Le Temple était majestueux. Itsvara resta un instant devant les grandes portes, observant le travail indéniable des sculpteurs en ayant eu la charge. Ces deux grands panneaux de bois, recouverts de cuivre et d’or, racontaient en images la légende des deux grandes divinités offrant ainsi aux illettrés l’occasion de s’émerveiller devant leur puissance et leur bonté.
Quiconque regardait avec attention ces portes recevait un enseignement religieux amenant, inévitablement, à la ferveur ou, au moins, au respect.
Itsvara s’inclina pieusement et s’engouffra dans le temple. L’intérieur n’avait rien à envier à la façade de pierre blanche, joyaux au milieu de la fange tulorienne. Un puits de lumière, rendant grâce au don de Gaïa, illuminait le centre de la pièce principale, le pourtour étant éclairé par une multitude de chandelles, rendant à la salle un aspect scintillant et reposant.
La sindel s’agenouilla face à un autel et soupira de soulagement, comme si elle pouvait expirer toutes ses craintes, tous ses doutes. Un souffle salvateur.
(Merci. J’en avais besoin, en effet.)(Je t’en prie. Prends le temps de te ressourcer, de te concentrer. J’aimerais te faire pratiquer un petit exercice.)(De ?)(Ne te préoccupe pas ainsi. Laisse-toi être emplie par la force de ta foi, je ne te perturberai pas.)Itsvara, toujours agenouillée, fixait son attention sur une flamme légèrement vacillante placée devant elle. Sa base bleutée, son corps orangé, son mince filet s’étirant vers le ciel et s’achevant sur une fumée noire aux reflets bleus, son halo déformant imperceptiblement son environnement ; tout concourait à former cette flamme, si simple et, en même temps, si complexe. Apaisante et terrifiante, chaleureuse et dangereuse.
Peu à peu, les pensées d’Itsvara, habituellement comparables à une tornade de feu, se calmaient et prenaient exemple sur la petite flamme douce et réconfortante lui faisant face. Son esprit se faisait calme mais vivant, droit mais sensible à la moindre action extérieure, comme lorsqu’Itsvara passa lentement sa main devant la chandelle : la flamme se courba, se détourna pour reprendre ensuite sa position initiale, imperturbable sans être pour autant indifférente.
(Tu viens de comprendre quelque chose d’important, Itsvara. Tu peux, tu dois même, te poser de nombreuses questions, tu te dois également de garder ton esprit vif… mais tu ne dois pas te faire dévorer par tes propres pensées. Ton intellect devrait prendre exemple sur cette simple flamme. Capable de grandes choses, sans être pour autant incontrôlable et incontrôlée. Réactif sans pour autant s’agiter inutilement. Cette petite flamme est tout autant capable de brûler qu’un feu violent le ferait… mais on ne méfie moins d’une flammèche que d’un ouragan de feu.)(Je comprends. Je peux affronter le monde sans craindre d’être étouffée par mes pensées. Et cet état d’esprit est bien plus supportable que celui de l’angoisse perpétuelle de ne pouvoir comprendre le monde qui m’entoure.
Que vouliez-vous me faire faire ?)(Manier tes fluides.)(Ma magie ? Mais je n’ai personne à soigner.)(Manier tes fluides ne veut pas forcément dire lancer un sort. De plus, tu n’as pas uniquement la possibilité de soigner.)S’engagea alors une longue explication sur la nature des fluides élémentaires, qu’Acknarav compara à la respiration.
(La plupart de temps, vous ne prenez pas garde à sa régularité, bien qu’elle soit active – cela vaut mieux. Ce n’est que lors d’un effort, d’une difficulté ou lorsqu’un évènement extérieur vous y incite que vous y prêtez attention. Parfois même, vous avez plus de mal à contrôler votre respiration quand vous prenez conscience de son existence.
Les fluides élémentaires sont bien présents en toi, que tu en prennes conscience ou non. J’aimerais que tu te concentres et réalises qu’ils sont immanents.)La sindel ferma les yeux et se maintint droite, bien que toujours agenouillée. Elle cherchait la sensation cénesthésique de ses fluides élémentaires, s’imaginant cette flamme exemplaire en son sein, représentation tangible de sa magie intérieure.
Elle eût beau se concentrer, son aversion profonde pour la magie semblait la bloquer.
(Fais fie de tes sentiments. La magie est ce que l’on veut bien en faire.)(Mon mari souhaitait donc me blesser ?!)Aucune réponse n’émana de la faera.
(Donc ?)(Je ne peux répondre à cette question. Concentre-toi plutôt sur tes fluides.)Itsvara prit une profonde inspiration, s’efforçant d’oublier tous les griefs qu’elle pouvait avoir envers la magie, se rappelant du bienfait qu’elle avait produit en soignant Gabriel ou encore, de sa rencontre avec ce sage oudio.
Progressivement, la sensation de plénitude redevint prédominante. Une douce chaleur emplit alors le corps de la sindel qui esquissa un sourire. Cette sensation était si douce, si rassurante. Elle se sentait maîtresse d’elle-même, maîtresse de sa puissance nouvellement acquise.
(Très bien. Maintenant, canalise ton énergie en un point. Celui que tu préfères.)Une nouvelle fois, Itsvara se laissa guider par sa Faera. Gardant son esprit concentré sur cette douce sensation, elle imagina la chaleur se réfugier en son cœur avant de la diriger vers son crâne ; sans aucun doute le lieu le plus sacré à ses yeux.
(Une élève admirable.)(Quel est l’intérêt de tout ceci ?)(De te maîtriser… et d’éviter les erreurs que ton mari a pu faire, par exemple.)L’elfe perdit instantanément toute perception, et par extension tout contrôle, de ses fluides. Repenser au comportement de Varancka l’avait troublée, l’avait même agacée. Elle ne voulait pas être comparée à lui, elle ne voulait, surtout pas, finir comme lui.
(C’est pour cela que tu dois apprendre à manier tes fluides. Demain, je t’en apprendrai plus, tu dois être fatiguée.)(Non, je vais bien.)Elle se releva pour se remettre à genoux immédiatement. Manier sa magie, alors qu’elle n’en avait jamais eu l’habitude, l’avait épuisée. Elle s’inquiéta de se voir si réduite sans avoir même lancé un sort.
(Bientôt, tu sauras capable de soigner, de protéger et bien plus encore sans être exténuée ainsi. Prends le temps qu’il te faut. Nous reviendrons.)