<précédemment>Le soleil entamait son déclin lorsque Brookr sortit du poste de garde. Il était satisfait de son récit et conservait une pensée émue pour ses frères disparus. Il n’avait rien laissé paraître à l’homme mais, en son for intérieur, la remémoration de ces événements l’avait troublé. C’est dans cet esprit qu’il fit ses premiers pas dans la cité.
La Grande rue était recouverte d’une combinaison de pavés de grès et granit aux tailles sensiblement identiques et aux couleurs oscillants entre le marron et le gris. Elle était bordée par deux caniveaux dans lesquels s’écoulaient les déchets, aussi bien organiques que domestiques, de ses habitants.
La route était large, de nombreux acteurs occupaient l’artère centrale : commerçants avec leurs échoppes ambulantes, nobles et chevaliers perchés sur leur monture, voleurs à la tir, mendiants et autres peuples en tout genre. Si bien que notre nain étourdit ne prit gare à la charrette qui déviait sa trajectoire pour foncer vers lui.
C’est le fermier qui eut le réflexe de stopper ses bœufs, à quelques centimètres seulement du guerrier.
« Oh là troglodyt’ ! Fô bin resté den tin montagn’. Ché que ché la grand’ ville ichi ! »Le sus nommé sortit de sa léthargie pour apercevoir en face de lui les museaux crotteux et pestilentiels d’une bête de somme. L’animal toisait le barbu de ses yeux vitreux ; il paraissait maladif avec des flancs pâlichons qui laissaient transparaître ses côtes saillantes et des pattes aussi sèches que le tronc d’un vieux chêne.
« Ayé cass’ toi d’la pauv’ cloch’ ! Retourn’ den tin trou ! »Depuis le massacre, le jeune guerrier avait su neutraliser ce goût amer de rage et de tristesse mélangés que lui avait apporté la défaite. Cette douleur brûlante et dévorante ne demandait qu’à exploser à la première occasion. Et c’est justement à ce moment de la journée que cette colère décida de sortir de son enclos de chair.
Elle se concrétisa sous la forme d’un crochet au niveau de la tempe du bœuf. La violence du coup de poing l’envoya immédiatement à terre ; son agonie ne dura que quelques secondes avant que la mort ne suive.
Le paysan, une sorte de bûcheron costaud, sale et mal fagoté, resta abasourdi devant la scène. En un rien de temps son visage passa de l’état de stupeur à l’état de fureur ; des veines gonflées de sang sillonnaient son large front et sa robuste mâchoire s’ornait d’une bouche horriblement déformée.
« Va d’voir raqué ’ l’troglo’ ! D’abor’ ch'te rince enchuit’ tu paye ! »Il semblait clair que l’homme ne portait pas dans son cœur les gens de petite taille. Quelques badauds curieux s’arrêtèrent autour des protagonistes pour suivre le spectacle qui se préparait : une baston offrait toujours un divertissement palpitant pour les gens, qu’ils soient de pauvre condition ou non.
Le bouseux releva les manches de sa chemine de toile laissant découvrir d’imposants avant-bras noircis par la crasse prolongés par des paluches robustes.
Le nain se préparait à la confrontation. Il se campa solidement sur ses deux jambes, les poings en position de défense. Il souriait :
« Alors chiure de géant, on descend de son carrosse pour venir discuter ? »Le paysan, plus grand, profita de cet avantage pour bousculer son adversaire de quelques gauches bien senties à la tête, occasionnant une légère coupure à la pommette. De son côté, le Thorkin, plus mobile, essaya de terrasser l’homme en plaçant un uppercut droit qui fut immédiatement tenaillé dans une pogne puissante. L’étau se resserrant, Brokkr comprit qu’il était à la merci de son tortionnaire s’il restait dans cette position.
(Meno donne-moi ta force)
Le forgeron prit alors appui sur le bovin à terre et sauta, tête plongeante vers la maxillaire ennemie. Le choc, et la perte des dents qui s’en suivirent, déstabilisa quelque peu le géant et la pression se relâcha. Le forgeron poursuivit l’offensive et les deux combattants se donnaient coup pour coup.
Au milieu de la mêlée, des cliquetis d’armure et d’armes se firent entendre et se rapprochèrent rapidement. La milice s’était frayée un chemin au travers d’une foule grandissante pour séparer les deux acteurs.
Il ne fallut pas moins de 3 gardes pour arrêter le rural, et pour certains ce ne fut pas sans maux. Quant au barbu, il se calma plus rapidement, ne souhaitant pas provoquer la milice.
« Messieurs, je vous arrête pour voie de fait et perturbation de l’ordre public. Suivez-moi ! »Flanqués de deux gardes et menottés de deux bandes d'acier courbées, les deux boxeurs remontèrent, sans être ménagés, la Grande rue pour être conduits et entendus dans le bâtiment de la milice.
(Par le grand forgeron, voilà une entrée fracassante ! Quel idiot de nain que je fais !)