Douche et rapport de missionLe temps était au beau fixe lorsque le nain et le lutin, toujours assis sur l’épaule du premier, sortirent de la champigneraie. Les derniers restes de la tempête avaient été balayés bien loin par les vents et il ne subsistait malheureusement que les cicatrices de la cité. Partout dans les rues, des échafaudages étaient élevés tel d’immenses squelettes de bois et de fer parcouru par de nombreux artisans.
La petite boutique de son père avait aussi souffert de la tempête. Mais une cheminée tombée et des infiltrations d’eau dans le grenier n’étaient pas un grand mal comparé à certains bâtiments qui s’étaient partiellement écroulés.
La soirée de la veille avait donc été copieusement arrosée dans la famille de Svengar pour accueillir Izakimak, le lutin sauvé des griffes d’un jeune nécromancien. Elle avait finit tard car les histoires avaient été nombreuses à ressurgir dans la mémoire du père de Svengar, Sven, nombreuses et embellies.
Il raconta en particulier ses explorations dans les forêts près de Cuilnen et aussi dans les forêts marécageuses au nord. Cela bien évidemment parce que Svengar avait annoncé lors du repas qu’il partait en compagnie d’Izakimak pour un bon mois en forêt, histoire de rouler un peu sa bosse.
Les conversations avaient tourné également autour de ce que Svengar avait ramené comme récompense pour la réussite de sa mission en tant que milicien. Toute sa famille était très fière de lui et cela le rendait heureux.
Le nain marchait d’un pas décidé en direction de la boutique de Lilo avec, cependant, un vieil air rembruni de qui allait faire quelque chose de très déplaisant. Izakimak, qui avait bien perçu la mine renfrognée du nain, entama la conversation très simplement pour détendre un peu l’atmosphère électrique qui régnait depuis le petit déjeuner.
« Ils sont sympas tes parents, très accueillant et tout ! Et ta frangine, marrante aussi, même si un peu chiante sur les bords. Je ne m’attendais pas à ça pour une famille de… »« De nain ? Hin ? Quand on connaît pas…hè, ça me fait penser à ce qu’avait dit Lilo, ne jamais juger sans savoir ou, pire, par préconçu. Cela s’applique super bien en fait. »
« Je n’en reviens toujours pas que le Capitaine m’ait fichu la paix hier après-midi. Je m’attendais à une sérieuse remontrance et puis nan. J’ai fait preuve d’audace et de sang froid paraît-il. Tsssaah ! J’ai eu du bol oui. »« Oué, et puis il a été sympa de te donner ces fioles. Surtout les fioles de liquides auto nettoyants personnel. Il a de l’humour en fait ton Capitaine. »« Mouais, on peut dire ça. Je ne me suis quand même pas attardé pour savoir s’il en avait d’autres de ce genre là. »Ils avancèrent tous deux dans les rues de Kendra Kâr qui commençaient à se réveiller au son des chariots, des sabots et du brouhaha qui enflait petit à petit.
« Euhhhm, au fait on va où? » Fit le lutin, dubitatif en constatant que Svengar n’avait pas pris la direction de la grande porte.
« Baaaaah, je vais à la boutique de Lilo. J’ai…quelque chose…à y faire. » Svengar avait appuyé la prononciation de ‘quelque chose’ comme si cela était d’une importance crucial et, pire, d’une difficulté extrême.
« Ah oui, ta fameuse histoire d’embrassade. Faut dire que jurer par Valyus d’embrasser Lilo si tu te sortais vivant des égouts, c’était gratiné comme idée. HI HI J’imagine dé… »« Oui oh hin c’est bon, ça va ! Grmblbl dgrmblbl. »Le lutin continuait quand même de rire à gorge déployée sur l’épaule du nain et celui-ci de grommeler dans sa barbe naissante. L’étrange duo attirait les regards des passants à la figure bien souvent morose de qui s’est levé trop tôt alors que le lutin se tapait les mains sur les cuisses et roulait presque sur le dos, à la limite de basculer.
« Moi je te conseillerais de t’armer avant d’aller faire…’ce que tu as à faire’. »Izakimak avait utilisé le même ton pour finir sa phrase que celui employé par Svengar pour signifier son ‘quelque chose à faire’. Il mimait le visage stéréotypé du comploteur, les yeux plissés, la bouche pincée et les traits tendus mais en se retenant difficilement de pouffer de rire.
Le nain releva la tête comme si une idée lumineuse venait de germer. Les yeux grands ouverts, un sourire jusque derrière les oreilles et la main droite levée, l’index pointant le ciel.
« M’armer ?! Mais c’est une très bonne idée ça ! La forge d’Argaïe est juste là, allons-y ! »Et, avant que le lutin ait pu émettre une protestation, le nain changea son cap et se dirigea vers la grande bâtisse aux multiples cheminées toujours en activités. C’était un grand bâtiment de pierres épaisses et d’énormes poutres de bois. Ses deux premiers étages massifs contenaient plusieurs ateliers où étaient manufacturées les pièces complexes des armes et armures vendues ici. Le dernier étage contenait les chambres des apprentis qui y travaillaient.
Au rez-de-chaussée se trouvaient les forges proprement dites et dans les caves étaient installées les fonderies qui crachaient, par les hautes cheminées de briques rouges, une épaisse fumée noire. Une partie du premier étage ne reposait que sur d’imposants piliers de pierres et, sous l’espace ouvert que cela formait se trouvaient plusieurs foyers rougeoyants ainsi que de nombreuses enclumes disposées autour. Des outils de toutes sortes étaient accrochés en hauteur et des baquets d’eau étaient disposés non loin des enclumes.
Quatre forgerons œuvraient déjà, chacun avec un apprenti à deux pas de la, le regard rivé sur la pièce de métal porté au rouge et opinant sans cesse du chef lorsque leur maitre disait quelque chose.
De jeunes adolescents, encore trop pubère pour devenir apprentis, gravitaient autour de chaque ilot de forge. Certains maniaient le gros soufflet afin de maintenir une température constante dans le foyer. D’autres courraient en tous sens pour remplacer l’eau devenue tiède des baquets ou rapportaient du bois et du charbon. Parfois l’un galopait avec un marteau fraichement réparé mais le plus souvent ils s’occupaient de rentrer les matériaux livrés à toutes heures de la journée et des commandes spéciales.
Des fenêtres ouvertes des étages l’on percevait déjà le bruit clinquant des petits marteaux de précisions, des burins, pinces et autres poinçons utilisés par les artisans pour manufacturer les pièces complexes. Cela produisait un cliquetis tintant qui recouvrait parfois le brouhaha de la foule et le bruit des chariots.
De nombreuses personnes allaient et venaient dans ce grand édifice, partout où l’on posait le regard, une personne s’activait de sorte qu’une fourmilière représentait assez bien l’activité qui régnait ici. La forge d’Argaïe méritait bien sa réputation de plus grande forge de Kendra Kâr, quasiment un temple du métal, une confrérie de l’Acier.
Svengar se dirigea, non pas vers les forges, mais vers la salle de vente. Ou plutôt vers les salles de vente, car il y en avait une pour les armures, une pour les armes et une autre pour les objets usuels de la vie quotidienne. Il entra dans la salle des armures.
<Vers la grande forge d'Argaïe>