Arrivé à l’écurie, Therion confia son cheval à un des palefreniers en même temps que l’elfe laissait le sien. Sacrifier cette réserve de viande ne le gênait guère, et il se disait qu’il trouverait bien de quoi chasser dans ce monde étranger.
(Le Père donne toujours à manger à ses Enfants les plus méritants… Et s’il n’y a pas de gibier il y a toujours ces humains, et peut-être d’autres races aussi comestibles… Les garzoks et les sektegs ne sont pas ce qu’il y a de meilleur, mais s’il faut les tuer et qu’il n’y a rien d’autre à se mettre sous la dent…)
Ne comprenant goutte au verbiage qu’entretenait Lothindil avec les humains, le liykor noir observa autour de lui les bâtiments, les murs, flaira l’air ambiant. Tout sentait la ville, la construction, l’établissement humain, chose qui l’agaçait profondément : à quoi bon changer de monde, se demandait-il, si c’est pour trouver les mêmes choses, les mêmes cités, les mêmes organisations. Quoi de nouveau sur ce sol qu’il foule ? Des humains qui ont des problèmes avec les Garzoks d’Oaxaca, et vice-versa. La guerre, avec des gens parés de luxueux atours dans des grandes salles…
(Comment un homme peut-il parler de faire la guerre avec des fripes qui valent de l’or sur le dos quand elles ne pourraient même pas dévier un coup d’épée ? … Quelle valeur à la parole de l’homme qui n’a pas quelques crânes d’ennemis pendus à sa ceinture pour rappeler qu’il sait se servir d’une lame ? … L’elfe ne fait pas peur au premier abord, mais elle a montré qu’elle savait se battre, voilà pourquoi je la suis… Elle parle ma langue, elle est peut-être une envoyée du Père et de la Mère – j’attends un signe, mais je peux la suivre encore, elle a promis des territoires de chasse – elle fait autre chose que parler aussi… Elle a frappé le faisan là haut alors qu’il y avait des gardes partout, et elle n’est pas morte… Un liykor peut suivre une elfe qui se comporte ainsi… Si elle se rendait à un rassemblement, si elle battait un à un les mâles les plus puissants, elle aurait une meute avec elle… Mais le faisan, là haut, aurait-il seulement osé ? … Les garzoks, parfois, me font penser à des meutes de chiens errants… Il y en a eu parfois, qui se sont aventurées dans les marais, dans la montagne… Pas des loups, pas des liykors non plus, des chiens… Comme les chiens de chasse, mais sauvages, moins dangereux, moins maîtrisés… Ces humains n’arriveront à rien s’ils ne deviennent pas plus puissants que leurs adversaires… Ou plus rusés, plus dangereux… Enfin nous verrons… Peut-être y a-t-il des peuples sur ces terres qui peuvent comprendre comment pense un liykor, qui ont dans le cœur encore un peu de la force du Père, dans leur tripe les soins passés de la Mère, la puissance qu’ils nous ont donné pour être les plus grands chasseurs, les prédateurs craints de tout ce qui vit et meurt…)
Pris d’une soudaine envie de manifester sa volonté de repartir en chasse, d’attirer sur lui l’attention du Père, afin qu’il soit témoin de ses exploits futurs et lui accorde ses faveurs en récompense de ceux-ci, Therion marqua un arrêt dans la rue, gonfla ses poumons et lança un long hurlement de défi à la création toute entière.
Il lança sur ce monde étranger un regard qui semblait par avance en chasser les proies, et dit ces mots grandioses « A nous deux maintenant ».
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La faim chasse le loup du bois...
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