Sitôt que j’eus passé commande, le mage raté alla farfouiller dans ses réserves pour dénicher ce que je lui avais demandé. Il alla pour ça dans son arrière boutique, qui jouxtait la salle où je me trouvais via une petite arche de pierre, juste derrière le comptoir. Alors qu’il y disparaissait, mon regard se perdit dans l’exploration visuelle de cet endroit étrange, aux essences et à l’aura mystérieuses et inhabituelles. J’avais déjà été confrontée à la magie bien plus d’une fois, dans mon existence, mais jamais à une telle concentration de pouvoir en un endroit si réduit et confiné. Les appartements de la directrice du Cirque Flamboyant étaient eux aussi teintés de magie incandescente, mais pas de la même manière. Alors que chez ma tutrice, tout semblait être à la bonne place, fermement classé et idéalement rangé dans le classement le plus logique qui soit, effet sans doute dû à la mono-élémentarité de ses fluides intérieurs, ici, tout semblait chaotiquement placé. Les éléments contraires étaient positionnés les uns à côté des autres, accompagnés d’objets de pouvoir, aux nébuleuses irradiations magiques, dans un ensemble totalement discordant qui me tourna un peu la tête, malgré le peu d’empathie que je possédais encore avec le monde mystique de la magie…
Alors que je me perdais dans la contemplation d’un flacon contenant des yeux animaux de tailles diverses, mais tellement semblables qu’ils paraissaient appartenir à la même espèce, une femme entra dans la boutique. Ses robes étaient rouge sang et blanc cassé, et le revers de sa capeline était brodé de fils d’or. Une riche enchanteresse, très certainement, comme l’indiquait sans doute l’arme magnifique qui pendait à son flanc, épée fine à garde dorée incrustée de topaze claire. Son regard vert ne se posa qu’un instant sur moi, surprise de voir une redondance si permanente de la couleur rouge en mon être, mais elle se détourna rapidement sans plus me prêter la moindre attention, car le marchand revenait de ses fouilles, un petit paquet à la main.
L’enchanteresse lui adressa la parole, le questionnant sur la différence de potentiel entre une baguette d’orme et une autre de cèdre, et la raison de leur prix respectif. Je jetai un petit soupir de frustration, de voir cette inconnue passer avant moi alors qu’elle avait clairement remarqué ma présence. Mais ce ne fut pas tout : le marchand, voyant une cliente sans doute plus prévenante que moi, s’étala dans une longue explication théorique prônant la subtile différence de catalyseur fluidique du bois d’orme comparé à celui du cèdre, qui avait tendance à avoir quelques ratés. Je levai les yeux au ciel, dans un premier temps, lasse de cette discussion qui s’entamait, et poussai un nouveau soupir en fronçant les sourcils lorsque le discours du mage raté dévia sur le coût de chacune de ses baguette. Je n’avais pas de temps à perdre, si je voulais mettre mon plan à exécution avant la représentation de ce soir… Et ces deux individus me retardaient. Si bien que bientôt, je m’accoudai sur le comptoir en tapotant des ongles sur celui-ci pour montrer ostensiblement mon impatience certaine.
Alors que la dame hésitait entre les deux baguettes, le marchand revint vers moi avec un regard satisfait. Un peu trop satisfait pour qu’il ait été honnête. Je le foudroyai des yeux, et saisis sans plus attendre le petit sac précieux qu’il venait d’ouvrir et de refermer pour me montrer l’efficience de son contenu, afin de m’en annoncer le prix coutant.
Le dardant du regard, je décrochai la bourse de ma ceinture, et la dévidai sur le comptoir, faisant tomber les piécettes dans un joli tintement, qui étala mon argent sur toute la largeur de l’établi, et au-delà… Le vieil homme devrait se baisser pour ramasser son dû. C’était le prix à payer pour m’avoir intentionnellement retardée. Sans plus attendre, sans plus un mot, ni un regard pour l’enchanteresse, je quittai les lieux avec mon bien, laissant le mage râler et poster devant ma menue monnaie…
_________________ Alessia, mage flamboyante
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