Il faisait nuit. Je ne pensais plus à Garcia : elle n'avait pas de preuve de ma journée de travail passée chez elle. Je me postais devant une grande porte décorée. Au dessus trônait une enseigne représentant une tortue armée. J'étais au bon endroit. Le sourire aux lèvres, je m'apprêtais à entrer, quand, grâce au faisceau lumineux qui sortait des fenêtres de l'auberge, je vis quelque chose briller à mes pieds. Je le ramassai et l'examinai : un genre de boule dorée, aplatie, au bout d'une chaine.
(je regarderai ça de plus près plus tard) songeai-je, en la fourrant dans ma poche.
J'inspirai l'air frais de la nuit avant d'ouvrir la porte, l'idée de revoir Uroldir m'affichant un grand sourire sur le visage.
L'auberge était particulièrement grande, de vastes tables alignées les unes aux autres, graissées par des centaines de repas et boissons renversés. Sur les bancs face aux tables siégeaient une quantité incroyable de personnes différentes : Kendrans pour la plupart, nains, elfes, quelques lyikors et gnomes... Au vu du nombre de clients présents, il ne devait pas être bien tard dans la nuit. Voix graves de discussions variées et bruits de couverts, de choppes s'entrechoquant montaient de la salle, signes d'une bonne ambiance certaine, l'alcool aidant sans doute. Je savait que les combats étaient courants dans les auberges, et je m'arrangeais pour que mon entrée fut la plus discrète possible.
Je me plaçais devant le comptoir et aperçu l'homme qui devait être l'aubergiste. Un humain au teint mat et aux cheveux d'une couleur indéfinissable. Plutôt jeune, il s'agitait derrière le comptoir, servant une bière par-ci, répondant avec un sourire par-là, indiquant une table ou prenant une commande. Mes yeux à peine à hauteur du comptoir, je tentais un appel envers l'homme aux huit bras :
« S'il vous plait ? Sam Timùn ? Excusez moi je... »Mais il ne semblait pas pouvoir m'entendre à travers ce joyeux brouhaha. Une main se posa sur mon épaule.
« Eh, Sam! Je crois que cette jeune fille t'appelle »Je me retournai : un homme d'une vingtaine d'année au regard prétentieux me fixait avec un sourire. Je le regardai, impassible, puis me tournai vers l'aubergiste de qui j'avais désormais l'attention, me mettant sur la pointe des pieds pour que mon visage dépasse un peu plus du comptoir.
« Un bon repas, et une chambre pour cette nuit, aubergiste. »« On vous réserve ça ma belle, et comme boisson, que puis-je vous servir ? »Je balayais la pièce du regard : tous buvaient une bière, ou des alcools plus forts. J'optai pour la première option. En attendant que l'on m'apporte mon repas, je m'installais sur un banc, face à une table, dos à la grande cheminée. Je profitais ainsi davantage de sa douce chaleur, et je me tenais à distance respectable de toute autre personne. J'avertirai le tavernier de mon identité et demanderai Uroldir le lendemain, j'avais tout d'abord besoin de repos.
A peine le tavernier m'avait-il apporté ma bière et mon repas -une andouillette à l'odeur forte de boyaux et de bois- que le jeune homme vint s'asseoir en face de moi. Il ne plaça pas ses jambes sous la table, mais les croisa négligemment, posa un coude sur la table, et passa une main richement baguée dans ses cheveux.
Je gardais le regard rivé sur mon assiette, espérant que mon indifférence le ferait partir. Il approcha son visage du mien - toujours penché sur mon andouillette -. Il souleva lentement mon menton de sa main, me forçant à le regarder. J'essayais de garder un visage hostile, mais je ne pu m'empêcher de rougir. Oui il avait une allure prétentieuse, avec ses riches vêtements et bijoux, oui il avait un sourire arrogant, mais il avait un charme certain, avec ses yeux verts charmeurs, ses petits sourires fiers et les ridules de son front lorsqu'il levait les sourcils présomptueusement.
« Alors petite... Tu ne me remercies pas ? » plaisanta-t-il avec un clin d'œil.
« … Merci »Il laissa s'échapper un rire charmant :
« Tu es adorable! »Prenant un air agacé, je laissais le bout d'andouillette au bout de ma fourchette en suspension, et dans un soupire lui lâchai:
« Vous êtes bien gentil mais allez importuner quelqu'un autre, je ne sais pas si vous avez remarqué mais j'aimerai manger mon repas en paix. »Non seulement je n'avais pas été très convaincante, je m'en étais bien rendue compte, mais en plus de ça, j'avais maladroitement fait tomber le bout d'andouille au bout de ma fourchette sur la table. Je le ramassais en bégayant.
Il ria a nouveau. Non pas par moquerie, mais par sincère amusement, et ajouta :
« Serait-ce moi qui te fait cet effet ? »Je soupirai un « n'importe quoi » pas très persuadant. Ah! Que je détestais ces personnes, sûres d'elles, mais dont on ne sait pas empêcher la présence de nous troubler. Je cédais donc, le laissant me tenir compagnie. Nous parlâmes d'un peu tout, d'un peu de rien aussi. Le genre de conversations qui se déroulaient dans les auberges. Il était issu d'une riche famille Kendrane et se prénommait Alex. Plutôt bizarre comme prénom, avais-je pensé. Il avait remarqué que j'étais plutôt hostile et méfiante pour une kender, j'avais simplement répondu que c'était mon caractère. Je savais bien que ce n'était pas vrai, j'étais obligée de me comporter ainsi si je voulais m'en sortir ici.
Au fil de la conversation, je bus ma bière, la première de ma vie. Le goût de houblon mêlé à celui du fut de bois était écœurant, et me donnait mal à la tête - ou était-ce l'alcool qui me fit cet effet, je ne pus savoir n'en ayant jamais bu avant – Un nain se joignit ensuite à nous, entra dans la discussion, et on nous resservit plusieurs bières.
L'auberge se vidait lentement, j'avais fini de manger depuis longtemps. La puissance du foyer s'atténuait, il ne restait désormais plus que des braises incandescentes et quelques petites flammes bleues, la pièce était plongée dans une pénombre rassurante, seules les odeurs de bois flambé et de grillades subsistaient. La chaleur de la pièce m'enveloppait, peut-être était-ce celle des bras d'Alex. Je me voyais blottie contre lui près du feu, mais tout était vague, c'était sans doute un rêve.
C'était brumeux, cotonneux, doux... On me portait. J'étais sur un nuage je crois. On me posa sur un lit. Après les douces ondulations de mon esprit apparaissaient les remous de mon estomac. Puis plus rien.
J'ouvris les yeux. Les fermai. Les ouvris à nouveau. Les gardai ouverts. J'avais le corps engourdi, du coton entre les deux oreilles. Je n'aurai pas du boire. Je posais mes petits pieds nus sur le froid parquet, enfilai mes bottes et trempais mon visage dans la bassine d'eau au fond de la pièce. Vague fraîche sur ce visage fatigué.
Je descendis dans la pièce principale de l'auberge. Tout était calme, il devait être tôt. Sam Timùn était déjà là, il nettoyait une choppe de bière avec son chiffon a carreau. Sa femme, Tina, passait le balai. Je les saluai poliment.
« Savez vous si Alex of the Followers est ici ? »L'aubergiste posa sa choppe et son chiffon, marqua une pause de réflexion et me répondit :
« Je crois bien que non ma petite, il est parti d'ici tard dans la nuit »« Oh... Bien. Et... Pourriez-vous m'indiquer où se trouve Uroldir ? Il m'a demandé de m'adresser à vous. »« Et bien, je suis désolé d'avoir à vous l'annoncer, mais Uroldir est parti sans me dire sa direction. Il avait l'air pressé. Il m'a parlé de vous, et m'a demandé de vous dire de ne pas vous inquiéter. Il vous trouverait quand le moment serait venu. »« Je vous remercie Sam, puis-je vous payer pour le repas et la nuit ? »« Vous n'allez quand même pas partir le ventre vide ? »« Ca va aller, merci »Je posais l'argent demandé sur le comptoir, et Sam me donna une saucisse sèche :
cadeau de la maison avait il assuré. Je le remerciais sincèrement , saluai Tina et sortis.
<La grande forge d'Argaïe>