J’arrive à l’auberge avec une soif terrible et la désagréable sensation de nager dans ma sueur. C’est que ce que l’on appelle une armure légère pèse son poids. J’atteins avec soulagement l’ombre de l’entrée, fait une rapide pause au comptoir, demande simplement de l’eau, puis monte dans ma chambre après m’être désaltérée.
Une fois la porte refermée, je pose mes, enfin, je crois que ce sont les miens, achats sur le lit. L’armure est assez fine, et devrait pouvoir se porter sous des vêtements amples. Pas de quoi la cacher, mais au moins gagner un peu d’élégance. Quant à sa qualité… Elle me semble correcte, mais je n’ai aucune idée de ce qu’il faut regarder. Me détournant de l’amas de cuir encombrant mon lit, je me déshabille rapidement, fouille un moment mon sac et en sort une tenue de rechange. J’hésite un instant, puis j’enfile mon nouveau pourpoint et mes jambières. Le tout est assez confortable, lourd certes, mais se porte mieux que je ne le pensais. Le cuir entrave mes mouvements, donnant une sensation étrange à la marche, mais je suppose qu’on s’y habitue. Et j’espère que cette protection en vaut la peine, esquiver en la portant n’étant probablement pas des plus aisé. Et, surtout, j’espère qu’elle vaut son prix.
Après une dernière pensée pour mes économies, je trouve une tunique, la passe par-dessus la fine protection de cuir, et redescends dans la salle. M’installant à une table, j’observe la salle, attendant le retour de Sadia.
Celle-ci me rejoint une demi-heure plus tard, cette fois sans arme ni armure milicienne. Dans son habituel silence, elle inspecte rapidement mon pourpoint, le réajuste, resserre une lanière. Puis, d’un mouvement fluide, presque délicat, elle me saisit à plein bras et me fait voler trois mètres plus loin. Au même instant, comme attendant ce signal, un brouhaha assourdissant se déclenche, et je ne peux voir en me relevant qu’une mêlée générale.
À quelques pas devant moi, Sadia est aux prises avec un homme des dunes ; sur ma gauche, un nain semble danser sur une table, tout en assommant son voisin ; à ma droite, un compliqué entremêla de jambes et de bras semble vouloir se relever ; en fait, seuls quelques parieurs, que j’aperçois par intermittente, au fond de la salle, semblent hors de la mêlée, continuant leurs activités favorites ; hors de ce havre de paix relatif, les chopes volent, les coups pleuvent. Les serveuses se sont éclipsées, mais Talic, derrière son comptoir, continue de fournir calmement des chopes de bières à ces clients. Un soupir s’échappe de mes lèvres. J’ignore comment elle a pu faire ça, et pourquoi, mais mon amie a visiblement déclenché cette véritable bataille pour moi.
Un violent choc, dans le dos, arrête mes réflexions. Juste avant que la peur et la colère mélangées ne se propagent dans tout mon corps, j’ai le temps d’apprécier ma nouvelle armure, qui atténue tout de même bien les coups. Je tombe à terre, amortissant le choc de mes bras.
Inspirer, expirer. Rester à terre est un risque, ne pas réfléchir en est un autre. Se relever, rapidement, se mettre à l’abri d’une table. Regarder rapidement autour de soi. Mon agresseur est probablement cet homme, d’une trentaine d’année, maintenant aux prises avec le nain dansant. Pas de menace directe à proximité. Du moins, autant que possible dans une telle situation. Je me relève, contourne la table, me saisis d’une chaise et la lance dans la direction des deux combattant. Le nain s’écarte, recevant au passage un sévère coup de poing à la tempe, mais mon agresseur reçoit le projectile de plein fouet. Déstabilisé, il met un genou à terre ; je reste à deux pas de lui, et l’observe. Il a des cheveux plutôt longs, pour un homme, attachés ; ses habits sont quelconques, probablement un ouvrier du coin. Clairement plus fort que moi, mais également plus imbibé d’alcool. Son visage est tanné par le soleil, et il fait une bonne tête de plus que moi, ce qui fait ressurgir une certaine anxiété lorsqu’il se relève.
Je sais ce que Sadia ferait… Mais lui, cet étranger ? Défendre sans anticiper est vain, attaquer sans prévoir également. Je déglutis difficilement. Avant de pouvoir prendre une décision, je vois son poing jaillir. Mon armure me ralentis, je n’ai pas le temps de dévier son bras. Un élancement, au niveau des côtes, à droite. Encore une fois, mon pourpoint réduit le choc, mais la douleur reste déstabilisante. Et cette douleur amène avec elle la peur. Ne pas se crisper, ne pas craindre les coups… Inspirer… Expirer en frappant. Mon poing gauche part, semblant surprendre mon adversaire. Un coup, assez faible, au plexus. Suffisant cependant pour lui faire faire un pas en arrière. Ce n’est visiblement pas un combattant aguerri… Fort, mais sans technique, craignant autant que moi la douleur. Je dois pouvoir en profiter… À condition de supporter quelques coups supplémentaires.
Le premier me surprend, un direct du droit, m’atteignant à l’épaule. Une brusque douleur, sournoise, handicapante. Puis l’homme tenta de m’atteindre à la tête. Trop lent. Tout en me courbant, je lui assène un sévère coup au coude, lui tirant une exclamation de douleur. Une nouvelle fois, il recule. Mais cette fois, avant qu’il ne reprenne ses esprits, je m’avance, et détend ma jambe droite, l’atteignant un peu en dessous du genou gauche. Il est sur le point de tomber, quand la table à ma gauche semble s’envoler, pour retomber avec fracas sur mon malheureux adversaire. Un pied m’atteint au niveau du ventre, et je me retrouve au sol, dans un corps rempli de douleur.
Je sens deux mains qui me saisissent, et m’envoient voler un peu plus loin. J’atterris brutalement, perdant la notion de bas et haut. Derrière moi, la sensation du bois. Je m’aide de mes mains et me remets debout. Je suis au comptoir, relatif havre de paix. Une pensée traverse mon esprit : le plus sage serait de profiter de ce répit pour me replier dans ma chambre. Mais une sorte d’ardeur, de désir de violence s’est logée au niveau de mon ventre, et remonte doucement pour m’envahir.
« Talic ! Une bière. Dans une chope solide. »
Ma commande arrive bientôt, et je reste un moment là, avalant à petite gorgée le liquide, empestant l’alcool auquel je ne me suis toujours pas habituée, et contemplant la salle. La situation est toujours chaotique. On peut voir émerger des zones, des duels, des semblants d’alliances brisées au bout de quelques coups ; la population présente est plutôt bien répartie, beaucoup d’hommes mais également quelques nains, un hobbit, et peut-être un semi-elfe là-bas, près de la fenêtre ; plus d’hommes, certes, mais Sadia et moi ne sommes pas les seules représentantes du beau sexe.
Ma chope est vide. Je laisse sur le comptoir quelques pièces, et cherche des yeux une cible. Mon regard s’arrête sur un jeune homme, aux cheveux courts et noirs, surplombant un visage ovale et impeccablement rasé, le nez légèrement busqué, plutôt grand, bien que ce soit difficile à évaluer : il est en train de rouer de coup son opposant, et ne reste pas sur le même pied plus d’une seconde. Ses muscles sont bien dessinés, sa peau est pâle, chose assez rare par ici, où l’on croise plus souvent des paysans tannés par le soleil.
Après un dernier uppercut, son adversaire reste à terre, et il se redresse, jette un coup d’oeil autour de lui. Nos regards se croisent ; un sourire éclaire fugitivement son visage. L'excitation du défi s'allume en moi. Je me redresse, m’étire rapidement, puis détend mon bras droit, et lui lance ma chope, visant la tête. Il l’évite sans difficulté, d’un pas sur le coté, puis se remet en garde, attendant patiemment que je parcoure les quelques mètres qui nous séparent.
Il semble sûr de lui, et de ce que j’ai vu de lui il est effectivement plus expérimenté que moi, mais il a également reçu plus de coup, et il ne dispose d’aucune protection. Il ouvre l’échange, d’un coup trop simple, trop lent. Je l’évite d’un pas en arrière. Curieux… Me sous-estimes-t-il à ce point, ou est-il assez doué pour contrer toutes répliques ? Il recommence, une fois, deux fois, et à chaque fois, je me contente de reculer, n’osant me saisir de l’occasion qu’il me propose. Finalement, je tente de reprendre l’initiative, visant directement la tête, tentant de le contourner. Une brusque douleur, au ventre, me fait comprendre mon erreur. Sa tête s’est dérobée bien avant que mon poing ne l’atteigne, et son coude m’a cueilli dans mon m’élan.
Le souffle court, je recule, regrettant amèrement mon choix d’opposant. J’ai à peine eut le temps de le voir bouger, et je n’ai aucune chance de réagir à temps pour éviter ses contres. Mais il ne me laissera pas partir pour autant. Pendant presque dix minutes, je tente de m’éloigner, parant ses coups devenus de plus en plus agressifs, n’attaquant que pour l’obliger à faire un pas en arrière, sans espoir de le toucher. Et, régulièrement, ses poings passe ma garde, ajoutant un point douloureux à mon corps meurtri. Finalement, il m’assène une série de coup, m'atteignant à l'aine, au bras et à la tête, m’assomant à moitié, puis me repousse d’un violent coup de pied. Je me sens tomber, j’entends le choc de ma tête contre le sol, puis un voile noir me sépare du monde, ne laissant passer que quelques images, quelques sons épars.
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Angèlique, Repentie. [lvl 8]
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