La colère grondait en Gorog comme le tonnerre dans les mains de Valyus. Il se sentait trahi, méjugé, accablé de tourments qui n’étaient pas siens. Il s’était fait exclure de sa propre cité, celle qu’il avait toujours habitée, celle dont il avait lui-même creusé de profondes galeries de ses propres mains sales. Il s’était fait jeter pour le seul motif d’avoir vécu comme vivent les siens, une pinte de bière à la main. Et là, de la bière, il n’en avait plus goutte. Autour de lui, il n’y avait que roc et neige, et nuit noire, et froid montagnard. Il y avait aussi ses compagnons d’infortune. Le Père Vert, Cul-Brick, et ce brasseur sans boisson. Et lui, avec ses cheveux roux en désordre et son nez gros comme une pomme de terre, qui commençait à rougir à cause de la température négative de cette surface tant détestée.
Mais la colère grondante éclata soudain chez un autre. Broginn, rageant d’un langage fleuri, maudit les gardiens d’airain de la cité naine, et envoya sur leur bobine bardée d’acier une boule de neige compacte et dure, qui éclata sur le casque de l’un d’eux. Sa réaction ne se fit pas attendre : il se précipita, l’air courroucé, vers le quatuor démuni, qui n’eut dès lors plus qu’une solution : fuir à toutes jambes.
Et lorsque le gras-brasseur se mit à débouler sur ses courtes pattes, d’une démarche accélérée et passablement ridicule, ressemblant de loin à celle du canard qu’il arborait sur son casque ailé, trois furent ceux qui se rejoignirent dans sa fuite éperdue. La course dans la neige n’était guère aisée, surtout qu’elle était dense et profonde, et qu’ils étaient plus denses encore, et petits. Ils coururent loin, et ils coururent longtemps. Gorog, peut-être fut-il d’ailleurs le seul à remarquer l’incident, ne s’arrêta point lorsque, maladroitement, le prêtre retors se prit les pieds dans la bure et dévala une pente aigüe en amassant la neige tout autour de lui.
Bien vite, le nain religieux ne fut plus qu’une boule de neige dévalant la montagne à toute vitesse. Il trouva le point d’orgue de sa chute sur un promontoire, qui lui servit de tremplin, le propulsant vers les profondeurs nocturnes de la montagne. Pour toute commémoration, il eut droit à une interjection, entre deux respirations soufflées.
« Ben… merde alors. »
Mais ce fut tout. Ils n’avaient guère le loisir de s’attarder sur cet attardé qui ‘n’avait pas su s’échapper face à l’adversité. Il ne faisait pas partie de la population dominante, tel que l’aurait expliqué le grand théoricien nain Dar Whynn.
Après au moins un quart d’heure de course, ce qui était rude pour des nains qui ne couraient pas souvent, Gorog ralentit la cadence, essoufflé, et finit par s’arrêter totalement, en respirant comme un bœuf. La buée sortait de sa bouche à intervalles réguliers, et il eut tout de même la force de crier à ses partenaires de fuite :
« Stop, stop ! On n’ira pas plus loin avant d’avoir fait une pause. »
Puis, alors que sa respiration revenait petit à petit, non sans difficulté, il précisa :
« Nous les nains, sommes des sprinters. Redoutables sur les courtes distances ! »
Et celle-là était visiblement déjà bien trop longue pour lui. L’entrée de Mertar n’était plus en vue, en tout cas. Et leurs traces avaient déjà été masquées par la neige balayée par le vent des Monts. Les gardiens de la cité naine ne les retrouveraient plus. Et… ils ne les retrouveraient plus non plus. Mais ça… ils n’y pensaient pas encore.
[HJ : marguerite]
_________________ Gorog, nain.
Le nez, c'est l'idiot du visage.
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