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Pas d'empêcheurs de voler droit, pas d'imbécile me barrant la route pour une fois. Cela change, et ce n'est pas un mal. Mes ailes me portent à travers la volière ouverte, m'amenant à proximité du grand arbre. Sourcils froncés. Ce n'est pas le seul truc auquel le terme
grand s'applique. Non seulement la femelle n'est pas seule, mais son entourage est composé d'un des demi-hommes, d'une saleté fourbe lutine, et de ce crétin de
casse-pied. Que font-ils là, ceux-là ? N'étaient-ils pas censés aller voir ailleurs si on y était ? Non, évidemment. Il faut que la première chose sur laquelle je pose les yeux soit un ramassis de trucs qui me hérissent le plumage. Comment fait cette femelle pour avoir encore de la voix, à devoir la hausser parce que ces grands crétins sont infoutus d'écouter de toute façon ? Claquant de la langue, je m'apprête à stopper mon avancée et attendre qu'elle en ait terminé avec ces boulets, quand j'ai la malchance qu'elle se rende compte de ma présence. Saloperie d’Écharde de feu qui m'a fait remarquer. Décidément, ce truc n'est qu'une source d'ennuis.
Contrarié, j'approche, faisant exprès de voler plus haut que les yeux de tous les présents. Devoir lever le nez ou me tenir à niveau égal avec des géants, même à moitié ? Très peu pour moi. Visiblement, ils parlaient de moi puisque la meneuse m'a désigné sans la moindre once de discrétion. Femelle typique. Elle pointe l'évidence que j'ai réussi ma tâche, m'apprenant passer grâce à cela à l'action dès demain matin. L'assaut sur la cité... Un tiraillement dans mon dos précède un souffle nasal exaspéré. Elle me lance ensuite une question à peine cachée pour savoir comment cela s'est passé. C'était prévisible, tout comme ma réaction irritée. J'inspire profondément, passablement amer d'avoir encore eu raison.
Toutefois, je n'explose pas en cynisme ou à coup de piques cette fois, non. Je la scrute avec toute la froideur dont je suis capable. D'un geste las, tout en retenant l'objet de ma quête contre moi, je retire mon casque. Si un seul d'entre eux tente une plaisanterie sur le fait que je suis allé chercher un objet de feu pour revenir coloris charbon sans reflet, il va profondément le regretter. S'il survit plus de quelques instants à cette puissante et glaciale ire qui m'habite, bien entendu. Je les laisse me regarder, juste le temps de prendre la mesure de mon état puis darde mes yeux vers ceux de la rouquine.
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À ton avis.", finis-je par jeter comme un trait d'arbalète, avant de recoiffer mon heaume.
Elle a beau être une femelle, elle fait partie des rares du genre à savoir faire un lien logique sans demander des siècles de réflexion. Entre la victoire de la corruption sur moi, la présence de l'objet rouge et l'absence du mâle qui m'a accompagné, la réponse est évidente. J'ai envie de me débarrasser de ce foutu objet pulsant, mais les mains de Shada'ïs sont pleines. Je note alors la présence d'un bijou entre ses paluches. C'est une plaisanterie... Une femelle, un bijou, des grandes gens qui ne se sont pas fait découper ou épingler par des dizaines de guerriers à vue... Là aussi, une explication des plus évidentes. Je ne pensais pas la guerrière aussi vénale ni achetable par des breloques... Même si celle-la a un éclat familier qui me provoque un frisson désagréable entre les ailes. C'est bien un objet de grande-gens, ça. Trop immense pour être porté par un aldryde. C'est à se demander si un seul d'entre eux est apte à une activité aussi surnaturelle et impensable que de réfléchir...
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Tu es familière avec la magie du feu, non ? Alors récupère cette chose avant que je la fracasse quelque part.", annoncé-je à la chef des rebelles, toujours sans violence dans le ton, mais en avisant directement l'engeance humaine présente pour souligner ma cible potentielle.
Je n'ai pas besoin de prendre une intonation menaçante. Je sais que j'ai les capacités d'éradiquer les vivants des environs en un rien de temps si l'envie me prend. Le souvenir de la sensation grisante conférée par le pouvoir du Cœur suffit à me satisfaire. Finalement, prendre conscience que je pourrais anéantir tout ce petit monde à mon gré suffit à atténuer mon agacement constant. La pensée me fait perdre mon rictus. J'ai du mal à discerner si ce sont mes envies ou l'emprise de la corruption sur moi. Peut-être les deux, constat qui devrait profondément m'énerver, mais qui ne m'irrite pas tant que cela.
Tenant toujours l’Écharde, qui me pèse chaque instant un peu plus, je lance un regard en coin aux non-aldrydes. J'ai souvenir d'eux, et surtout des thorkins qui se sont présentés devant le meneur des humains. Enfin, un des deux. L'autre n'est pas là ou il se cache dans l'ombre du roux. Je jette à peine un regard au lutin inconnu avant de simplement ignorer tout ce petit monde. Je m'en contrefiche. J'ai beau avoir réparti mon temps de repos et de voyage intelligemment, j'ai quand même envie d'aller me poser quelque part.
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Où est Dae'ron ? J'ai à lui parler."
S'il accepte de me tendre la spirale après la façon des plus désagréables dont nous nous sommes séparés, bien sûr. Non, pas
bien sûr. Il le fera de son plein gré sinon je l'y contraindrai. Si cette sale expérience dans les ruines m'a appris une chose, c'est que je ne suis plus aldryde à me laisser manipuler sans réagir. Ah, il voulait que je réfléchisse, ce Protecteur ? Que je cesse de me cacher ? Que je cesse de redouter ce que je ressens ? Il va être content...
Il y a un tas de choses que je ne vais pas me retenir de lui dire.
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