Ici j'ai publié les 3 posts qui se sont perdus lors du changement de bases !Nouvelles rencontres
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Enfin libre, mais à quel prix! À peine sortie, je regrette déjà mon refuge forcé. Tout ce chahut m’agresse, m’empêche de me concentrer et me rends nerveuse. Je n’avais pas réalisé à quel point le sac étouffait le bruit. De plus, il m’est également difficile de m’orienter puisque j’ai peine à voir quoi que ce soit. Il faut bien avouer que ma vision depuis le sol est loin d’égaler celle de ma cachette dans la charrette. Je ne distingue que des bottes, des souliers et des bas de robes. Trop minuscule pour ce monde de géant, je risque de me faire piétiner à tout moment.
(Je dois tenter de me rendre jusqu’à la façade d’une maison et y demeurer jusqu’à la tombée de la nuit où la foule sera moins dense.)
C’est à ce point de mes pensées que je reçois un coup de pied qui me projette à plat ventre sur la chaussée souillée. La chevelure mouillée, les mains et les genoux éraflés, j’entends la dame me crier :
« Je t’offre ce bain de foule en cadeau. Amuse-toi bien! »
Étendue au sol, je lève vivement la tête afin d’identifier ma terrible assaillante. C’est peine perdue, elle s’éloigne déjà. S’agit-il de cette jeune femme aux cheveux de jais qui, bien que de dos, me semble élégante? Ou encore plus à droite, cette brune à la coiffure remontée qui est richement habillée? Ou pourquoi pas, juste à côté, cette rousse nattée?
(Non, sûrement pas cette rouquine, elle est habillée trop humblement. Le contenu de la sacoche me laisse présager que la dame en question est bien nantie.)
Je n’ai pu la reconnaître, mais je n’oublierai jamais sa voix ni son parfum. Provisoirement, je la baptise Violenta et je compte bien la retrouver un jour.
(Je peux me considérer chanceuse d’être encore indemne, je dois déguerpir d’ici au plus vite.)
Trop tard, un pied bien chaussé me propulse dans les airs. Instinctivement, je me rassemble en boule juste à temps avant de toucher le sol et de rouler comme un ballon. Un peu avant de m’immobiliser, une botte pointue m’intercepte et m’expédie à nouveau en altitude, j’atterris durement sur le dos, puis me cogne la tête sur le plancher de pierre.
« Ouille! »
Ma caboche me fait affreusement mal. Étourdie, je vois arriver un pied ferré, mais je ne possède plus la force de l’esquiver. Je ferme les yeux et résignée, j’attends la prochaine envolée.
Je sens alors une chose gluante agripper le dos de mon chandail et m’attirer brusquement vers elle. Mon derrière est ensuite introduit dans une gueule édentée, laissant le haut de mon corps et mes jambes de part et d’autre de sa mâchoire. J’ai peur, mais je suis trop abasourdie pour faire quoi que ce soit.
Soudain, la chose se remet en mouvement. Je décide enfin d’ouvrir les yeux pour finalement ne percevoir que la chaussée de trop près. Habilement, mon prédateur se faufile dans la foule, en louvoyant allégrement: quelques pas à gauche, deux autres à droite, puis de nouveau à gauche. Ma condition de passager n’est pas des plus confortable, au contraire, je dois plier légèrement les genoux afin d’éviter que mes pieds traînent au sol. Chaque pas pesant exécuté par l’animal produit une secousse qui résonne dans ma tête.
Cette bête m’a évité un triste sort-le dernier coup de pied aurait pu être fatal-. Je redoute tout de même celui qu’elle me réserve. L’idée de lui servir de repas ne me plaît guère. C’est à ce moment que je réalise que le reptile n’est pas seul. Effectivement, j’entends une voix masculine éraillée qui me rappelle un peu celle de mon grand-père.
« Allez Cheshire ! Yahah ! Plus vite que le vent ! Hue ! File ! Cours ! Galope !»
Si je n’étais pas si amochée, j’aurais pouffé de rire. En effet, malgré l’enthousiasme de son cavalier, la bestiole progresse à la même vitesse et de façon constante, c'est à dire lentement. Ces paroles m’ont tout de même rassurée. Apprivoisée, la bête nommée Cheshire ne risque pas de me manger.
Après quelques minutes d’adroites manœuvres à travers la population de Kendra Kar, Cheshire quitte l’artère principale pour s’engager dans une ruelle plutôt déserte. Les bruits de la ville s’estompent peu à peu. Chershire ralentit sa cadence et me dépose par terre derrière une demi-caisse de bois abîmée.
«Bien joué Cheshire, beau boulot ! Repos maintenant !»
(Du repos, moi aussi j’en ai grand besoin.)
Couchée au sol, je parviens, non sans difficulté, à me tourner sur le côté; la position dorsale s’avérant inconfortable due à la présence de mon carquois à moitié vide. Je n’envisage même pas d’enlever cet accessoire tellement le moindre mouvement supplémentaire me répugne. Ma tête s’élance, mais je garde les yeux ouverts, par instinct de survie ou par curiosité; je veux découvrir qui m’a sortie de cette mauvaise passe.
C’est ainsi qu’apparaît dans mon champ de vision une espèce de gros lézard auquel on aurait greffé une tête de crapaud. Cette tête couronnée d’une énorme crête abrite des yeux ronds indépendants l’un de l’autre. En effet, pendant que le gauche m’observe, le droit fixe une mouche; puis une langue démesurément longue terminée par une massue sort de sa bouche et gobe le moustique.
(Voilà donc ce qui m’a attrapée!)
L’animal se déplace lentement. Son corps d’abord gris tâché de noir -tel le mur de la ruelle- change progressivement de couleur pour finalement prendre l’apparence de la caisse de bois devant laquelle il se trouve en ce moment.
(C’est un être magique!)
J’imagine à quel point il serait magnifique, tout particulièrement à ce temps-ci de l’année, dans un milieu naturel entouré de ton de vert et d’orangé. Concentrée sur la créature, je n’avais pas encore prêté attention au cavalier. Ce dernier descend prestement de sa monture et s’approche de moi.
(Un lutin! Un très vieux lutin!)
Pleins de questions se bousculent dans ma tête.
(Que fait en ville un si vieux lutin avec une bête si singulière? Serait-il un sorcier? Est-il magique lui aussi? Peut-il se confondre avec son milieu?)
Sans réaliser un instant que mon attitude pourrait paraître impolie, j’examine avec attention cet aîné. La petite partie de son visage non recouverte par une ravissante longue barbe blanche, laisse entrevoir une peau basanée et très ridée.
Ce lutin n’a pas du tout l’apparence d’un vagabond. Il est vêtu élégamment d’un chapeau haut de forme, d’une veste violette et d’un pantalon gris assorti. Quoique ces vêtements soient élimés par le temps, ils conservent, tout comme leur propriétaire, une certaine classe.
Il s’adresse à Cheshire, lui faisant remarquer qu’il y avait longtemps qu’il n’avait pas rencontré de gens de sa race; puis il se tourne vers moi.
« Et qui êtes-vous et que venez-vous faire dans les parages si je puis me permettre ? »
Je ne sais pas si c’est son allure, son âge ou bien sa façon de s’exprimer, mais je me sens aussi intimidée que si je devais prendre la parole devant le conseil des anciens tout entier. Je me relève péniblement sur mes coudes afin de lui répondre avec le plus grand respect possible :
«Guasina»
C’est un son à peine audible qui est sorti de ma bouche. Je me racle la gorge et me reprends.
«Guasina Roquin, fille de Tonio Roquin dit le Roc et de Janina Roquin. »
Malgré les nausées qui m’envahissent subitement, je poursuis, tant bien que mal, mon discours.
« J’habite aux alentours de la ville, mais je n’y avais jamais mis les pieds. »
Ces maux de cœur se font de plus en plus insistants, ce qui ne m’empêche pas pour autant de continuer.
« Je suis à la recherche de mon frère Audaz, il… »
C’en est trop, j’ai à peine le temps de me retourner sur le côté que mon estomac se vide sur les pierres de la chaussée déjà sale.
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Hrem… le coin n’est pas terrible pour discuter. Dites-moi… Guasina, qu’est-ce que vous diriez d’aller dans un endroit plus tranquille où vous pourrez vous asseoir et manger un morceau si vous voulez ? Vous serez plus à l’aise pour me raconter plus précisément ce qui vous amène. »
Je ne réponds pas immédiatement, je le regarde fixement puis je réfléchis pesant le pour et le contre.
Ce lutin, malgré son âge avancé, ne semble pas éprouver de difficulté à me maintenir debout. Ce qui m’étonne encore plus, c’est la rapidité avec laquelle il est venu à mon secours, quelques minutes plus tôt, me soutenant fermement d’une main derrière mon dos, m’éventant de l’autre avec son chapeau. Il n’est peut-être pas si vieux qu’il en a l’air. J’hésite à lui répondre par l’affirmative puisqu’il est un parfait étranger et que d’accepter son offre équivaudrait peut-être à me jeter dans la gueule du loup.
(Comment lui dire que je refuse?)
Et pourtant, rien de son comportement n’est suspect. Au contraire, je ne pouvais rencontrer de lutin aussi intentionné et bienveillant.
(Quoique les apparences sont parfois trompeuses!)
Par contre, je suis sale et j’empeste. Lui aussi l’a constaté, il n’en dit mot mais ses narines le trahissent. J’aurais besoin de prendre un bain, je serais même prête à plonger dans l’eau glacée.
(Je vais lui dire oui)
J’ai honte de mon état. J’ai peine à tenir sur pied. En fait, j’en suis incapable sans son aide. Je ne veux pourtant pas être perçue comme une faible petite poupée abandonnée par sa maîtresse. Je suis l’aînée d’une famille de six enfants, je suis une grande sœur qui veut secourir son petit frère insouciant. Je dois me débrouiller seule.
(Je décline donc son offre)
Cependant, la nuit est sur le point de tomber et la seule perspective de passer celle-ci dans cette ruelle en compagnie des rats, des chats de gouttière ou pire encore des serpents, me donne des frissons.
(Que faire?)
Et voilà qu’il me sourit si gentiment de toutes ses dents jaunies. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre; la bataille entre mes scrupules et mes besoins est enfin terminée. Je vais accepter sa proposition.
« Oui, si cela ne vous embête »