qu'il était.

"Oui ..."

Un long silence suivit. J'étais gêné de me retrouver seul avec le vieux mage, il me donnait une drôle de sensation. La puissance magique dont j'avais été témoin plus tôt me rassurait et m'effrayait à la fois, et puis il y avait aussi cette manière qu'il avait de parler qui m'énervait, comme s'il se sentait tout puissant. D'autre part, le fait qu'il ne puisse pas trouver le sommeil cette nuit montrait qu'il pouvait aussi ressentir des émotions, chose dont je doutais la première fois que je l'avais vu. Et puis ce regard, son regard perçant qui semblait me traverser, ce regard qui rendait le mage méprisant à longueur de temps, ce regard me faisait froid dans le dos. Il faut ajouter aussi qu'il venait de me sauver la vie quelques heures plutôt ...

"Je voulais vous dire ... euh ... merci pour tout à l'heure d'avoir abattu cet orque ... L'orque qui allait me tuer ... Enfin, je veux dire, merci de m'avoir sauvé."

Le mage planta son regard froid dans le mien et hocha simplement la tête avant de se retourner vers les flammes, ce n'était pas le genre d'homme à se vanter d'avoir tué. Il attrapa un tisonnier qui était accroché près de l'âtre et attisa les braises qui commençaient à faiblir.

"Dites, vous n'avez pas vu Bab ?"

"Non. Pourquoi il n'est pas dans sa chambre ?" dit-il ne relâchant pas son regard de la cheminée.

"Non"

Le vieil homme hocha les épaules.

"Il a du aller faire un tour ... Mais où, ça, je ne sais pas."

Je fronçai les sourcils. Aller "faire un tour", après ce qu'il s'est passé ! Faire un tour dans une ville en ruine qui vient de subir un siège, ça lui semblait normal à ce vieux rabougri ! Mais, j'avais ma petite idée de l'endroit où il avait pu aller, et heureusement, je me souvenais du chemin.

"Je vais voir si je peux le trouver."

Le magicien ne dit mot, me laissant partir. Il fixait toujours l'âtre sans ciller. Alors que je regardais une dernière fois le vieil homme, courbé sur son fauteuil, les yeux fatigués fixant le vide, sa robe de mage déchirée par endroits et couverte de cendres, je compris que cet homme là était triste, et c'est à ce moment que je fus prit d'une certaine empathie envers lui. Je détournai enfin mon regard et quitta la boutique pour m'enfoncer dans la nuit froide de Bouhen.

> Les rues de Bouhen.

Validation d'achat pour Rosa