« Vous croyez vraiment que je vais me faire attaquer là-dedans ? » fit Anastasie d'un ton sarcastique à son nouveau garde du corps.
Il s'était avéré que le Duc Dimitri n'avait que peu apprécié sa « prise de risque irresponsable, inconsidérée et inutile », et, soucieux de la voir éviter les ennuis, il avait assigné dès le lendemain l'un de ses hommes pour suivre ses moindre faits et gestes.
« Au moins si tu décides de faire une connerie il sera là pour te protéger, » avait-il dit.
La jeune femme s'était alors tournée vers Fitzekiel en quête de soutien, pour ne trouver qu'un visage grave qui semblait exprimer, une fois n'est pas coutume, son accord. Elle se sentait toutefois quelque peu flattée par ces mesures, surtout de la part du géant. Elle voyait cela comme une preuve d'inquiétude et d'amour à son égard. Mais ça ne l'empêchait pas d'être profondément lassée de se voir chaperonner toute la sainte journée par un parfait inconnu qui ne la laissait seule que dans sa chambre, et pas sans avoir préalablement vérifié qu'elle était bien vide.
( Et tout ça parce que je suis parti à la recherche d'un nécromancien sans les attendre, ) se lamenta-t-elle intérieurement. ( Quoique dit comme ça on dirait que c'est de ma faute. J'essayais de sauver une vie, zut ! )
« Bien, » consentit le soldat en se postant à l'entrée de l'échoppe. « Mais si vous n'êtes pas resortie d'ici un quart d'heure je rentre. »
La jeune femme leva les yeux au ciel avant d'ouvrir la porte d'une magasin et d'entrer d'un pas peu assuré. C'était bien la première fois qu'elle rentrait dans un endroit pareil, et elle n'était pas tout à fait certaine de savoir à quoi s'attendre. L'intérieur était plutôt étroit et rempli de tout un tas d'objets magiques – ou qui en avaient en tout cas sacrément l'air – de tous genres.
« Bonjour, » fit un vieil homme d'une voix lasse derrière son comptoir.
« Vous avez toujours l'air aussi désabusé quand un client rentre ? » s'indigna la jeune femme.
« Ca dépend du client, » lâcha-t-il d'un ton si exempt d'enthousiasme qu'il en était insultant.
Anastasie cambra le dos avec fierté pour avoir l'air le plus imposant possible malgré sa petite taille.
« Et je ne vous reviens pas ? »
« C'est pas contre vous en particulier, » expliqua-t-il en haussant les épaules. « Mais je n'ai que trop l'habitude des petites bourgeoises qui viennent me voir par curiosité en pensant que « la magie c'est marrant » et qui repartent avec un grigri à dix yus pour impressionner leurs amies. »
Anastasie baissa pour admirer son accoutrement. Il était vrai que sa longue robe à dentelles faisait particulièrement bien habillée pour une balade dans les quartiers commerçants. Mais elle n'avait pas revêtu ce genre de vêtement depuis très longtemps, et, une fois n'est pas coutume, s'était autorisée un peu de sa coquetterie d'antan pour aller faire les magasins. Pour autant, elle ne donnait pas le droit à ce vieillard mal élevé de la juger ainsi sans même lui laisser le bénéfice du doute. Aussi, bien décidée à lui rabattre le caquet, elle leva sa main droite devant elle, paume vers le plafond et, sans le moindre effort, y fit apparaître une boule de lumière éclairant l'intégralité de la boutique de manière prodigieuse. Elle avait appris ce petit tour lors de ses longues nuits d'études à lire les livres que lui avait prêté Etienne, son professeur de médecine.
« Ah ! » fit le vieillard en se redressant d'un seul bond pour faire face à la jeune femme. « Une magicienne ! Fantastique ! Excusez-moi, excusez-moi, je me laisse facilement abattre ces derniers jours, il faut dire que je n'ai pas eu la visite d'un véritable client depuis DES LUSTRES ! Je suis Moboutou, propriétaire de cette petite échoppe. Mais approchez donc, approchez donc, et parlez-moi de vous ! Vous pratiquez depuis longtemps ? Et qu'est-ce qu'il vous faut ? »
Il avait lâché tous ces mots à une vitesse prodigieuse ; le vieil homme à l'air défait avait soudain laissé place à un personnage survolté et plein de vie. La jeune femme, quelque peu décontenancée, fit disparaître la boule de lumière pour s'approcher du comptoir.
« Heu... Non, je ne pratique que depuis quelques mois et... je n'y comprends encore pas grand chose. Je suis là pour ça justement, j'aimerais savoir ce que je peux faire pour m'améliorer. »
« Une novice ! Fantastique ! Est-ce que vous êtes familière avec les fioles de fluide ? »
« Pas du tout, » répondit-elle. « C'est quoi ? »
« Oh, c'est très simple, c'est très simple ! Quand vous lancez des sorts, vous devez rapidement vous sentir fatiguée, vidée de toute énergie, n'est-ce pas ? Eh bien c'est à cause des fluides qui sont en vous ! Vous n'en avez pour ainsi dire pas assez ! Il vous suffit donc de consommer le contenu de ces petites fioles de fluides que vous avez là pour agrandir DRASTIQUEMENT votre réserve de magie ! »
Tout en parlant – à un début toujours aussi difficile à suivre – il avait désigné de petites étagères pleines de petits flacons étranges à la gauche d'Anastasie. Elles étaient remplies avec une substance qui semblait être à la fois liquide et vaporeuse, mais il y en avait de différentes tailles et de différentes couleurs.
« Vous semblez, sauf erreur de ma part, être une magicienne de lumière, alors il vous faut ingurgiter les fioles dorées. Vous pouvez également ingurgiter une fiole d'un autre élément – il y en a pleins – mais attention cela diminuera votre affinité avec votre élément naturel ! Oh ! Et surtout ne prenez jamais ô grand jamais de fluides obscurs – les noirs – ils sont complètement IN-COM-PA-TIBLES avec vos fluides de lumière, ça vous tuerait ! Et puis de toute façon je n'en ai pas ! »
La jeune femme se concentra, tentant tant bien que mal d'assimiler le flot d'informations sur le sujet. Elle s'était beaucoup renseignée sur les forces obscurs et la lutte entre Gaïa et Thimoros, mais jamais elle ne s'était penchée sur la question de l'utilisation des fluides à leur état le plus basique, malgré que ce soit le seul talent dont elle ait été dotée.
« Et on peut en prendre tant qu'on veut ? » demanda-t-elle, préparée à recevoir un nouveau flot ininterrompu d'information.
« Oh non non non non non non ! Il faut en consommer avec parcimonie ! Vous devriez le sentir lorsque vous aurez atteint votre potentiel maximal de fluides ! Et n'en prenez pas non plus beaucoup à la fois, cela pourrait vous rendre très malade ! »
La jeune femme hocha la tête, observant les fioles devant elle.
« Les fioles les plus grandes contiennent exactement quatre fois plus de fluides que les plus petites ! » précisa-t-il.
« Alors pourquoi est-ce qu'elles sont plus de quatre fois plus chère que celles-ci ? »
Un long silence pesant s'installa avant que le vieux Moboutou ne daigne lui répondre d'une voix sèche.
« C'est plus facile à transporter. »
La jeune femme haussa les sourcils, peu convaincue.
( Ca sent carrément l'arnaque, ouais... et puis j'ai de la place chez moi, manquerait plus que je paie plus chère pour ça. )
La jeune femme fouilla quelques instants son porte-monnaie, comptabilisant l'argent qu'elle avait emporté avec elle, avant de se tourner vers le marchand.
« Bien, j'ai assez pour quatorze petites... »
« Pfeu, radine, » lâcha-t-il d'un murmure tout juste audible, avant d'ajouter à haute et intelligible voix, « Bien, je vous laisse les attraper, ça fera sept cent yus ! »
La jeune femme soupira avant de se retourner vers les étagères. Elles étaient certes accessibles pour le commun des mortels, mais il ne fallait pas oublier qu'elle était presque aussi basse qu'un hobbit. Trop fière pour le faire remarquer, cependant, elle se mit sur la pointe des pieds et tenta tant bien que mal d'attraper les plus petites fioles au contenu blanc-doré, une par une. Mais, alors qu'elle en avait fourré quelques unes dans sa besace, elle perdit magistralement l'équilibre, tombant à la renverse tout en emportant quatre flacons avec elle. Ils s'écrasèrent tous sur sa tête, répandant leur verre et leur contenu dans les cheveux de la petite noble qui poussa un cri de stupeur sur le coup.
« Oh, Mademoiselle, vous n'avez rien ? » s'exclama Moboutou en s'approchant rapidement d'elle pour l'aider à se relever. Puis, s'apercevant qu'elle allait très bien, il ajouta « je vous les facture, hein... »
« Quoi ?! » s'indigna la jeune femme. « Mais j'ai failli me tuer avec vos idioties ! Quelle idée de mettre vos flacons aussi haut ! »
« Je n'y peux rien si vous êtes maladroite ! » s'énerva le vendeur. « Mais ne vous en faites pas, par les cheveux ça fonctionne très bien, d'ailleurs votre corps a déjà assimilé tous les fluides ! Regardez, il ne reste que le verre, » ajouta-t-il en balayant la chevelure de la jeune femme.
Anastasie s'agrippa alors le crâne, une violente douleur résonnant tout à coup à l'intérieur.
« Ah oui, quatre c'est peut être beaucoup pour une première fois... Mais ça ira, rien de dramatique. »
Apparemment soucieux, pour une raison qu'Anastasie ignorait, de se débarrasser d'elle au plus vite, le vieillard attrapa le nombre de petites fioles qu'il manquait pour arriver à quatorze, récupéra l'argent qu'elle lui tendait et la poussa aussitôt vers la porte avec un « au revoir » qui ne fit qu'augmenter les inquiétudes de la petite noble. Elle eut cependant la réponse à ses questionnements presque immédiatement aussitôt, lorsque son regard croisa celui, outré, de son garde du corps.
(((Achat de quatorze fluides de lumière 1/16e pour 700 yus)))
(((Consommation de quatre d'entre eux)))