Un campement, ou quelque chose qui avait pour but d'y ressembler au moins. Les efforts que faisaient cette troupe de malandrins pour avoir l'air de simples marchands étaient parfaitement ridicules. Les biens qu'ils avaient sans aucun doute subtilisés à de vrais commerçants étaient à la vue de tous, les six hommes présents portaient tous une armure de cuir et gardaient leur arme en main ou à portée, affichant tous, une mine patibulaire. Mais qui espéraient-ils tromper ? N'importe qui d'un tant soit peu observateur pouvait se rendre compte de la supercherie. C'était affligeant, je me demandais comment des types comme ça avaient pu rester en liberté plus d'une journée, sans être inquiétés, probablement leurs aptitudes de combattant. L'heure était venue. Rimak nous fit un signe de la main et s'avança vers les « marchands », d'un pas assuré. Nous étions trois, ils étaient cinq, n'importe qui aurait pu penser que l'affaire était loin d'être dans le sac, pourtant , j'avais foi en nos chances. A ce moment précis, j'avais l'impression que quelqu'un me surveillait, veillait sur moi. Un être invisible qui pouvait me protéger, me sauver la mise à tout moment. Ce n'était pas la première fois, non, j'avais déjà eu cette sensation quelques jours auparavant, lorsque durant mon voyage vers Kendra-Kâr, j'ai croisé une troupe gobeline. J'ai pu la voir à temps, grâce à...une sorte de luciole. Petite lumière volante qui, en m'asticotant légèrement m'avait permis de voir le groupe de peaux vertes. Je haïssais les gobelins, tout comme les orcs, vils laquais d'Oaxaca au cœur aussi noir qu'une nuit sans lune, mais il fallait que je me concentrasse, car mes ennemis du moment avaient bel et bien la peau blanche, pourtant, ils étaient tout aussi détestables.
« Rendez vous, ou mourez ! »
Sans même que j'eusse le temps de me préparer, Rimak avait sorti ces quelques mots, simples, efficaces et sans surprise, les brigands se levèrent d'un même mouvement, prêts à en découdre et, une chose étrange de produisit. La luciole, elle était revenue ! Mais quelle était donc cette bestiole qui me suivait partout ?! J'essayais tant bien que mal de la chasser, mais elle agissait bizarrement, comme si elle essayait de me montrer quelque chose et pas manqué. Dans un arbre, proche du camp, se tenait un archer, l'arc bandé. Sans cette luciole, nous aurions tous été morts. Ni une ni deux, je ramassai le premier caillou que j'ai trouvé et en criant « Attention » le lançai de toutes mes forces en direction de l'archer. Bien évidemment, je vise aussi bien qu'un borgne ivre en pleine nuit, mais l'archer se savait repéré. Déstabilisé, son tir ne fut pas précis et au lieu d'atteindre mon coeur ou ma tête, son trait traça une belle ligne rouge sur ma cuisse droite. Ma première blessure, douloureuse, plus que ce que je croyais. Ramenée à la dure réalité des choses, je ne savais plus trop comment agir. C'est Alok qui, d'un geste rapide et précis, planta un couteau dans la gorge du tireur, qui tomba au sol, dans un bruit de craquement écœurant, mort.
Et l'insecte luisant était toujours là. Étrange petite créature qui, pour la deuxième fois, venait de me sauver la vie. Elle voletait, dansait autour de moi, comme si..comme si elle était heureuse que je fusse encore en vie. Alors que l'action commençait, que mes deux compagnons se battaient courageusement, moi, j'étais obnubilée par la petite chose. Je la regardais tourner autour de mon arme, autour de mes mains, jusqu'à ce qu'elle décidât à partir. La suivant du regard, j'aperçus un des voleurs s'approcher de moi, épée en main, un sourire sadique habillant son immonde visage couvert de cicatrices. Les cheveux courts et blonds comme les blés, son nez avait de quoi faire fuir un traqueur obscur. Sa bouche, déformée par les multiples coups que l'homme avait dû recevoir ne relevait pas vraiment le niveau. Et ses yeux, que dire de ses yeux, dans lesquels luisait la perversion. Je n'osais pas imaginer ce qu'il avait prévu de faire avec moi. La luciole voulait que je me battisse, que je retrouvasse le courage qui m'habitait avant d'être blessée. Naginata en main, je faisais face à mon ennemi. Ragaillardie, j'étais prête et heureusement. Cet idiot fonça sur moi et je n'eus qu'à baisser ma lance pour le stopper. Mon allonge était bien plus grande, j'avais clairement l'avantage des armes, mais quand était-il de la maitrise. Était-il vraiment stupide ou essayait-il simplement de me provoquer, de tester ma détermination. Peu m'importait, je devais gagner. Ne serait-ce que pour pouvoir prouver ma valeur aux deux hommes qui m'avaient fait confiance.
Mon adversaire et moi nous jaugions du regard, chacun attendant le moment propice pour passer à l'attaque, et il fut le premier à agir, de la même manière, fonçant droit sur moi. Comme la fois précédente, je baissai juste ma naginata et..il l'esquiva en se décalant au dernier moment, continuant sa course folle. Je n'ai eu que le temps de relever le manche de mon arme, pour parer sa lame. Le coup était d'une puissance terrible, les vibrations du choc se propagèrent dans tout mon corps. Douloureuse sensation. Il ne s'arrêta pas et continua à frapper, de toutes ses forces, à plusieurs reprises. Chaque attaque parée ne faisait qu'augmenter la souffrance, l'angoisse. Allais-je y arriver ? Je commençais à en douter de plus en plus, à fortiori quand un des assauts passa à travers ma garde, ouvrant une plaie sanguinolente sur le côté de mon abdomen. Mon armure était peut-être élégante, mais elle ne me protégeait pas complètement et c'est pas la vive douleur sillonnant mon ventre qui allait prouver le contraire. Mon adversaire était hilare, euphorique même. Il prenait sans aucun doute un malin plaisir à me voir souffrir. J'étais là, devant lui, un genou à terre, totalement à sa merci et il savourait le moment. La blessure était profonde, et me lever était bien difficile. J'attendais le coup fatal, mais rien ne vint. Levant la tête, je pus voir l'homme se débattre essayant de chasser la luciole. Béni fût Yuimen d'avoir mis ce petit être sur mon chemin. Sa simple vision me redonna la force. Je m'apitoyais sur mon sort, pestais contre ma faiblesse et pendant ce temps, une luciole me protégeait. Quelle piètre guerrière je faisais. Était-ce comme ça que je comptais faire honneur à mon père, certainement pas. Grimaçant, je me relevais non sans mal, m'appuyant sur mon arme et presque aussitôt, l'insecte brillant revint vers moi.
C'était donc à mon tour d'attaquer, à mon tour de prendre l'avantage. Je m'étais entrainée pendant des années, tous les soirs, pendant des heures, ce n'était certainement pas pour mourir misérablement contre un brigand de bas-étage, dont la manière de combattre était à peu près aussi élégante que la chose lui servant de visage. Il fallait oublier la douleur, la surpasser et surtout me rappeler. Tous les enchainements que mon père avait appris à mes frères, que j'avais observés silencieusement, admirativement. Tous les conseils qu'il leur avait prodigués et que j'avais écoutés, attentivement, patiemment. Il était enfin temps de mettre tout ça en pratique. Rapidement, je levai mon arme au dessus de ma tête, et la fit descendre avec le plus de force possible, comme pour planter la longue lame dans le crâne de mon opposant. Comme je m'en était doutée, il recula et ma lame se planta dans le sol. J'en ai alors profité pour prendre une impulsion, et envoyer mon pied dans la figure du voleur, écrasant le groin lui servant de nez. Le sang coula et la colère monta. Son regard ne laissait plus transparaitre quelques idées perverses, mais bel et bien une furieuse envie de me voir morte. Je n'allais pas lui faire ce plaisir, non. Je poursuivais mes assauts, maladroits et pas toujours précis, mais c'était à son tour de parer continuellement, sans une seconde de répit. Ce n'était sans doute pas très malin de ma part car la fatigue commençait à se faire sentir, mais je ne voyais, pour le moment, pas d'autre manière de procéder. Il fallait que je le poussasse à bout, qu'il fût aveuglé par la colère pour qu'une erreur fût commise. Trop confiante ? Probablement, car son épée trancha de nouveau dans le vif, m'infligeant de nouveau une vague de douleur. Cependant, la plaie était plutôt superficielle cette fois. L'instant parfait, ma chance de l'avoir pour de bon. De toute mes forces, je maniais ma naginata. Un mouvement trop précipité, pas vraiment précis, mais pour un bien meilleur résultat. Alors que je visais le torse de l'homme, j'atteignis son avant bras droit, le tranchant net. Mon adversaire hurla de douleur, un cri abominable qui me donna des frissons. C'était la première fois que j'infligeais autant de souffrances à quelqu'un, la première fois que de tels sons vinssent frapper mes tympans. Serrant fort le moignon saignant abondamment, il me fixa, ses yeux étaient révulsés, une image des plus terrifiantes. Bien qu'affaibli et sans arme, il fonça sur moi en hurlant. Je ne m'y étais pas préparée et, instinctivement, je reculais, complètement effrayée par ce condensé de colère sur patte. Je trébuchai, mon postérieur heurta violemment une pierre se trouvant au mauvais endroit et le chance tourna immédiatement. Sans que je n'eusse le temps de faire le moindre geste, l'homme s'empala sur mon arme.
Il était mort, et j'étais là, allongé sous un corps inerte, du sang coulant sur moi. Je n'arrivais plus à bouger, j'étais comme paralysée. J'avais combattu et...Donné la mort. Je ne ressentais pas la joie à laquelle j'aspirais après ce combat, non, j'étais effrayée, dégoûtée et je fixais le cadavre encore chaud. De leur côté, Alok et Rimak s'en étaient sortis sans aucune blessure grave et ils étaient exactement comme avant. Comment pouvaient-ils ? Ils supportaient sans broncher le fait d'avoir tué cinq hommes alors que moi, un seul, et je me sentais abominablement mal. Avaient-ils ressenti la même chose la première fois ? C'est alors que la luciole refit son apparition, volant près de mon visage, caressant ma joue. Un contact rassurant. Oui, j'avais l'impression que cette petite chose ressentait mon malaise et qu'elle voulait à tout prix que j'allasse mieux. Elle se posa sur mon épaule et Rimak retira le corps de mon arme. Il me tendit la main pour m'aider à me relever.
» C'est dur la première fois hein ?! Moi, à la fin de mon premier combat, j'ai vomi tripes et boyaux. Toi, tu tiens plutôt bien le coup. »
J'avais vraiment l'air de tenir le coup ? Oui, je me sentais un peu mieux, c'était vrai, mais uniquement grâce au petit insecte sur mon épaule. Je voulais en apprendre plus sur la luciole, mais je ne voulais pas en parler aux deux hommes. Je devais attendre d'être seule. Peut-être comprenait-elle notre langue. Mais je n'eus pas le temps d'y penser plus longtemps. Rimak me souleva délicatement du sol et me porta jusqu'à l'une des charrettes à proximité. Une couche y était déjà installée.
» Il faut qu'on s'occupe de ces vilaines blessures, reste calme . »
Je ne répondis pas, épuisée, choquée, je sombrai vite dans l'inconscience.
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Dernière édition par Milyah le Jeu 3 Mar 2011 09:12, édité 1 fois.
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