rues et ruellesJ’enlevai mes vêtements, laissant tout pêle-mêle sur le sol et me mis à la recherche de mon lit dans le noir quasi absolu de la pièce. Allongée sur le dos, j’avais du mal à mettre mes idées en ordre, et en faire le tour de manière réfléchi me paraissait dénué de sens. Le simple souvenir de l’assassin avait laissé une empreinte teintée de mystère et d’obsession, des plans fous fleurissaient à chaque seconde quant à mes futures activités auprès de Keyoke.
Je pensais ne jamais pouvoir fermer l’œil mais le sommeil m’emporta rapidement.
La journée était déjà bien entamée lorsque j’ouvris les yeux, et dans ma chambre fleurai une odeur délicieuse. J’apercevais vaguement une forme ressemblant a priori à un homme et malgré ma vision encore floue due au réveil je savais qu’il s’agissait de mon ami et gardien.
- Bonjour Madoka, dit-il d’une voix douce tandis que je me levai et attrapai un bol de riz encore fumant.
- Bonjour. Pourquoi êtes vous là si tôt ? Demandai-je entre deux bouchées
- Qu’est-ce qu’il s’est passé cette nuit ?- Pitié, vous êtes déjà au courant alors laissez moi au moins manger.- J’en connais les grandes lignes mais ce qui m’intéresse, c’est ton rapport.- Je ne travaillais pas hier soir, en tout cas pas pour vous … commençai-je, agacée par toute cette précipitation à peine éveillée, mais son visage était plus inquiet qu’impatient.
- Il est après toi, avoua-t-il en s’asseyant au bout du lit avec une lourdeur inhabituelle, on aurait qu’il venait de prendre dix ans d’un coup et que sa force l’avait quittée, s’évaporant sous le poids de ses angoisses.
- Hait … (Non, pas lui) je me souvenais de ses traits, de ses yeux, et il aurait eu l’occasion de le faire sans en passer par une telle mascarade. Je pris une nouvelle poignée de riz et m’assis au coté de mon mentor.
L’assassin ! Je me rendis compte de mon ton à la fois fataliste et distant. Le fossé entre nos deux réactions me choqua plus que le reste, lui qui avant était un homme craint par sa froideur et son intelligence presque inhumaine, lui qui pouvait sacrifier des vies au nom d’une victoire … il était là, avachi sur un lit à s’inquiéter pour une vie aussi inutile que la mienne.
- C’est son assassin mais il ne le contrôle plus. Il veut la tête de la fille d’hier soir. Il ne connait que ton nom, mais pas ton visage. Remercie ton maquillage ma fille, et ces murs. Il n’y a rien de pire qu’un assassin qui perd la tête, obsédé par une quête personnelle. Je l’entendais mais ne l’écoutais qu’à moitié, perdue dans cette idée qu’il devenait faible à cause de moi. Il n’était plus le serviteur puissant de son peuple mais un père impuissant. Je ne pouvais pas accepter que notre pays perde un défenseur tel que lui, juste pour moi.
- Je dois m’en aller, au plus tôt.- Non, non, on peut trouver une autre solution.- Laquelle, celle de risquer de mettre au grand jour les dessous de cette ville juste pour sauver la vie d’une danseuse sortie des égouts, tout juste capable d’espionner les conversations des autres ?Je me levai brusquement devant lui
Est-ce qu’il faut qu’on se dispute et se blesse pour que vous acceptiez le fait que c’est là la seule solution ? Cessez de penser en père aveugle et pensez plutôt en Ynorien.Il releva les yeux, aussi brillants que les miens et bataillant sans doute autant pour ne pas laisser de larmes gâcher nos décisions, aussi justes et nécessaires soient-elles.
- J’espérais t’offrir une vie normale. Son demi-sourire me rassura, car il redevenait celui que je connaissais, malgré ses derniers mots.
- Tout en sachant que je l’aurais refusé, violemment refusé ?Il prit mes mains dans les siennes et les embrassa comme il ne l’avait jamais fait.
- Tu vas me manquer.- Vous aussi.Je le laissais se relever et faire les cents pas pendant que je m’attaquais à un autre plat. Il nous faudrait trouver un endroit où aller, du moins un premier car je ne pensais pas pourvoir m’installer très longtemps quelque part, à moins de vouloir rencontrer l’assassin sur mon palier.
- Je sais où t’envoyer. Nous avons eu connaissance il y a quelques jours du lancement d’une grande chasse au trésor, partant de Kendra Kar- Chasse au trésor ? - Je sais, je sais. Mais on n’a pas mieux pour le moment, et on n’a pas le temps.- Non, non c’est très bien. Une grande ville pour commencer, et une fois embarqué dans la - je levai mes doigts en crochet pour accentuer l’effet -
"grande chasse au trésor", il me perdra.- J’ai du mal à ne pas considérer ça comme une fuite.- C’est une fuite. A moi ensuite de ne pas vivre ainsi le reste de ma vie.
(Je ne me permettrais pas une vie aussi indigne)Il respira profondément puis se retourna vers moi, le regard enfin redevenu celui du vrai Keyoke, et sa voix autoritaire me séduisit plus que ces larmes retenues.
- Dépêche-toi de finir ton diner, et prépare-toi rapidement. Tu me rejoins dans mon bureau du dernier étage dans une heure.Une fois parti, j’avalai le reste des mets à toute vitesse et le regrettai vivement à la descente. Je fis venir une domestique pour me préparer un bain et j’utilisais ce temps pour rassembler mes affaires. Je roulais en boule la cape, cachant les perles à l’intérieur et mit le tout dans mon sac. Lorsque le bain fut prêt, je demandais à la jeune fille de me préparer des habits d’hommes de couleurs foncées et lui indiquais où y coudre des poches intérieures.
Je restai dans mon bain, les yeux fermés essayant de ne penser qu’au voyage, au détour que prenait soudainement ma vie. Il me faudrait m’adapter à un autre mode de vie, une autre culture et à d’autres êtres vivants que mon peuple. Je m’aperçus tout à coup que c’était la première fois depuis très longtemps que ma vie ne consisterait plus à suivre les fils d’une mission ou d’un métier tout aussi fixé dans les règles. Personne n’allait me dire avant de partir qui je devais faire semblant d’être, qui suivre et étudier, qui tromper ou qui voler.
(Au moins, je n’aurais pas d’idiot qui me sortira : sois toi-même.)La domestique gratta au paravent et je laissais de coté toutes ces questions, peut être allais-je d’ailleurs les oublier. Pourquoi m’embarrasser à prévoir comment m’adapter à l’inconnu. Je m’habillais en hâte, un pantalon droit et assez long pour cacher mes pieds, une sous-veste en coton tissé léger, ainsi qu’une veste à col droit fermé par des boutons. Par finir, je porterais une sorte de pardessus ample de couleur noir sans guère plus de motif qu’un liseré blanc brodé au bas, fermé par des boutons jusqu’aux hanches.
Je cachai mon arme dans la large ceinture qui fermait le pantalon et les aiguilles de poison dans l’une des poches cousues dans la manche de ma veste au niveau des poignets.
Je montrais rapidement à la domestique des objets à remettre à certaines personnes, et m’en allai sans lui donner plus d’explications ni attendre qu’elle acquiesce.
Je montai les étages au pas de course en passant par les couloirs et escaliers les moins utilisés, quitte à faire des détours, et rejoignis Keyoke à l’heure dite. Tout alla très vite, il me donna un exemplaire de l’annonce reçu et m’apprit qu’un cynore partait dans moins d’une heure pour Kendra Kar.
Je devais m’y conduire seule, aussi étaient-ce les dernières minutes que je passais avec lui, peut être pour plusieurs années et je ne voulais pas d’un départ sans entendre sa voix gronder.
- Bon, je suis prête à partir- Ton sac ?J’écartai un pan de mon pardessus et lui montrai le sac que je portais en bandoulière assez courte et garderais à l’intérieur.
-Bien, ton vol ne t’attendra pas.Je fis un pas pour me rapprocher, fermai les yeux et laissai mes doigts parcourir son visage comme un aveugle le ferait pour vous reconnaître. Il les retira et demanda d’un air surpris
- Que fais-tu ?- Je grave le souvenir de votre visage dans mon esprit, pour ne jamais vous oublier. Je répondis à la manière d’une jeune dame que lui et moi considérions comme futile.
- Mado ?- Quoi ?? M’écriai-je doucement,
je suis quasi sûre que c’est comme ça que font les émotifs !- Mado !! Ça suffit. Gronda t-il pour mon plus grand plaisir. Ainsi que le sien à en juger par son sourire paternel.
Je ne l’embrassai pas, me promettant de réparer cet oubli à mon retour, ce qui m’obligeait à devoir revenir ici.
- Adieu- A bientôt ma fille.Je lui tournai le dos et sortis sans un regard en arrière.
(Rien ce qui m’arrivera à partir de maintenant ne pourrait égaler le fait de vous servir.)