FenghuangSalamandres
Agadesh s'avança. Il ne savait pas trop ce qu'il faisait vraiment en l'approchant, mais voir des visages familiers lui était tellement rare ces derniers temps... Au fond, il ne la connaissait pas le moins du monde. C'était à peine s'ils s'étaient adressés la parole. Mais ils avaient combattu ensemble, elle avait démontré être une farouche combattante et pris les décisions qui s'imposaient. Il avait pour elle le respect du guerrier.
Elle restait cependant un mystère, cette créature féline qui était habillée d'un simple pagne et d'un soutien-gorge d'un bleu éclatant, parée de quelques coquetteries de bijoux dorées, digne d'une courtisane ou autre danseuse du ventre, marchant pieds nus sur son chemin. Quelque part, ça l'intriguait et lui donnait une joie inattendue, comme s'il venait de reconnaître un de ses semblables des dunes.
Il l'interpella donc, esquissant un sourire :
"Vous, par les ancêtres, je vous reconnais ! Nous avons combattu ensemble !"Elle semblait plutôt bien accueillir cette rencontre et s'avança vers lui :
"Oui, vous êtes le nomade qui m'a défendu après l'attaque des katrels ! Laissez-moi vous faire la bise !"Agadesh fut pris de court. Bien qu'il la respectait, qu'elle lui fasse la bise était une familiarité avec laquelle il n'était pas à l'aise. Dans le désert, les contacts physiques étaient très restreints. Encore plus en public.
Son ton se fit plus sec, l'arrêtant dans son geste en lui prenant les épaules:
"Attendez. Nous ne sommes pas proches à ce point."Elle fut étonnée de cette réaction, laissa tomber d'un haussement d'épaule et lui répondit :
"Je vois vraiment pas pourquoi faire tant de manière... Mais d'accord, d'accord. Je n'insiste pas. Au fond, vous avez raison. Je ne sais même pas votre nom.""Agadesh. Agadesh Kel Attamara, du désert de l'est. Je suis ravi que nos pas se croisent à nouveau.""Moi c'est Chanpawa. Vous, vous allez où comme ça ?""Je me dirige vers Kendra Kâr. Vous connaissez l'endroit ?""Si je connais Kendra Kâr ? Ah, j'en connais le moindre coin de rue ! C'est génial, on va pouvoir faire le chemin ensemble alors !"Le nomade accueillait la nouvelle avec contentement et y voyait là encore un stratagème des dieux pour faciliter son voyage.
"Comment est la route ?""Pas très longue. Il y a à peu près une demi-heure de marche.""Dangereuse ?""Alors là non, certainement la moins dangereuse de tout Yuimen. On est assez près de la ville, c'est pas mal fréquenté par ici. Alors il y a beaucoup de gardes qui tournent. Pas de bandits de grands chemins et on est loin des endroits où vivent les créatures. Pas de souci à se faire à ce niveau-là... Alors, si je comprends bien, c'est votre première fois, à Kendra Kâr ?""En effet.""Sans rire ? Ah, c'est une sacrée ville vous allez voir. Ça grouille tout le temps, y a toujours des trucs à faire ou à voir. Vous regretterez pas le voyage. Vous y allez pour quoi ?""Je dois me rendre à la grande bibliothèque, faire des recherches."Chanpawa fit une grimace.
"Ah. Vous... Vous n'avez pas l'air d'un prêtre ou d'un érudit, pourtant.""Non, je suis un guerrier des dunes et ne suis pas familier des écritures, mais la bibliothèque est une étape que je ne peux éviter. D'ailleurs, n'êtes-vous pas vous-même une guerrière ? Vous aviez fait des prouesses contre ces créatures des airs !""Je suis une humoranne mais ma mère m'a élevé à la manière woranne, à la dure. Alors oui, je sais me battre."Agadesh pensait qu'elle devait parler là de sa race, qui lui était inconnu. S'il ne pouvait réaliser le sens total de cette phrase, il comprenait qu'elle devait être d'un peuple guerrier et cela lui suffisait pour ne pas poser de questions qui pourraient le faire paraître plus ignorant encore.
La route qu'ils empruntaient était en effet très fréquentée. Ils se trouvaient toujours dans le nuage des voyageurs venant de la zone d'embarcation aérienne, qui devaient tous se rendre dans la ville. Autour d'eux, le paysage était dégagé. Des champs de légumes étaient envahis de paysans récoltant le fruits de leur labeur et s'étendaient jusqu'à disparaître derrière quelques lointaines collines sur lesquelles se trouvaient éparpillés quelques moulins. Des greniers accueillaient les denrées, des cabanes en pierre sèche protégeaient du soleil les travailleurs fatigués et des seaux d'eaux étaient portés depuis des puits et des pompes. Quelques bêtes de somme se faisaient apercevoir : chevaux de bât, mules et autres bœufs suivaient sagement leurs maîtres, kendrans pour la plupart sinon varrockiens ou sinaris.
Vers la droite, la mer était visible et le bruit réguliers des vagues sur les quelques reliefs de cette plage de galets se faisait entendre discrètement. La route s'en rapprochait de plus en plus. Des marins étaient eux aussi à la tâche là où les cabanes de pêcheries se rejoignaient, sous l’œil envieux de mouettes criardes. L'on y salait daurades, orphies, bogues, muges, rougets, pageots, soles, raies, denahs, homards, écrevisses et autres bienfaits de la mer et non loin, une humble distillerie récupérait l'algue qui serait rapidement transformé en liqueur avant d'être revendu aux commerces de la ville.
Aussi, des fortins militaires, miradors et autres guérites étaient éparpillés aux bords de la route et accueillaient des gardes portant les couleurs rouges et bleus de la ville.
Agadesh commençait à comprendre que cette région devait être plus prospère et peuplée que toutes celles qu'il avait pu apercevoir auparavant. Et il était vrai qu'il semblait régner une solide sécurité ici puisque peu de personnes portaient armes, outre les gardes. Ceux-ci étaient protégés de côtes de mailles, rondaches au bras arborant un soleil, et équipés d'épées courtes. Il ne pouvait cependant s'empêcher de penser qu'il s'agissait là d'une suffisance absurde de ces populations que de se balader sans aucun moyen de défense, comme s'ils se prenaient pour des dieux et qu'aucun danger ne pourraient jamais les menacer. Beaucoup de ces gens n'étaient évidemment pas des guerriers et, par leur ignorance au combat, ils seraient toujours vulnérables et incapables de défendre leur honneur ainsi que celui de leur peuple et de leur famille. Vraiment, il ne comprenait pas et il ne put s'empêcher de le dire à voix haute :
"Ces gens ne guerroient-ils donc jamais ?"L'humoranne semblait entendre les pensées passées du nomade et lui répondit :
"Humpf, et pourquoi ils feraient ça ? Les frontières sont loin et ça fait des siècles que la ville n'a pas été attaqué. Ces kendrans se croient intouchables et dès qu'ils ont le moindre problème, ils se cachent derrière la garde ou engagent des mercenaires au rabais pour les protéger dans leurs déplacements. Alors pourquoi apprendre à se battre ? On aurait pu croire que la guerre avec les peaux-vertes les auraient réveillé mais non, pas le moins du monde. C'est la faute de leurs dirigeants ça, qui leur bourrent le mou en déclarant à tue-tête qu'ils sont en train de vaincre, de ne pas s'inquiéter... Mais la vérité, c'est qu'ils s'embourbent là-dedans. Dahràm a été conquise, les elfes noirs se sont ralliés à eux, Zewen sait combien de temps l'Ynorie tiendra encore... Et si un jour leur vient l'idée d'attaquer en force les duchés, on les aura aux portes de la ville avant de pouvoir s'en rendre compte... J'ai même entendu dire que des garzoks avaient été intercepté en train d'établir un camp dans la forêt à côté de Bouhen ! Ça prouve bien que quelque chose cloche quelque part non ? D'où ils sont venus et comment ils ont pu arriver jusque là sans que personne ne les remarque ?"Agadesh ne connaissait rien de cette guerre et ne comprenait que partiellement ce dont il était question. Son séjour en Ynorie lui aura cependant permis de comprendre qu'il devait s'agir de la même guerre, que ces peuples étaient alliés contre un redoutable ennemi venant du nord.
"On dirait que ça vous touche tout particulièrement." "Si ça me touche ? Pas vraiment. Mais tout ces menteurs de noblaillons me dégoutent. Comme je vous l'ai déjà dit, j'ai été élevé à la woranne. Toujours à me balader sur les routes, je suis à la fois nulle part et partout chez moi. C'est grâce à ça que je comprends ce qu'il se passe un peu partout et je peux vous dire que dans n'importe quel royaume que l'on soit, ces enflures profitent de l'ignorance de ces pauvres trimeurs pour leur faire avaler tout un tas de couleuvres, tout le temps... Avant, j'étais dans un groupe de mercenaires itinérants. Mais c'était des sales gars et le chef, c'était le pire d'entre eux. Au bout d'un moment, on a été contacté par un ponte d'Exech qui voulait notre "protection" et notre "participation" pour plusieurs contrats... Tu parles ! Il mouillait jusqu'au cou dans des affaires de guerres de clans et des histoires de magie obscure. J'ai vu de ces trucs, à rien n'y comprendre... On n'a pas réussi à le protéger, il avait trop de monde à dos. Même ses propres hommes s'étaient retournés contre lui. Il s'est fait tué et nous, on s'est retrouvé condamnés à se cacher dans les bois. J'ai filé en douce et les ai vendu au clan le plus puissant contre ma tranquillité et quelques yus. De toute façon, ils étaient tous pourris jusqu'à la moelle. Ils le méritaient et je le regrette pas une seconde. Depuis cette histoire, je me débrouille comme je peux. Hors de question de recommencer à bosser avec des gens que je ne connais pas. Surtout pour me retrouver encore une fois avec une équipe de dégénérés, dans des embrouilles impossibles. Alors je chasse et j'enchaîne les petits boulots d'une ville à l'autre. Là, je sers de messagère pour une compagnie marchande de Tulorim. Pas vraiment passionnant, mais ça paye bien. Dès que j'aurais assez, je pense me payer un bon cheval et peut-être rejoindre une communauté woranne voir comment ça tourne. Ma mère ne m'en a pas dit que du bien, mais je vais tenter de me faire ma propre expérience. Qui sait ? S'il faut, je m'y plairais bien."Agadesh l'écoutait d'une oreille distraite. Son passé ne l'intéressait pas vraiment, il ne comprenait que vaguement ce dont elle parlait et lui qui était de la famille royale des Kel Attamara et avait des valeurs, ses généralisations péjoratives sur la noblesse et ses histoires de trahison teintées de lâcheté et de cupidité n'était pas franchement pour lui plaire. Son estime à son égard avait soudainement considérablement chuté et sa compagnie en devenait agaçante au fur et à mesure de ces paroles.
Il aurait pu s'en énerver dans d'autres conditions, avec son caractère franc, mais il commençait à désespérer du manque de bon sens de tout ces étrangers. Ils avaient décidément tous quelque chose qui allait de travers. Il en serait presque triste pour eux s'il réussissait à oublier leurs côtés détestables.
Il se concentra donc davantage sur la route et ce paysage fertile en tout sens qui lui restait à la fois étrange et miraculeux. Un peu envieux, il se demandait si son peuple aurait ressemblé à celui-ci si les dieux ne s'étaient pas affrontés sur leurs territoires et repensait à la sagesse de Sid lorsqu'il disait que c'était la rudesse des sables qui avait fait d'eux ce qu'ils étaient et leur avait donné l'honneur, l'humilité et la bravoure.
La route avait rejoint la côte maintenant. Elle se trouvaient à quelques mètres de là sur sa droite. Il vit alors trois petites embarcations de pêcheurs sur le retour, mais un petit quelque chose -il n'aurait pas pu désigner quoi- lui semblait curieux. Ces petits canots revenaient tous en même temps et, sur l'un d'eux, on pouvait voir une silhouette debout, à l'inverse de tout les autres marins vraisemblablement occupés à ramer. Il hurlait vers la rive, en direction de ses collègues occupés sur la terre ferme : "Héqets ! Héqets!"
Agadesh ne comprit pourquoi, mais tout sembla soudainement s'agiter. La foule commençait à présenter quelques signes de panique, les gens avaient des comportements absurdes et se dispersaient en courant à droite et à gauche.
Intérieurement, le nomade les méprisaient. Invoquant Yuimen, il voyait là une autre tare de ce peuple. Des êtres incapables de contrôler leurs émotions, cédant à la lâcheté et l'idiotie. Si cela lui permettait de comprendre qu'un danger était en marche, il ignorait totalement lequel alors que, plus loin, un garde se fit l'écho du marin et répéta en direction de ces frères d'arme : "Héqets ! Héqets !"
Les soldats s'agitèrent à leurs tours, se demandant comment ces héqets avaient pu parvenir jusqu'ici. Des ordres fusèrent. Un messager à cheval fut envoyé, chargé de prévenir la marine de Kendra Kâr et d'appeler des renforts.
"Qu'est-ce que ça veut dire ?""Que c'est pas le moment de nous éterniser dans le coin !""Qu'est-ce qu'il se passe ?!""Une attaque, des créatures de la mer qui viennent par ici.""Je croyais que cette route n'était pas dangereuse !""Mais c'est le cas ! Ça n'arrive jamais, normalement !"Les gardes dirent aux voyageurs et aux travailleurs d'évacuer la zone, d'aller se réfugier dans la ville. Mais ils étaient encore trop peu nombreux pour s'organiser efficacement, et l'ensemble des spectateurs semblaient hypnotisés par le danger arrivant droit sur eux.
Un soldat se présenta devant les deux nomades, répéta l'ordre d'évacuation et il suivit Chanpawa sans comprendre ce qu'il en était.
"Attendez, où allons-nous ? Je refuse de fuir le combat comme un pleutre, par l'honneur des Kel Attamara !"Aussitôt dit, il fit demi-tour et rejoint la plage. Le garde le voit et l'intercepte :
"Je vous ai dit d'évacuer la zone !""Non ! Je suis un guerrier, je veux me battre !""C'est inutile, nous nous en occupons. Allez, circulez !"Derrière le garde, l'eau commençait à afficher comme une vague de remous s'approchant à grande vitesse. Elle rattrapa les canots des marins, les engloutissant un à un par le fond. Au sein-même de la patrouille, on commençait à s'affoler. Diverses réactions effrayés se faisaient entendre. Leur chef essayait tant bien que mal de garder la cohésion de son groupe et hurlait à ceux qu'il avait envoyé s'occuper des civils de revenir auprès de lui. Le soldat regarda Agadesh et l'humoranne un dernier instant, semblant espérer qu'ils partent sans avoir à le redire, puis rejoint les autres.
La vague ne cessait d'avancer et on commençait à pouvoir prendre mesure de ce qui allait leur tomber dessus. C'était plusieurs dizaines de créatures, en ligne, côte à côte, qui s'avançaient rapidement. On pouvait deviner leurs silhouettes sombres sous la surface.
Le chef de la garde s'adressa à ses soldats :
"Soldats, en ligne ! Nous allons devoir affrontons des Héqets ! Évitez leurs tentacules et méfiez-vous de leurs bonds ! C'est aujourd'hui le jour où nous devons nous montrer glorieux ! Je ne veux pas que le moindre d'eux atteigne la route ! Pour Kendra Kâr !""Pour Kendra Kâr !" répondirent-ils en écho.
Les créatures ne tardèrent pas, sautant depuis la mer jusqu'à la plage dans une arrivée lourde et spectaculaire, faisant voler plusieurs galets.
C'était des monstres à la peau verts-de-gris, d'allure humanoïde. Ils étaient imposants, ils faisaient trois têtes de plus qu'eux. Mais ils n'avaient pour visage qu'un ensemble de fines tentacules inégales, pouvant aller jusqu'à la taille d'un bras, se mouvant sans cesse autour d'un grand orifice qui devait leur servir de bouche. Leurs cuisses étaient épaisses. Leurs membres étaient pourvus de palmes et de nageoires. Par plusieurs aspects, elles lui rappelaient Yammu, et ce n'était pas pour lui plaire.
Un à un, ils sortirent de l'eau. Sans un bruit. Les soldats ne rompirent pas leurs rangs, attendant qu'ils arrivent à eux. Agadesh, comme pris d'un doute, n'avait pas bougé d'un pouce depuis le départ du garde et Chanpawa restait aussi là, semblant craindre le pire.
Le héqet bondit une nouvelle fois, se jetant en plein milieu des gardes.
A ce moment, Agadesh courra vers eux. A elle seule, alors que bien d'autres encore arrivaient, la créature avait déjà semé le chaos parmi les soldats. Il en avait plaqué un au sol et s'était empressé de lui envelloper la tête de ces fines tentacules. Cette vision d'horreur, alors que la victime hurlait de douleur, tétanisa l'assemblée. Seul Agadesh s'avança pour sauver le soldat, tranchant de son sabre la créature dans le dos devant les autres soldats ahuris.
Mais la bête n'avait pas bougé. Sa peau était épaisse et dure comme le cuir. Aucun sang n'avait jailli, elle ne semblait pas même avoir senti le coup. Ce fut au tour d'Agadesh d'être troublé, et au chef des soldats de se réveiller avec ses hommes.
"Libérez-le de la créature ! Poussez le héqet sur le dos et frappez au ventre !"Plusieurs soldats vinrent bousculer le monstre en courrant. Les premiers, d'un coup de bras, furent éjectés. Le soldat en dessous ne hurlait plus. Les suivants eurent plus de chance, basculant le héqet sur sa gauche. Agadesh profita de la situation pour l'attaquer au ventre, rapidement rejoint par les autres soldats. Tous s'acharnèrent sur la créature. La force nécessaire qu'il fallait déployer pour pénétrer cette peau était considérable mais enfin, le sang jaillit. Un sang grisâtre et épais qui coulait mollement sur les flans de la bête. Pendant tout ce temps, nul bruit ne lui échappa. Nul cri d'attaque ou de douleur, ces créatures semblaient n'émettre aucun bruit.
A côté, le soldat attaqué ne bougeait plus. Ce qui fut autrefois son visage portait les marques des tentacules, qui semblaient l'avoir rongé jusqu'à l'os. Autour, il n'était plus qu'une peau rouge et boursouflé. Une vision d'horreur qui perturba grandement les gardes. L'un d'entre eux, assez jeune, ne put s'empêcher de vomir. Les autres étaient effrayés et plusieurs semblaient prêts à prendre leurs jambes à leurs cous, mais aucun ne céda à cet appel.
Alors que les soldats eurent le temps de se remettre en position, les autres héqets étaient étrangement restés à leurs places, sans rien faire. Comme s'ils admiraient le spectacle.
"Qu'est-ce qu'ils font ? Pourquoi ils n'attaquent pas ?", dit un soldat en direction de son chef.
Il lui répondit simplement de se taire et de tenir les rangs. Que ces créatures ne bougent pas était curieux, mais ça n'était pas forcément une mauvaise chose. Cela laissait plus de temps aux renforts pour arriver.
Agadesh et Chanpawa étaient toujours là, légèrement éloignés. Les soldats ne leur prêtaient pas attention, concentrés sur leur tâche. Ces créatures se comportaient étrangement. Aucun animal ne se comportait de la sorte.
Elles étaient plus intelligentes, c'était certain, mais leur tactique, si tant est que cela en était bien une, ne semblait avoir aucun sens. Pourquoi cette entrée théâtrale, quasi-militaire, en ligne de dix, tout cela pour qu'une seule d'entre elle passe à l'attaque ? Qu'est-ce que signifiait cet immobilisme soudain ?
La situation était d'une tension immense. Tous s'attendait à ce que la moindre d'entre elle se jette sur eux d'un bond et à subir le même sort que leur précédent camarade, mais rien ne se passait.
Cela sembla durer une éternité et le chef des gardes décida rapidement d'en tirer profit.
"Archers, en position !", hurla-t'il.
Les tireurs s'avancèrent alors devant la ligne des fantassins.
"Parez pour tirez... Tirez !"Les flèches volèrent jusqu'aux créatures, se plantant dans leur peau.
Les projectiles n'eurent fini de tomber lorsqu'elles s'affolèrent, attaquant anarchiquement en fonçant dans le tas.
Les soldats se faisaient renverser, les tentacules fouettaient et brûlaient jusqu'à leurs armures. En un laps de temps très court, le chaos s'empara des lieux.
Il n'en fallut pas plus à Agadesh pour se sentir dans l'obligation d'agir.
"Allons nous battre !", dit-il en lâchant son sac au sol à Chanpawa, qui se sentit alors obligée de le suivre.
Le Héqet le plus proche s'était rué sur trois gardes, claquant ses tentacules autour de lui et blessant un soldat au visage par la même occasion, qui lâcha son arme et courut alors que son œil continuait d'être rongé par l'acide.
A vrai dire, Agadesh ne savait pas vraiment comment appréhender cette créature. S'il avançait, il risquait de subir le même sort que le garde. S'il restait, il ne servirait à rien et il y aurait le risque que ce monstre décide de lui sauter dessus. Mais il n'en était pas à son premier combat contre des monstres inconnus, il était bon combattant et ne manquait ni de courage ni d'audace. Pour pouvoir tuer ce monstre, il fallait déjà l'approcher.
Il s'avança donc d'un pas décidé.
La créature l'avait déjà repéré et dirigeait ses tentacules vers lui, en faisant de grands mouvements comme pour l'intimider. Il comprit alors que le mouvement de fouet était toujours le même, du haut vers le bas. Pour plaquer les ennemis en direction du sol, pour pouvoir s'en nourrir par la suite. Ces Héqets n'étaient rien d'autres que des animaux... La faim les guide.
Il ne lui en fallut pas plus pour comprendre comment utiliser son sabre. A chaque tentacule qui venait l'agresser, il opposa la lame de son sabre. Les membres coupés continuaient de s'agiter au sol comme des vers de terre, mais le monstre ne semblait pas ressentir la moindre douleur dans leur perte. Voyant son efficacité et alors qu'il continuait d'avancer, la créature se décida à lui sauter dessus. Elle le plaqua au sol de tout son poids, il perdit son souffle au contact des galets contre son dos et lâcha malencontreusement son arme. Le monstre réunissait ce qu'il lui restait de tentacule, lui rongeant la peau de l'oreille jusqu'à la bouche dans un grand cri de douleur. Chanpawa, durant ce temps, s'improvisait donneuse d'ordre avec certains soldats.
"Aidez-moi, il faut le sortir de là !", hurla-t-elle en se ruant sur la créature d'une manière barbare.
Elle ne faisait pas le poids à elle seule, et ce n'eût pour effet que de le déstabiliser un peu, une de ses tentacules se frottant maintenant au cou du bédouin qui n'avait jamais ressenti une douleur pareille et commençait à avoir du mal à respirer.
Les soldats la rejoignirent dans son entreprise et ils eurent finalement raison de l'équilibre de la bête, qui tomba au sol. Le laps de temps dans lequel son ventre fut exposé suffit alors pour que chacun y plante sa lame, mais les tentacules mortes tombèrent alors sur les jambes d'Agadesh. S'en rendant immédiatement compte, elle lui enleva directement en se brûlant les mains à son tour.
"Agadesh, Agadesh, vous allez bien ?", dit-elle, affolée.
Mais il n'eût rien pu répondre. La douleur, trop forte, eût raison de lui et il sombra...
Hypérion